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19 septembre 2021 7 19 /09 /septembre /2021 15:22
Les chocs de demande ont des effets permanents

Lorsque John Maynard Keynes pose les jalons de la macroéconomie, il s’efforce de démontrer non seulement que la demande globale joue un rôle crucial dans le cycle d’affaires, mais aussi que le long terme ne constitue finalement qu’une succession de courtes périodes : l’évolution de l’économie à long terme dépendrait étroitement de la trajectoire qu’elle emprunte et en l’occurrence de l’évolution de la demande.

Pourtant, dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, les macroéconomistes orthodoxes écartent très rapidement cette idée en considérant que la trajectoire à long terme de l’économie est déterminée du côté de l’offre et que la demande n’exerce une influence qu’à court terme. Pour reprendre la terminologie moderne, seuls les chocs d’offre sont supposés exercer un effet permanent sur l’activité, tandis que les chocs de demande sont supposés n’avoir qu’un effet transitoire. Ou, pour le dire encore autrement, les chocs de demande feraient varier la production autour de la production potentielle, mais n’affecteraient guère cette dernière. Cette hypothèse fonde notamment la version de base des modèles DSGE. Quant aux utilisateurs de modèles VAR, ils cherchent certes à partir un maximum des données empiriques en faisant un minimum d’hypothèses, mais, lorsqu’ils cherchent à identifier la nature des chocs touchant l’économie, ils reprennent souvent l’hypothèse d’Olivier Blanchard et Danny Quah (1989) selon laquelle les chocs aux effets permanents qui seraient observés seraient forcément des chocs d’offre.

L’idée keynésienne selon laquelle la demande globale est susceptible d’influencer la trajectoire de l’économie à long terme a surtout été développée dans les travaux hétérodoxes, en particulier post-keynésiens [Lavoie et alii, 2021]. Elle n’a toutefois pas été totalement absente de la macroéconomie orthodoxe. S’interrogeant sur l’apparente incapacité du chômage européen à refluer rapidement après chacune de ses hausses, Olivier Blanchard et Larry Summers (1986) ont emprunté la notion d’hystérèse (ou d’hystérésis) pour désigner la possibilité que le chômage conjoncturel devienne assez spontanément structurel. Depuis, beaucoup utilisent également cette notion pour évoquer l'éventualité que les chocs de demande négatifs dégradent de façon permanente la production potentielle.

La littérature a proposé plusieurs canaux via lesquels les effets d'hystérèse sont susceptibles de se manifester [Cerra et alii, 2020]. Par exemple, à mesure que les travailleurs restent au chômage, une partie de leurs compétences s’use ou devient obsolète, leur santé se dégrade, etc. Non seulement cette dépréciation du capital humain complique le retour des chômeurs à l’emploi, mais en outre elle se traduit par une perte de leur productivité une fois qu’ils reviennent à l’emploi. De plus, l’assurance-chômage et les minima sociaux pourraient réduire les incitations des chômeurs à rechercher activement un emploi. Ou encore, le manque de débouchés lors des récessions amène les firmes à réduire leurs investissements. Or, non seulement ce manque d’investissement limite la capacité des entreprises à accroître la production et à embaucher lorsque l’économie connaît la reprise, mais en outre il risque aussi de déprimer la productivité à plus long terme, en particulier dans le cas des dépenses de recherche-développement [Anzoategui et alii, 2019].

La théorie de l’hystérèse a reçu un nouvel écho dans le sillage de la Grande Récession de 2008. En effet, suite à celle-ci, la production dans la plupart des pays développés est restée inférieure à la trajectoire qu’elle avait tendance à suivre avant-crise. Plusieurs études empiriques ont depuis suggéré que des effets d’hystérèse ont été effectivement à l’œuvre, non seulement lors de la crise financière mondiale, mais également lors des précédentes récessions : suite à une récession, la production ne parvient pas à rejoindre la trajectoire qu’elle suivait tendanciellement avant la récession [Cerra et Saxena, 2008 ; Haltmaier, 2012 ; FMI, 2015 ; Martin et alii, 2015 ; Cerra et Saxena, 2017]. Par exemple, en examinant les récessions qui se sont produites au cours du dernier demi-siècle dans 23 pays, Olivier Blanchard, Eugenio Cerutti et Larry Summers (2015) notent que les deux tiers d’entre elles ont été suivies par une production tendanciellement plus faible. En outre, lors de la moitié de celles-ci, la récession a été également suivie par une croissance de la production tendanciellement plus faible : la production tendrait à s’éloigner toujours davantage de sa trajectoire tendancielle d’avant-crise, un phénomène que Laurence Ball (2014) a qualifié de « super-hystérèse ».

Dans la mesure où les politiques conjoncturelles affectent la demande globale et où cette dernière influence la production à long terme, alors il est également probable que les politiques conjoncturelles influencent la production à long terme. Antonio Fatás et Larry Summers (2018) décèlent empiriquement les effets permanents de la politique budgétaire, en l’occurrence l’effet nocif des plans d’austérité à long terme, tandis qu’Òscar Jordà, Sanjay Singh et Alan Taylor (2020) mettent à jour les effets persistants de la politique monétaire. Par conséquent, il apparaît justifié que les politiques conjoncturelles soient rapidement assouplies lors des récessions pour éviter que les effets d’hystérèse ne se manifestent et ne détériorent irrémédiablement la production potentielle. Les effets d'hystérèse plaident également pour le maintien de politiques accommodantes lorsque l’économie se rapproche de ce qui s'apparente être son plein-emploi : une surchauffe pourrait en effet stimuler la production potentielle et réduire le chômage structurel [Bluedorn et Leigh, 2019].

Francesco Furlanetto, Antoine Lepetit, Orjan Robstad, Juan Rubio-Ramírez et Pal Ulvedal (2021) ont cherché à quantifier l’importance des effets d’hystérèse dans le cas de l’économie américaine. Pour cela, ils se sont appuyés sur un modèle VAR structurel en utilisant les données américaines relatives à la production par tête, à l’inflation, au taux d’emploi et à l’investissement pour la période allant du premier trimestre 1983 au quatrième trimestre 2019. Pour différencier les chocs d’offre des chocs de demande, ils ont observé la covariation à court terme entre la croissance de la production et l’inflation, comme le conseillait notamment Larry Summers (2015) : les prix et la production sont supposés aller dans le même sens dans le sillage des chocs de demande, mais dans le sens contraire dans le sillage des chocs d’offre.

Furlanetto et alii concluent alors que les effets d’hystérèse jouent un rôle significatif dans les fluctuations de l’activité ; ils apparaissent plus clairement lorsque l’épisode de la Grande Récession est inclus dans l’échantillon. En effet, les chocs de demande qu’ils identifient entraînent des baisses permanentes de la production ; quand c’est le cas, Furlanetto et ses coauteurs qualifient ces chocs de « chocs de demande permanents ». En l’occurrence, ces derniers expliqueraient plus de la moitié des fluctuations de la production à long terme aux Etats-Unis (cf. graphique). En outre, ces chocs exercent un effet négatif permanent sur les prix, l’emploi et l’investissement.

GRAPHIQUE  Décomposition historique du taux de croissance du PIB par tête étasunien selon la nature du choc
 

Les chocs de demande ont des effets permanents

source : Furlanetto et alii (2021)

Les effets d’hystérèse semblent transiter pour l’essentiel via l’emploi ; la productivité du travail n’apparaît guère affectée. En creusant davantage leur analyse, Furlanetto et ses coauteurs notent que la baisse de l’emploi observée lors des chocs de demande permanents s’accompagne d’une hausse du chômage de long terme, d’une baisse du taux d’activité et d’une hausse des demandes de pensions d’invalidité. Ces constats suggèrent que les effets d’hystérèse s’expliqueraient avant tout par la tendance des chômeurs à perdre en employabilité, notamment avec la dépréciation du capital humain. 

Quant à l’effet apparemment neutre des chocs de demande permanents sur la productivité du travail, Furlanetto et alii estiment qu’il résulte du jeu de deux forces contraires. D’un côté, la part des travailleurs dans les emplois aux tâches routinières, donc a priori relativement peu productives, diminue dans le sillage des chocs de demande permanents, ce qui pousse mécaniquement la productivité à la hausse. Mais, d’un autre côté, l’intensité capitalistique et la productivité globale des facteurs tendent à s’essouffler, certainement en raison de l’impact du choc de demande sur l’investissement, mais cet effet-là tend à déprimer la productivité, donc par là à compenser le premier effet. Furlanetto et ses coauteurs notent par contre que la productivité du travail réagit fortement à un choc d’offre permanent, ce qui est cohérent avec les théories faisant des chocs d’offre les principaux vecteurs de la croissance de la productivité du travail à long terme.

 

Références

ANZOATEGUI, Diego, Diego COMIN, Mark GERTLER & Joseba MARTINEZ (2019), « Endogenous technology adoption and R&D as sources of business cycle persistence », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 11, n° 3.

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, n° 15/230.

BLANCHARD, Olivier J., & Danny QUAH (1989), « The dynamic effects of aggregate demand and supply disturbances », in American Economic Review, vol. 79, n° 4.

BLANCHARD, Olivier, & Lawrence SUMMERS (1986), « Hysteresis and the European unemployment problem », in Stanley Fischer (dir.), NBER Macroeconomics Annual, vol. 1, éditions MIT Press.

BLUEDORN, John, & Daniel LEIGH (2019), « Hysteresis in labor markets? Evidence from professional long-term forecasts », FMI, working paper, n° 19/114.  

CERRA, Valerie, Antonio FATAS & Sweta C. SAXENA (2020), « Hysteresis and business cycles », FMI, working paper, n° 20/73.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2008), « Growth dynamics: The myth of economic recovery », in American Economic Review, vol. 98, n° 1.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2017), « Booms, crises, and recoveries: A new paradigm of the business cycle and its policy implications », FMI, working paper, n° 17/250.

FATÁS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2018), « The permanent effects of fiscal consolidations », in Journal of International Economics, vol. 112.

FMI (2015), « Where are we headed? Perspectives on potential output », World Economic Outlook, chapitre 3.

FURLANETTO, Francesco, Antoine LEPETIT, Orjan ROBSTAD, Juan RUBIO-RAMÍREZ & Pal ULVEDAL (2021), « Estimating hysteresis effects », Federal Reserve, finance and economics discussion paper, n° 2021-059.

HALTMAIER, Jane (2012), « Do recessions affect potential output? », Réserve fédérale, international finance discussion paper, n° 1066.

LAVOIE, Marc, Virginie MONVOISIN & Jean-François PONSOT (2021), L’Economie post-keynésienne, éditions La Découverte.

MARTIN, Robert, Teyanna MUNYAN, & Beth Anne WILSON (2015), « Potential output and recessions: Are we Fooling ourselves? », Réserve fédérale, international finance discussion paper, n° 1145.

SUMMERS, Lawrence (2015), « Demand side secular stagnation », in American Economic Review, vol. 105, n° 5.

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4 août 2021 3 04 /08 /août /2021 23:19
La politique monétaire à l’ère de la robotisation

Certains s’inquiétaient des effets pervers de la robotisation sur l’emploi avant qu’éclate l’épidémie de Covid-19 [Acemoglu et Restrepo, 2020 ; Acemoglu et alii, 2020]. La pandémie a accentué ces craintes, dans la mesure où elle accroît les incitations des entreprises à automatiser leur production [Saadi Sedik et Yoo, 2021]. Mais l'issue tient peut-être aux politiques conjoncturelles. Martin Sandbu (2020) estime qu’une économie à haute pression est nécessaire pour que l’automatisation s’avère bénéfique aux travailleurs : l’adoption de politiques expansionnistes réduirait le risque que celle-ci provoque un chômage de masse chronique.

Dans le raisonnement de Sandbu, une politique monétaire accommodante soutient l’emploi en stimulant la demande globale. En l'occurrence, une baisse des taux d’intérêt devrait stimuler la consommation et l’investissement ; face à un surcroît de demande, les entreprises sont poussées à produire plus, ce qui les incite à recourir davantage au travail, et elles devraient avoir davantage tendance à augmenter leurs prix. C’est précisément l’enchaînement que les banquiers centraux ont en tête lorsqu’ils réduisent leurs taux directeurs, dans l'objectif de ramener l’économie au plein emploi ou raviver une inflation jugée trop faible.

Mais l’enchaînement peut être tout autre dès lors que les entreprises ont la possibilité d’automatiser une partie de leur production. Dans la logique néoclassique, le taux d’intérêt correspond au coût du capital. Par conséquent, si une banque centrale réduit les taux d’intérêt, le coût du capital diminuera, ce qui rendra plus rentable pour les entreprises de substituer du capital au travail. Nous avons là un second effet qui va dans le sens inverse du premier : si dans le premier cas l’assouplissement monétaire tend à stimuler la demande de travail et l’inflation, il tend dans le second cas à les déprimer. Avec l’automatisation, l’impact de la politique monétaire sur l’emploi et l’inflation est donc loin d’être évident, or le lien entre politique monétaire et automatisation a été peu exploré par la littérature. 

Pourtant, il est peut-être clé dans le débat qui se tient outre-Atlantique autour des mesures de relance. En effet, certains, comme Olivier Blanchard (2021) et Larry Summers (2021), estiment que les mesures budgétaires de l’administration Biden vont probablement entraîner une surchauffe de l’économie américaine et un dérapage de l’inflation en poussant la production bien au-delà de son potentiel, si bien qu’ils appellent la Réserve fédérale à resserrer sa politique monétaire. De leur côté, les partisans de la Bidenomics doutent que celle-ci conduise à une hausse durable de l’inflation, dans la mesure où le maintien de l’économie au-delà de son potentiel est susceptible d’accroître ce dernier. En l’occurrence, Mike Konczal et J. W. Mason (2021) pensent que le maintien d’une politique monétaire expansionniste va pousser les entreprises à davantage investir dans des technologies économisatrices en travail, ce qui va contenir les pressions d’inflation en stimulant la productivité.

Afin de visualiser plus clairement les implications de l’automatisation pour la politique monétaire, Luca Fornaro et Martin Wolf (2021) se sont appuyés sur le modèle que Daron Acemoglu et Pascual Restrepo (2018) ont développé pour étudier les répercussions macroéconomiques de l’automatisation. Ce cadre leur permet notamment de considérer le cas où les avancées technologiques élargissent l’éventail de tâches de production pour lesquelles le capital peut se substituer aux travailleurs. A un niveau donné de demande globale, le progrès technique se traduit alors par une hausse du taux de chômage. Fornaro et Wolf retrouvent alors la conclusion de Sandbu : le maintien d’une politique monétaire expansionniste apparaît nécessaire pour maintenir l’économie au plein emploi. 

Plus exactement, le modèle de Fornaro et Wolf fait apparaître deux équilibres de plein emploi. Au mauvais équilibre de plein emploi, le taux d’intérêt est élevé et la demande globale faible. Ces deux forces contribuent à déprimer l’investissement, notamment dans l’automatisation. Le plein emploi n’apparaît alors que si les entreprises peuvent fixer un faible salaire. Au bon équilibre de plein emploi, le taux d’intérêt est faible et la demande globale élevée. Dans la mesure où le coût du capital est faible, les entreprises ont particulièrement recours à l’automatisation. Cette dernière se traduit par une forte productivité du travail et des salaires élevés, mais le plein emploi n’est alors possible que si la demande globale est suffisamment forte pour maintenir la demande de travail au niveau adéquat. Ces deux équilibres présentent le même niveau d’emploi et d’inflation, si bien qu’une banque centrale est a priori indifférente entre les deux. Pour que l’économie se place au bon équilibre,  les autorités monétaires ne doivent donc pas se focaliser seulement sur l’emploi et l’inflation, mais considérer un ensemble plus large de variables macroéconomiques comme l’investissement et les salaires.

La prise en compte de l’automatisation a d’autres implications pour la conduite de la politique monétaire. Fornaro et Wolf étudient également le cas où l’économie est au plein emploi, mais où la banque centrale baisse son taux directeur. La crainte, dans une telle situation, est que la stimulation de la demande mette l’économie en surchauffe et alimente l’inflation. Mais comme le coût du capital baisse également, les entreprises sont davantage incitées à automatiser leur production. Le maintien durable d’une politique monétaire expansionniste va avoir pour effet d’accroître la productivité et les salaires, tout en contenant, d’une part, les effets pervers de l’automatisation sur l’emploi et, d’autre part, les pressions inflationnistes. Si l’économie était initialement au mauvais équilibre de plein emploi, l’assouplissement monétaire contribue à la placer au bon équilibre. 

Fornaro et Wolf ont enfin observé le cas où l’économie souffre d’un phénomène de stagnation séculaire ou subit un puissant choc récessif qui la fait basculer dans une trappe à liquidité. En l'occurrence, la demande globale peut être tellement faible que les autorités monétaires ne peuvent suffisamment baisser les taux d’intérêt pour maintenir l’économie au bon équilibre de plein emploi : le taux d’intérêt d’équilibre est alors en territoire négatif. Fornaro et Wolf montrent alors que la banque centrale fait alors face à un arbitrage entre emploi et automatisation : soit elle fixe de faibles taux d’intérêt pour alimenter l’automatisation, mais l’économie connait alors un chômage de masse ; soit elle fixe des taux d’intérêt élevés pour inciter les entreprises à recourir aux travailleurs plutôt qu’au capital pour produire, mais la productivité du travail et les salaires seront alors faibles. Une relance budgétaire semble alors nécessaire pour que l’économie retourne au bon équilibre de plein emploi. Celle-ci a en effet pour conséquence  non seulement de stimuler la demande globale, mais aussi de pousser le taux d’intérêt d’équilibre à la hausse.

 

Références

ACEMOGLU, Daron, Claire LELARGE & Pascual RESTREPO (2020), « Competing with robots: Firm-level Evidence from France », in AEA Papers and Proceedings, vol. 110.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2018), « The race between man and machine: Implications of technology for growth, factor shares and employment », in American Economic Review, vol. 108, n° 6.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2020), « Robots and jobs: Evidence from US labor markets », in Journal of Political Economy, vol. 128, n° 6.

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 18 février.

FORNARO, Luca, & Martin WOLF (2021), « Monetary policy in the age of automation », CEPR, discussion paper, n° 16416.

KONCZAL, Mike, & J.W. MASON (2021), « How to have a roaring 2020s (without wild inflation) », in New York Times, 15 juin.

SAADI SEDIK, Tahsin, & Jiae YOO (2021), « Pandemics and automation: Will the lost jobs come back? », FMI, working paper, n° 21/11.

SANDBU, Martin (2020), The Economics of Belonging: A Radical Plan to Win Back the Left Behind and Achieve Prosperity for All, Princeton University Press.

SUMMERS, Lawrence (2021), « The inflation risk is real », 24 mai.

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11 juillet 2021 7 11 /07 /juillet /2021 15:11
La convergence, enfin !

Les modèles de croissance néoclassique, en premier lieu celui de Robert Solow (1956), partent de l'idée qu'un pays se caractérise par un stock de capital par travailleur d’autant plus faible et partant une productivité marginale du capital d’autant plus élevée qu’il est pauvre. Ils en concluent que les pays pauvres devraient accumuler plus rapidement du capital que les pays riches, donc connaître une plus forte croissance que ces derniers. Autrement dit, ces modèles amènent à prédire une convergence absolue (ou inconditionnelle) : le niveau de vie des pays pauvres devrait avoir tendance à rattraper celui des pays riches, et ce indépendamment des conditions initiales.

Dans les années 1990, les économistes ont multiplié les analyses empiriques pour tester l’hypothèse d’une convergence absolue. Ils ne sont guère parvenus à la valider. Au contraire, ils ont plutôt eu tendance à mettre en évidence une divergence des niveaux de vie. Dans une étude pionnière s'appuyant sur les données tirées d’un large ensemble de pays, Robert Barro (1991) conclut que ceux-ci avaient connu une faible divergence depuis les années 1960. Les analyses portant sur des données de plus long terme, mais sur des échantillons de pays plus restreints, suggéraient une forte divergence depuis au moins le seizième siècle : selon Lant Pritchett (1997), le rapport entre les revenus par tête des pays les plus riches et ceux des pays les plus pauvres a été multiplié par cinq entre 1870 et 1990. Plus récemment, Dani Rodrik (2012, 2014) et Paul Johnson et Chris Papageorgiou (2020) ont également conclu que les pays les plus pauvres ne tendaient pas, en moyenne, à croître plus rapidement que les pays les plus riches. 

L’obtention de ces résultats a notamment entraîné un relatif abandon des modèles de croissance néoclassique et le développement de nouveaux modèles ; ces derniers incluent par exemple les modèles de trappe à pauvreté, qui suggèrent qu’un pays ne parvient guère à connaître une croissance significative tant que son niveau de vie n’atteint pas un certain seuil, et les modèles AK, qui s’inspirent du modèle de croissance endogène de Paul Romer (1986) et qui peuvent prédire une divergence des niveaux de vie.

Le rejet de l’hypothèse d’une convergence absolue a également conduit les économistes à davantage se focaliser sur les déterminants du revenu à l’état stationnaire, ce qui les a amenés à réaliser des régressions de croissance et des tests de convergence conditionnés à ces déterminants [Barro et Sala-i-Martin, 1992 ; Mankiw et alii, 1992 ; Durlauf et alii, 2005]. Ces travaux ont suggéré qu’il n’y avait certes pas convergence absolue, mais qu’une convergence conditionnelle semblait être à l’œuvre : les pays les plus pauvres tendraient à rattraper les pays les plus riches, mais à condition de partager certains caractéristiques communes avec ces derniers, par exemple un même stock de capital humain ou des institutions similaires. 

Plus de trois décennies se sont écoulées depuis que des travaux empiriques ont commencé à tester de façon robuste l’hypothèse d’une convergence absolue. La période a été marquée par de longs épisodes de forte croissance parmi plusieurs pays émergents, notamment des pays asiatiques comme la Chine et l’Inde, tandis que les pays riches présentaient des performances décevantes, en particulier dans le sillage de la crise financière mondiale. Certains, comme Arvind Subramanian (2011), ont alors suggéré qu’un processus de convergence absolue a pu finir par se mettre en œuvre. Plusieurs études se sont appuyées sur les données additionnelles offertes par ces dernières décennies pour de nouveau soumettre à l’examen empirique l’hypothèse d’une convergence absolue. Elles amènent à croire que ces ultimes décennies marquent une rupture par rapport à près de cinq siècles de divergence. 

Dans l'une d'entre elles, Dev Patel, Justin Sandefur et Arvind Subramanian (2021) concluent en effet que les pays en développement ont amorcé un processus de convergence absolue vis-à-vis des niveaux de revenu des pays développés au milieu des années 1990 et que ce rattrapage s’est accéléré dans les années 2000. Ce ne sont pas juste la Chine, l’Inde et une poignée de pays asiatiques qui ont réalisé de bonnes performances économiques ; c’est l’ensemble des pays en développement qui ont vu leur revenu par tête augmenter plus vite que celui des pays développés. En régressant la croissance sur dix ans du revenu par tête sur le revenu par tête et observé l’évolution de cette relation depuis 1960, Michael Kremer, Jack Willis et Yang You (2021) ont quant à eux décelé une tendance vers la convergence depuis la fin des années 1980 et ils estiment qu’elle a fini par se traduire par une convergence absolue à partir de 2000 : la période allant de 1985 à 1995 est marquée par une divergence des revenus par tête au rythme annuel de 0,5 %, tandis que la période allant de 2005 à 2015 se caractérise par une convergence au rythme annuel de 0,7 %. Patel et ses coauteurs confirment que la vitesse de convergence a été lente ; si elle se poursuit au même rythme, il faudra que s’écoulent 170 ans avant que le pays en développement moyen réduise de moitié l’écart entre son revenu actuel et son revenu à l’état stationnaire.

GRAPHIQUE 1  Taux de croissance moyen selon le quartile de revenu (en %)

La convergence, enfin !

Source : Kremer et alii (2021)

Ces deux études expliquent la convergence observée ces deux dernières décennies par la conjonction, d’une part, de l’accélération du rythme de rattrapage des pays pauvres sur les pays riches et, d’autre part, du ralentissement de la croissance des pays situés à la frontière technologique. En effet, le quart des pays les plus riches présentait la croissance la plus rapide dans les années 1980, mais la croissance la plus lente depuis ; de leur côté, les autres pays ont vu leur croissance s’accélérer significativement dans les années 1990 et au début des années 1990 (cf. graphique 1). Cela dit, Patel et ses coauteurs estiment que la convergence s’explique davantage par l’accélération de la croissance dans les pays en développement que par le ralentissement de la croissance dans les pays développés. Ils notent en effet que la répartition de la croissance parmi les pays riches est restée stable au cours du temps, alors qu’elle s’est élevée dans l’ensemble de la distribution des pays pauvres. En outre, alors que 42 % des pays à faible revenu avaient connu une décroissance au cours des années 1980, ce n’est plus le cas que de 16 % des pays appartenant à ce groupe dans les années 2000 et 2010. Toutefois, le mouvement de convergence n’est pas uniforme d’une région à l’autre : les pays d’Afrique subsaharienne peinent toujours à rattraper les pays les plus riches.

GRAPHIQUE 2  Taux de croissance moyen selon le groupe de revenu (en %)

La convergence, enfin !

source : Patel et alii (2021)

Ces résultats amènent Patel et ses coauteurs à écarter l’hypothèse d’une trappe à revenu intermédiaire (middle-income trap), qui avait notamment été avancée par Barry Eichengreen et alii (2013) : alors que les pays à revenu intermédiaire et à faible revenu ont connu une plus forte croissance que les pays riches depuis les années 1990, les pays à revenu intermédiaire ont bénéficié d’une plus forte croissance que les autres groupes de pays depuis les années 1980 (cf. graphique 2). Patel et ses coauteurs observent en outre que la croissance a été moins volatile et plus persistante ces dernières décennies dans les pays en développement. Cela leur suggère que ce sont, non seulement les performances moyennes de croissance entre pays riches et pauvres, mais aussi le processus même de croissance au sein des pays, qui ont changé.

Kremer et alii (2021) observent également que plusieurs déterminants (ou « corrélats ») de la croissance, comme le capital humain, les politiques, les institutions et la culture, ont également connu à partir des années 1990 une convergence en allant dans le sens associé aux pays à haut revenu. Cette convergence des corrélats de la croissance pourrait expliquer la convergence absolue des niveaux de vie, mais, comme le suggère la théorie de la modernisation, il se peut également que la causalité aille en sens inverse, la seconde entraînant la première. En poursuivant leur analyse, Kremer et ses coauteurs estiment que c’est bien la convergence des corrélats de la croissance qui explique la convergence des niveaux de vie : l’économie mondiale a convergé vers la convergence absolue parce que cette dernière a convergé vers la convergence conditionnelle. Ou, pour le dire autrement, dans la mesure où les pays ont fini par partager des politiques et institutions similaires, ils se sont retrouvés dans le même « club de convergence ». Kremer et ses coauteurs notent également que la relation entre la croissance et ses déterminants a eu tendance à s’aplatir. Ils interprètent cet aplatissement comme suggérant que ces facteurs deviennent de moins en moins importants pour la croissance économique à mesure que celle-ci se poursuit. Par exemple, certaines politiques et institutions sont peut-être nécessaires pour que s’amorce la convergence, mais qu’elles s’avèrent ensuite moins déterminantes une fois la convergence opérée.

La question qui se pose est bien sûr de savoir si la convergence absolue qui a été observée au cours des dernières décennies se poursuivra. Johnson et Papageorgiou (2020) estiment qu’elle n’est que temporaire et qu’elle s’explique par les prix élevés des matières premières observés au cours de la période. Kremer et ses coauteurs sont plus optimistes, dans la mesure où ils continuent d’observer la tendance à la convergence dans leur échantillon lorsqu’ils excluent de ce dernier les pays abondants en matières premières. Mais comme le notent Patel et ses coauteurs, ces décennies de convergence ont pu également s’expliquer par la faiblesse des coûts de financement internationaux, la croissance chinoise et la mondialisation, or ces facteurs n’ont pu être que temporaires ; la croissance de l'économie tout comme celle du commerce international ont par exemple fortement ralenti au cours de la dernière décennie. D’une part, il semble que les régimes démocratiques se détériorent à travers le monde [Acemoglu et Molina, 2021 ; Pande et Enevoldsen, 2021]. Si la démocratie est le principal corrélat de la croissance, sa détérioration peut alors saper la convergence des autres corrélats. D’autre part, les coûts économiques du changement climatique se manifestent de plus en plus, or ils sont supportés de façon disproportionnée par les pays en développement [Pande et Enevoldsen, 2021]. 

 

Références

ACEMOGLU, Daron, & Carlos A. MOLINA (2021), « Converging to converge? A comment », NBER, working paper, n° 28992.

BARRO, Robert J. (1991), « Economic growth in a cross section of countries », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 106, n° 2.

BARRO, Robert J., & Xavier SALA-I-MARTIN (1992), « Convergence », in Journal of Political Economy, vol. 100, n° 2.

DURLAUF, Steven N., Paul A. JOHNSON & Jonathan R. TEMPLE (2005), « Growth econometrics », in Handbook of Economic Growth.

EICHENGREEN, Barry, Donghyun PARK & Kwanho SHIN (2014), « Growth slowdowns redux: New evidence on the middle-income trap », in Japan and the World Economy, vol. 32. 

JOHNSON, Paul, & Chris PAPAGEORGIOU (2020), « What remains of cross-country convergence? », in Journal of Economic Literature, vol. 58, n° 1.

KREMER, Michael, Jack WILLIS & Yang YOU (2021), « Converging to convergence », in NBER Macroeconomics Annual 2021, vol. 36, University of Chicago Press.

MANKIW, N. Gregory, David ROMER & David N. WEIL (1992), « A contribution to the empirics of economic growth », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 107, n° 2.

PANDE, Rohini, & Nils ENEVOLDSEN (2021), « Discussion of "Converging to convergence" by Kremer, Willis, and You ».

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PRITCHETT, Lant (1997), « Divergence, big time », in Journal of Economic Perspectives, vol. 11, n° 3.

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