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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 22:53

Juste avant qu’éclate la crise financière mondiale, la littérature économique et les discussions politiques portaient sur l’allègement des dettes des seuls pays en développement. Les pays avancés semblaient alors jouir d’une inébranlable stabilité macroéconomique et financière et, malgré des niveaux de dette publique élevés, ils semblaient également préservés des crises de la dette souveraine. Par contre, les pays en développement avaient connu une vague de défauts et de restructuration dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Pourtant, c’est bien la dette publique de plusieurs pays avancés, en l’occurrence de plusieurs pays « périphériques » de la zone euro, qui cristallisa toutes les inquiétudes depuis que l’économie mondiale est sortie de la Grande Récession. La dette publique grecque a fait l’objet de plusieurs restructurations depuis 2010, après un hiatus de huit décennies : le précédent défaut grec avait débuté en 1932 et s’était achevé en 1932. En fait, les pays avancés avaient connu une vague de défaut sur leur dette publique dans les années vingt et trente, une dette qu’ils avaient surtout accumulé durant la Première Guerre mondiale pour soutenir l'effort de guerre. C'est un épisode historique peu connu, mais qui éclaire pourtant les problèmes de surendettement auxquels font face aujourd'hui les pays développés et précise leurs voies de sortie de crise.

Dans plusieurs des travaux qu’elle a réalisés avec Kenneth Rogoff, Carmen Reinhart a montré que les crises financières des pays avancés et des pays en développement partagent beaucoup de similarités. Ils ont également montré que la résolution des surendettements n’a pas changé en plus d’un demi-siècle : à l'instar des pays en développement dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les pays avancés ont eu recours au défaut et à la restructuration durant les années trente et rien n’assure qu’ils pourront améliorer leurs finances publiques en excluant de recourir à ceux-ci. Bref, pour Reinhart et Rogoff (2013), la « boîte à outils » dont disposent les pays avancés est bien la même dont disposent les pays en développement : la restructuration, l’inflation, la répression financière, l’austérité, etc.

Dans une nouvelle étude, Carmen Reinhart et Christoph Trebesch (2014) évaluent quantitativement l’ampleur des allègements que les pays débiteurs ont obtenus sur deux périodes distinctes, en l’occurrence entre 1979 et 2010 pour les pays en développement et entre 1920 et 1939 pour les pays avancés. Ils se concentrent sur les allègements de dette qui se sont révélés décisifs. Par exemple, les défauts que les pays avancés ont faits sur leur dette en 1934 se sont révélés décisifs car il était alors évident que ces dettes ne seraient jamais remboursées. Ils constatent que les allègements de dettes dans les pays avancés entre 1932 et 1934 sont à peu près de même ampleur que les défauts et restructurations dans les pays en développement après 1970. Parmi les 45 épisodes de crise pour lesquels les données sont disponibles, l’allègement de dette a atteint en moyenne 21 % du PIB pour les pays avancées (entre 1932 et 1939) et 16 % du PIB pour les pays émergents (entre 1979 et 2010).

Reinhart et Trebesch se tournent ensuite vers les répercussions de ces allègements de dette. Dans les quatre années qui ont suivi une restructuration décisive ou un défaut, le PIB par tête s’est accru de 9 % dans les pays en développement et de 16 % dans les pays avancés. Parmi les 47 épisodes pour lesquels les données sont pleinement disponibles, il y a eu une accélération de l’activité dans 39 d’entre eux (soit 83 %) entre le premier trimestre et le cinquième trimestre qui suivirent la restructuration. Dans six des huit cas restants, le PIB réel par tête a stagné après la restructuration, tandis que dans les deux cas restants, le PIB réel par tête a fortement chuté.

GRAPHIQUE  Evolution du PIB par tête dans les années qui précèdent et suivent immédiatement une restructuration de la dette publique (en indices)

Reinhart-Trebesch--evolution-PIB-par-tete-apres-defaut-.png

Les auteurs observent ensuite l’impact de la restructuration sur l’accès des pays défaillants aux marchés des capitaux en observant l’évolution de la notation du crédit souverain. La notation s’est améliorée dans les pays en développement, ce qui n’était pas le cas dans les pays avancés. Dans les pays en développement, entre 1979 et 2010, les notations s’étaient améliorées en moyenne de 22 % deux ans après la restructuration et de 38 % quatre ans après. Dans un quart des épisodes observés, la notation s’est améliorée de 60 %, ce qui confirme l’idée que les pays retrouvent rapidement l’accès aux marchés des capitaux après la restructuration : le défaut est rapidement pardonné. 

Les auteurs constatent que la charge de la dette (qu’elle soit mesurée comme part du PIB, du RNB, des recettes du gouvernement central ou des exportations) diminue après une restructuration. En ce qui concerne les pays avancés, entre la fin des années vingt et la fin des années trente, le ratio de la charge de la dette sur les recettes passe en moyenne de 34 % à 24 %. En ce qui concerne les pays en développement sur la période 1979-2010, la charge de la dette s’est réduite avant la restructuration finale, puisque leur dette a fait l’objet de plusieurs réductions avant la sortie du défaut. 

Les auteurs se demandent finalement si les allègements de dette conduisent effectivement à une réduction de la dette. Pour cela, ils se focalisent sur la dette externe et observent son évolution sur une période de 9 ans, débutant quatre ans avant l’année du défaut et allant jusqu’à quatre ans après celle-ci. En effet, la dette de guerre accumulée par les pays avancés durant l’entre-deux-guerres était une dette externe accordée par les gouvernements étrangers. Pour les 35 épisodes pour lesquels ils possèdent des données complètes, le ratio dette externe sur PIB ou RNB a diminué en moyenne de 19 points de pourcentage sur la période observée.

 

Références

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2009), This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Traduction française, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière.  

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2013), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », FMI, working paper, décembre.

REINHART, Carmen M., & Christoph TREBESCH (2014), « A distant mirror of debt, default, and relief », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20577, octobre.

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16 octobre 2014 4 16 /10 /octobre /2014 17:23

Tout comme dans autres plusieurs pays avancés, les inégalités de revenu se sont fortement accrues aux Etats-Unis depuis la fin des années soixante-dix [Piketty et Saez, 2003]. Les études qui se sont focalisées sur la répartition du patrimoine sont plus rares, mais elles ont jusqu’à présent suggéré que si les inégalités de patrimoine s’étaient également accrues aux Etats-Unis, elles ont moins augmenté que les inégalités de revenu. Si ce fait s’avérait exacte, il pourrait suggérer que le creusement des inégalités dépend avant tout du creusement des inégalités dans le revenu du travail. Les salariés les mieux rémunérés et les entrepreneurs ont vu leur rémunération s’accroître plus rapidement que celle des autres travailleurs, mais ils n’ont pas accumulé beaucoup de patrimoine. Cela pourrait à son tour s’expliquer, par exemple, par le fait que les plus riches travailleurs ont de faibles taux d’épargne, qu’ils sont fortement imposés ou encore que leurs actifs aient de faibles rendements.

Ce sont ces diverses suppositions que remettent en cause Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (2014) dans leur nouvelle étude. En observant l'évolution du patrioine et de sa répartition entre les ménages américains, les deux auteurs confirment pour les Etats-Unis les résultats que Piketty et Zucman (2014) avaient précédemment établis pour l’ensemble des pays avancés : le ratio du patrimoine des ménages sur le revenu national a suivi une évolution en forme de U au cours des cent dernières années (cf. graphique 1). Le patrimoine des ménages représentait environ 500 % du revenu national au début du vingtième siècle, avant de chuter et d’atteindre 300 % dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, puis il s’accroît de nouveau à partir des années soixante-dix : il atteignait 430 % du revenu national en 2013.

GRAPHIQUE 1  Décomposition du patrimoine des ménages américains (en % du revenu national)

Saez-et-Zucman--Etats-Unis--patrimoine-richesse--Martin-Ano.png

Saez et Zucman montrent que la concentration du patrimoine a connu une évolution en forme de U au cours des 100 dernières années : elle était élevée au début du vingtième, elle diminua régulièrement depuis 1929, puis elle augmenta continûment depuis 1978 (cf. graphique 2). La hausse des inégalités de richesse que l’on a pu observer ces dernières décennies s’explique essentiellement par la hausse de la part du patrimoine que détiennent les 0,1 % des ménages les plus aisés : cette part est passée de 7 % à 22 % entre 1979 et 2012. En fait, elle est revenue aux niveaux qu’elle atteignait il y a un siècle. La récente déformation dans le partage du patrimoine s’explique en fait par la hausse des hauts revenus et par le creusement des inégalités des taux d’épargne. En effet, les inégalités de revenu ont entraîné un véritable effet boule de neige : les ménages à hauts revenus peuvent épargner une plus grande part de leurs revenus que les ménages à faible revenu, ce qui accroît la concentration des richesses entre leurs mains ; or, les ménages à hauts revenus sont très souvent les ménages qui possèdent le plus grand patrimoine, donc le creusement des inégalités patrimoniales alimente à son tour les inégalités de revenu. Lorsqu’ils observent le profit des ménages qui possèdent un important patrimoine, Saez et Zucman constatent qu’ils sont, malgré le vieillissement démographique, plus jeunes que dans les années soixante et qu’ils gagnent une plus grande part des revenus du travail.

GRAPHIQUE 2  Part du patrimoine américain détenue par les 0,1 % des plus aisés (en %)

Saez-et-Zucman--Etats-Unis--part-du-patrimoine-detenue-par.png

Jusqu’à présent, on avait tendance à penser que la classe moyenne américaine a su accumuler un patrimoine de plus en plus important depuis le début du vingtième siècle avec le développement des pensions de retraite et la hausse des taux d’accession à la propriété. Saez et Zucman montrent que la part de la richesse détenue par les 90 % des ménages les plus pauvres s’est effectivement accrue de 15 % à 35 % entre les années vingt jusqu’au milieu des années quatre-vingt. Par contre, cette dynamique s’est ensuite inversée : cette part a diminué régulièrement est revenue à 23 % en 2012. Au final, la part du patrimoine détenue par les 90 % des ménages les moins aisées a connu une évolution en forme de U inversé. Le patrimoine retraite s’est certes développé, mais son développement n’a pas su compenser l’accroissement de la dette hypothécaire, du crédit à la consommation et de la dette étudiante. Le récent déclin de la part du patrimoine détenue par les 90 % des ménages les moins aisés s’explique par l’effondrement de leur épargne. Pour expliquer cette dernière, Saez et Zucman suggèrent alors plusieurs explications, notamment la faible croissance du revenu de la classe moyenne, la dérégulation financière et le développement des prêts prédateurs accordés par les banques.


Références

PIKETTY, Thomas, & Emmanuel SAEZ (2003), « Income inequality in the United States, 1913-1998 », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 1.

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2014), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries, 1700-2010 », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129.

SAEZ, Emmanuel, & Gabriel ZUCMAN (2014), « Wealth inequality in the United States since 1913: Evidence from capitalized income tax data », octobre.

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14 octobre 2014 2 14 /10 /octobre /2014 20:42

Les prévisions consensuelles pour la croissance mondiale à moyen et long terme prévoient que l’économie mondiale va se recentrer sur l’Asie. Deux « géants », la Chine et l’Inde, hébergeant chacun plus d’un milliard d’habitants, ont vu leur croissance s’accélérer tout d’abord dans les années quatre-vingt, puis à nouveau dans les années quatre-vingt-dix, pour se maintenir depuis à un rythme exceptionnellement soutenu. Malgré la Grande Récession, la croissance reste forte en Inde et en Chine, alors que les Etats-Unis connaissent une faible reprise et l’Europe une reprise encore plus lente. Si l’on extrapole les dynamiques observées au cours des deux dernières décennies, voire tout simplement de la dernière décennie, cela suggère que l’économie mondiale sera de plus en plus façonnée par la trajectoire des géants asiatiques. Selon l’OCDE, la croissance annuelle par tête s’établira autour de 6,6 % en Chine et autour de 6,7 % en Inde entre 2011 et 2030. De son côté, la Banque mondiale suggère que la croissance annuelle  de la production par tête s’établira en Chine à 8,3 % entre 2011 et 2015, à 7,1 % entre 2016 et 2020 et à 6,2 % entre 2012 et 2025. Selon les projections de la Communauté du renseignement des Etats-Unis, la part de la Chine dans l’économie mondiale était de 6,4 % en 2010, mais elle serait susceptible de s’établir entre 17 et 23 % en 2030. De même, l’Inde représentait 1,8 % de l’économie mondiale en 2010, mais elle pourrait représenter entre 6,5 et 7,9 % de celle-ci en 2030.

Pourtant, par le passé, plusieurs économies asiatiques ont déjà connu une période de rattrapage rapide sur les pays avancés avant de connaître un ralentissement durable et significatif de leur croissance. Par exemple, le Japon a amorcé son décollage avant la Seconde Guerre mondiale et il constituait dans les années quatre-vingt l’une des plus grandes économies au monde, mais son économie bascula dans une longue stagnation suite à l’éclatement d’une bulle immobilière. Personne en 1991 n’aurait imaginé que le PIB par tête serait seulement supérieur que de 12 % vingt ans plus tard, ni même que la productivité totale des facteurs diminuerait de 6 % au cours des deux décennies suivantes. De leur côté, les « Dragons » de l’Asie de l’est, en l’occurrence la Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taïwan, ont amorcé leur essor dans les années soixante, suivis par l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. Ces derniers ont toutefois subi une puissante crise financière au milieu des années quatre-vingt-dix qui freinèrent fortement leur croissance. L’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande ont récemment connu des taux de croissance s’élevant respectivement à 1,42 %, à 2,1 % et à 1,85 %. La Corée du Sud et Taïwan ont récemment connu des taux de croissance de 3,48 % et 3,29 % respectivement, ceux-ci restent bien inférieurs aux taux de croissance des deux géants asiatiques. 

Malheureusement, les prévisionnistes tendent à extrapoler les performances récentes pour prévoir la croissance future et à se révéler excessivement optimistes. En effet, Lant Pritchett et Larry Summers (2014) confirment que les épisodes de croissance exceptionnellement rapide durent rarement. La Chine connaît un épisode de croissance sans précédents. La croissance rapide de la Chine a déjà duré trois fois plus longtemps qu’un épisode normal et elle est la plus longue jamais enregistrée. Or, comme le suggéraient déjà Easterly et alii (1993), le retour du taux de croissance à sa moyenne historique constitue le fait empirique le plus saillant de la croissance économique. La faible persistance des taux de croissance à moyen et long terme implique que le taux de croissance actuel n’a qu’un très faible pouvoir prédictif pour la croissance future ; autrement dit, la performance passée ne garantit aucunement la performance future. Bref, Pritchett et Summers se montrent plus pessimistes que les prévisions consensuelles concernant la croissance des grands émergents. 

En outre, dans les pays en développement, les épisodes de croissance rapide sont fréquemment ponctués de ralentissements et d’accélérations de la croissance. De telles discontinuités expliquent une large part des variations des taux de croissance. Les intervalles de confiance dans les prévisions habituelles peuvent donc fortement sous-estimer les trajectoires futures. Ils rappellent que la récente crise mondiale nous a démontré que les risques baissiers et la fragilité de l’économie sont souvent fortement sous-estimés. Pritchett et Summers suggèrent que les pays qui connaissent une croissance rapide sont davantage susceptibles de connaître un ralentissement de leur croissance qu’une nouvelle accélération de celle-ci. En outre, les ralentissements de la croissance sont davantage susceptibles d’être soudains et amples que graduels et faibles. Autrement dit, si la Chine connaissait un ralentissement de sa croissance, celui-ci a plus de chances d’être brutal que graduel.

Pour Pritchett et Summers, ces résultats ont d’importantes implications. Tout d’abord, si la croissance chinoise ralentit effectivement, beaucoup auront tendance à expliquer ce ralentissement par des erreurs de la part des autorités publiques. En fait, le retour à la moyenne est une règle et non une exception. Ce qu’il faudrait expliquer par contre, c’est une éventuelle poursuite d’une forte croissance chinoise, car celle-ci constituerait vraiment une anomalie au regard de l’histoire. Ensuite, ceux qui réalisent des prévisions au niveau mondial doivent utiliser un très large intervalle de confiance en ce qui concerne les pays dont les taux de croissance actuels sont les plus éloignés de la moyenne. Par exemple, comme la demande mondiale de matières premières est particulièrement sensible aux taux de croissance asiatiques, les trajectoires futures des prix des matières premières sont bien plus incertaines qu’on ne pourrait le penser. Puisque la hausse des prix des matières premières contribue fortement à la croissance de plusieurs pays émergents au cours de la dernière décennie, Pritchett et Summers suggèrent de revoir également à la baisse leurs prévisions de croissance.

 

Références

EASTERLY, William, Michael KREMER, Lant PRITCHETT & Lawrence SUMMERS (1993), « Good policy or good luck: Country growth performance and temporary shocks », in Journal of Monetary Economics, vol. 32, n° 3.

PRITCHETT, Lant, & Lawrence H. SUMMERS (2014), « Asiaphoria meets regression to the mean », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20573, octobre.

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