Le projet européen consiste finalement à créer un vaste territoire où les biens, les travailleurs, les capitaux et les entreprises circuleraient librement, de manière à promouvoir la croissance et la cohésion des Etats-membres. La constitution de l’union économique et monétaire (UEM) a marqué une étape importante dans le processus d’intégration. En 1992, le traité de Maastricht subordonne l’adoption de la monnaie européenne au respect de plusieurs critères de convergence nominale, si bien que les candidats ont dû mettre en place des politiques d’ajustement. Afin de réduire les inégalités territoriales et accroître la compétitivité des Etats-membres, des politiques régionales ont également été mises en place, les régions en difficulté recevant un soutien financier pour adapter plus facilement leurs structures économiques. La question qui se pose alors est de savoir si la constitution de l’union européenne s’est effectivement révélée bénéfique pour les Etats-membres. Une manière de répondre à cette question, même si elle reste partielle, est d’observer si l’intégration européenne s’est accompagnée d’une convergence des revenus réels par tête.
Selon les modèles de croissance néoclassiques à la Solow (1956), les écarts de revenu réel par habitant entre les pays sont censés se réduire, les pays les plus pauvres tendant à croître plus rapidement que les plus riches. En effet, ces modèles suggèrent qu’en présence de rendements décroissants et d’une diffusion parfaite des technologies, les pays convergent à long terme vers le même revenu par tête, indépendamment des conditions initiales, c’est-à-dire quelles que soient leurs caractéristiques initiales : on parle alors de convergence absolue. Toutefois, les études empiriques ne confirment pas les prédictions des modèles néoclassiques, mais tendent plutôt à montrer que la convergence est conditionnée : seuls les pays disposant de la même technologie et des mêmes fondamentaux convergent vers le même niveau de revenu. Si les pays ne présentent pas les mêmes caractéristiques, ils convergent vers différents états réguliers. Autrement dit, rien n’assure que les pays les plus pauvres vont converger vers les pays les plus riches. A partir des travaux précurseurs de Lucas et de Romer dans les années quatre-vingt, les théories de la croissance endogène se sont développées pour expliquer cette convergence conditionnelle. Ces modèles montrent qu’en présence de rendements croissants et d’externalités positives, la croissance est susceptible de se poursuivre indéfiniment, mais encore faut-il qu’elle s’amorce. L’accélération précoce de la croissance dans les pays avancés constitue alors pour eux un avantage irrémédiable. Certains auteurs ont par la suite également montré que le modèle de croissance néoclassique pouvaient générer des équilibres multiples : même s’ils ont des structures économiques identiques, certains pays peuvent converger vers un niveau de revenu élevé, tandis que d’autres sont piégés dans une trappe à sous-développement.
La nouvelle économie géographique offre de très intéressantes réflexions à propos du processus la convergence au sein de l'Union européenne. Cet ensemble de travaux, qui s’est développé à partir du modèle « centre-périphérie » de Paul Krugman (1991) et qui intègre tout comme les théories de la croissance endogène les rendements croissants, se révèle en l'occurrence peu optimiste. Si un ensemble de régions (constituant le « centre ») dispose ne serait-ce que d’un infime avantage par rapport aux autres régions (constituant la « périphérie »), alors une réduction des barrières à l’échange est susceptible d'entraîner une migration des travailleurs et un transfert des activités productives depuis les territoires périphériques vers les territoires centraux. Ces derniers offrent alors une plus large gamme de variétés de biens et services et des salaires plus élevés, ce qui accroît leur attractivité et stimule à nouveau le transfert des travailleurs et activités. Autrement dit, la plus grande liberté de circulation, en favorisant le plus infime avantage régional, a amorcé un processus auto-entretenu d’agglomération. Alors que les fondateurs et institutions de l’Union européenne ont en tête d’en accroître la cohésion, les théories de la nouvelle économie géographique suggèrent que le processus d’intégration peut au contraire intensifier les disparités initiales : la poursuite de l’intégration européenne va certes bénéficier aux grands pays du centre, mais en se révélant déstabilisatrice pour la périphérie [Crozet et Lafourcarde, 2009].
Plusieurs études empiriques ont ainsi cherché à évaluer le processus de convergence entre les pays européens. En observant les 27 Etats-membres de l’Union européenne sur la période s’étalant entre 1970 et 2010, Mihály Tamás Borsi et Norbert Metiu (2013) ne parviennent pas à mettre en évidence une convergence du revenu réel par tête dans l’Union européenne. Par contre, ils constatent que quatre groupes de pays convergent vers différents niveaux de revenu à long terme et que les liens régionaux semblent jouer un rôle significatif dans leur constitution. Cette répartition des pays en clubs de convergence n’est pas nécessairement liée à l’appartenance à la zone euro, puisque les pays-membres de la zone euro appartiennent à différents sous-groupes. A long terme, les pays d’Europe centrale et occidentale (PECO) semblent en outre se distinguer des plus anciens membres de l’Union européenne, ce qui suggère que, même si les PECO ont présenté une plus forte croissance du revenu réel que les autres membres de l’Union européenne au cours des quatre dernières décennies, le rattrapage se révèle insuffisant pour éliminer les écarts de revenu réel par tête entre les pays. Finalement, Borsi et Metiu observent à partir du milieu des années quatre-vingt-dix un déclin graduel des pays méditerranéens qui se traduit finalement par une disjonction entre les pays du nord-ouest et ceux du sud-est de l’Union européenne, ce qui n’est pas sans accréditer l’idée de polarisation spatiale suggérée par la nouvelle économie géographique.
Références
CROZET, Matthieu, & Miren LAFOURCADE (2009), La Nouvelle Economie géographique, La Découverte.
KRUGMAN, Paul (1991), « Increasing returns and economic geography », in The Journal of Political Economy, vol. 99, n° 3.