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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 17:32

Les prix du pétrole ont subi de très fortes hausses au cours de la dernière décennie. Celles-ci peuvent s’expliquer par la croissance rapide des pays émergents, mais aussi par la stagnation de l’offre, voire pour certains par la spéculation sur les marchés des matières premières. Alors que la croissance de la production de pétrole s’établissait à un taux annuel moyen de 1,8 % entre 1981 et 2005, la production s’est depuis maintenue à un plateau. A l’avenir, en raison de la nature épuisable de cette ressource naturelle, l’économie mondiale risque non seulement de connaître des hausses persistantes de prix, mais elle peut aussi être sévèrement rationnée dans la quantité disponible de pétrole. Les limites imposées à la disponibilité de cette ressource, en particulier pour les générations futures, contraignent donc toujours fortement la croissance mondiale. Une large littérature empirique a tenté d’établir le lien empirique entre les prix du pétrole et la croissance économique et très tôt les analyses ont décelé une relation significativement négative. Parmi toutes les récessions que les Etats-Unis ont connues depuis la Seconde Guerre mondiale, seule celle survenue en 1960 n’a pas été précédée par un pic dans le prix du pétrole. Selon Hamilton (2012), si les niveaux historiques atteints par le prix du pétrole en 2007 et 2008 n’ont pas été à l’origine de la Grande Récession, ils ont toutefois participé à rendre les économies plus vulnérables à l’instabilité financière.

Paul Cashin, Kamiar Mohaddes, Maziar Raissi et Mehdi Raissi (2012) ont récemment étudié 38 pays, développés et en développement, sur la période s’étalant entre 1979 et 2012 pour observer comment les économies réagissent aux chocs pétroliers. Ils utilisent une modélisation VAR de l’économie mondiale pour discriminer les hausses des prix pétroliers selon qu’ils trouvent leur origine du côté de l’offre ou bien de la demande, ce qui permet d’identifier plus précisément la réponse des variables macroéconomiques. La nature sous-jacente d’un choc pétrolier apparaît effectivement cruciale dans le façonnement des répercussions macroéconomiques, aussi bien pour les pays importateurs que pour les exportateurs.

Faire la distinction entre un importateur net et un exportateur net n’est utile que pour étudier l’impact d’un choc pétrolier tiré par l’offre. En réponse à une hausse des prix pétroliers qui serait générée du côté de l’offre, les importateurs de pétrole (en particulier les Etats-Unis et la zone euro) subissent une chute permanente de leur activité économique et de fortes pressions inflationnistes, tandis que les effets d’un tel choc sont bénéfiques pour les pays exportateurs d’énergie. Un choc d’offre accroît de manière permanente la production des exportateurs qui possèdent des montants significatifs de réserves prouvées. Il n’a en revanche que peu d’effets sur les pays qui ne disposent que de réserves limitées. Ce résultat contraste avec certains résultats obtenus par la littérature antérieure, notamment l’idée d’une malédiction des ressources naturelles ou syndrome hollandais (dutch desease), selon laquelle la découverte de nouveaux gisements de ressources naturelles se traduit à court terme par des répercussions néfastes sur l’économie domestique. Les pays exportateurs ne subissent en outre quant à eux aucune tension inflationniste, en raison peut-être de l’ajustement à la hausse de leur taux de change : le taux de change s’apprécie, ce qui réduit les l’impact que les prix plus élevés du pétrole peuvent avoir sur les prix et marchés domestiques. De son côté, la Chine, qui s’avère un importateur net de pétrole, réagit pourtant positivement à la hausse de son prix. Cette anomalie pourrait s’expliquer par la plus grande dépendance de la Chine au charbon, qui satisfait plus des deux tiers de ses besoins en énergie primaire. 

Qu’ils soient importateurs ou exportateurs nets de pétrole, les économies réagissent de manière similaire à un choc affectant la demande sur le marché du pétrole et les effets observés diffèrent sensiblement de ceux observés lors d’un déséquilibre de l’offre : les pays expérimentent généralement une hausse de leur production réelle à court terme et subissent des pressions inflationnistes. Ce résultat n’est pas surprenant. Comme le rappellent Cashin et alii, ils supposent ici que le choc pétrolier est déterminé de manière endogène par un déplacement de l’activité économique au niveau mondial. La production domestique augmente car l’économie elle-même connaît un boom ou parce qu’elle profite du boom dans l’activité de ses partenaires commerciaux.

La géologie pourrait fortement contraindre la production mondiale de pétrole dans un avenir relativement proche. L’économie mondiale ferait alors face à des chocs pétroliers permanents trouvant leur origine du côté de l’offre. Les réserves les plus faciles d’accès sont tout d’abord exploitées, puis l’extraction devient de plus en plus difficile et coûteuse. La hausse des prix pétroliers rend rentable une poursuite de l’extraction. La stagnation qui a été récemment observée dans la production de pétrole alors même que les prix atteignaient des niveaux historiques démontre selon certains que la pénurie de pétrole est déjà d’actualité ou du moins imminente, auquel cas des prix élevés ne pourraient plus stimuler l’extraction de pétrole. Il n’existe en outre pas actuellement de substituts réels au pétrole à l’échelle et à l’horizon désirés. Les technologies destinées à améliorer l’extraction du pétrole des champs existants ou à économiser l’usage de pétrole ne peuvent que buter sur les lois de la thermodynamique, notamment celle de l’entropie. 

Dans ce cadre, Michael Kumhof et Dirk Muir (2012) ont utilisé une modélisation DSGE de l’économie mondiale, formée de six régions, pour évaluer comment le PIB et le compte courant d’une économie réagissent aux chocs d’offre pétroliers permanents. Le pétrole apparait dans leur modèle comme un facteur de production distinct du capital et du travail, présentant en outre un caractère épuisable. Les auteurs développent ensuite un certain nombre de scénarii. Ils montrent que la manière par laquelle la rareté croissante du pétrole contraint la croissance économique mondiale et les déséquilibres courants dépend finalement d’un nombre limité de facteurs clés.

Leur modèle montre que si le taux de croissance de la production pétrolière décline de manière permanente d’un point de pourcentage par rapport à sa tendance historique, la production mondiale en sera négativement affectée, mais l’effet peut ne pas être dramatique. En raison de la moindre disponibilité du pétrole et de son prix plus élevé, les pays importateurs subissent une réduction de leur niveau de PIB et une large dégradation de leurs déficits courants. Les exportateurs connaissent une hausse soutenue de leurs revenus et richesse. Si la substituabilité entre le pétrole et les autres facteurs de production est croissante avec le prix du pétrole, la rareté du pétrole peut ne pas fortement contraindre la croissance mondiale, ni même sévèrement aggraver les déséquilibres des comptes courants. En l’occurrence, si le les élasticités-prix de long terme de la demande de pétrole sont des fonctions croissantes du prix du pétrole, en particulier si elles doublent ou triplent lorsque le prix réel du pétrole double de manière permanente, alors les répercussions du choc pétrolier sur la croissance économique et les déséquilibres courants sont des plus réduites.

A partir de ce scénario de base, Kumhof et Muir envisagent trois possibilités.

Dans le scénario de la frontière entropique (entropy boundary) et de l’élasticité décroissante (falling elasticity), l’élasticité-prix de la demande de pétrole diminue au fur et à mesure que le pétrole devient plus rare. La substituabilité entre le pétrole et les autres facteurs de production est toutefois limitée par la nécessité d’utiliser un minimum de pétrole par unité de production. Dans ce contexte, plus les importateurs sont proches de cette frontière entropique lorsque se produit un choc pétrolier, plus la contraction du PIB sera forte et les déficits courants importants.

Dans le scénario de l’externalité technologique (technology externality), la contribution du pétrole à la production est plus élevée que celle indiquée par sa part dans le coût total. Le pétrole est un élément essentiel pour la viabilité de plusieurs technologies clés qui contiennent des matières ou carburants dérivés du pétrole. Une fois encore, les répercussions d’un choc pétrolier sur l’activité économique des pays importateurs sont bien plus importantes que celles relevées dans le scénario de base. La plus grande contribution du pétrole à la production domestique se traduit également par un creusement plus dramatique du déficit courant.

Dans le scénario du plus large choc (larger shock), la réduction du taux de croissance de la production mondiale de pétrole (de 3,8 points de pourcentage) est beaucoup plus forte que dans le scénario de base. Selon Kumhof et Muir, cette chute s’avère plus compatible avec les plus récentes prévisions scientifiques. Elle se traduirait dans leurs simulations par une contraction du PIB des pays importateur et un accroissement de leur déficit courant quatre fois supérieurs à ceux observés dans le scénario de base.

Si deux ou plus de ces facteurs aggravants survenaient simultanément, les effets d’une pénurie du pétrole sur la croissance mondiale seraient des plus dramatiques. Les prix du pétrole peuvent devenir si élevés que l’ajustement en douceur suggéré par le scénario de base devient impossible.

 

Références

CASHIN, Paul, Kamiar MOHADDES, Maziar RAISSI & Mehdi RAISSI (2012), « The differential effects of oil demand and supply shocks on the global economy », IMF working paper, octobre.

HAMILTON, James D. (2012), « Oil prices, exhaustible resources, and economic growth », octobre.

KUMHOF, Michael, & Dirk MUIR (2012), « Oil and the world economy: Some possible futures », IMF working paper, octobre.

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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 16:57

Les réseaux sociaux, notamment en affectant le flux et la qualité des informations, sont susceptibles de façonner les phénomènes économiques. Ils influencent la création même d’innovations, tout comme leur diffusion à travers la population. Pourtant, si la modélisation des comportements individuels prend de plus en plus compte des interactions sociales, celles-ci sont quasiment absentes dans les analyses menées directement au niveau agrégé. Alessandra Fogli et Laura Veldkamp (2012) ont adopté une approche immédiatement macroéconomique pour étudier les types de réseaux sociaux qui sont adoptés dans l’économie et voir comment ils affectent la diffusion des technologies en son sein.

Ces deux auteurs déploient les outils de l’analyse des réseaux pour explorer comment une différence dans les structures sociales peut affecter le taux de progrès technique d’un pays. Plusieurs travaux de sociologie économique, notamment ceux de Mark Granovetter (2005), ont montré que certains réseaux sociaux sont susceptibles de propager plus rapidement que d’autres les nouvelles technologies. Fogli et Veldkamp vont toutefois se singulariser en partant de l’idée que maladies et technologies se propagent de manières similaires. En effet, alors que l’on pourrait penser que les médias impimés et électroniques facilitent le transfert des nouvelles idées et du capital technologique, une branche de la littérature sur la croissance économique met toutefois l’accent sur la proéminence du contact personnel dans la diffusion technologique. En ce sens, les auteurs rejoignent explicitement Kenneth Arrow. Selon ce dernier en effet, « tandis que les médias de masse jouent un rôle certain pour informer les individus à propos des possibilités d’une innovation, il semble que ce soit le contact personnel qui s’avère le plus pertinent pour son adoption. Donc, la diffusion d’une innovation devient un processus formellement semblable à la propagation d’une maladie infectieuse ».

Fogli et Laura développent un modèle où les acteurs sociaux optent pour un réseau collectiviste ou individualiste. Si chacun à l’intérieur d’un collectif entretient de forts liens d’amitié avec les autres membres, chaque collectif n’entretient toutefois que peu de liens avec le reste de la communauté. Cette connectivité réduite limite peut-être le risque d’infection dans un collectif donné, mais elle limite également son exposition aux nouvelles technologies. En revanche, des réseaux sociaux plus individualistes, marqués par de moindres relations amicales, présenteront une plus grande efficacité économique en favorisant la diffusion technologique. La fréquence des maladies contagieuses va alors modifier les performances économiques des communautés en modifiant la répartition des individus entre réseaux collectivistes et individualistes. Le modèle suggère que lorsque les maladies sont moins fréquentes, le plus grand succès des individus individualistes va conduire la communauté elle-même à devenir plus individualiste. En revanche, une forte fréquence des maladies contagieuses va conduite à la formation de collectifs qui permettront certes de réduire la contagion, mais freineront aussi en définitive la diffusion technologique et la croissance économique.

L’idée que la prévalence des maladies et la structure sociale puissent être reliées l’une à l’autre permet d’isoler et de quantifier l’impact de la structure sociale sur la diffusion des technologies. Isoler cet effet n'est pas sans difficultés en raison de l’existence d’une causalité inverse : la diffusion technologique, en participant directement à l’évolution du revenu, peut également façonner par effet retour la structure sociale. Utiliser les données de prévalence des maladies permet aux auteurs de contourner ce problème. Ils utilisent plus exactement les différences dans la prévalence de deux types de maladies. D’un côté, les auteurs considèrent les maladies qui se propagent d’une personne à l’autre et qui sont alors propres à influencer la structure sociale puisque modifier, voire réduire ses relations sociales permet de prévenir la transmission pathogène. Le second type de maladies que les auteurs prennent en compte est celui des maladies transmises seulement par l’animal ; la prévalence de telles maladies ne peut alors affecter la structure sociale puisque le contact humain direct n’affecte pas la probabilité d’être infecté.

Cette modélisation permet au final d’expliquer pourquoi la maladie contagieuse peut être corrélée avec la structure sociale, comment cette dernière peut influencer la diffusion technologique et la productivité, et pourquoi des structures sociales inefficaces peuvent persister. Une fois quantifié, le modèle montre que de petites différences qui seraient initialement observées dans l’environnement épidémiologique sont susceptibles de générer de larges et persistantes différences dans la structure sociale. Ces différences dans la structuration des réseaux sont quant à elles propres à entraîner une profonde divergence dans la diffusion technologique et la trajectoire du PIB. Certes, une mutation des réseaux sociaux a un effet certes limité sur le taux annuel de diffusion technologique, mais toutefois suffisant pour que les effets s’accumulent au cours du temps et que de larges différences apparaissent à long terme dans les niveaux de productivité. Des changements dans les réseaux produisent donc des différences dans les taux de diffusion technologique qui pourraient expliquer une part significative de la disparité entre les revenus des pays. Tandis que la transmission d’idées permet d'atteindre plus facilement de hauts niveaux de productivité, la prévalence de la maladie diminue la productivité. Pour déterminer l’effet net de ces deux forces, Fogli et Veldkamp simulent le modèle plusieurs fois et observent les survenues moyennes. Si la société se caractérise par un réseau individualiste, l’économie connaîtra en moyenne une croissance de la technologie d'un taux annuel de 2,6 %. L’économie dotée de réseaux collectivistes ne connaît quant à elle qu’une croissance de 2% par an. Ces petites différences dans les taux de croissance produisent à long terme de larges différences de niveaux. Le niveau moyen de technologie est de 476 % plus élevé dans le réseau individualiste que le réseau collectiviste au bout de 250 ans. A long terme, la petite friction que la structure des réseaux impose à la diffusion technologique peut expliquer les larges différences entres les revenus des pays.

Fogli et Veldkamp collectent des données historiques relatives à la prévalence des maladies contagieuses, à la nature (collectiviste ou individualiste) des réseaux sociaux constituant les sociétés et à la diffusion technologique. Ils compilent une base de données comprenant 3 variables pour 62 pays, puis l’utilisent pour tester les prédictions de leur modèle à propos de la relation entre la prévalence de la maladie et la structure sociale. La prévalence de la maladie apparaît alors comme un puissant instrument pour la structure sociale. Ils estiment l’effet de la structure sociale sur la diffusion technologique en utilisant la différence entre maladies contagieuses et non contagieuses comme instrument. Une hausse du degré d’individualisme se traduit par un fort relèvement du niveau de productivité. Le degré d’individualisme pourrait en effet expliquer 27 à 28 % de la variation des taux de diffusion technologique.
 

Références Martin ANOTA

FOGLI, Alessandra, & Laura VELDKAMP (2012), « Germs, social networks and groth », CEPR working paper, octobre, n° 9188.

GRANOVETTER, Mark (2005), « The impact of social structure on economic outcomes », in Journal of Economic Perspectives, vol. 19, n° 1.

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26 octobre 2012 5 26 /10 /octobre /2012 07:40

Depuis 2007, les multiples crises financières qui ont touché les Etats-Unis et les pays européens ont dramatiquement mis en évidence l’impact fondamental de la liquidité sur les stabilités financière et macroéconomique. L’accumulation de profonds déséquilibres à la veille de la crise du crédit subprime trouve une explication dans l’excès de liquidité au niveau mondial. Les crises se sont au contraire traduites par un assèchement de la liquidité des marchés dont les répercussions sur l'économie réelle ont été particulièrement sévères. Sally Chen, Philip Liu, Andrea Maechler, Chris Marsh, Sergejs Saksonovs et Hyun Song Shin définissent la liquidité comme le montant de financement facilement disponible pour financer l’achat d’actifs. Elle reflète à la fois la capacité et la volonté de chaque agent à s’engager dans des transactions financières, mais également la capacité des marchés financiers à absorber les fluctuations temporaires dans l’offre et la demande sans générer une variation excessive des prix. Le défi est alors de mesurer et surveiller cette liquidité mondiale dans l’optique de la contrôler plus étroitement.

La nature endogène et cyclique de la liquidité pose un réel défi à sa mesure. Celle-ci participe à l’accumulation de risques macrofinanciers et ces derniers l’alimentent en retour. Les injections de monnaie centrale opérées par les autorités monétaires jouent un rôle majeur dans la création de liquidité. Les différentiels de croissance, l’innovation financière ou encore l’appétit des participants au marché pour le risque contribuent également aux flux de liquidité mondiale. La progression des réserves de change détenues par les banques centrales des économies émergentes constitue quant à elle un facteur exogène d’augmentation de la liquidité. Inversement, si les agents privés sont pour une raison ou une autre incapables ou réticents à participer aux transactions financières, la liquidité peut subitement et massivement s’évaporer.

Les études qui mesurent la liquidité mondiale à travers les agrégats monétaires nationaux tendent à montrer que celle-ci explique effectivement une part significative des fluctuations observées dans le niveau des prix et du PIB réel. Les prix d’actifs et des matières premières apparaissent en l’occurrence extrêmement sensibles au montant de liquidité idsponible au niveau mondial. Les agrégats monétaires nationaux contiennent donc une information utile à propos des cycles d’affaires et des variations excessives des prix d’actifs, néanmoins il existe de profondes différences d’un pays à l'autre dans la définition de ces agrégats, ce qui complique leur agrégation pour mesurer la liquidité au niveau mondial. Même dans un pays donné, aucune relation empirique suffisamment stable n’apparaît entre les agrégats monétaires et les variables macroéconomiques. Les agrégats monétaires traditionnels qui déterminés au niveau national ne prennent pas en compte une large gamme d’instruments de création de liquidité, or les systèmes financiers tendent à délaisser le financement fondé sur les dépôts traditionnels pour le financement par capital, celui-là même qui échappe aux agrégats monétaires. Enfin, le système bancaire alternatif joue un rôle déterminant dans le financement de l’économie, puisque le volume de crédit qu’il génère est aujourd’hui supérieur au volume généré par le système bancaire traditionnel. Les agrégats monétaires ne captent pas l’activité de ces agents financiers.

Toute une littérature économique a également cherché à mesurer le montant de crédit mondial offert au secteur privé. De tels travaux fournissent des intuitions pertinentes à propos du cycle de la liquidité. Comme l’a montré la littérature développée autour du concept d’accélérateur financier proposé par Ben Bernanke et Mark Gertler (1989), les emprunts basés sur les collatéraux jouent en l’occurrence un rôle majeur dans la propagation des risques. Le levier d’endettement se caractérise par de puissants effets retour : le plus grand recours au crédit permet aux agents d’acquérir plus facilement un actif donné, mais la hausse résultante du prix d’actif se traduit aussi rétroactivement par une plus grande capacité d’emprunt ; crédit et prix d’actifs voient donc leurs expansions se renforcer mutuellement. Inversement, une simple baisse du prix de l’actif servant comme collatéral réduit la capacité d’emprunt des agents. Ces derniers vont alors multiplier leurs ventes d’actifs pour tenter de maintenir leur niveau de liquidité, mais ces ventes de détresse accélèrent la chute des prix d’actifs, ce qui amore et entretient un cercle vicieux des plus dévastateurs. L’effet est d’autant plus amplificateur que la distribution de crédit au secteur privé dépend de plus en plus de la capacité des institutions financières à faire elles-mêmes usage du levier d’endettement. Il n’est alors pas étonnant que la croissance du crédit apparaisse comme le meilleur indicateur avancé d’instabilité financière. Les exigences de marge, particulièrement procycliques, créent également des spirales de liquidité : une diminution limitée des cours boursiers est susceptible d’entrainer une large série d’appels de marge et par là des ventes en catastrophe d’actifs, ce qui amplifie la chute initiale des cours boursiers et le désendettement nécessaire.

Dans une récente contribution pour le FMI, Chen et alii se sont focalisés sur le passif des bilans pour mesurer la liquidité : ils définissent celle-ci comme le degré de facilité avec lequel les institutions peuvent emprunter et étendre ou contracter leur bilan, à travers l’endettement (et le désendettement) qu’ils peuvent opérer sur la base des valorisations de collatéraux. Les auteurs prennent ainsi non seulement en compte l’activité d’intermédiaires financiers opérée par les banques, mais également celle réalisée par un plus large éventail d’intermédiaires de marché. Ils construisent deux types d’indicateurs de liquidité mondiale, d’une part, des indicateurs de quantité qui font la distinction entre passifs traditionnels et passifs non traditionnels des intermédiaires financiers et, d’autre part, les indicateurs de prix qui leur sont associés, basés sur les coûts de financement. Les passifs traditionnels (core liabilities) se définissent comme le financement qu’utilisent les banques en temps normal, c’est-à-dire à partir essentiellement du secteur des ménages. Si les banques commerciales et les institutions de dépôts sont les consommateurs de liquidité traditionnelle, les ménages en constituent les offreurs. En revanche, les passifs non traditionnels (noncore liabilities) désignent le financement de marché et le financement basé sur collatéraux. Ici, les institutions financières sont à la fois offreurs et consommateurs de liquidité. Les innovations financières permettent d’accroître la masse potentielle de collatéraux. En outre, si le financement traditionnel apparaît comme relativement stable, le financement non traditionnel est intimement au cycle financier. Ce dernier type de financement joue un rôle majeur dans l’expansion rapide du crédit en période de boom économique et constitue plus largement une composante toujours plus importante du financement de l’économie mondiale.

Ni les prix, ni la mesure des quantités ne constituent individuellement des indicateurs avancés. Les indicateurs de quantité, qui reflètent le degré d’exposition au risque, sont en effet visqueux. Les indicateurs de prix sont quant à eux des indicateurs coïncidents, ne signalant une crise que lorsque celle-ci est en cours. En revanche, une combinaison des mesures de quantité et de prix fournit une plus riche information sur les facteurs sous-jacents aux évolutions de la liquidité globale. Lorsque se produit un choc positif de demande, la quantité et le prix tendent à augmenter. Un plus fort appétit pour le risque et un relèvement des rendements anticipés se traduisent par un accroissement de la demande de liquidité. En revanche, seule la quantité augmente lorsque se produit un choc négatif de demande, le prix ayant au contraire tendance à diminuer. Par exemple, les innovations financières se traduisent par un relèvement permanent de l’offre de liquidité et par de faibles prix de financement, notamment un plus faible taux d’intérêt, or de telles conditions sont propices à l’accumulation de risques macrofinanciers.

Les résultats obtenus par Chen et alii leur permettent d'affiner les conclusions obtenues par la littérature antérieure. La création de liquidité non traditionnelle est particulièrement endogène au cycle économique : avec de plus faibles prix, elle s’accroît à travers la hausse du levier d’endettement et l’extension du bilan. Le volume croissant de liquidité mène également les agents à sous-estimer les risques et à accroître davantage leur levier d’endettement. De faibles coûts de financement dénotent une sous-estimation des risques, alors même que l’exposition aux risques peut être maximale. Comme les chocs négatifs qui affectent la liquidité non traditionnelle conduisent les participants du marché à se désendetter et à réduire l’exposition de leur bilan, leurs répercussions peuvent être particulièrement larges pour la croissance économique. Les activités économiques sont stimulées par la plus grande création de liquidité et par la plus grande exposition du bilan. Les chocs d’offre touchant la liquidité non traditionnelle sont donc procycliques à la croissance, tandis que les chocs de demande sont au contraire contracyliques à la croissance. Comme les prix augmentent avec ces derniers, les coûts de financement s’élèvent également, ce qui comprime la demande et l’expansion des bilans.

Un contrôle efficace des prix et quantité de la liquidité exige une bonne interprétation du rôle respectif de l’offre et de la demande dans l’évolution de la liquidité. Selon Chen et alii, il reste toutefois difficile de déterminer un niveau optimal de la liquidité mondiale, un niveau qui soit cohérent avec la stabilité financière et la soutenabilité de la croissance mondiale. Il n’y a pas de recette a priori efficace de politique économique à mener en réponse aux chocs à la liquidité mondiale. Celle-ci dépend notamment de la structure de la sphère financière, de l’ouverture de l’économie et de l’autonomie de la politique monétaire. La réponse des autorités économiques aux chocs de liquidité dépend étroitement de l’origine et des spécificités des chocs. Comme les marchés financiers connaissent une transformation rapide, la réalité que cherche à capturer les indicateurs évolue elle-même rapidement. La loi de Goodhart empêche toute focalisation exclusive sur un indicateur donné, mais la construction d’indicateurs de liquidité mondiale reste toutefois essentielle à la compréhension de ses mécanismes et demeure des plus utiles pour les autorités publiques.

 

Référence Martin ANOTA

BERNANKE, Ben, & Mark GERTLER (1989), « Agency costs, net worth, and business fluctuations », in The American Economic Review, vol. 79, n° 1.

CHEN, Sally Philip LIU, Andrea MAECHLER, Chris MARSH, Sergejs SAKSONOVS, & Hyun Song SHIN (2012), « Exploring the dynamics of global liquidity », IMF working paper, n° 246, octobre.

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