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16 avril 2022 6 16 /04 /avril /2022 15:06
La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ?

Avec une inflation accélérant à son rythme le plus rapide depuis quatre décennies, en atteignant 6,5 % en février, et un taux de chômage inférieur à 4 %, il semble que l’économie américaine soit en surchauffe (cf. graphique). Comme dans le reste du monde, suite aux premiers temps de la pandémie, elle a connu un fort rebond de la demande dans un contexte où l’offre était contrainte, notamment avec les perturbations des chaînes de valeur internationales. Mais elle s’est également singularisée ces deux dernières années par l’adoption d’amples mesures de soutien budgétaire. Larry Summers (2021) et Olivier Blanchard (2021) avaient averti que les mesures annoncées par l'administration Biden risquaient de provoquer une surchauffe de l’économie américaine. L’accélération régulière de l’inflation que l’on a pu observer depuis semble leur donner raison. Oscar Jordà et alii (2022) estiment qu’en l’absence des mesures exceptionnelles de soutien budgétaire l’inflation américaine aurait été inférieure de 3 points de pourcentage.

GRAPHIQUE 1  Taux de chômage et taux d’inflation aux Etats-Unis depuis 2010 (en %)

La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ?

Abandonnant le scénario d’une inflation transitoire, la Fed a relevé son taux directeur au mois de mars dernier et elle projette six hausses supplémentaires d’ici la fin de l’année. Les prévisions tirées du comité fédéral d’open market suggèrent qu’elle prévoit un atterrissage en douceur de l’économie américaine : l’inflation devrait refluer sous les 3 % d’ici 2023 sans que le taux de chômage ne repasse au-dessus des 4 %. Autrement dit, la Fed atteindrait les deux grands objectifs de son mandat, à savoir la stabilité des prix et le plein emploi. 

Certains doutent que la Fed puisse vraiment faire refluer l’inflation sans faire connaître à l’économie américaine un violent atterrissage. Alex Domash et Larry Summers (2022), par exemple, notent que, depuis 1955, il n’y a pas eu un seul trimestre où l’inflation des prix a été supérieure à 4 % et le chômage inférieur à 5 % sans qu’il y ait eu une récession les deux années suivantes.

GRAPHIQUE 2  Taux de chômage et taux d’inflation aux Etats-Unis entre début 1972 et fin 1983 (en %)

La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ?

source : FRED

Il y a quatre décennies, la dernière fois que l’inflation américaine atteignait des niveaux similaires à ceux observés aujourd’hui, la Fed n’avait réussi à juguler celle-ci qu’en faisant basculer l’économie américaine dans une sévère récession [Sablik, 1973]. L’inflation attint les deux chiffres en 1974, puis de nouveau en 1979, dans le sillage des chocs pétroliers (cf. graphique 2). Paul Volcker, notoirement réputé pour ses positions de « faucon », arriva à la tête de la Réserve fédérale en août 1979. A ses yeux, la banque centrale avait perdu sa crédibilité en ce qui concerne son objectif de stabilité des prix : en donnant peu d’importance à l’inflation au cours des années précédentes, elle aurait laissé la population se convaincre qu’elle ne s’en inquièterait guère à l’avenir, si bien que les anticipations d’inflation avaient peu à peu été révisées à la hausse, alimentant l’inflation. Pour Volcker, la Fed ne pouvait maîtriser les anticipations d’inflation et ainsi l’inflation qu’en resserrant très agressivement sa politique monétaire, quitte à provoquer une récession pour démontrer sa crédibilité. Et c'est ainsi qu'il releva fortement les taux d'intérêt. L’économie américaine plongea une première fois dans une récession en 1980, elle y bascula de nouveau au troisième trimestre 1981. Le taux de chômage, de 7,4 % au début de la récession, attint 11 %. La récession de 1981-1982 est la plus forte contraction de l’activité économique que les Etats-Unis aient connue entre la Grande Dépression des années 1930 et la Grande Récession de 2007. Et le choc Volcker eut des répercussions au-delà de la seule économie américaine : il a notamment contribué à provoquer une récession mondiale et une crise de la dette publique en Amérique latine. Focalisé sur les seuls développements domestiques, Volcker ignora les appels du Congrès à assouplir la politique monétaire pour mettre un terme à la crise économique tant qu’il jugea l’inflation excessivement élevée. En octobre 1982, l’inflation était retournée à 5 %. La Fed ramena alors le taux des fonds fédéraux à 9 % et le taux de chômage repartit à la baisse.

GRAPHIQUE 3  Taux des federal funds et taux d’inflation aux Etats-Unis depuis 1970 (en %)

La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ?

source : FRED

Si l’on écarte celui qu’elle vient d’ouvrir, la Fed a opéré six cycles de hausses de son taux directeur depuis 1983, en l’occurrence de mars 1983 à août 1984, de mars 1988 à mai 1989, de février 1994 à février 1995, de juin 1999 à mai 2000, de juin 2004 à juin 2006 et de décembre 2015 à décembre 2018 (cf. graphique 3). Ces épisodes n’ont pas systématiquement été suivis par une récession. En les étudiant, Kevin Kliesen (2022) constate que la croissance n’a ralenti que suite aux quatre resserrements opérés entre 1988 et 2005. Au cours de ces épisodes, excepté celui du resserrement de 1994-1995, l’économie a fini par basculer dans la récession. L’économie américaine a également basculé dans une sévère récession au début de l’année 2020, mais celle-ci semble avoir pour cause principale la seule pandémie de Covid-19.

Se penchant sur l’actuel resserrement de la politique monétaire américaine, Alex Domash et Larry Summers (2022) ont cherché à déterminer quelles sont les chances que la Fed parvienne à maîtriser l'inflation tout en entreprenant un atterrissage en douceur de l’économie américaine. Ils notent que le marché du travail connaît aujourd’hui de plus fortes tensions que ce que suggère le taux de chômage : les taux d’emplois vacants et les taux de démissions atteignent des niveaux qui étaient par le passé associés à un taux de chômage inférieur à 2 % et ils semblent exercer des pressions significatives sur les salaires. L’inflation salariale a atteint les 6,5 %, soit le rythme le plus rapide observé au cours des quarante dernières décennies (cf. graphique 4). Domash et Summers notent que, par le passé, lorsque l’inflation salariale dépassait les 4,5 %, l’inflation tendait à s’accélérer. Ainsi, ils en concluent qu’il n’y a guère de raisons de croire que les pressions inflationnistes générées par le marché du travail vont rapidement se dissiper.

GRAPHIQUE 4  Inflation salariale aux Etats-Unis (en %)

La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ?

source : Domash et Summers (2022)

En poursuivant leur analyse, Domash et Summers montrent que les niveaux élevés d’inflation salariale que l’économie américaine connaît actuellement ont par le passé été associés à un risque élevé de récession au cours des deux années suivants. En l’occurrence, ils notent que, depuis 1955, il n’y a pas eu un seul trimestre où l’inflation salariale a été supérieure à 5 % et le chômage inférieur à 5 % sans qu’il y ait eu une récession les deux années suivantes. Les épisodes passés au cours desquels la Fed a su faire refluer l’inflation en entraînant un atterrissage en douceur de l’économie américaine, notamment en 1965, en 1984 et en 1994, étaient marqués par un taux d’inflation et un degré de tensions sur le marché du travail plus faibles que ceux observés aujourd’hui. Les deux seules périodes au cours desquelles l’inflation salariale a chuté de plus d’un point de pourcentage en une année ont été 1973 et 1982, deux années qui coïncident avec une récession. Autrement dit, les données historiques suggèrent qu’il est peu probable que la Fed puisse réduire l’inflation sans provoquer un ralentissement significatif de l’activité économique et une forte hausse du chômage.

En s’appuyant sur une relation de Phillips, Domash et Summers ont alors cherché à déterminer quelle hausse du taux de chômage serait « nécessaire » pour réduire l’inflation salariale. Ils estiment qu’un retour de l’inflation salariale à 4 % en 2024 se traduirait par un taux de chômage de 5,4 % ; la faire refluer à 3 % se traduirait par contre par un taux de chômage de 8,4 %.

 

Références

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 18 février.

BLANCHARD, Olivier (2022), « Why I worry about inflation, interest rates, and unemployment », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 14 mars.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022), « A labor market view on the risks of a U.S. hard landing », NBER, working paper, n° 29910.

JORDÀ, Òscar, Celeste LIU, Fernanda NECHIO & Fabián RIVERA-REYES (2022), « Why Is U.S. Inflation higher than in other countries? », FRBSF Economic Letter, n° 2022-07, mars.

KLIESEN, Kevin L. (2022), « A comparison of Fed "tightening" episodes since the 1980s », Federal Reserve Bank of St. Louis, working paper, n° 2020-003B.

SABLIK, Tim (2013), « Recession of 1981–82 », Federal Reserve History, 22 novembre.

SUMMERS, Lawrence H. (2021), « The Biden stimulus is admirably ambitious. But it brings some big risks, too », in Washington Post, 4 février.

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9 avril 2022 6 09 /04 /avril /2022 09:27
Derrière l’excès mondial d’épargne, les inégalités de richesse

Les ratios richesse sur revenu ont fortement augmenté ces quatre dernières décennies ; aux Etats-Unis et en Europe, ils sont passés de 250-300 % à 500-600 % entre 1980 et ces dernières années ; en Chine, le ratio richesse sur revenu national a été multiplié par cinq sur la même période. Pour Thomas Piketty et Gabriel Zucman (2014), c’est à un véritable « retour du capital » auquel nous assistons depuis les années 1980. 

GRAPHIQUE 1  Ratios richesse des ménages sur revenu national (en %)

Derrière l’excès mondial d’épargne, les inégalités de richesse

source : Bauluz et alii (2022)

Luis Bauluz, Filip Novokmet et Moritz Schularick (2022) viennent de confirmer ce constat en élaborant et en étudiant une nouvelle base de données internationales relatives aux portefeuilles d’actifs, aux plus-values et aux flux d’épargne des ménages. Construite à partir des données fiscales, de données tirées d’enquêtes et de celles fournies par les comptabilités nationales, leur base de données couvre les trois plus grandes économies au monde, en l’occurrence les Etats-Unis, l’Europe (avec à savoir l’Allemagne, l’Espagne, la France et le Royaume-Uni) et la Chine, pour la période débutant avec l’année 1980. 

Buluz et ses coauteurs ont cherché à déterminer la contribution respective des plus-values et des flux d’épargne à la croissance de la richesse agrégée ces quatre dernières décennies. Leur analyse suggère qu’environ la moitié de celle-ci est due aux plus-values et que l’autre moitié s’explique par les flux d'épargne. Ces derniers sont principalement passés par les actifs financiers, tandis que les plus-values se sont concentrées sur les marchés de l’immobilier.

GRAPHIQUE 2a  Parts de l’épargne nationale selon le groupe de richesses aux Etats-Unis (en %)

Derrière l’excès mondial d’épargne, les inégalités de richesse

source : Bauluz et alii (2022)

Bauluz et ses coauteurs ont alors étudié comment les flux d’épargne et les plus-values ont été distribués parmi les ménages selon leur niveau de richesse. Ils constatent que l'épargne a joué un rôle clé pour l’accumulation de patrimoine pour les 10 % des ménages les plus riches. En 1980, les 10 % des ménages les plus riches contribuaient à 64 % de l’épargne privée totale aux Etats-Unis, 60 % en Europe et moins de 50 % en Chine ; en 2018, ces mêmes parts s’élevaient respectivement à 103 % aux Etats-Unis, à 78 % en Europe et à 90 % en Chine. Ainsi, l’« excès d’épargne des riches » qu’Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (2016) et Atif Mian et alii (2021b) avaient identifié aux Etats-Unis se révèle être en fait un phénomène mondial.

GRAPHIQUE 2b  Parts de l’épargne nationale selon le groupe de richesses en Europe (en %)

Derrière l’excès mondial d’épargne, les inégalités de richesse

source : Bauluz et alii (2022)

Mais la contrepartie de la hausse de l’épargne des plus riches n’a pas été la désépargne des plus modestes, mais celle des classes moyennes. En effet, aux Etats-Unis, l’épargne des classes moyennes est passée de 5 % du revenu national dans les années 1980 à environ zéro la dernière décennie ; en Europe, elle est passée de 4 % à environ 1 % au cours de la même période. Dans la mesure où l’épargne des 50 % les plus modestes est restée tout du long nulle, voire légèrement négative, la hausse de l’épargne des 10 % les plus riches semble bien avoir eu pour contrepartie la désépargne des classes moyennes.

GRAPHIQUE 3  Répartition de l’épargne totale entre les 10 % les plus riches, les « classes moyennes » et les 50 % les plus modestes (en %)

Derrière l’excès mondial d’épargne, les inégalités de richesse

source : Bauluz et alii (2022)

L'épargne a ainsi eu tendance à pousser les inégalités de richesse à la hausse. Mais malgré la baisse de leur épargne, les classes moyennes ont vu leur patrimoine s’accroître. L’accumulation de richesses par les classes moyennes s’explique quasiment pour les deux tiers par les plus-values, en particulier celles réalisées dans l’immobilier. En fait, la hausse des prix de l’immobilier a contribué à contenir les inégalités de richesses mondiales (cf. graphique 4). En l’absence de plus-values, la hausse des flux d’épargne à destination des plus riches se serait traduite par une bien plus forte hausse des inégalités de richesses.

GRAPHIQUE 4  Répartition des plus-values totales entre les 10 % les plus riches, les « classes moyennes » et les 50 % les plus modestes (en %)

Derrière l’excès mondial d’épargne, les inégalités de richesse

source : Bauluz et alii (2022)

Au niveau mondial, l’explosion des richesses s’est accompagnée d’une hausse des inégalités patrimoniales. En effet, l’accès à la propriété est trop limité parmi les ménages les plus modestes pour que ceux-ci aient bénéficié de la hausse des plus-values. En définitive, l’écart de richesses entre les possédants et ceux qui ne possèdent rien s’est creusé : les ratios richesse sur revenu ont stagné, voire baissé, pour les 50 % les plus modestes, mais augmenté pour les 50 % les plus riches.

Bauluz et ses coauteurs ont alors cherché à identifier les principales sources de la hausse de l’épargne des 10 % les plus riches. Dans les trois économies qu’ils observent, ils constatent que l’épargne des entreprises, c’est-à-dire les bénéfices non distribués, ont constitué la principale source derrière la hausse de l’épargne des ménages aisés. Ces dernières décennies, les profits des entreprises ont en effet fortement augmenté [Karabarbounis et Neiman, 2014 ; Barkai, 2020]. Or les dividendes ont augmenté moins vite que les profits, si bien que l’épargne des entreprises a fortement augmenté [Gruber et Kamin, 2015]. Les profits non distribués étant détenus de façon disproportionnée par les ménages les plus riches, leur hausse a alimenté l’épargne de ces derniers.

 

Références

BARKAI, Simcha (2020), « Declining labor and capital shares », in The Journal of Finance, vol. 75, n° 5.

BAULUZ, Luis, Filip NOVOKMET & Moritz SCHULARICK (2022), « The anatomy of the global saving glut », document de travail. 

BERNANKE, Ben S. (2005), « The global saving glut and the U.S. current account deficit », 10 mars.  

GRUBER, Joseph W., & Steven B. KAMIN (2015), « The corporate saving glut in the aftermath of the global financial crisis », Fed, international finance discussion paper, n° 1150.

KARABARBOUNIS, Loukas, & Brent NEIMAN (2014), « The global decline of the labor share », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 1.

MIAN, Atif, Ludwig STRAUB & Amir SUFI (2021), « The saving glut of the rich », NBER, working paper, n° 26941.

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2014), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries, 1700-2010 », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 3.

SAEZ, Emmanuel, & Gabriel ZUCMAN (2016), « Wealth inequality in the United States since 1913: Evidence from capitalized income tax data », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 131, n° 2.

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2 avril 2022 6 02 /04 /avril /2022 09:45
Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

Suite à la première vague de confinements, la demande a rapidement rebondi, plus vite que ne pouvait le faire l’offre. Cette dernière restait notamment contrainte par la persistance de l’épidémie, alimentant notamment l’absentéisme parmi les travailleurs, et le maintien de mesures sanitaires, augmentant leurs coûts de production et réduisant l’efficacité de leurs travailleurs. En outre, le fait même que la demande augmente plus vite que l’offre a entraîné des goulots d’étranglement sur plusieurs marchés, notamment ceux de matières premières, se manifestant par une hausse des délais de livraison, une hausse des prix, voire des pénuries [Boissay et alii, 2021]. C’est l’ensemble des chaînes de valeur qui est resté perturbé, les difficultés touchant une étape de production sur une chaîne d’approvisionnement se répercutant sur celles à son aval, les amenant à ralentir leur production. Une telle situation est propice à une accélération de l’inflation. Et c’est précisément ce que nous avons observé ces derniers trimestres [Budianto et alii, 2021].

GRAPHIQUE 1  Taux d'inflation aux Etats-Unis (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : FRED

Mais, alors même que les perturbations provoquées par la pandémie sont sensiblement similaires des deux côtés de l’Atlantique, l’inflation a augmenté plus vite aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. L’indice des prix des dépenses personnelles de consommation, l’indicateur que privilégie la Fed, a atteint 6,4 % en février, un niveau qui n’avait guère été observé au cours des quatre dernières décennies (cf. graphique 1). Cette accélération de l'inflation ne tient pas seulement à la hausse du prix de l'énergie : l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire excluant les prix (volatils) des produits alimentaires et de l’énergie, était à peine plus faible, s’établissant à 5,4 %. 

Retenant l’indice des prix à la consommation plutôt que l’indice des prix des dépenses de consommation personnelles comme indicateur, Òscar Jordà, Celeste Liu, Fernanda Nechio et Fabián Rivera-Reyes (2022) ont comparé l’évolution de l’inflation observée aux Etats-Unis avec celle observée dans un échantillon d’autres pays de l’OCDE, composé en l’occurrence de l’Allemagne, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de la France, de la Norvège, du Royaume-Uni et de la Suède.

GRAPHIQUE 2  Taux d'inflation sous-jacente aux Etats-Unis et dans les autres pays de l’OCDE (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Jordà et alii (2022)

En 2019 et 2020, les taux d’inflation sous-jacente étaient relativement similaires dans les autres pays de l’OCDE observés (cf. graphique 2). Celui des Etats-Unis était tout au long de ces deux années supérieur d’environ un point de pourcentage à la valeur médiane des autres pays de l’OCDE observés. La divergence entre les taux d’inflation sous-jacente des Etats-Unis et des autres pays de l’OCDE observés apparaît au début de l’année 2021 : le taux d’inflation sous-jacente des Etats-Unis est passé au cours de cette année-là de 2 % à 4 %, tandis que celle enregistrée dans les autres pays de l’OCDE observés a augmenté plus modérément, en passant de 1 % à 2,5 %.

GRAPHIQUE 3  Taux de chômage trimestriel aux Etats-Unis et dans la zone euro (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Klitgaard (2022)

La divergence dans les situations observées sur le marché du travail contribue certainement à expliquer pourquoi l’inflation sous-jacente a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Avant même qu’éclate la pandémie, l’économie américaine était déjà dans une situation qualifiée de plein emploi. Des deux côtés de l’Atlantique, le taux de chômage ont augmenté au deuxième trimestre 2020, dans le sillage des premiers confinements, mais de façon bien plus limitée dans les pays de la zone euro, en raison des dispositifs de chômage technique adoptés par ces derniers, des dispositifs visant précisément à maintenir intact le lien entre les salariés et leur emploi (cf. graphique 3). Aujourd’hui, les taux de chômage sont revenus à des niveaux proches de ceux observés à la veille de la pandémie, mais si l’emploi est revenu à son niveau prépandémique dans la zone euro, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis (cf. graphique 4). Pour une raison ou une autre, une partie de la main-d’œuvre américaine a des difficultés à revenir à l’emploi. En conséquence, les tensions sur le marché du travail sont bien plus marquées aux Etats-Unis que dans les pays de la zone euro, si bien que la croissance des salaires a été plus forte dans les premiers que dans les seconds. La question reste ouverte quant à savoir dans quelle mesure cette hausse des salaires contribue à alimenter les pressions inflationnistes.

GRAPHIQUE 4  Emploi aux Etats-Unis et dans la zone euro (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Klitgaard (2022)

Ce n’est toutefois pas la situation sur le marché du travail qui retient l’attention de Jordà et alii (2022). A travers le monde, les autorités budgétaires ont cherché à neutraliser les répercussions économiques de la pandémie et des mesures sanitaires adoptées en vue de la contenir. Ces mesures de soutien budgétaire ont été exceptionnellement fortes dans le cas des Etats-Unis : sur un intervalle d’un an, l’économie américaine a connu la plus ample impulsion budgétaire depuis la Seconde Guerre mondiale, voire depuis le New Deal des années 1930. En mars 2020, l’administration Trump a fait passer la loi CARES, dont le montant s’élevait à 2.300 milliards de dollars, soit l’équivalent de 11 % du PIB. Une tranche additionnelle de soutien budgétaire, d’un montant de 868 milliards de dollars, soit l’équivalent de 4,1 % du PIB, est fournie en décembre de la même année. En mars 2021, l’administration Biden, fraîchement mise en place, a fait adopter l’American Rescue Plan (ARP), d’un montant de 1.844 milliards de dollars, soit 8,8 % du PIB de l’année 2020. Ces diverses mesures budgétaires ont directement affecté le revenu disponible des ménages ; elles comprenaient notamment d’amples baisses d’impôts pour les particuliers et une meilleure indemnisation du chômage. Pour des économistes comme Larry Summers (2021) et Olivier Blanchard (2021), l’adoption d’un nouveau plan de soutien budgétaire d’ampleur dans un contexte où l’économie américaine avait déjà amplement entamé sa reprise post-pandémique ne pouvait que la mettre en surchauffe.

Pour évaluer l’impact que les programmes de soutien budgétaire ont pu avoir en définitive sur l’activité économique, Jordà et ses coauteurs ont observé l’évolution du revenu disponible réel des ménages (cf. graphique 5). Alors que dans les autres pays de l’OCDE observés, le revenu disponible des ménages a été simplement stabilisé, il a connu deux pics aux Etats-Unis, au deuxième trimestre 2020 et au premier trimestre 2021, c’est-à-dire respectivement dans le sillage de l’adoption des lois CARES et ARP. Avec les revenus de transfert accordés dans le cadre de ces deux lois, le soutien budgétaire a été bien plus puissant aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. 

GRAPHIQUE 5  Revenu personnel disponible réel aux Etats-Unis et dans les autres pays de l’OCDE (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Jordà et alii (2022)

Afin de déterminer dans quelle mesure le soutien budgétaire explique l’inflation aux Etats-Unis, Jordà et ses coauteurs ont étudié le lien entre revenu disponible des ménages et inflation au prisme de la courbe de Phillips. En l’occurrence, ils ont cherché à déterminer quelle aurait été l’inflation américaine si le soutien budgétaire aux Etats-Unis avait été de la même ampleur que dans les autres pays de l’OCDE qu’ils observent. En comparant l’évolution observée de l’inflation et sa trajectoire contrefactuelle, ils estiment que les mesures de soutien budgétaire au profit des ménages qui ont été adoptées pour contrer les répercussions de la pandémie sur l’économie expliquent trois points de pourcentage du taux d’inflation observée aux Etats-Unis (cf. graphique 6). Cela dit, ils soulignent que cette estimation est sujette à une forte incertitude. 

GRAPHIQUE 6  Inflation américaine : trajectoires observée et simulée en l’absence de soutien budgétaire (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Jordà et alii (2022)

Pour Jordà et ses coauteurs, en l’absence des mesures de soutien budgétaire exceptionnelles que les administrations Trump et Biden ont adoptées, l’économie américaine aurait pu connaître de la déflation et une bien moindre croissance économique. En définitive, l’inflation semble bien constituer le prix à payer pour la vigueur de la reprise post-pandémique.

 

Références

BARNICHON, Regis, Luiz E. OLIVEIRA & Adam H. SHAPIRO (2021), « Is the American Rescue Plan taking us back to the ’60s? », FRBSF Economic Letter, n° 2021-27, octobre.

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 18 février.

BOISSAY, Frederic, Emanuel KOHLSCHEEN, Richhild MOESSNER & Daniel REES (2021), « Labour markets and inflation in the wake of the pandemic », BRI, BIS Bulletin, n° 47, octobre.

BUDIANTO, Flora, Giovanni LOMBARDO, Benoit MOJON & Daniel REES (2021), « Global reflation? », BRI, BIS Bulletin, n° 43, juillet.

JORDÀ, Òscar, Celeste LIU, Fernanda NECHIO & Fabián RIVERA-REYES (2022), « Why Is U.S. Inflation higher than in other countries? », FRBSF Economic Letter, n° 2022-07, mars.

KLITGAARD, Thomas (2022), « How have the euro area and U.S. labor market recoveries differed? », New York Fed, Liberty Street (blog), 30 mars.

REES, Daniel, & Phurichai RUNGCHAROENKITKUL (2021), « Bottlenecks: Causes and macroeconomic implications », BRI, BIS Bulletin, n° 48, novembre.

SUMMERS, Lawrence H. (2021), « The Biden stimulus is admirably ambitious. But it brings some big risks, too », in Washington Post, 4 février.

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