La hausse des ratios d’endettement public au cours de la Grande Récession ont conduit de nombreux gouvernements à mener des plans d’austérité budgétaire pour les maintenir sur une trajectoire soutenable et préserver la confiance sur les marchés obligataires. Alors que les gouvernements auraient dû poursuivre une politique expansionniste tant que l’économie n’avait pas retrouvé son potentiel et qu’elle restait éloignée du plein emploi, ils ont au contraire opté pour une politique procyclique en réduisant les dépenses publiques et/ou en relevant les impôts. Non seulement ces mesures d’austérité ont pu retarder la reprise de l’activité économique, voire même entraîner une véritable contraction de l’activité dans certains pays, mais elles ont pu aussi, par là même, conduire à une nouvelle hausse des ratios d’endettement public. Ces tentatives de consolidation budgétaire apparaissent finalement d’autant plus vaines que la stabilisation des marchés obligatoires a finalement davantage reposé sur les engagements de la BCE à jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort.
Un peu plus tôt dans l’année, Laurence Ball, Davide Furceri, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013) ont observé comment les épisodes de contraction budgétaire contribuent à aggraver les inégalités de revenu. Leur étude cherchait notamment à préciser les différents canaux par lesquels les plans d’austérité sont susceptibles d’affecter la répartition des revenus. Dans un nouveau document de travail au FMI, Jaejoon Woo, Elva Bova, Tidiane Kinda et Sophia Zhang (2013) analysent les effets des politiques budgétaires sur les inégalités de revenu dans un large ensemble de pays avancés et émergents au cours des trois dernières décennies en se focalisant tout particulièrement sur les épisodes de consolidation budgétaire. Leurs résultats suggèrent que ces derniers sont susceptibles d’accroître les inégalités à travers divers canaux, notamment via leurs effets sur le chômage, confirmant ainsi les résultats obtenus un peu plus tôt par Ball et alii. D’après leur propre analyse, une consolidation budgétaire d’un point de pourcentage du PIB est associée en moyenne à une hausse de 0,4 à 0,7 % du coefficient de Gini au cours des deux années suivantes ; 15 à 20 % de cet accroissement des inégalités s’expliquent par l’aggravation du chômage. En outre, les consolidations budgétaires sont davantage susceptibles de creuser les inégalités lorsqu’elles sont basées sur la réduction des dépenses publiques que lorsqu’elles sont fondées sur la hausse de la fiscalité.
Woo et alii constatent ensuite que la progressivité de l’impôt et les prestations sociales sont associées à de plus faibles inégalités du revenu disponible. De plus, la politique budgétaire peut favorablement influencer la répartition des revenus et la croissance en promouvant l’éducation et la formation des travailleurs à revenu faible et intermédiaire. Une hausse du niveau de scolarité est associée à une diminution des inégalités, tandis que le progrès technique biaisé en faveur du travail qualifié conduit au contraire à les renforcer. Tous ces résultats soutiennent la thèse selon laquelle, les réformes menées depuis les années quatre-vingt dans les pays avancés, en réduisant la générosité de la protection sociale et en réduisant la progressivité de l’impôt sur les revenus, ont joué un rôle significatif dans la hausse des inégalités que l’on observe depuis lors.
En ce qui concerne la récente crise mondiale, cette étude du FMI (tout comme la précédente) suggère que le resserrement budgétaire auquel procèdent les Etats des pays avancés depuis 2010, alors même que leur économie n’a pas renoué avec une croissance soutenue, a eu des répercussions particulièrement nocives sur la répartition des revenus. Les auteurs sont toutefois limités par la disponibilité des données pour évaluer ces effets, puisque les données les plus récentes relatives aux inégalités remontent au mieux à l’année 2010 pour la plupart des économies. Les plus récentes données suggèrent toutefois que les inégalités se sont le plus fortement accentuées dans les pays qui ont connu les plus fortes hausses du chômage et, dans une moindre mesure, dans les pays qui ont fourni le moins de relance discrétionnaire (cf. graphique). Les auteurs se focalisent plus particulièrement sur l’économie irlandaise, puisqu’ils disposent, en ce qui la concerne, de données allant jusqu’à 2011. En l’occurrence, en Irlande, la crise a dans un premier temps réduit les inégalités en raison d’une chute des revenus du capital (et par conséquent d’une chute des plus hauts revenus), d’une hausse des impôts et d’une augmentation des transferts ; mais avec l’approfondissement de la récession et le resserrement ultérieur de la politique budgétaire, les inégalités se sont par la suite creusées. Cette hausse des inégalités est d’autant plus inopportune qu’elle pèse sur la croissance économique en déprimant la demande globale, ce qui complique la stabilisation des ratios d’endettement public. Ces deux documents de travail du FMI rejoignent ainsi les conclusions de l'ONG Oxfam ; cette dernière a suggéré il y a quelques jours que les diverses mesures d'austérité menées en Europe pourraient faire basculer jusqu'à 25 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté en 2015.
GRAPHIQUE Evolution du chômage et du coefficient de Gini dans les pays européens (2007-2010)
source : Woo et alii (2013)
A défaut de les retarder, les auteurs plaident pour que les gouvernements ajustent leurs efforts de consolidation budgétaire de manière à en minimiser l’impact social. En l’occurrence, renforcer la progressivité des impôts et le système de redistribution peut contribuer à atténuer les répercussions des réductions des dépenses publiques sur la répartition des revenus. Leur étude insiste, tout comme celle de Santiago Acosta-Ormaechea et Atsuyoshi Morozumi (2013), sur le fait que les gouvernements ne doivent pas sacrifier les dépenses d'éducation lorsqu'ils sont contraints d'assainir leurs finances publiques.
Références