Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 20:28

La crise des années trente a été un événement d’une rare violence. Entre 1929 et 1933, la masse monétaire diminue de 26 %, le niveau des prix de 25 % et la production de 27 %. Sur la même période, des milliers des banques font faillite en plusieurs vagues. Après plusieurs décennies, les économistes ne s’accordent toujours pas sur les mécanismes exacts qui ont généré ces dynamiques dépressives. L’interprétation monétariste domine aujourd’hui dans les débats universitaires et ce sont Milton Friedman et Anna Schwartz (1963) qui en ont donné la formulation la plus célèbre.

Les deux économistes se sont appuyés sur l’équation quantitativiste pour affirmer que la contraction monétaire fut relativement exogène au déclin de la production : la diminution de la quantité de monnaie et la décélération de la vitesse de circulation, impulsée par la ruée sur les billets, auraient entraîné l’effondrement de la valeur de la production. En raison du multiplicateur monétaire, les banques réagissent à une baisse des dépôts en réduisant plus que proportionnellement leurs prêts pour maintenir leur liquidité. Par conséquent, avec l’aggravation de la crise bancaire, la baisse des dépôts et la nécessité d’accroître les réserves se seraient mutuellement renforcées pour conduire à un assèchement du crédit. Confrontées à des difficultés croissantes de financement, les entreprises ont diminué leurs dépenses, licencié leur personnel, voire fait faillite. La chute subséquente de l’investissement, de la consommation et de la production aurait alors rétroagi sur les turbulences bancaires.

Dans le schéma monétariste, la dépression trouve donc sa source dans les crises bancaires. Celles-ci apparaissent comme largement exogènes : elles expliquent la sévérité de la crise sans avoir elles-mêmes été produites par une quelconque évolution économique dans la période antérieure. Friedman et Schartz ont donc cherché à identifier, dans le chapitre 7 de leur ouvrage A Monetary History of the United States, les différents mouvements de la masse monétaire qui apparaissent inhabituels au regard des conditions économiques de la période courante, mouvements qu’ils qualifient de « chocs monétaires ». Ils concluent leur étude en accusant la Fed d’avoir été responsable, ne serait-ce que par son inaction, des divers enchainements qui ont conduit à transformer la récession en véritable dépression. La banque centrale aurait en effet insuffisamment alimenté en liquidité le système bancaire pour stopper la chute des dépôts ; elle ne se contente, par exemple, de réaliser des opérations d’open market qu’au début de la crise, fin 1929, et brièvement durant l’été 1932. Or, privées de liquidité interbancaire, les banques se révèlent incapables de maintenir leur activité de prêt, ce qui amplifie le ralentissement de l’activité.

                  GRAPHIQUE Evolution du taux d'intérêt du papier commercial (1925-1933)  

commercialrate                                                                                                        source : Romer et Romer (2013b)

Cette interprétation souffre de plusieurs limites. D’une part, Friedman et Schwartz ne parviennent pas à prouver que les chocs monétaires sont à l’origine de la Grande Dépression. Parmi les chocs qu’ils identifient, ceux repérés au début de la crise sont les plus tenus. D’autre part, leur livre ne parvient pas à décrire le mécanisme par lequel les chocs monétaires ont pu affecter l’économie. Plusieurs économistes ont supposé que Friedman et Schwartz avaient à l’esprit un canal du taux d’intérêt classique : la contraction de la masse monétaire aurait entraîné une hausse des taux d’intérêt réels et nominaux. Or, les taux d’intérêt nominaux furent clairement à la baisse lors de la Grande Dépression (cf. graphique). Les taux chutèrent suite au krach sur le marché boursier en octobre 1929. Ils diminuèrent à nouveau lors des vagues de panique d’octobre 1930 et de mars 1931. Ils s’élèvent certes brièvement fin 1931 (la Fed cherchant alors à combattre la spéculation contre le dollar), mais ils diminuent ensuite continuellement jusqu’à février 1933. Cette baisse des taux d’intérêt pourrait s’expliquer par le fait que la demande de monnaie ait diminué encore plus rapidement que l’offre de monnaie, or Friedman et Schwartz ne prennent pas en compte cette éventualité. En revanche, pour expliquer le comportement des taux d’intérêt lors des années trente, Peter Temin (1976) adopte une optique plus keynésienne et suggère que la Grande Dépression trouve sa source dans les larges chocs négatifs affectant la demande agrégée. La baisse des prix et de l’activité aurait selon lui entraîné une baisse de la demande de monnaie et par là une contraction de la masse monétaire.

Une façon de réconcilier l’interprétation de Friedman et Schwartz avec le comportement des taux nominaux demande d’introduire la déflation et les anticipations dans l’analyse : si la déflation était à l’époque majoritairement anticipée, alors les taux d’intérêt réels étaient élevés, si bien que le niveau élevé des coûts d’emprunt réels aurait déprimé la dépense et la production. Christina et David Romer (2013b) affirment que l’explication monétariste, pour être validée, nécessite la présence de telles anticipations, mais elle exige aussi que celles-ci furent le produit de la contraction monétaire. Ils ont alors cherché à fournir le mécanisme de transmission qui manque dans l’explication monétariste de la Grande Dépression. Ils ont analysé en détails les numéros de la revue d'affaires Business Week pour voir s’il existait un lien entre les chocs monétaires et les anticipations de déflations dans les années centrales de la crise, en l’occurrence 1930 et 1931. Ils constatent que les observateurs professionnels ont effectivement anticipé une déflation, et ce en invoquant l’action (ou plus exactement de l’inaction) de la Fed et la contraction monétaire. Les époux Romer en concluent que les chocs monétaires qui se sont produits au cours de la Dépression ont pu affecter la production et l’emploi en entraînant une hausse des taux d’intérêts réels.

Ces résultats ont plusieurs implications pour la conduite de la politique monétaire. Lorsque les taux d’intérêt nominaux sont à leur bordure inférieure zéro (zero lower bound), une politique monétaire expansionniste peut accroître la production en élevant notamment les anticipations d’inflation et en diminuant ainsi les taux d’intérêt réels. L’analyse des numéros de Business Week suggère aux époux Romer que l’expansion monétaire est effectivement capable de générer de telles anticipations. Lors de la Grande Dépression, les autorités monétaires en firent trop peu parce qu’elles étaient convaincues que leur action serait inefficace. Christina et David Romer (2013a) estiment dans une autre étude que les banques centrales tendent encore aujourd’hui à sous-estimer les bénéfices de leur action et à en surestimer les coûts, ce qui aurait notamment bridé leur réponse face à la Grande Récession. Ainsi, Christina Romer a régulièrement appelé la Fed à adopter des mesures plus agressives et à cibler le PIB nominal (NGDP targeting) afin de stimuler la reprise américaine. Selon elle, la proximité des taux nominaux de leur limite inférieure zéro ne doit pas empêcher la banque centrale d’influencer les anticipations, notamment à travers la pratique du forward guidance

 

Références Martin ANOTA

FRIEDMAN, Milton, & Anna Jacobson SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, 1867–1960, Princeton University Press for NBER.

HAUTCOEUR, Pierre-Cyrille (2009), La Crise de 1929, La Découverte, Repères.

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (2013a), « The most dangerous idea in Federal Reserve history: Monetary policy doesn’t matter », janvier.

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (2013b), « The Missing Transmission Mechanism in the Monetary Explanation of the Great Depression », NBER working paper, n° 18746, janvier.

TEMIN, Peter (1976), Did Monetary Forces Cause the Great Depression?, Norton.

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 20:18

Plusieurs concepts de production potentielle peuvent être distingués [Gaggl et Janger, 2009]. Le premier se réfère à la croissance tendancielle de long terme, qui correspond à une mesure d’état régulier de la croissance basée sur la croissance tendancielle des facteurs de production, en l’occurrence le travail et le capital, ainsi que sur le progrès technique. Le deuxième est un concept de plus court terme qui se réfère au niveau de production qu’atteindrait l’économie si les prix et salaires n’étaient pas rigides. Dans les modèles nouveaux keynésiens, le lent ajustement des prix et salaires peut mener à un écart entre la production courante et la production potentielle. L’écart de production (output gap) est finalement un indicateur de déséquilibre entre la demande et l’offre au niveau agrégé. Dans cette conception de court terme, la production potentielle est le niveau de production déterminé du côté de l’offre pour lequel il y a stabilité des prix. Si la production courante excède son niveau potentiel, l'économie est sujette à des pressions inflationnistes ; à l’inverse, si l’output gap est négatif, par exemple lors d’une récession, l’économie est susceptible de connaître des tensions déflationnistes. Dans les modèles nouveaux keynésiens, la production à prix flexibles converge à long terme vers la production d’état régulier.

Les principales composantes de la production potentielle sont donc l’offre de travail, le stock de capital et la productivité totale des facteurs. Or, aucune de ces trois composantes n’est totalement insensible à la conjoncture, si bien qu’une récession peut durablement affecter le niveau et le taux de croissance de la production potentielle, ce qui rejette finalement l'idée que les chocs touchant l'économie sont temporaires dans leurs effets. Par conséquent, rien n'assure que la production va retrouver sa trajectoire d'avant-crise. La stabilisation à court terme de l’activité par les pouvoirs publics est donc nécessaire pour préserver la croissance de long terme, notamment parce que celle-ci constitue le principal déterminant assurant la soutenabilité de l’endettement public. En outre, plus la crise réduit la production potentielle, plus l’écart de production sera resserré et donc plus tôt apparaîtront les pressions inflationnistes une fois la reprise de l’activité amorcée. Il est donc crucial de déterminer l’impact de la Grande Récession sur la production potentielle. La théorie suggère plusieurs canaux de transmission [Furceri et Mourougane, 2009 ; Gaggl et Janger, 2009] :

La contribution du capital à la production potentielle se détériore lors des récessions. Les entreprises répondent à la chute de la demande en réduisant volontairement leurs dépenses d’investissement, si bien que la croissance du stock de capital va décélérer. Le niveau de stock de capital sera réduit de manière permanente, même si le taux d’investissement retrouve ensuite son niveau d’avant crise. L’accroissement des contraintes financières accentue le ralentissement du rythme d’accumulation. L’effondrement des profits réduit les possibilités d’autofinancement. Les banques réagissent au ralentissement de l’activité en relevant leurs taux d’intérêt et en rationnant l’offre de crédit. La prime de risque s’accroît également sur les marchés obligatoires. La hausse de l’incertitude réduit donc également les possibilités de financement sur les marchés des capitaux. La chute même des prix d’actifs va également exacerber les contraintes financières en détériorant le bilan des entreprises et donc à nouveau leur capacité d’emprunt, en particulier si les actifs sont utilisés comme collatéraux. La détérioration des conditions financière empêche le lancement de nouveaux projets d’investissement et conduit à une multiplication des défauts des projets en cours. Enfin, la dépréciation du capital existant peut s’accélérer en raison des insolvabilités, de la réallocation sectorielle et de la réduction des surcapacités qui furent accumulées avant l’éclatement de la crise.

Les crises économiques, en réduisant le volume de la production et donc les besoins en main-d’œuvre, entraînent une hausse du taux de chômage. L'effet de la crise sur les taux d'activité est ambigu. D’un côté, la perte des revenus d’un ménage peut encourager ses membres inactifs à rechercher un emploi et ainsi à entrer dans la population active. Parallèlement, les chômeurs voient leur capital humain, c’est-à-dire leurs compétences et leur santé, se détériorer, si bien que leur productivité et par conséquent leur employabilité s’en trouvent réduites. En raison de ces effets d’hystérèse (hysteresis), le taux de chômage structurel est susceptible de régulièrement s’accroître tout au long de la récession [DeLong et Summers, 2012]. Surtout, un taux de chômage élevé peut donc décourager les chômeurs à rechercher un nouvel emploi et les inciter à quitter le marché du travail.

L'effet sur la productivité totale des facteurs est également ambigu. D'un côté, avec la hausse du chômage, moins de travailleurs expérimentent un apprentissage par la pratique (learning by doing). De plus, comme une partie des dépenses d’investissement est destinée à financer l’activité de recherche-développement, leur effondrement détériore la capacité de l’économie à innover et contribue à la chute du taux de progrès technique. D’un autre côté, la crise va assainir les différents secteurs en évinçant les entreprises les moins efficaces et en incitant les entreprises à se restructurer afin de réduire leurs pertes et survivre.

Les études empiriques se sont multipliées pour évaluer les répercussions de la Grande Récession sur la production potentielle. Jane Haltmaier (2012) a cherché à déterminer si la croissance de la production potentielle est affectée par les récessions, que celles-ci soient couplées ou non à une crise financière. Elle analyse la production tendancielle en utilisant les données relatives au PIB et à la population en âge de travail de 40 économies, en l’occurrence 21 pays avancés et de 19 pays émergents. Son échantillon comprend 187 récessions. Haltmaier observe précisément la croissance moyenne deux ans avant le pic d’activité précédant la récession, deux années après celui-ci, puis quatre années après.

Son analyse historique suggère que les ralentissements dans la croissance de la production courante, même s’ils sont temporaires, sont susceptibles d’avoir un impact négatif et permanent sur la production potentielle. Les récessions ont un impact modéré en moyenne, en l’occurrence une perte cumulative d’environ 1,5 point de pourcentage dans le niveau de la production tendancielle quatre ans après le pic de la récession. Toutefois, la profondeur d’une récession contribue à une réduction dans la production potentielle pour les économies avancées, tandis que la durée de la récession s’avère déterminante en ce qui concerne les pays émergents. Par conséquent, les récessions qui sont plus profondes et/ou plus longues que la moyenne peuvent fortement détériorer le niveau de la production tendancielle. De plus, que la récession ait coïncidé ou non avec une crise financière ne semble pas avoir un effet sur la perte cumulative en production tendancielle. Le degré de synchronisation d’une récession dans un pays donnée avec celle dans les autres pays ne semble pas non plus avoir un effet significatif sur la perte cumulative. L’étude de Haltmaier montre également que le principal vecteur du déclin de la production tendancielle est la chute de la contribution du ratio capital sur production.

GRAPHIQUE  Le niveau de la production tendancielle

NewNormal,2

source : Haltmaier (2012)

Haltmaier s’appuie alors sur ces résultats pour évaluer les répercussions de la récente crise mondiale sur la production potentielle des différentes économies. Pour les pays avancés, la Grande Récession a été deux fois plus sévère que la moyenne historique ; la production par tête a en effet chuté d’environ 7,5 %, alors qu’elle a diminué en moyenne de 3,5 % lors des précédents épisodes. La perte cumulative dans la production tendancielle s’élève en moyenne à 3 % pour les pays avancés. Elle avoisine ou dépasse 4 % pour plusieurs pays européens, la Grèce et le Portugal affichant sans surprise les pertes les plus élevées. Dans le cas de l’économie française, la production tendancielle a diminué de plus de 2 %. En revanche, la Grande Récession ne semble pas s’être traduite par une réduction de la production tendancielle pour les pays émergents, puisqu’elle fut relativement plus courte que les précédentes récessions. En fait, la Chine, l’Inde et l’Indonésie n’ont pas connu de récession dans la plus récente période.

Nicholas Oulton et María Sebastiá-Barriel (2013) confirment l'importance des effets d'hystérèse. Ils considèrent de leur côté l’hypothèse selon laquelle la capacité économique a été endommagée de manière permanente par la récente crise financière et par la récession qui s’ensuivit. Si cette hypothèse était vérifiée, alors elle impliquerait que, même si le taux de croissance de la productivité retournait à sa valeur d’avant-crise, le niveau de productivité suivrait définitivement une trajectoire inférieure à celle qu’il aurait suivie en l’absence de crise. Oulton et Sebastiá-Barriel ont constitué un panel de 61 pays pour la période s’étalant de 1955 à 2010. Ils observent alors les répercussions qu’une crise financière peut avoir à court terme sur le taux de croissance de la productivité du travail et à long terme sur le niveau de cette dernière.

Leur principal résultat est qu’une crise bancaire, telle qu’elle est définie par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009), réduit en moyenne de 0,6 à 0,7 % le taux de croissance annuel de la productivité du travail et de 0,84 à 1,1 % son niveau de long terme pour chaque année de crise. L’un des canaux par lesquels une crise bancaire est susceptible d’endommager l’économie est à travers son impact sur le niveau de capital par travailleur. En l’occurrence, les auteurs constatent qu’une crise bancaire réduit en moyenne de 1 % le niveau de long terme du capital par travailleur. En outre, les crises bancaires ont à long terme un impact négatif sur le ratio d’emploi, en raison soit de la hausse du chômage, soit de la baisse du taux d’activité. Il apparaît enfin que l’impact sur le capital par tête est le double que celui sur le PIB par travailleur.

 

Références Martin ANOTA

DELONG, J. Bradford, & Lawrence H. SUMMERS (2012), « Fiscal policy in a depressed economy ».

FURCERI, Davide, & Annabelle MOUROUGANE (2009), « The effect of financial crises on potential output: New empirical evidence from OECD countries », OCDE, department working paper, n° 699, mai 2009.

GAGGL, Paul, & Jürgen JANGER (2009), « Will the Great Recession lead to a lasting impact on potential output in Austria? », in Monetary Policy and the Economy, n° 2009/3, novembre.

HALTMAIER, Jane (2012), « Do recessions affect potential output? », Federal Reserve, international finance discussion paper, n° 1066.

OULTON, Nicholas, & María SEBASTIÁ-BARRIEL (2013), « Long and short-term effects of the financial crisis on labour productivity, capital and output », Banque d'Angleterre, working paper, n° 470, janvier 2013.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2009), This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly, Princeton University Press. Traduction française, Cette fois, c’est différent: Huit siècles de folie financière, Pearson.

Partager cet article
Repost0
23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 18:31

Les liens économiques se sont renforcés aussi bien au niveau régional que mondial lors du dernier quart de siècle. Le volume, la direction et la nature des flux commerciaux et financiers internationaux ont connu de fortes évolutions sur cette période. Depuis les années soixante (et ce jusqu’à la Grande Récession), le volume des échanges commerciaux s’est accru à un rythme plus rapide que la production mondiale ; le premier représentant trois fois le dernier. Les échanges intra-régionaux ont joué un rôle toujours plus important au sein du commerce international. Cela reflète le développement de pays émergents comme la Chine et la multiplication des accords commerciaux régionaux. Ensuite, les échanges intra-branche ont significativement contribué à l’essor du commerce international ces deux dernières décennies. La fragmentation des processus de production ont aussi particulièrement alimenté la création de flux commerciaux au niveau mondial. Parallèlement, les flux financiers ont également connu depuis les années quatre-vingt une expansion sans précédent. Si les flux financiers entre les économies avancées ont toujours constitué le principal moteur de l’essor des transactions internationales, les flux se sont également multipliés entre les régions constituées de pays avancées et les régions composées de pays en développement.

Ces développements ont pu affecter les patterns mondiaux et régionaux des cycles conjoncturels. On peut ainsi se demander si les forces de globalisation n’auraient pas accru l’interdépendance des pays et mené à une convergence des cycles d’affaires ; en d’autres termes, avec la plus grande ouverture au commerce international et à la finance internationale, les économies seraient devenues plus sensibles aux chocs externes et ces derniers se répercuteraient plus facilement d’un pays à l’autre, si bien que les performances tendraient à devenir plus similaires. Toutefois, malgré la présence de forts liens commerciaux et financiers au niveau mondial, les performances de croissance ont par exemple varié d’une région à l’autre au cours de la Grande Récession. Certaines régions, en particulier l’Asie, se sont en effet montrées particulièrement résilientes et sont rapidement revenues à leurs taux de croissance antérieurs [Abiad et alii, 2012] ; d’autres, comme l’Amérique du Nord et l’Europe, ont subi de profondes et durables contractions de l’activité. Ces événements pourraient au contraire suggérer un éventuel découplage des pays émergents d’avec les pays avancés, les fluctuations conjoncturelles des premiers n’étant plus alors intimement liées à celles des seconds.

L’impact de l’accroissement des échanges sur le degré de synchronisation des cycles mondiaux et régionaux apparaît ambigu, tant au niveau empirique que théorique. D’un côté, le renforcement des liens internationaux génère des externalités tant du côté de l’offre que de la demande et peut ainsi se traduire par une plus forte corrélation des cycles économiques. D’un autre côté, si le renforcement des liens internationaux passe par une plus forte spécialisation des pays, les nouvelles théories du commerce international suggérent au contraire que celui-ci va conduire à une baisse du degré de synchronisation des cycles conjoncturels. L’impact précis de l’approfondissement de la spécialisation sur le degré de comouvement des cycles d’affaires dépendrait en effet de la nature de la spécialisation et du type de choc. Si le renforcement des liens commerciaux est associé à une plus grande spécialisation intersectorielle et non intra-sectorielle, alors la nature des chocs façonnera l’impact exact du développement du commerce sur les fluctuations économiques. Si le cycle conjoncturel repose avant tout sur les chocs spécifiques aux secteurs, alors le comouvement des cycles économiques va s’affaiblir. En revanche, si les chocs communs sont à la source du cycle d’affaires, alors le degré de comouvement va s’élever.

Les études empiriques tendent à conclure à une plus grande synchronisation des cycles avec le développement commerce international. Les externalités d’offre et de demande domineraient ainsi les effets de spécialisation associés aux flux du commerce intersectoriel. L’intensité du commerce a également un plus large effet sur la corrélation des cycles d’affaires d’un pays à l’autre lorsque les économies présentent de fortes liens de commerce intra-branche et des structures sectorielles similaires. Le comouvement s’accroîtrait également avec les accords commerciaux régionaux. En revanche, les études sont plus nuancées concernant les répercussions des facteurs financiers. L’intégration financière conduirait à de plus fortes corrélations dans la production et la consommation dans les pays avancés, mais cet effet serait plus limité dans les pays en développement.

Hideaki Hirata, Ayhan Kose et Christopher Otrok (2013) ont analysé l’impact du renforcement des liens financiers sur l’évolution des cycles économiques régionaux et mondiaux. Leur modèle leur permet d’évaluer les rôles que jouent respectivement les facteurs spécifiques à l’économie mondiale, aux régions et aux pays dans les cycles conjoncturels à partir d’un échantillon de 106 pays, regroupés en 7 régions, pour la période s’étalant de 1960 à 2010. Ils constatent que, depuis le milieu des années quatre-vingt, les facteurs régionaux sont devenus de plus en plus importants pour expliquer les cycles d’affaires, en particulier dans les régions qui ont connu une forte croissance des flux commerciaux et financiers intra-régionaux. Le degré de synchronisation mondiale des cycles ne semble pas avoir varié ces dernières décennies, si bien que le facteur mondial a vu son importance relative décliner au cours du temps. Au final, la récente phase de mondialisation aurait donc vu émerger de véritables cycles d’affaires régionaux.

 

Références Martin ANOTA

ABIAD, Abdul, John BLUEDORN, Jaime GUAJARDO & Petia TOPALOVA (2012), « The rising resilience of emerging market and developing economies », IMF working paper, n° 300, décembre. Traduction disponible ici.

HIRATA, Hideaki, M. Ayhan KOSE & Christopher OTROK (2013), « Regionalization vs. globalization », Federal Reserve Bank of St Louis, working paper, n° 2, janvier.

KOSE, M. Ayhan, E. S. PRASAD, & M. E. TERRONES (2003), « How does globalization affect the synchronization of business cycles? », n° 27, IMF working paper, n° 27.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher