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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 09:46

L’Allemagne remodèle les pays européens à son image. Or, il est non seulement possible de relier l’actuelle crise de la zone euro à la stratégie macroéconomique que suit l’Allemagne depuis plus d'une décennie, mais nous pouvons également penser que l’adoption du « modèle » allemand par le reste de la zone euro est susceptible d’aggraver la récession et d’entraîner à terme l’éclatement de l’union monétaire.

Durant les années quatre-vingt-dix, l’Allemagne épargnait trop peu pour financer ses investissements domestiques [Pettis, 2013]. Elle devait alors importer des capitaux pour financer ces derniers, si bien qu'elle enregistrait un déficit récurrent. Au début des années deux mille, un accord réunissant les syndicats, les entreprises et l’Etat a soumis la croissance des salaires à de puissantes contraintes pour accroître la compétitivité de l’économie et créer des emplois domestiques. La part des revenus des ménages dans le PIB a par conséquent diminué et, avec elle, la part de la consommation. La hausse des taux d’épargne allemands n’est donc pas le fait des préférences des ménages, mais bien le produit des politiques économiques qui ont rendu les salaires rigides à la hausse. Suite aux réformes structurelles, non seulement l’Allemagne sut générer suffisamment d’épargne pour financer ses investissements domestiques, mais elle dut investir à l’étranger pour exporter son épargne. Son solde courant s’améliora alors sensiblement. L’Allemagne avait un déficit courant de 1,7 % du PIB en 2000 ; elle enregistrait un excédent courant représentant 7,5 % du PIB en 2007 [Wolf, 2013a]

Le compte courant de l'Allemagne n'aurait pu être excédentaire si le reste du monde n’avait pas enregistré symétriquement un déficit. En l’occurrence, c’est essentiellement la zone euro qui absorba l’excès d’épargne. La monnaie unique empêchait les Etats-membres d’utiliser les taux d’intérêt ou de déprécier leur taux de change, si bien que certaines économies durent finalement importer l’épargne allemande. Les pays dits « périphériques » virent ainsi leurs soldes courants se dégrader significativement : soit leurs excédents courants laissèrent place à un déficit, soit leurs déficits courants s’aggravèrent. Ils ont accru leurs dépenses d’investissement, en particulier dans le secteur immobilier. La seule hausse de l’investissement ne suffit toutefois pas à absorber l’épargne allemande ; les ménages des pays périphériques ont également réduit leur taux d’épargne en accroissant leurs dépenses plus rapidement que n’augmentaient leurs revenus. La hausse des prix d’actifs et notamment la hausse des prix immobiliers généra un puissant effet de richesse et entretint l’optimisme dans les pays périphériques. Le déclin de l’emploi dans les secteurs des biens exportables fut plus que compensé par les créations d’emplois dans les secteurs des services et de l’immobilier grâce au boom de la consommation. Avec la crise financière mondiale, les entrées de capitaux se tarirent et la demande privée s’effondra en en provoquant de larges déficits publics. 

La crise européenne est interprétée, de façon erronée, comme une crise budgétaire, or, mis à part en Grèce, les déséquilibres budgétaires en sont les symptômes et non la cause. Elle est fondamentalement une crise des balances de paiements. L’accélération des flux de capitaux à destination des pays périphériques était l’un des arguments en faveur de la création de la monnaie unique et de l’intégration des marchés financiers. Les mouvements de capitaux se sont effectivement opérés selon ce schéma, mais pour finalement se révéler déstabilisateurs. 

Suite à la crise mondiale, les pays périphériques ne purent continuer à financer leurs déficits courants, si bien qu’ils furent contraints à opérer un violent ajustement de leur économie. Depuis, les déséquilibres commerciaux se sont particulièrement améliorés. L’ajustement ne s’est toutefois pas opéré par un resserrement de l’écart de compétitivité, mais avec la plongée et le maintien de la périphérie dans la dépression : les salaires ont été réduits et la demande intérieure s’est fortement contractée. Autrement dit, les pays périphériques ont répliqué ce que l’Allemagne avait, dans un tout autre contexte, réalisé une décennie plus tôt. En outre, privés d’un accès aux marchés obligataires, ils ont dû consolider leurs finances publiques. Ce resserrement budgétaire a amplifié la chute du PIB et l’envolée du chômage. Or, les pays du « cœur » de la zone euro ont aussi resserré au même instant leur politique budgétaire, si bien que les pays périphériques ne purent s’appuyer sur la demande extérieure pour améliorer leur solde extérieur.

Aujourd’hui, la récession se poursuit, les taux de chômage atteignent des niveaux historiques et le taux d’inflation s’éloigne du niveau ciblé par la BCE. L’apparition de la déflation ne pourrait qu’aggraver la situation des pays périphéries. Puisque la zone euro est la deuxième économie au monde, la stagnation de son activité et ses tentatives de générer des excédents extérieurs exercent également un puissant effet dépressif sur le reste du monde. Surtout, l’adoption du modèle allemand par le reste de la zone euro est susceptible de directement mener à l’éclatement de l’union monétaire. Si les ménages (et Etats) de la périphérie se « germanisaient » en épargnant davantage, ce surcroît d’épargne accélérerait l’envolée du chômage jusqu’à ce que chaque pays périphérique soit finalement forcé de quitter la zone euro. Si, malgré les coûts économiques et sociaux, tous les pays de la zone euro parvenaient à générer de significatifs excédents de leur compte courant, ce sera désormais au reste du monde d’absorber l’épargne de la zone euro. Puisque le Japon suit la même stratégie, les pays à haut revenu, confrontés à une demande chroniquement faible, semblent s'être finalement résolus à adopter des politiques du chacun pour soi (beggar-my-neighbour policies) [Wolf, 2013b].  

La France est le seul grand pays de la zone euro à encore enregistrer un déficit extérieur. Elle y joue en l’occurrence le rôle de consommateur final. L’ajustement serait tout autre si l’Allemagne acceptait enfin de jouer ce rôle. Michael Pettis (2013) estime que la diminution des taux d’épargne allemands constitue la solution la moins dommageable pour défaire les déséquilibres courants et, en l’occurrence, celle la plus à même de maintenir la cohésion de l’union monétaire. La consommation allemande pourrait s’accroître plus rapidement que le PIB si le gouvernement réduisait l’imposition des classes moyennes et populaires et supprimait les contraintes pesant sur les salaires. L’épargne nationale diminuerait sans que les ménages allemands aient à changer leurs comportements individuels. La diminution de l’excédent courant de l’Allemagne réduirait la masse d’épargne que doit absorber le reste de l’Europe et cette dernière profiterait d’une plus grande demande. A fortiori, l’apparition d’un déficit courant contribuerait particulièrement à l’ajustement des économies périphériques et à relancer l’activité dans l’ensemble de la zone euro. 

 

Références 

DAVIES, Gavyn (2013), « The dramatic adjustment in eurozone trade imbalances », in Financial Times, 9 mai.

PETTIS, Michael (2013), « No, the Spanish can’t be more German - And other myths of the euro crisis », in Foreign Policy, 7 mai.

WOLF, Martin (2013a), « The German model is not for export », in Financial Times, 7 mai. Traduction française, « Le modèle allemand n’est pas exportable », in Le Monde, 9 mai.

WOLF, Martin (2013b), « Europe’s beggar-my-neighbour policy », in Financial Times, 9 mai. 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 18:11

A partir du début du dix-neuvième siècle, les pays qui constituent aujourd’hui le monde avancé ont bénéficié d’un rythme de croissance de la productivité et des revenus beaucoup plus rapide que le reste du monde. Cette Grande Divergence a suscité de nombreuses interprétations. Peter Klenow et Andrés Rodríguez-Clare (1997), puis Gregory Clark et Robert Feenstra (2003), estiment que l’accumulation du capital physique et humain n’explique qu’un dixième des différences observées d’un pays à l’autre dans la croissance de la productivité au cours des deux derniers siècles. Ils suggèrent alors avec William Easterly et Ross Levine (2000) que la technologie contribue substantiellement à la croissance de la productivité et pourrait finalement expliquer l'épisode de la Grande Divergence. Or, les durées de temps nécessaires pour que les nouvelles technologies pénètrent les pays ont chuté de façon spectaculaire au cours des deux derniers siècles. Au dix-neuvième siècle, des innovations comme le télégramme et les voies ferrées mettaient nécessairement plusieurs décennies pour se diffuser à l'ensemble des pays. Aujourd’hui, la diffusion des nouvelles technologies comme les ordinateurs, les téléphones portables et internet s’opère parfois en moins d’une décennie. Les délais d’adoption auraient donc eu tendance à converger au niveau international. 

S'il y a eu convergence dans les rythmes d'adoption technologique, Diego A. Comin et Martí Mestieri Ferrer (2013) se demandent alors pourquoi le revenu a divergé au cours des deux derniers siècles. Les deux auteurs rappellent tout d’abord que la contribution de la technologie à la croissance de la productivité peut être décomposée en deux parties. La première est liée à l’éventail des technologies disponibles dans un pays, soit au rythme auquel celles-ci sont adoptées. Puisque les nouvelles technologies sont sources de gains de productivité, une accélération de leur adoption dans un pays donné devrait entraîner une accélération de la croissance de la productivité agrégée. La productivité est également influencée par le taux de pénétration des nouvelles technologies dans le pays : plus les travailleurs sont nombreux à utiliser les nouvelles technologies, plus ils seront productifs. Une diffusion plus rapide de la technologie au sein d’une économie devrait par conséquent stimuler également la croissance de la productivité agrégée. 

Comin et Ferrer ont alors étudié les délais avec lesquels les nouvelles technologies sont adoptées d’un pays à l’autre et leur taux de pénétration au sein de chaque économie une fois qu’elles sont adoptées. Ils déterminent alors les taux d’adoption et les taux de pénétration de 25 technologies pour 132 pays au cours des deux derniers siècles. Leur analyse met en évidence deux faits. Tout d’abord, les délais d’adoption ont effectivement eu tendance à converger au cours de la période, puisqu’ils ont plus rapidement décliné dans les pays pauvres que dans les pays riches. Ensuite, l’écart dans les taux de pénétration entre les pays riches et pauvres s’est élargi ces deux derniers siècles.  

Ces changements dans le profil de la diffusion des technologies sont susceptibles d’expliquer en grande partie la grande divergence des revenus qui s’est produite entre les pays avancés et le reste du monde depuis 1820. Il fallut exactement un siècle aux pays développés pour atteindre le taux de croissance actuel de la productivité à long terme, en l’occurrence 2 %, tandis qu’il fallut deux fois plus de temps, si ce n’est plus, pour que les pays en développement atteignent ce rythme de croissance. L’écart de revenu entre les pays riches et les économies en développement a été multiplié par 4 au cours des deux siècles. Les auteurs élaborent alors un modèle pour simuler l’évolution du revenu pour chaque pays à partir des évolutions dans la diffusion technologique. Leur modélisation parvient à générer une multiplication par 3,2 de l’écart de revenu entre les pays riches et les pays en développement, ce qui représente les quatre cinquièmes du creusement qui a été effectivement observé.  

 

Références

CLARK, Gregory & Robert C. FEENSTRA (2003), « Technology in the great divergence », in Globalization in Historical Perspective, NBER Chapters.

COMIN, Diego A., & Martí Mestieri FERRER (2013), « If technology has arrived everywhere, why has income diverged? », NBER, working paper, n° 19010, mai. 

EASTERLY, William, & Ross LEVINE (2000), « It’s not factor accumulation: Stylized facts and growth models », Banque centrale du Chili, working paper, n° 164, juin.

KLENOW, Peter, & Andrés RODRÍGUEZ-CLARE (1997), « The neoclassical revival in growth economics: Has it gone too far? », in NBER Macroeconomics Annual 1997, vol. 12.

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5 mai 2013 7 05 /05 /mai /2013 19:58

L’investissement joue un rôle essentiel dans l’économie. Non seulement l’accumulation du capital mène à une plus forte croissance, mais les larges fluctuations de l’investissement contribuent également à générer les fluctuations de la production agrégée. Les sources de cette volatilité macroéconomique restent encore largement sujettes à débat. Toute une littérature néoclassique, développée autour de la théorie des cycles d’affaires réels, privilégie les chocs technologiques pour expliquer les fluctuations conjoncturelles. Robert King et Sergio Rebelo (1999) ont simulé des « chocs » de productivité agrégée à partir d’un modèle de cycles d’affaires réels ; les dynamiques qu’ils génèrent répliquent alors assez fidèlement l’évolution des agrégats macroéconomiques aux Etats-Unis et notamment les dynamiques de l’investissement. L'interprétation technologique des fluctuations conjoncturelles ne fait toutefois pas l’unanimité et plusieurs nouveaux keynésiens l’ont notamment rejetée au terme de leurs travaux empiriques. Les monétaristes, les postkeynésiens et l’école autrichienne expliquent également les cycles d’affaires en mettant l’accent sur des variables autres que technologiques. 

Rüdiger Bachmann et Peter Zorn (2013) ont utilisé des données d’enquête pour déterminer quels facteurs gouvernent les dynamiques de l’investissement à court terme et ainsi évaluer l’hypothèse des chocs technologiques. Les enquêtes ont été réalisées dans l'industrie manufacturière à l’ouest de l’Allemagne et visent à révéler des déterminants subjectifs de l’investissement. Les entreprises interrogées ont indiqué si leur activité d’investissement au cours d’une année donnée a été influencée, par exemple, par des considérations d’ordre technologique et, si c’est effectivement le cas, à quelle ampleur. L’enquête interroge également les firmes allemandes à propos des déterminants non technologiques de leurs dépenses d’investissement, notamment la finance et la demande. 

Certes, les chocs technologiques expliquent une part significative des fluctuations de l’investissement agrégé, puisqu’ils contribuent à 19 % de celles-ci, mais la plus large part de cette volatilité est toutefois attribuée aux facteurs non technologiques. Les deux sources majeures de chocs non technologiques sont les chocs de demande et les chocs financiers. L’étude ne peut toutefois déterminer laquelle des deux tire l’essentiel de la croissance de l’investissement agrégé. Les chocs financiers expliquent 9 à 46 % de la croissance de l’investissement, tandis que les chocs de demande globale expliquent 23 à 61 % de cette dernière. Si, comme le suggèrent les travaux de King et Rebelo, les fluctuations de l’investissement trouvent leur source dans des chocs de productivité, Bachmann et Zorn en concluent que ces derniers doivent être recherchés en dehors du champ technologique. 

 

Références 

BACHMANN, Rüdiger, & Peter ZORN (2013), « What drives aggregate investment? », NBER working paper, n° 18990, avril. 

KING, Robert G., & Sergio T. REBELO (1999), « Resuscitating real business cycles », in J. B. Taylor & M. Woodford (dir.), Handbook of Macroeconomics, vol. 1.

 

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