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26 octobre 2021 2 26 /10 /octobre /2021 10:54
Les effets durables du choc chinois sur le marché du travail américain

Depuis au moins les écrits de David Ricardo (1815), les économistes ont noté que l’ouverture commerciale était susceptible de créer des gagnants et des perdants, aussi bien parmi les pays qu’en leur sein. Et si cette littérature a pu suggérer que les gains étaient supérieurs aux pertes et qu’une redistribution compensant les perdants était possible et désirable, elle n’en concluait pas pour autant que celle-ci ait nécessairement lieu.

Pour autant, jusqu’à une période assez récente, certains ont pu considérer que les pertes générées par l’ouverture commerciale étaient diffuses. Si l’intensification de la concurrence à l’importation touche des secteurs intensifs en travail et géographiquement concentrés et si le travail est mobile, que ce soit économiquement, d’un secteur à l’autre, ou géographiquement, d’une région à l’autre, alors le choc commercial devrait être absorbé en se diluant à l’ensemble de l’économie : ceux dont il détruit l'emploi peuvent en retrouver un autre, potentiellement plus efficace, ailleurs, selon un mécanisme qui s'apparente à celui de la destruction créatrice. Or, au cours de la dernière décennie, certains travaux ont montré, en se penchant sur l’ajustement des économies développées au « choc chinois » (China shock), que les choses ne s’enchaînaient guère ainsi. En fait, les pertes provoquées par une telle intensification de la concurrence à l’importation s’avèrent spatialement concentrées.

GRAPHIQUE 1  Part de la Chine dans les exportations mondiales (en %)

Les effets durables du choc chinois sur le marché du travail américain

source : Dorn et alii (2021)

Les exportations de la Chine ont commencé à exploser à partir du début des années quatre-vingt-dix, lorsque son économie a accéléré son ouverture au reste du monde. Ce boom s’est concentré dans l’industrie manufacturière : la part des exportations chinoises dans l’ensemble des exportations manufacturières mondiales est passée de 3,1 % à 17,6 % entre 1991 et 2015, pour ensuite diminuer et atteindre 14,2 % en 2018 ; la part des exportations chinoises dans les exportations mondiales de biens non manufacturés est quant à elle restée relativement stable entre 1991 et 2018, en se maintenant autour de 2,3 % (cf. graphique 1). La Chine s'est ouverte en exploitant l'avantage comparatif qu'elle détenait dans les activités industrielles intensives en travail du fait de son offre de travail abondante. Ce faisant, elle a directement concurrencé ces mêmes activités dans le reste du monde, en particulier dans les pays développés.

Analysant les effets de l’intensification de la concurrence à l’importation par les produits chinois aux Etats-Unis sur la période allant de 1990 à 2007, David Autor, David Dorn et Gordon Hanson (2013) ont constaté que celle-ci a entraîné dans les zones exposées une hausse du chômage, une baisse du taux d’activité et une baisse des salaires. Elle expliquerait en l’occurrence un quart des destructions d’emplois industriels observées au cours de la période. En fait, les effets négatifs du choc commercial se sont exercés au-delà du seul secteur manufacturier : les destructions d’emplois qu’il a directement provoquées a conduit à la destruction d’autres emplois, notamment non manufacturiers, en déprimant par exemple la demande locale. Ainsi, Daron Acemoglu et alii (2016) estiment que l’intensification de la concurrence en provenance de la Chine a significativement contribué non seulement à réduire l’emploi industriel, mais aussi à freiner la croissance de l’emploi agrégé aux Etats-Unis ces dernières décennies. D’après leurs estimations, elle a conduit à la destruction de 2 à 2,4 millions d’emplois entre 1999 et 2011. Clément Malgouyres (2016) a abouti à des conclusions assez similaires dans le cas français.

GRAPHIQUE 2  Part des produits en provenance de Chine et d’autres pays d’Asie du sud-est dans les importations américaines (en %)

Les effets durables du choc chinois sur le marché du travail américain

source : Dorn et alii (2021)

Le choc chinois s'est étendu sur pratiquement deux décennies. La part des importations chinoises dans le commerce américaine a atteint un pic autour de 2010 et se maintient depuis à un plateau (cf. graphique 2). Bien sûr, la croissance des importations a pu se poursuivre en provenance, non plus de la Chine, mais d’autres pays d’Asie du sud-est où une partie des activités chinoises a commencé à se délocaliser. Toutefois, la part combinée des importations chinoises et des importations en provenance des autres pays d’Asie du sud-est est elle-même restée relativement stable depuis 2010.

Le fait que la part des importations chinoises n’ait pas varié pendant quasiment une décennie offre à David Autor, David Dorn et Gordon Hanson (2021) la possibilité de voir comment le choc chinois a affecté à long terme les économies locales aux Etats-Unis. Leur analyse montre que son impact persiste bien après que celui-ci ait atteint son pic : les effets négatifs sur l’emploi manufacturier, le taux d’emploi et le revenu par tête dans les zones d’emplois les plus exposées au commerce sont toujours décelables en 2019. Dans ces localités, le choc commercial a provoqué une légère émigration nette, mais celle-ci n’a concerné que les adultes âgés de 25 à 29 ans. L’ajustement est donc essentiellement passé par les sorties de l’emploi. Les régions les plus affectées ont connu une hausse des transferts publics, principalement sous la forme d’allocations versées par la sécurité sociale et Medicare, mais ceux-ci ne compensent pas les pertes de revenus provoquées par le choc commercial.

Autor et ses coauteurs se sont alors demandé pourquoi les zones d’emploi exposées au commerce extérieur ont souffert de séquelles durables. Ils ont considéré deux hypothèses : la première est que les régions traditionnellement industrielles rebondissent mal suite aux destructions d’emplois en raison d’une pénurie de travailleurs qualifiés, ceux-là même qui se concentrent dans les secteurs connaissant la plus forte expansion au niveau national ; la seconde est que la spécialisation des régions dans une gamme étroite d’activités industrielles laisse ces régions exposées à des chocs spécifiques à ces secteurs qui, une fois la désindustrialisation amorcée, alimentent un processus auto-renforçant de désagglomération. Notant notamment que les effets négatifs du choc chinois ont été plus aigus dans les régions qui avaient initialement moins de travailleurs diplômés du lycée et qui présentaient une forte spécialisation industrielle, Autor et ses coauteurs estiment que les éléments empiriques vont dans le sens de ces deux hypothèses, mais ils n’excluent pas d’autres explications.

Beaucoup d’études empiriques ont cherché à quantifier l’impact des chocs commerciaux en comparant la situation des régions qui y sont exposées à ceux qui ne le sont pas. De tels travaux décèlent l’impact relatif des chocs commerciaux, c’est-à-dire leurs répercussions distributives, mais non leur impact agrégé. Plusieurs analyses cherchant à quantifier l’impact du commerce international en termes de bien-être ont récemment suggéré que les gains agrégés que l’économie américaine a tirés du commerce avec les Chine étaient positifs, mais faibles, et que certaines régions ont pu souffrir de baisse absolue de leur bien-être [Caliendo et alii, 2019; Galle et alii, 2020 ; Kim et Vogel, 2020 ; Rodríguez-Clare et alii, 2020]. Même s’ils ne considèrent que les estimations les plus optimistes quant à l’impact du commerce avec la Chine sur les coûts aux Etats-Unis [Jaravel et Sager, 2019; Borusyak et Jaravel, 2021], Dorn et ses coauteurs concluent au terme de leur analyse que de nombreuses régions des Etats-Unis ont subi une baisse absolue des revenus réels.

 

Références

ACEMOGLU, Daron, David AUTOR, David DORN, Gordon H. HANSON & Brendan PRICE (2016), « Import competition and the great U.S. employment sag of the 2000s », in Journal of Labor Economics, vol. 34.

AUTOR, David H., David DORN & Gordon H. HANSON (2013), « The China syndrome: Local labor market effects of import competition in the United States », in American Economic Review, vol. 103, n° 6.

AUTOR, David H., David DORN & Gordon H. HANSON (2021), « On the persistence of the China shock », NBER, working paper, n° 29401.

BORUSYAK, Kirill, & Xavier JARAVEL (2021), « The distributional effects of trade: Theory and evidence from the United States », NBER, working paper, n° 28957.

CALIENDO, Lorenzo, Maximiliano DVORKIN & Fernando PARRO (2019), « Trade and labor market dynamics: General equilibrium analysis of the China trade shock », in Econometrica, vol. 87.

GALLE, Simon, Andrés RODRÍGUEZ-CLARE & Moises YI (2020), « Slicing the pie: Quantifying the aggregate and distributional effects of trade », NBER, working paper, n° 23737.

JARAVEL, Xavier, & Erick SAGER (2019), « What are the price effects of trade? Evidence from the US and implications for quantitative trade models », CEP, discussion paper, n° 1642.

KIM, Ryan, & Jonathan VOGEL (2020), « Trade and welfare (across local labor markets) », NBER, working paper, n° 27133.

MALGOUYRES, Clément (2016), « The impact of Chinese import competition on the local structure of employment and wages: Evidence from France », Banque de France, document de travail, n° 603.

RODRÍGUEZ -CLARE, Andres, Mauricio ULATE & Jose P. VASQUEZ (2020), « New-Keynesian trade: Understanding the employment and welfare effects of trade shocks », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2020-32.

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10 octobre 2021 7 10 /10 /octobre /2021 16:47
Les anticipations d’inflation importent-elles vraiment pour l’inflation ?

C’est dans leur attaque portée contre les keynésiens orthodoxes et la courbe de Phillips qu’Edmund Phelps (1967) et Milton Friedman (1968) ont introduit les anticipations d’inflation en macroéconomie (1). Un arbitrage entre chômage et inflation serait possible si les agents ne modifiaient pas leurs anticipations d’inflation, or ils vont précisément les modifier. Dans le raisonnement de Friedman, si l’inflation accélère, les travailleurs surestimeront le salaire réel et offriront davantage de travail qu’ils ne l’auraient fait s’ils l’avaient estimé correctement, ce qui pousse effectivement à la baisse le chômage comme le prédisent les keynésiens orthodoxes. Mais les travailleurs vont finir par se rendre compte de leur erreur, réviser à la hausse leurs anticipations d’inflation et donc réviser à la baisse leurs salaires réels. Ils vont donc dans un deuxième temps réduire leur offre de travail, si bien que le chômage reviendra à son niveau initial : le « taux de chômage naturel » (2). Le maintien du chômage en-deçà de ce taux naturel ne peut alors se faire qu’au prix d’une accélération continue de l’inflation. 

Les anticipations d’inflation, telles que les modélisent les monétaristes, sont de nature adaptative. Les nouveaux classiques vont poursuivre leur révolution contre les keynésiens en supposant qu’elles sont de nature rationnelle. C’est le cas de Robert Lucas (1972), qui estime que les entreprises font face à un « problème d’extraction du signal » : lorsque les prix augmentent, les firmes ne savent pas immédiatement dans quelle mesure il s’agit d’une hausse des prix relatifs plutôt que d’une hausse du niveau général des prix. Or, si dans le premier cas les entreprises doivent augmenter leur production, elles ne doivent pas le faire dans le second. Il y a donc bien une relation entre production et inflation chez Lucas, mais les autorités ne peuvent en tirer profit : seules les « surprises » d’inflation affectent la production et les entreprises finiront, là aussi, par corriger leurs anticipations. Les banques centrales pourraient être tentées de chercher à surprendre régulièrement les agents, mais ces derniers finiront par intégrer cette régularité dans leurs anticipations. Dans les années 1980, les nouveaux keynésiens ont également adopté l’hypothèse des anticipations rationnelles, mais en supposant en outre une viscosité des prix et salaires : il en résulta la « courbe de Phillips des nouveaux keynésiens », qui se distingue des précédents modèles en donnant un rôle aux anticipations courante du taux d’inflation de la période future et non à la seule anticipation passée du taux d’inflation courant.

Ces modèles ont été utilisés pour expliquer l’accélération de l’inflation et l’apparente instabilité de la courbe de Phillips durant les années 1970 aux Etats-Unis. En conséquence de leur diffusion, beaucoup estiment à présent que la Réserve fédérale est responsable, par son inaction, de la Grande Inflation, en ayant laissé déraper les anticipations d’inflation [Goutsmedt, 2020]. Même s’ils ne partagent pas forcément les conclusions des monétaristes et des nouveaux classiques, beaucoup d’économistes et de banquiers centraux considèrent aujourd’hui que les anticipations d’inflation constituent le mécanisme clé au cœur de la dynamique de l’inflation [Kose et alii, 2019]. Pour les prévisionnistes, cela implique que l’observation des anticipations d’inflation contribue à prédire l’évolution future de l’inflation. Pour les banquiers centraux, cela implique que la stabilisation de l’inflation, voire de l’activité économique, passe par l’« ancrage » et la « gestion » des anticipations d’inflation. 

Jeremy Rudd (2021) juge que cette idée repose sur des fondations théoriques fragiles (3). Par exemple, Friedman suppose que les entreprises sont toujours sur leur courbe de demande de travail même si les travailleurs ne sont pas sur leur courbe d’offre de travail, c’est-à-dire suppose implicitement que le marché des biens est toujours à l’équilibre. Aussi bien Phelps que Friedman supposent finalement qu’il n’y a pas d’illusion monétaire et que les perturbations nominales n’ont jamais d’effets réels permanents, alors qu’il s’agit finalement de la conclusion qu’ils cherchent à démontrer. Ils font également l’hypothèse que l’économie retrouvera un équilibre, alors que la littérature n’a pas réussi à démontrer la stabilité d’un équilibre général [Fischer, 1983]. De son côté, le modèle de Lucas met l’accent sur les difficultés des entreprises à déterminer dans quelle mesure la hausse des prix qu’elles observent correspond à une hausse du niveau général des prix plutôt qu’à une hausse de leurs prix relatifs, alors même que Lucas suppose que des statistiques liées à ce type de données sont en libre accès. Enfin, Rudd remarque que tous ces modèles considèrent les anticipations d’inflation à court terme, c’est-à-dire dans la période ultérieure, alors que les autorités monétaires considèrent les anticipations d’inflation à long terme. Or, s’ils incorporaient les anticipations d’inflation de long terme, ils pourraient aboutir à d’autres implications en termes de politique économique.

Ensuite, Rudd souligne qu’il n’y a pas eu de preuves empiriques directes de l’importance des anticipations d’inflations. Chaque modèle prit isolément aboutit à des prédictions qui ne collent pas avec les données empiriques. Par exemple, Friedman suppose que le salaire réel est contracyclique, alors que les données indiquant qu’il est procyclique. La courbe de Phillips des nouveaux keynésiens peine à être empiriquement validée [Rudd et Whelan, 2005 ; 2006]. Mais surtout, et plus largement, l’observation du comportement de fixation des prix par les entreprises suggère que beaucoup d’entre elles tendent davantage à répondre aux hausses des coûts qu’elles observent plutôt qu’elles ne cherchent à les anticiper [Blinder et alii, 1998].

Par contre, les travaux empiriques ont permis d’identifier plusieurs facteurs, autres que les anticipations d’inflation, jouant manifestement un rôle dans la dynamique observée de l’inflation. Il y a par exemple un lien entre le comportement des prix à long terme et le coût du travail [Peneva et Rudd, 2017]. Les ménages semblent également moins porter d’attention à l’inflation lorsque celle-ci est faible, mais cela ne tient pas forcément aux anticipations d’inflation : les ménages se comportent certainement ainsi non pas parce qu’ils anticipent alors une faible inflation, mais parce qu’il y a moins de chances qu’ils considèrent que leur récente revalorisation salariale soit en retard sur la hausse du coût de la vie.

A force d’entendre de la part de leurs économistes que l’inflation dépend étroitement des anticipations d’inflation, les banques centrales risquent de se focaliser excessivement sur celles-ci et de souffrir d’une illusion de contrôle. Elles peuvent aussi bien réagir inutilement à un changement des anticipations d’inflation que de rester inactive face à une ample variation de l’inflation au motif que les anticipations d’inflation restent stables. En fait, Rudd estime que les banques centrales courent peut-être le risque de parler excessivement de l’inflation : à force d’évoquer un écart entre l’inflation observée et la cible qu’elles poursuivent, elles risquent d’amener les agents à accorder plus d’attention à l’inflation, ce qui rendrait celle-ci bien plus sensible aux fluctuations de l'activité. 

 

(1) Il y a une certaine ironie. Les keynésiens orthodoxes ont donné peu de place aux anticipations, peut-être notamment parce qu’il leur était difficile de les modéliser, et c’est sur ce terrain là que les monétaristes et les nouveaux classiques ont porté leur attaque. Or, Keynes, dans sa Théorie générale, reprochait précisément (parmi d'autres choses) aux néoclassiques de ne pas donner assez d’importance aux anticipations. 

(2) Comme le remarqua Phelps, Friedman évoque en fait un « taux d’activité naturel » plutôt qu’un « taux de chômage naturel ».

(3) Rudd débute son exposé en évoquant d’autres idées qui sont généralement admises chez les économistes, mais qui ne se fondent ni sur des éléments empiriques robustes, ni même sur des fondations théoriques solides : celle selon laquelle les fonctions de production agrégées fournissent une bonne image du côté de l’offre de l’économie ; celle selon laquelle l’économie retourne vers un équilibre après un laps de temps suffisamment éloigné, en l’occurrence suffisamment éloigné pour que tous les prix se soient ajustés ; et celle selon laquelle la courbe de demande agrégée sur le marché du travail est décroissante.

 

Références

BLINDER, Alan S., Elie R. D. CANETTI, David E. LEBOW & Jeremy B. RUDD (1998), Asking About Prices: A New Approach to Understanding Price Stickiness, Russell Sage Foundation.

FRIEDMAN, Milton (1968), « The role of monetary policy », in American Economic Review, vol. 58.

GOUTSMEDT, Aurélien (2020), « From the stagflation to the Great Inflation: Explaining the US economy of the 1970s », document de travail.

KOSE, M. Ayhan, Hideaki MATSUOKA, Ugo PANIZZA & Dana VORISEK (2019), « Inflation expectations: Review and evidence », CEPR, discussion paper, n° 13601.

LUCAS, Robert E., Jr. (1972), « Expectations and the neutrality of money », in Journal of Economic Theory, vol. 4.

PENEVA, Ekaterina V., & Jeremy B. RUDD (2017), « The passthrough of labor costs to price inflation », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 49.

PHELPS, Edmund S. (1967), « Phillips curves, expectations of inflation and optimal unemployment over time », in Economica, vol. 34, n° 135.

RUDD, Jeremy B. (2021), « Why do we think that inflation expectations matter for inflation? (and should we?) », Réserve fédérale, finance and economics discussion paper, n° 2021-062.

RUDD, Jeremy B., & Karl WHELAN (2005), « New tests of the new-Keynesian Phillips curve », in Journal of Monetary Economics, vol. 52.

RUDD, Jeremy B., & Karl WHELAN (2006), « Can rational expectations sticky-price models explain inflation dynamics? », in American Economic Review, vol. 96.

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22 septembre 2021 3 22 /09 /septembre /2021 17:12
Comment expliquer le ralentissement de la croissance américaine à long terme ?

Comme bien d’autres pays développés, l’économie américaine a eu tendance à connaître un ralentissement de sa croissance ce dernier demi-siècle. Sa croissance tendancielle a particulièrement ralenti à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Elle a significativement accéléré dans les années 1990 pour atteindre un pic en 2000, avant de ralentir à nouveau les deux décennies suivantes. La date à laquelle ce nouveau ralentissement s’est amorcé reste sujette à débat : certains, comme John Fernald et alii (2017), estiment qu’elle se situe au milieu des années 2000, mais pour d’autres, comme Juan Antolin-Diaz et alii (2017), elle se situerait bien plus tôt au début de la décennie. Dans tous les cas, il est plutôt admis que le début du ralentissement est antérieur à la crise financière mondiale.

GRAPHIQUE 1  Croissance du PIB et inflation aux Etats-Unis (en %)

Comment expliquer le ralentissement de la croissance américaine à long terme ?

source : Maffei-Faccioli (2021)

Les raisons derrière le ralentissement observé ces deux dernières décennies restent bien plus sujettes à controverse que son calendrier. Il y a deux grandes interprétations concurrentes. D’un côté, certains mettent en avant des facteurs du côté du l’offre. C’est le cas notamment de John Fernald et alii (2017), qui estiment que le ralentissement de la croissance américaine tient pour l’essentiel au ralentissement de la croissance de la productivité et à la chute du taux d’activité. De nombreux facteurs ont été avancés pour expliquer ces tendances : un tarissement de l’innovation et un accroissement des difficultés à trouver de nouvelles idées [Gordon, 2012 ; Bloom et alii, 2020], des facteurs démographiques comme le vieillissement de la population [Gordon, 2014 ; Jones, 2020], la hausse du pouvoir de marché des entreprises [Gutiérrez et Philippon, 2017], un essoufflement du dynamisme des entreprises [Akcigit et Ates, 2019], etc.

Pour d’autres, l’explication par l’offre ne tient pas. Par exemple, pour Larry Summers (2014, 2015), si les piètres performances en termes de croissance de ces deux dernières décennies s’expliquaient par l’offre, on aurait dû assister à une accélération de l’inflation. Au contraire, l’inflation est restée très faible, en l’occurrence à un niveau inférieur à la cible de la Réserve fédérale. Pour Summers, la concomitance d’une faible croissance et d’une faible inflation suggère que les Etats-Unis, comme d’autres pays développés, sont confrontés à une « stagnation séculaire », c’est-à-dire un déficit chronique de demande globale. Olivier Blanchard et alii (2017) et Gianluca Benigno et Luca Fornaro (2018) ont suggéré qu’une telle situation pouvait être provoquée par un pessimisme généralisé quant aux perspectives économiques futures. De leur côté, Olivier Blanchard et alii (2015) ont observé qu’une part significative des récessions par la demande qui ont touché les pays développés ce dernier demi-siècle a été suivie non seulement par une production durablement plus faible, mais également par une croissance tendanciellement plus faible, un phénomène que Laurence Ball (2014) a qualifié d’effet de « super-hystérèse ». Plus récemment, Francesco Furlanetto et alii (2021) ont estimé que les fluctuations de l’activité aux Etats-Unis s’expliquaient pour plus de moitié par des chocs de demande et en l’occurrence par des chocs de demande ayant des effets permanents sur l’activité.

En s’appuyant sur un modèle VAR structurel bayésien, Nicolò Maffei-Faccioli (2021) a cherché à déterminer empiriquement les contributions respectives de l’offre et de la demande au ralentissement tendanciel de la croissance américaine. Afin de distinguer les chocs selon qu’ils touchent la demande ou l’offre, il a repris l’idée de Larry Summers (2015) selon laquelle la croissance de la production et l’inflation devraient aller dans le même sens dans le cas des chocs de demande, mais dans le sens contraire dans le cas de chocs d’offre.

Au terme de son analyse, Maffei-Faccioli conclut que les facteurs du côté de l’offre expliquent l’essentiel de la croissance américaine avant 2000. En effet, ils ont contribué presque exclusivement au ralentissement de la croissance américaine lors des années 1970 et lors de son accélération dans les années 1990. Ce résultat est cohérent avec l'idée selon laquelle les années 1970 auraient été affectées par la décélération de la croissance de la productivité et avec l'idée selon laquelle la croissance américaine se serait accélérée dans les années 1990 avec la diffusion des nouvelles technologies d'information et de communication. Par contre, Maffei-Faccioli estime que la demande explique plus de la moitié du ralentissement observé après 2000 : si au début des années 2000, la croissance ralentit avant tout en raison de facteurs du côté de l’offre, c’est ensuite la demande qui accentue ce ralentissement, en particulier après la crise financière mondiale.

GRAPHIQUE 2  Contributions de la demande et de l’offre à la croissance et à l’inflation tendancielles aux Etats-Unis (en points de %)

Comment expliquer le ralentissement de la croissance américaine à long terme ?

source : Maffei-Faccioli (2021)

Alors que l'inflation des années 1970 était pour l'essentiel un phénomène d'offre, la demande globale semble également avoir joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’inflation ces dernières décennies : malgré le fait que les facteurs du côté de l’offre aient eu tendance à pousser l’inflation à la hausse depuis 2000, leur effet a été plus que contrebalancé par celui de la demande, si bien que l'inflation s'est retrouvée contenue en-deçà de la cible de la Fed au cours de la dernière décennie. Cela pourrait contribuer à expliquer aussi bien la « déflation manquante » de la Grande Récession que l’« inflation manquante » de la reprise ultérieure. 

 

Références

AKCIGIT, Ufuk, & Sina T. ATES (2019), « What happened to U.S. business dynamism? », NBER, working paper, n° 25756.

ANTOLIN-DIAZ, Juan, Thomas DRECHSEL & Ivan PETRELLA (2017), « Tracking the slowdown in long-run GDP growth », in Review of Economics and Statistics, vol. 99, n° 2.

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185.

BENIGNO, Gianluca, & Luca FORNARO (2018), « Stagnation traps », in Review of Economic Studies, vol. 85, n° 3.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », NBER, working paper, n° 21726.

BLANCHARD, Olivier, Guido LORENZONI & Jean Paul L’HUILLIER (2017), « Short-run effects of lower productivity growth: A twist on the secular stagnation hypothesis », NBER, working paper, n° 23160.

BLOOM, Nicholas, Charles I. JONES, John Van REENEN & Michael WEBB (2020), « Are ideas getting harder to find? », in American Economic Review, vol. 110, n° 4.

FERNALD, John G., Robert E. HALL, James H. STOCK & Mark W. WATSON (2017), « The disappointing recovery of output after 2009 », in Brookings Papers on Economic Activity.

FURLANETTO, Francesco, Antoine LEPETIT, Orjan ROBSTAD, Juan RUBIO-RAMÍREZ & Pal ULVEDAL (2021), « Estimating hysteresis effects », Federal Reserve, finance and economics discussion paper, n° 2021-059.

GORDON, Robert J. (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », CEPR, policy insight, n° 63.

GORDON, Robert J. (2014), « The demise of U.S. economic growth: Restatement, rebuttal, and reflections », NBER, working paper, n° 19895.

GORDON, Robert. J. (2015), « Secular stagnation: A supply-side view », in American Economic Review, vol. 105, n° 5.

GUTIÉRREZ, Germán, & Thomas PHILIPPON (2016), « Investment-less growth: An empirical investigation », NBER, working paper, n° 22897.

JONES, Charles I. (2020), « The end of economic growth? Unintended consequences of a declining population », NBER, working paper, n° 26651.

MAFFEI-FACCIOLI, Nicolò (2021), « Identifying the sources of the slowdown in growth: Demand vs. supply », Norges Bank, working paper, n° 2021/9.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

SUMMERS, Lawrence (2015), « Demand side secular stagnation », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 105, n° 5.

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