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7 avril 2020 2 07 /04 /avril /2020 14:42
Le vieillissement démographique, ou le meurtre suicidaire du rentier

La littérature empirique a relevé plusieurs tendances macrofinancières à l’œuvre ces dernières décennies. Par exemple, les taux d’intérêt réels ont eu tendance à diminuer, ce qui a pu évoquer chez certains l’« euthanasie du rentier » à laquelle appelait John Maynard Keynes. En l’occurrence, d'après les estimations de Lukasz Rachel et Thomas Smith (2015), les taux d’intérêt réels mondiaux ont baissé de 450 points de base depuis 1980.

En outre, les rendements sur les actions dans le monde ont eu tendance à augmenter. Dans la mesure où les taux d’intérêt ont eu tendance à baisser, cela suggère que la prime de risque sur les actions a eu tendance à augmenter. En l’occurrence, d’après les estimations de Kevin Daly (2016), la prime de risque mondiale sur les actions a augmenté de 2,5 points de pourcentage depuis 2000. Aux Etats-Unis, la prime de risque sur les actions a pu baisser de 2 à 5 points de pourcentage depuis la fin des années quatre-vingt-dix, c’est-à-dire depuis la formation de la bulle internet (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Taux sûrs, rendements boursiers et prime de risque sur les actions

Le vieillissement démographique, ou le meurtre suicidaire du rentier

source : Kopecky et Taylor (2020)

Pour beaucoup d’économistes, les taux d’intérêt dépendent fondamentalement de la confrontation de l’investissement et de l’épargne : c'est l'idée du taux d'intérêt naturel. Dans la mesure où il constitue une tendance lourde susceptible de stimuler l’épargne tout en déprimant l’investissement, le vieillissement démographique est considéré comme un bon suspect pour expliquer la baisse tendancielle des taux d’intérêt. En effet, dans la mesure où les taux de natalité baissent et où l’espérance de vie augmente, l’âge moyen et la part des personnes âgées dans la population tendent à augmenter (cf. graphique 2). Or, plus les individus anticipent qu’ils vivront longtemps, plus ils chercheront à épargner durant leur vie active et moins ils chercheront à désépargner au cours de leur retraite. Par conséquent, le vieillissement démographique tend à gonfler l’épargne agrégée.

GRAPHIQUE 2  Parts des différentes classes d’âges dans la population étasunienne (en %)

Le vieillissement démographique, ou le meurtre suicidaire du rentier

source : Kopecky et Taylor (2020)

Plusieurs études ont effectivement conclu que le vieillissement démographique constitue un important facteur derrière la baisse des taux d’intérêts réels ces dernières décennies. Concernant les Etats-Unis, Etienne Gagnon et alii (2016) estiment que le vieillissement démographique peut avoir contribué à faire baisser de 125 points de base les taux d’intérêt réels de long terme depuis les années quatre-vingt. Carlos Carvalho et alii (2016) estiment que l’impact semble être encore plus large et, en cherchant à déterminer par quel biais la dynamique démographique affecte les taux, ils concluent qu’il s’agit surtout d’un produit de l’allongement de l’espérance de vie. Noëmie Lisack et alii (2017) estiment quand à eux que les tendances démographiques expliquent environ la moitié de la baisse des taux d’intérêt réels mondiaux depuis 1980.

La dynamique démographique a notamment été rattachée aux taux d’intérêt par les partisans de l’hypothèse de la stagnation séculaire [Summers, 2015 ; Eggertsson et alii, 2016 ; Rachel et Summers, 2019]. En effet, parce qu’il déprime l’investissement et alimente l’épargne, le vieillissement démographique ne se contente pas de baisser les taux d’intérêt : il freine l’inflation et déprime la croissance économique. De ce point de vue, de faibles taux d’intérêt, une faible inflation et une faible croissance sont les symptômes d’une demande globale structurellement déprimée. 

Mais toute la littérature qui a rattaché la baisse des taux d’intérêt à la dynamique démographique n’a pas su expliquer l’évolution des primes de risque sur les actions. C’est une telle explication que viennent de proposer Joseph Kopecky et Alan Taylor (2020). En examinant les effets de la dynamique démographique sur les allocations de portefeuille au cours du cycle de vie, les deux économistes ont suggéré un canal via lequel le vieillissement démographique est susceptible d’expliquer le comportement de la prime de risque sur les actions. 

Comme l’ont notamment étudié les modèles de cycle de vie des choix de portefeuille, plus un individu vieillit, moins il cherchera à détenir des actifs risqués, plus il rééquilibrera son portefeuille en faveur des actifs sûrs [Bodie et Samuelson, 1992]. Donc, en vieillissant, les générations du baby-boom génèrent une masse croissante d’épargne, alors même qu’ils réduisent la part des actions dans leurs portefeuilles. Par conséquent, l’accroissement de la part des personnes âgées dans la population contribue à pousser les taux d’intérêt à la baisse tout en augmentant les rendements boursiers.

En poursuivant leur analyse, Kopecky et Taylor concluent que le taux sur les actifs sûrs a peut-être davantage baissé entre 1990 et 2017 que ce que suggèrent la plupart des estimations existantes. D’après leurs prévisions, si le vieillissement démographique se poursuit peu ou prou au rythme qui est aujourd’hui attendu, il devrait davantage pousser le taux sûr en territoire négatif, tout en laissant la prime de risque sur les actions à un niveau élevé.

 

Références

BODIE, Zvi, & William F. SAMUELSON (1992), « Labor supply flexibility and portfolio choice in a life-cycle model », in Journal of Economic Dynamics and Control, vol. 16, n° 3–4.

CARVALHO, Carlos, Andrea FERRERO et Fernanda NECHIO (2016), « Demographics and real interest rates: Inspecting the mechanism », in European Economic Review, vol. 88.

DALY, Kevin (2016), « A secular increase in the equity risk premium », in International Finance, vol. 19, n° 2.

EGGERTSSON, Gauti B., Neil R. MEHROTRA, Sanjay R. SINGH & Lawrence H. SUMMERS (2016), « A contagious malady? Open economy dimensions of secular stagnation », in FMI, IMF Economic Review, vol. 64, n° 4.

GAGNON, Etienne, Benjamin K. JOHANNSEN & David LOPEZ-SALIDO (2016), « Understanding the new normal: The role of demographics », Réserve fédérale, finance and economics discussion paper, n° 2016-080.

KOPECKY, Joseph, & Alan M. TAYLOR (2020), « The murder-suicide of the rentier: Population aging and the risk premium », NBER, working paper, n° 26943.

LISACK, Noëmie, Rana SAJEDI & Gregory THWAITES (2017), « Demographic trends and the real interest rate », Banque d'Angleterre, working paper, n° 701.  

RACHEL, Łukasz, & Thomas D. SMITH (2015), « Secular drivers of the global real interest rate », Bank of England, staff working paper, n° 571.

RACHEL, Łukasz, & Lawrence H. SUMMERS (2019), « On falling neutral real rates, fiscal policy, and the risk of secular stagnation », in Brookings Papers on Economic Activity.

SUMMERS, Lawrence (2015), « Demand side secular stagnation », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 105, n° 5.

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5 avril 2020 7 05 /04 /avril /2020 15:19
Les chocs d’offre négatifs peuvent-ils provoquer une insuffisance de la demande globale ?

La littérature économique a eu tendance ces dernières décennies à considérer que les récessions étaient provoquées par des chocs, éclatant soit du côté de l’offre, soit du côté de la demande [Blanchard et Qhah, 1989]. Les chocs d’offre négatifs se traduisent par une chute de la rentabilité de la production : les entreprises perdent une partie de leurs capacités de production ou bien leurs coûts de production augmentent, si bien qu’elles ne peuvent maintenir leur niveau de production ou bien elles ne trouvent pas rentable de le faire. De tels chocs peuvent être provoqués par des événements divers tels qu’une sécheresse, un cyclone, un séisme, une épidémie, une hausse des prix des matières premières, un conflit armé, une grève généralisée ou encore un alourdissement de la fiscalité. Les chocs de demande négatifs se traduisent quant à eux par une chute des débouchés des entreprises : les entreprises disposent de capacités productives suffisantes, mais elles ne sont pas incitées à les utiliser, car il n’y a pas assez de demande. Les enchaînements alors à l’œuvre sont ceux sur lesquels s’est focalisée la théorie keynésienne.

Si une récession s’explique effectivement par une insuffisance de la demande globale, il est alors justifié que les gouvernements et les banques centrales cherchent à stimuler la demande. Par contre, les plans de relance sont contre-productifs si la récession a été provoquée du côté de l’offre : la demande augmente, mais les entreprises ne peuvent immédiatement augmenter leur production, si bien que l’ajustement risque de passer surtout par une hausse des prix, c’est-à-dire une accélération de l’inflation. Ainsi, les autorités doivent identifier la nature du choc pour déterminer quelle réaction elles doivent adopter. La situation est plus compliquée si les différents secteurs de l’économie ne font pas face au même choc : si les politiques conjoncturelles sont assouplies pour stimuler l’activité dans les secteurs qui subissent une contrainte de débouchés, cette relance peut accentuer les tensions inflationnistes et les pénuries dans secteurs qui subissent au contraire une contrainte de rentabilité.

Dans la zone euro, le cycle d’affaires semble essentiellement avoir pour origine des chocs de demande [Andrle et alii, 2013]. Il en est de même pour les pays développés pris dans leur ensemble [Andrle et alii, 2016]. Si les crises financières sont susceptibles de déclencher des récessions, c’est avant tout parce qu’elles dépriment la demande plutôt qu’elles ne détériorent l’offre [Benguria et Taylor, 2019]. Pour autant, toutes les récessions ne sont pas provoquées par une insuffisance de la demande.

La situation de stagflation que les pays développés ont connue durant les années soixante-dix est un exemple de récession provoquée par une série de chocs d’offre. En l’occurrence, elle a notamment résulté des chocs pétroliers. En effet, les pays développés étant généralement importateurs nets de pétrole, la hausse du prix du pétrole a gonflé les coûts de production des entreprises, ce qui a directement alimenté l’inflation et déclenché des effets de second tour : d’une part, les entreprises ont eu tendance à relever leurs prix de vente pour tenter de maintenir leur marge de profit, ce qui renchérissait les coûts des firmes se fournissant auprès d’elles ; d’autre part, les travailleurs ont cherché à négocier de plus fortes hausses de salaires pour tenter de préserver leur pouvoir d’achat ou bien les salaires augmentaient au même rythme que les prix s’ils étaient indexés sur ces derniers, ce qui alourdissait à nouveau les coûts de production des entreprises. il s'agissait d'une véritable spirale inflationniste. 

La récession que subissent actuellement les pays développés trouve également son origine dans une série de chocs [Baldwin et Weder di Mauro, 2020 ; Charles et alii, 2020]. Au début de l’année, l’épidémie de coronavirus a paralysé l’économie chinoise. Cette mise à l’arrêt à provoqué un choc d’offre négatif, dans la mesure où, à travers la décomposition internationale des processus productifs, de nombreux biens sont tout ou partie produits en Chine, notamment des biens utilisés comme intrants par des firmes dans le reste du monde. Elle a aussi généré un choc de demande négatif, dans la mesure où la Chine, du fait de ses importations, contribue à une part importante de la demande mondiale, notamment pour les matières premières.

Depuis quelques semaines, les pays développés sont à leur tour touchés par l’épidémie de coronavirus et ils ont également adopté des mesures de confinement pour en ralentir la propagation. Cela les confronte à une nouvelle série de chocs d’offre : l’économie est privée d’une partie de la main-d’œuvre ; de nombreux sites de production sont délibérément fermés. Par conséquent, les sites de production toujours en activité risquent d’avoir à freiner leur production, non seulement en raison des pénuries de main-d’œuvre, mais aussi en raison de l’indisponibilité de certains biens intermédiaires due à la fermeture de leurs fournisseurs ou au ralentissement de la production de ces derniers : il y a là un mécanisme de propagation du choc d’offre d’une entreprise à l’autre, d’un secteur à l’autre, via la chaîne d’approvisionnement, vers l’aval. Mais il y a aussi des chocs de demande : en premier lieu, la consommation s’écroule, non pas parce que les ménages ne désirent pas consommer ou n’ont pas les moyens de le faire, mais parce que le confinement les empêche de le faire.

Pouvons-nous ignorer la demande et écarter la théorie keynésienne si la récession a été provoquée du côté de l'offre ? Non. En fait, l’offre et la demande sont intimement liées l’une à l’autre. Par exemple, toute la littérature autour des effets d’hystérèse balaie l’idée que les récessions découlant d’une insuffisance de la demande globale n’aient pas d’impact sur le potentiel de production : les récessions et les politiques conjoncturelles influencent la trajectoire de croissance à long terme [Cerra et Saxena, 2017 ; Fatás et Summers, 2017 ; Jordà et alii, 2020]. Par exemple, plus les travailleurs passent de temps au chômage, plus ils perdent en compétences, ce qui réduit leur efficacité une fois réembauchés ; puisqu'elles sont loin d'utiliser leurs capacités de production en totalité, les firmes sont moins incitées à investir lors des récessions, ce qui réduit leur potentiel de production à long terme et les chances qu'elles innovent.

La causalité peut aussi aller en sens inverse. Même si une récession est initialement provoquée par des chocs d’offre, la demande peut s’en trouver déprimée et la récession s’aggraver en conséquence. D’une part, si, pour une raison ou une autre, des entreprises sont forcées de réduire leur production, voire font faillite, les entreprises qui leur fournissaient des biens intermédiaires ou des biens d’investissement vendront moins, si bien qu’elles seront incitées à réduire leur propre production, donc également à moins investir, à cesser d’embaucher, voire à licencier. Il s’agit d’un mécanisme de propagation du choc le long de la chaîne d’approvisionnement, mais cette fois-ci vers l’amont. D’autre part, le chômage va augmenter si de nombreuses entreprises, affectées par le choc d’offre initial (ou par le choc de demande de second tour), licencient. Or, la hausse du chômage va déprimer la demande globale : les ménages qui perdent leur emploi verront leurs revenus chuter, donc ils seront contraints de réduire leur consommation ; les ménages qui gardent leur emploi craindront davantage de le perdre, ce qui les incitera à davantage épargner pour un motif de précaution. Dans tous les cas, il s’agit bien d’une amplification des chocs d’offre, mais via la demande : les entreprises qui étaient initialement épargnées par le choc d’offre et qui pouvaient continuer de produire, peuvent ne plus être incitées à le faire.

Le pessimisme quant à la capacité de l’économie à continuer à croître au même rythme à l’avenir peut également être autoréalisateur. Si les agents anticipent une dégradation de la croissance potentielle en raison, par exemple, de tendances lourdes comme le vieillissement démographique ou la raréfaction des ressources naturelles, ils changeront leur comportement dans la période courante, de telle sorte que la demande et donc l’activité s’en trouveront immédiatement affectés [Blanchard et alii, 2017]. Par exemple, si les entreprises anticipent qu’elles auront à faire face à l’avenir à une moindre demande, elles réduiront immédiatement leurs investissements ; si les ménages anticipent un ralentissement de la croissance de la productivité, donc de la progression des salaires, ils anticiperont par la même occasion un moindre revenu permanent, si bien qu’ils réduiront immédiatement leur consommation [Lorenzoni, 2009]

Afin d’éclairer les enchaînements à l’œuvre aujourd’hui, dans le sillage de l’épidémie de coronavirus, Veronica Guerrieri, Guido Lorenzoni, Ludwig Straub et Iván Werning (2020) viennent de proposer une « théorie des chocs d’offre keynésiens ». Dans leur modélisation, des chocs d’offre négatifs sont susceptibles d’entraîner une chute de la demande globale plus ample que ces chocs d’offre, auquel cas ces derniers peuvent être qualifiés de « keynésiens ». Ce n’est toutefois pas le cas dans une économie constituée d’un seul secteur : cette absence d’effets keynésiens s’observe dans les modélisations incorporant un agent représentatif, mais Guerrieri et ses coauteurs montrent qu’elle s'observe également en présence d’agents hétérogènes, caractérisés par différentes propensions marginales à consommer : il ne suffit pas qu'une partie des consommateurs soient contraints en termes de liquidité pour que des cercles vicieux keynésiens s'activent. En effet, la propension marginale à consommer des personnes qui perdent leur revenu peut être importante, mais elle ne peut être supérieure à l’unité, si bien que leur consommation baisse moins que leur revenu.

Des chocs d’offre keynésiens sont par contre susceptibles d’apparaître dans une économie avec différents secteurs, en l’occurrence lorsque les chocs se concentrent sur certains secteurs, comme c’est le cas lors du confinement face à la pandémie. Dans ce cas, les faillites d’entreprise et les destructions d’emplois peuvent amplifier l’effet initial, ce qui aggrave la récession. Les gouvernements et les banques centrales doivent intervenir pour empêcher les entreprises de faire faillite en chaîne et le chômage d’augmenter, ce qui implique de soutenir les entreprises et les ménages contraints en termes de liquidité. Toutefois, malgré la surréaction de la demande à la chute d’offre, la relance budgétaire perd de son efficacité [Blanchard, 2020]. En l'occurrence, dans le modèle, la propension marginale à consommer peut être extrêmement faible. Les firmes ont par contre moins de chances de faire faillite et de licencier si le service de leur dette est allégé. Par conséquent, Guerrieri et ses coauteurs estiment que la politique optimale combine, d’une part, un assouplissement monétaire et, d’autre part, une revalorisation des allocations-chômage et des aides sociales.

 

Références

ANDRLE, Michal, Jan BRŮHA & Serhat SOLMAZ (2013), « Inflation and output comovement in the euro area: Love at second sight? », FMI, working paper, n° 13/192.

ANDRLE, Michal, Jan BRŮHA & Serhat SOLMAZ (2016), « Output and inflation co-movement: An update on business-cycle stylized facts », FMI, working paper, n° 16/241.

BALDWIN, Richard, & Beatrice WEDER DI MAURO (2020), « Introduction », in CEPR, Economics in the time of COVID-19, mars. Traduction partielle, « L'économie au temps du coronavirus ».

BENGURIA, Felipe, & Alan M. TAYLOR (2019), « After the panic: Are financial crises demand or supply shocks? Evidence from international trade », NBER, working paper, n° 25790.

BLANCHARD, Olivier (2020), « "Whatever it takes." Getting into the specifics of fiscal policy to fight COVID-19 », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 30 mars. Traduction française, « Quels rôles doit jouer la politique budgétaire face au coronavirus ? ».

BLANCHARD, Olivier, Guido LORENZONI & Jean Paul L’HUILLIER (2017), « Short-run effects of lower productivity growth: A twist on the secular stagnation hypothesis », in Journal of Policy Modeling.

BLANCHARD, Olivier J., & Danny QUAH (1989), « The dynamic effects of aggregate demand and supply disturbances », in American Economic Review, vol. 79, n° 4.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2017), « Booms, crises, and recoveries: A new paradigm of the business cycle and its policy implications », FMI, working paper, n° 17/250.

CHALLE, Edouard (2020), « Uninsured unemployment risk and optimal monetary policy in a zero-liquidity economy », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 12, n° 2.

CHARLES, Sébastien, Thomas DALLERY & Jonathan MARIE (2020), « Covid-19 : choc d'offre ou choc de demande ? ... Raté ! Les deux ! », in La Tribune, 30 mars.

FATÁS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2017), « The permanent effects of fiscal consolidations », in Journal of International Economics, vol. 112.

GUERRIERI, Veronica, Guido LORENZONI, Ludwig STRAUB & Iván WERNING (2020), « Macroeconomic implications of COVID-19: Can negative supply shocks cause demand shortages? », NBER, working paper, n° 26918.

JORDÀ, Òscar, Sanjay R. SINGH & Alan M. TAYLOR (2020), « The long-run effects of monetary policy », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2020-01.

LORENZONI, Guido (2009), « A theory of demand shocks », in American Economic Review, vol. 99, n° 5.

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4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 17:47
Le changement d'entraîneur en cours de saison améliore-t-il les performances d’une équipe de football ?

Toute une littérature en économie et en finance cherche à déterminer l’importance du dirigeant d’une entreprise pour la performance de celle-ci. Il existe aussi toute une littérature économique qui cherche à déceler quelle est la contribution d’un entraîneur pour la performance d’une équipe de football [Drut, 2014 ; Arrondel et alii, 2020].

Pour certains, notamment Chris Anderson et David Sally (2014), l’influence des entraîneurs est déterminante. Après tout, l'entraîneur forme les joueurs, cherche à les motiver, sélectionne les joueurs pour chaque match, décide de la tactique à suivre lors d’un match et l’ajuste si nécessaire au cours de celui-ci, etc. Pour d’autres, sa valeur ajoutée est à peu près nulle : pour Simon Kuper et Stefan Szymanski (2014), un entraîneur pourrait être remplacé par un ours en peluche sans que les performances de son équipe en soient affectées.

Dans tous les cas, lorsqu’une équipe de football subit une série de défaites consécutives, l’entraîneur est souvent rapidement accusé d’en être responsable, si bien que les dirigeants, sous la pression notamment des supporters et des éventuels actionnaires, sont alors incités à limoger l’entraîneur en milieu de saison pour le remplacer par un autre. Le changement d’entraîneurs est d’ailleurs devenu une pratique de plus en plus courante au fil des décennies, en raison aussi bien de l’intensification du niveau de concurrence que de l’accroissement de l’importance économique du football [D’Addina et Kind, 2014]. En conséquence, un entraîneur était en moyenne maintenu en place un an et demi dans le cas de la Premier League anglaise au début des années 2010, soit à peu près la même durée que pour un entraîneur dans la Ligue 1 française en 2020.

Si la direction d’un club remplace un entraîneur, c’est avant tout dans l’espoir d’améliorer les performances de l’équipe : le nouvel entraîneur peut être plus compétent et avoir une stratégie plus efficace ; en créant un choc psychologique, le remplacement est susceptible de motiver les joueurs. Bien sûr, les dirigeants peuvent aussi remplacer l’entraîneur pour détourner les accusations d’incompétence dont ils pourraient être la cible de la part des médias, des supporters et des actionnaires en cherchant ainsi à présenter l’entraîneur comme le responsable des défaites [De Paola et Scopa, 2012].

D'un autre côté, le choc psychologique que provoque le remplacement de l'entraîneur peut, non pas motiver, mais décourager les joueurs. Surtout, le travail réalisé par un entraîneur comporte ce qui s'apparente à un investissement : il avait par exemple accumulé des informations sur les joueurs, sur leurs caractéristiques, leurs atouts et leurs faiblesses, construit des liens avec les jours, susceptibles de favoriser la coopération, mis en place des routines, etc. Or, le nouvel entraîneur ne pourra pas forcément profiter de l'investissement réalisé par son prédécesseur. Il devra à son tour procéder à un tel investissement et défaire les routines instaurées par son prédécesseur avant de pouvoir coacher efficacement son équipe.

Plusieurs travaux empiriques ont cherché à identifier l’importance des entraîneurs pour les performances de leur équipe en étudiant l’impact des changements d’entraîneurs en cours de saison. Cette littérature aboutit à des résultats hétérogènes, mais elle tend plutôt à conclure que les remplacements ne changent pas significativement les performances. Cette hétérogénéité des résultats ne s’explique pas par les différences dans les indicateurs et les méthodologies utilisés.

Il faut dire que si les travaux empiriques n'arrivent pas à aboutir à un consensus, c'est notamment parce que l'exercice soulève de redoutables défis à l'économètre. Tout d'abord, il y a un problème d'endogénéité, dans la mesure où le licenciement d'un entraîneur est une décision prise par les propriétaires du club, si bien qu'elle n'est pas aléatoire, elle est endogène aux résultats. Ce problème est en partie surmonté par l'utilisation de groupes témoins, c’est-à-dire en comparant les performances des équipes qui changent leur entraîneur avec les équipes aux caractéristiques similaires qui gardent le leur. Certaines des études qui s'appuient sur des groupes témoins ont pu suggérer que les clubs qui remplacent leur entraîneur en cours de saison réduisent leurs chances d'améliorer leurs résultats : leurs performances ultérieures sont moins bonnes que celles des équipes similaires qui gardent leur entraîneur. Mais la plupart aboutissent généralement à la conclusion que le remplacement n'a pas d'effet significatif [Llorca et Scelles, 2016]. Mais d'autres problèmes économétriques demeurent. Par exemple, il peut y avoir des caractéristiques non observables qui s'avèrent déterminantes.

Dans une nouvelle étude, Luc Arrondel, Richard Duhautois et Cédric Zimmer (2020) ont observé l'impact des changements d’entraîneurs en cours de saison sur les performances des clubs en analysant les données relatives à la Ligue 1 au cours de la période allant de 1998 à 2018. Au cours des 20 saisons qu'ils ont observées, 103 entraîneurs ont été limogés, soit en moyenne 5,2 par saison, une fréquence légèrement moindre que celle généralement enregistrée à l'étranger. Les entraîneurs limogés en cours de saison le sont généralement quand leur équipe est classée seizième, suite à 57 % de défaites parmi les matchs joués à domicile.

Les clubs qui changent d’entraîneur en cours de saison ont des caractéristiques différentes des clubs qui ne le font pas. Certaines caractéristiques sont observables à partir des données ; d’autres, non. Le nombre de points gagnés par le club est l'une des caractéristiques observables. En moyenne, au cours d'une saison, un club qui change au moins une fois son entraîneur gagne 1,14 point par match, tandis qu'un club qui ne change pas son entraîneur en gagne 1,42. Lorsqu'un club change d'entraîneur, ses performances s'améliorent et se stabilisent autour de 1,2 point par match. Il y a donc une légère amélioration, mais cela peut s'expliquer par un phénomène de « retour à la moyenne » : plus une équipe essuie de défaites, plus elle a de chances de connaître une victoire (1). La question est de savoir ce qui se serait passé si le club n'avait pas changé d'entraîneur. 

En s'appuyant sur une méthode empirique permettant de prendre en compte les différences dans les caractéristiques observables et non observables, l'analyse d'Arrondel et alii montre qu’un changement d’entraîneur n’a pas d’effet significatif sur les performances d’une équipe, sauf à court terme, sur les cinq premiers matchs joués avec le nouvel entraîneur, où il est possible de déceler un effet positif. Lorsqu’ils distinguent entre les matchs joués à domicile et les matchs joués à l’extérieur, Arrondel et ses coauteurs constatent que l’effet positif ne s’observe que pour les matchs joués à domicile. Ils en concluent que l’effet positif résulte certainement davantage de la pression exercée par les supporters plutôt que d'une éventuelle amélioration de la qualité du coaching. Cette étude vient donc conforter l’idée qu’un club doit attendre l’intersaison pour changer un entraîneur s’il désire améliorer les performances de son équipe à long terme.

 

(1) Attention, ce n'est pas dans le sens où la succession des défaites rend l'équipe plus performante pour les matchs suivants (au contraire, il est possible que la succession des défaites décourage les joueurs). Prenons une métaphore. Plus vous piochez dans un jeu de cartes, plus vous avez de chances de piocher au moins un cœur. Plus vous tardez à piocher un cœur, plus vous avez de chances d'en piocher un ensuite. 

 

Références

ANDERSON, Chris & David SALLY (2014). The Numbers Game: Why Everything You Know About Football is Wrong, Penguin.

ARRONDEL, Luc, Richard DUHAUTOIS & Cédric ZIMMER (2020), « Within-season dismissals of football managers: evidence from the French Ligue 1 », Paris School of Economics, working paper, n° 11.

D’ADDONA, Stefano, & Axel KIND (2014), « Forced manager turnovers in English soccer leagues: A long-term perspective », in Journal of Sports Economics, vol. 15, n° 2.

DE PAOLA, Maria, & Vincenzo SCOPPA (2012), « The effects of managerial turnover: Evidence from coach dismissals in Italian soccer teams », in Journal of Sports Economics, vol. 13, n° 2.

DRUT, Bastien (2014), Economie du football professionnel, éditions La Découverte, nouvelle édition.

KUPER, Simon, & Stefan SZYMANSKI (2014), Soccernomics, Nation Books.

LLORCA, Matthieu, & Nicolas SCELLES (2016), « Managerial change and team performance: Empirical evidence from the French football Ligue 1 », document de travail.

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