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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 00:28

Barry Eichengreen et Kevin O’Rourke comparent depuis 2009 la crise que traverse l’économie mondiale avec l’épisode de la Grande Dépression, en actualisant régulièrement leur analyse au fil des nouvelles données disponibles. Ils mettent ainsi en lumière le rôle majeur que les politiques économiques de stimulation ont pu jouer pour empêcher la Grande Récession d’être aussi longue et profonde que la crise des années trente. Les dernières tendances macroéconomiques semblent confirmer la reprise de l’activité, mais les inquiétudes demeurent, en particulier concernant la zone euro. Ainsi, si la consolidation budgétaire et le resserrement de la politique monétaire apparaissent à terme nécessaires selon les deux économistes, mettre en œuvre actuellement de telles politiques, dans un contexte d’activité économique encore fragile, paraît véritablement prématuré. Les inquiétudes des autorités publiques en ce qui concerne la soutenabilité de l’endettement public ou d’éventuelles tensions inflationnistes ne doivent pas les inciter à adopter dans la précipitation des mesures préjudiciables à l’économie mondiale.
Eichengreen-Fig1.jpg

La chute de la production industrielle mondiale suite au pic d'avril 2008 fut aussi sévère que durant la Grande Dépression, mais sa reprise intervient bien plus rapidement (cf. figure 1). Sa croissance semble toutefois se ralentir ces derniers mois. Si le Japon et les émergents asiatiques apparaissent comme particulièrement dynamiques, d’autres régions du monde, en premier lieu la zone euro, connaissent une diminution de leur production industrielle.

Eichengreen-Fig2.jpgSi le commerce international a connu un effondrement bien plus sévère que durant la Grande Dépression, la reprise (en débutant dès 2009) fut, là aussi, plus rapide (cf. figure 2). Le commerce mondial reste toutefois à un niveau à peine supérieur à celui observé en avril 2008. Ses récentes fluctuations ne laissent présager clairement aucune évolution à moyen terme, si ce n'est une possible stagnation.
Eichengreen-Fig3.jpg

La chute des valeurs boursières fut en 2008 plus sévère que lors de la Grande Dépression (cf. figure 3). Si elles connaissent depuis 2009 une nouvelle dynamique haussière, voire un véritable boom en ce qui concerne les Etats-Unis, elles demeurent à des niveaux sensiblement inférieurs à ceux observés avant la crise.

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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 17:48

Emmanuel Saez a actualisé ses données pour son article retraçant l’évolution des inégalités de revenu aux Etats-Unis (« Striking it Richer: The Evolution of Top Incomes in the United States ») en intégrant les estimations pour les années 2009 et 2010. Le revenu réel moyen par famille a diminué avec la Grande Récession de 17,4 % entre 2007 et 2009. Le revenu réel moyen du centile supérieur (c'est-à-dire du 1% des ménages ayant les plus hauts revenus) a diminué plus rapidement, soit de 36,3 %. La part du revenu national détenu par le centile supérieur a par conséquent diminué de 23,5 % à 18,1 %. L’effondrement boursier, en réduisant les possibilités de réaliser de gains de capital, explique l’essentiel de la chute des hauts revenus. En outre, le revenu moyen du reste de la population a diminué de 11,6 % ; celle-ci a donc vu fondre les hausses de revenus qu’elle avait obtenues entre 2002 et 2007.

Avec la reprise économique, le revenu réel moyen par famille augmente globalement de 2,3 % en 2010, mais ces gains sont très inégalement répartis, puisque le centile supérieur voit son revenu réel moyen augmenter de 11,6 % alors que celui du reste de la population n’augmente que de 0,2 %. La reprise soutenue du marché boursier, marquée par une forte hausse des profits et des dividendes versés, dans un contexte de chômage et de hausses salariales réduites, laisse envisager une nouvelle répartition fortement inégalitaire des hausses de revenus en 2011.

Au final, les hauts revenus n’ont connu qu’une baisse temporaire de leur part du revenu national. Lorsque l'on exclut les gains en capital de l'analyse, la part du revenu versée au décile supérieur, estimée à 46,3 %, est supérieure à celle qui lui a été versée en 2007. L’accroissement des inégalités de revenus aux Etats-Unis semble ainsi se poursuivre après l’épisode de la Grande Récession.

Saez--inequalities.png

source : Saez (2012) 

Les évolutions historiques des inégalités aux Etats-Unis décrivent une courbe en U. La part du revenu détenue par le décile supérieur se maintenait aux alentours de 45 % entre le milieu des années vingt et 1940. La Seconde Guerre mondiale marque un brutal déclin de cette part et celle-ci se stabilise autour de 33 % dans les années soixante-dix. La part du décile supérieur augmente depuis le début des années quatre-vingt et retrouve désormais ses hauts niveaux d’avant-guerre. En atteignant 49,7 % en 2007, elle est alors supérieure aux valeurs observées après 1917 et notamment celle de 1928, année où la bulle boursière des roaring twenties atteignit son expansion maximale.

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 17:49

TIC-conditions-de-travail.jpg

Dans un rapport et une note de synthèse réalisés par Tristan Klein et Daniel Ratier, le Centre d’analyse stratégique passe en revue les différents impacts que les technologies de l’information (TIC) ont pu avoir sur les conditions de travail. Ces technologies ont en effet massivement investi les entreprises depuis le milieu des années quatre-vingt-dix et ont alors profondément bouleversé leur organisation. Aujourd’hui, la quasi-totalité des entreprises est connectée à Internet. Deux actifs sur trois utilisent les TIC dans leur travail et le nombre de salariés usagers poursuit son expansion. Ces technologies jouent un rôle crucial dans le changement au sein des entreprises. Elles leur ont permis de gagner en flexibilité et productivité, de réduire les coûts et d’atteindre de plus hauts niveaux de qualité et de performance.

Nature du travail et compétences se transforment avec la diffusion des TIC. Le travailleur fait face à une abstraction grandissante et ses tâches se ramènent peu à peu à la collecte et manipulation d’informations. Que ce soit avec l’instantanéité des échanges numériques, qui raccourcit les délais, ou la possibilité de travailler à distance, temps et espace sont redéfinis. Le travailleur ne doit pas seulement s’adapter aux bouleversements organisationnels impulsés par l’introduction des TIC ; il doit aussi continuellement s’adapter aux perpétuelles évolutions de ces dernières. Or les efforts de formation fournis par l’entreprise ont décliné depuis le début des années 2000.

Les utilisateurs récurrents des TIC sont particulièrement exposés à une intensification du travail. Les contraintes organisationnelles et les normes de productivité auxquelles ils sont soumis se trouvent renforcées. Les salariés, davantage interdépendants, voient croître la pression sur leur travail et sont exposés à une surinformation croissante, notamment au flux excessif de courriels. L’usage de la messagerie électronique soumet le travailleur au stress, à l’urgence, aux interruptions intempestives, etc. Le rythme du travail étant davantage dépendant des TIC, leurs dysfonctionnements sont la source d’un important stress chez les salariés, notamment ceux en contact direct avec la clientèle.

TIC call center

Les TIC démultiplient les effets du contrôle du travail, mais ne conduisent pas forcément à une perte d’autonomie chez leurs utilisateurs. Ce technologies rendent possible une « autonomie encadrée » : elles formalisent certes le travail, mais parallèlement les travailleurs demeurent autonomes dans la réalisation opérationnelle de leurs tâches. En outre, puisque le travail devient l’objet d’un suivi en temps réel, contrôlable et vérifiable a posteriori, l’autonomie du salarié lors de sa réalisation est préservée. L’adoption des plus récents TIC mobiles et le développement des outils collaboratifs issus du web 2.0 devraient rendre les cadres davantage autonomes. Le contrôle peut toutefois au contraire devenir total, avec une précision stricte des objectifs de résultats et de moyens, et les salariés (en premier lieu ceux chargés de travaux d’exécution) voir alors sensiblement diminuer leurs marges de manœuvre.

Les TIC renouvellent les relations collectives de travail. Un nouveau modèle de collectif, qualifié de « nomadisme coopératif » par les auteurs suite aux travaux de Patricia Vendramin, tend à se diffuser, caractérisé par une structuration en réseau autour d’un projet et une moindre formalisation des modalités d’association. Les TIC jouent alors un rôle primordial dans la gestion du projet. Les réseaux sociaux et autres outils collaboratifs facilitent la collaboration de professionnels trans-entreprises. Toutefois dans d’autres configurations répondant à la logique néo-tayloriste (notamment les centres d’appels) où des outils standardisés sont uniformément appliquées à un large effectif de salariés, les TIC tendent à particulièrement appauvrir les liens sociaux.

La sociabilité des usagers se modifie ainsi avec l’usage des TIC. En général, ces technologies tendent plutôt à élargir et non à cloisonner les collectifs de travail. Les salariés adaptent leurs usages en fonction de leurs besoins, en intensifiant et diversifiant les échanges avec certains collègues, en réduisant, formalisant et dépersonnalisant au contraire les échanges avec d’autres. En outre, lorsque les liens se distendent entre l’individu et son équipe de travail, c’est généralement au profit de ses relations avec les équipes extérieures.

TIC mobile

Les frontières spatio-temporelles du travail se brouillent et la ligne de partage entre sphères privée et professionnelle devient poreuse : les TIC, notamment les derniers modèles mobiles (tablettes et smartphones), permettent un surtravail en dehors des horaires habituels, qui se traduit par un accroissement de la charge de travail, dans un contexte de pression croissante du temps réel et de l’immédiateté. Les salariés, désormais déterritorialisés et nomades, disposent toutefois de plus grandes marges de manœuvre pour gérer leur temps de travail. Les espaces collectifs de travail se restructurent. Le développement du travail en réseau, en multipliant les collaborations externes, affaiblit cependant le sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Enfin, les TIC semblent avoir sur la santé des effets directs relativement limités, qu’ils soient liés aux ondes électromagnétiques ou à l’ergonomique (fatigue visuelle, TMS, etc.). En participant à l’intensification du travail, elles ont aussi des effets indirects sur la santé (risque psychosociaux, stress, surcharge de travail, etc.) et ces effets sont d’autant plus nocifs que se trouve réduite la latitude décisionnelle de l’individu. Les cadres constituent la catégorie soumise à la plus forte surcharge informationnelle et communicationnelle.

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