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20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 17:22

Pierre CAHUC et André ZYLBERBERG

Flammarion, 2009, 2010

Cahuc et Zylberberg ont analysé six réformes menées entre mai 2007 et janvier 2009. Ils ne remettent pas en cause les objectifs des réformes proprement dits, auxquels ils adhèrent pleinement, mais la méthode employée par le gouvernement pour les mettre en place. La stratégie présidentielle repose sur deux principes : l’étouffement et la conciliation. Les partenaires sociaux sont appelés à négocier et proposer des projets dans de très brefs délais. Les parlementaires doivent respecter la procédure d’urgence. Il s’agit pour le gouvernement d’« ouvrir simultanément un grand nombre de chantiers afin de noyer les opposants potentiels sous un déluge de dossiers, tout en concédant discrètement, et souvent dans l’opacité la plus totale, des avantages substantiels si la résistance se faisait trop forte ». Les résultats atteints sont opposés à ceux initialement recherchés et les réformes participent peu à l’intérêt général, tandis que les groupes de pression en constituent les plus grands bénéficiaires. Partant d’un objectif de réduction des dépenses publiques, les lois promulguées provoquent au contraire leur gonflement. Mais peut-être que pour le gouvernement le « coût des réformes importe peu. L’essentiel est de produire l’apparence du changement ». Chaque chapitre de l’ouvrage dissèque ainsi une réforme donnée.

 

Vaincre le chômage

Le premier chapitre aborde la loi de modernisation du marché du travail (MMT). Le marché du travail français se caractérise par une mauvaise prise en charge de l’accompagnement des demandeurs d’emploi et un droit inefficace en matière de licenciement. Le licenciement économique n’est justifié que s’il permet de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, mais cette définition autorise de multiples interprétations. Le droit du travail est devenu une source d’incertitude coûteuse pour les entreprises. Ainsi, elles préfèrent gérer leurs mouvements d’effectifs en utilisant les CDD, les démissions et les départs à la retraite. Elles contournent la législation en proposant aux salariés de les licencier pour motif personnel contre le versement d’indemnités. La loi de MMT du 11 janvier 2008 introduit une nouvelle modalité de rupture à l’amiable du contrat de travail intitulée « rupture conventionnelle » donnant au salarié le droit de percevoir des allocations chômage. En fait, elle permet de « déguiser » légalement un départ à l’amiable en licenciement pour motif personnel. Elle offre alors la possibilité d’avancer très sensiblement l’âge du départ à la retraite (par exemple de 60 à 57 ans), mais permet aussi aux salariés qualifiés de prolonger leur période de chômage en échange d’une rémunération confortable. Les entreprises peuvent ainsi réduire leur coût de main-d’œuvre aux frais des comptes sociaux, au détriment de l’emploi des seniors et de la sécurisation des parcours professionnels des salariés les moins qualifiés. Au lieu de rapprocher le système français du modèle de flexicurité, la loi renforce la segmentation du marché du travail et dégrade considérablement les finances publiques.

Le deuxième chapitre concerne la refonte de la représentativité syndicale. Les syndicats français souffrent de multiples maux et en premier lieu de la désyndicalisation : si la majorité des salariés considèrent que les syndicats sont nécessaires pour défendre leurs droits, ils ne sont pas incités à adhérer car les accords négociés par les syndicats s’appliquent à tous (c’est le paradoxe d’Olson). Le financement des syndicats est opaque. Plus de 40 000 agents des fonctions publiques et des entreprises à statut sont « mis à disposition » : ils se consacrent à plein temps à des activités syndicales tout percevant leur rémunération et bénéficiant des avances de carrière. Ainsi, une forte majorité des Français souhaite une réforme de la représentativité syndicale. Le gouvernement a fait parvenir un document d’orientation aux partenaires sociaux à travers lequel il leur demande de s’autoréformer et s’engage à transformer un éventuel accord en projet de loi. La CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME s’accordent sur une « position commune », transposée en loi le 20 août 2008. Sont désormais reconnues comme représentatives les organisations obtenant au moins 8 % des suffrages. La CFE-CGC et la CFTC, qui n’ont pas obtenu plus de 7 % des voix depuis 1981, sont donc exclues de la représentativité au niveau national. Ensuite, un accord collectif doit désormais être signé par un ou plusieurs syndicats obtenant au minimum 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. FO, qui franchit rarement le seuil de 30 %, sera incapable de faire adopter toute seule un accord collectif. La « position commune » évince donc les petits syndicats d’une grande partie des négociations interprofessionnelles et le paysage syndical se recompose au profit de la CGT et de la CFDT. De plus, la loi du 20 août 2008 ne modifie en rien le financement des syndicats ou les « mises à disposition ». Les syndicats ont certes à établir des comptes annuels, mais ils peuvent les publier consolidés, si bien qu’il est impossible de suivre en détail les dépenses et ressources. Surtout, la loi ne renverse en rien la tendance à la désyndicalisation.

 

Augmenter le pouvoir d’achat

Le troisième chapitre porte sur la réforme des professions réglementées. Le secteur des taxis est emblématique des effets adverses d’une régulation inadaptée et difficilement réversible. Pour devenir artisan chauffeur de taxi, il faut obtenir une licence, soit en la rachetant à un autre chauffeur, soit en s’inscrivant sur une liste d’attente pour en obtenir une nouvelle. Or, peu de nouvelles autorisations sont émises et les listes d’attente s’allongent. Aujourd’hui, le nombre de taxis en circulation est déterminé par une procédure administrative basée sur l’évolution d’un indice qui ne mesure aucunement les besoins en taxis. L’objectif est de limiter la croissance du nombre de taxis pour faire augmenter la valeur des licences. Le Front populaire, pour encadrer la profession, avait fixé en 1937 le nombre de licences de taxis parisiens à 14 000 ; en 2008, il y avait 15 900 licences pour Paris. Une licence s’y négociait autour de 180 000 euros en 2007. Les pouvoirs publics limitent également le développement des véhicules de petite remise (qui ne peuvent stationner sur la voie publique, ni prendre des clients « en maraude ») qui pourraient concurrencer les taxis. La Commission Attali recommande en janvier 2008 le développement massif des VRP et l’octroi gratuit de licences pour résoudre la pénurie en transport. Les conducteurs de taxis mènent des journées d’action collective et l’UMP réagit en s’opposant finalement à la déréglementation de la profession. Le gouvernement cède. Un protocole signé en mai 2008 assure aux conducteurs d’être peu nombreux, de disposer de nombreuses voies réservées et d’avoir des contraintes de travail réduites. Le seuil minimal de 200 nouvelles licences par an institué en 2002 est supprimé. Finalement la pénurie va se poursuivre et l’épisode a dénué le gouvernement de toute velléité de réforme en ce qui concerne les professions réglementées.

crédit : Jacques Brinon/AFP

Le quatrième chapitre revient sur la tentative de créer du pouvoir d’achat via la baisse des prix dans les grandes surfaces. Avec la loi Royer de 1973, toute création ou extension d’un magasin de vente au détail doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès d’une commission départementale lorsque sa surface dépasse 1 000 m² dans une commune de moins de 40 000 habitants et 1 500 m² dans une commune de plus de 40 000 m². Des barrières à l’entrée réglementaires sont donc instaurées pour les grandes surfaces, ce qui leur permet de maintenir les prix à un niveau élevé. La loi Raffarin du 5 juillet 1996 offre encore une plus grande latitude aux grands distributeurs pour se concentrer en abaissant le seuil d’autorisation à 300 m². Les grands distributeurs vont multiplier les petites surfaces dans les centres-villes pour directement concurrencer le petit commerce. Des produits identiques voient leur prix fortement diminuer avec l’intensité de la concurrence, or les grands distributeurs ne se font véritablement concurrence que sur très peu de zones de chalandise. La loi Galland du 1er juillet 1996 interdit la prise en compte des « marges arrières » (les ristournes offertes par les fournisseurs) dans le calcul du seuil de revente à perte. Les prix de vente ne sont alors plus affectés par l’intensité de la concurrence. Le taux de marge des supermarchés et hypermarchés passe de 21,4 à 32,9 % entre 1996 et 2002. La hausse des prix alimentaires a prélevé l’équivalent de 9 milliards d’euros aux ménages pour la seule année 2003. Les lois ont également empêché la création de 100 000 emplois supplémentaires. Le projet de loi de modernisation de l’économie (LME) du 28 avril 2008 vise à instaurer la libre négociation des tarifs entre distributeurs et fournisseurs, ainsi qu’à relever le seuil de déclenchement de procédure d’autorisation à 1 000 m², pour accroître le pouvoir d’achat des ménages. Or, aucun professionnel du secteur ne désire l’aboutissement d’un tel projet. Celui-ci réduirait les marges des grands distributeurs. Les fournisseurs redoutent un plus fort pouvoir des grands distributeurs dans les négociations tarifaires. Les petits commerçants craignent que les grandes surfaces déclenchent  une guerre des prix. Finalement, sous la pression du lobbying, le projet de loi sera vidé de sa substance par trois amendements. La concurrence sera même davantage entravée et les contentieux multipliés puisque toute différenciation tarifaire doit désormais être justifiée publiquement. Les autorités de la concurrence n’ont toujours pas les moyens suffisants pour intervenir efficacement. Ainsi, les grands distributeurs continueront d’exercer leur pouvoir au détriment des consommateurs et fournisseurs tant que la concentration n’est pas restreinte dans chaque zone de chalandise.

 

Réhabiliter le travail

Le cinquième chapitre traite de la loi TEPA dont l’objectif est de permettre concrètement aux salariés de « gagner plus en travaillant plus ». La durée du travail est limitée par divers dispositifs réglementaires (dont les lois d’Aubry). Avant 2007, une heure supplémentaire donnait droit à une majoration de rémunération comprise entre 10 à 50 % du salaire d’une heure normale. Les employeurs préfèreraient verser des primes ou bonus aux salariés en contrepartie d’heures non déclarées. En 2006, la moitié des heures supplémentaires n’ont pas été déclarées. La loi TEPA adoptée le 21 août 2007 ne supprime pas les dispositifs limitant l’usage d’heures supplémentaires, mais modifie leur coût. Les taux de majoration sont unifiés et portés à 25 %. Les heures supplémentaires sont exonérées d’impôts sur le revenu et de cotisations salariales ; les cotisations patronales sont allégées. L’objectif est clairement de rendre l’usage d’heures supplémentaires plus attrayant. Or, l’effet net sur l’emploi est ambigu. D’un côté, si les salariés font davantage d’heures supplémentaires, les entreprises auront tendance à substituer des heures de travail aux travailleurs. De l’autre, l’allègement de prélèvements réduit le coût du travail, ce qui au contraire favorise l’emploi. Le dispositif n’a pas entraîné une augmentation du nombre d’heures supplémentaires effectives, mais une hausse du nombre d’heures supplémentaires déclarées. Les entreprises ont en effet désormais intérêt à déclarer une part maximale de rémunérations sous forme d’heures supplémentaires. Leur défiscalisation offre ainsi des possibilités d’optimisation fiscale très coûteuses pour les finances publiques ; le manque à gagner pour l’Etat serait équivalent à 6 milliards d’euros par an. Par ce canal, la loi TEPA peut porter atteinte à la croissance et à l’emploi.

Enfin le dernier chapitre porte sur le revenu de solidarité active (RSA). Ce revenu minimum devait en principe simplifier les dispositifs en place, inciter à la reprise d’activité et réduire la pauvreté au travail. La première expérimentation débute en juin 2007 dans l’Eure. D’autres seront réalisées entre novembre 2007 et mars 2008. La loi instituant le RSA à l’ensemble du territoire étant votée le septembre 2008, le temps est clairement insuffisant pour évaluer les expérimentations. De plus, les zones d’expérimentation n’ont pas été choisies aléatoirement. Les données récoltées suggèrent que les bénéficiaires du RSA expérimental ne gagnent quasiment rien de plus que leurs homologues non concernés par l’expérimentation. Une fois instaurée, la loi ne favorise pas le paysage des minima sociaux et des droits connexes, ni même la fiscalité associée : le RSA est financé par une nouvelle taxe de 1,1 % sur les produits de l’épargne. Alors que les droits connexes étaient auparavant définis en fonction d’un statut, ils dépendent désormais de seuils qui peuvent être différents pour chaque droit connexe. Il est difficile d’évaluer la réalité des ressources dont on dispose lors d’une reprise d’activité. Les expériences étrangères enseignent que les incitations financières ont un impact significatif sur la pauvreté et l’emploi que si le travail est rendu très payant. Alors que les crédits d’impôts aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni peuvent accroître les revenus d’activité de 40 %, le RSA les diminue dans la proportion de 38 % et les droits connexes disparaissent dès le premier euro gagné. Les gains à la reprise d’emploi sont donc aussi peu visibles qu’auparavant.


voir la liste complète des notes de lecture

Martin Anota

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17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 22:52

housing-spain-2.jpg

crédit : vgm8383

Après avoir connu une forte croissance sur quasiment une décennie, l’Espagne fait aujourd’hui face à une persistante stagnation de son activité économique et à un chômage massif. Si l’attention se porte surtout sur l’évolution des déficits, les évolutions macroéconomiques restent encore fortement régies par les dynamiques à l’œuvre au sein du secteur immobilier.

L’adoption d’un régime de croissance insoutenable en Espagne au cours des années quatre-vingt-dix tient à l’occurrence de deux chocs exogènes [Pérez, 2010]. L’intégration à l’Europe a permis à l’Espagne de bénéficier d’une multitude d’effets positifs. Elle est ainsi le pays de la zone euro à avoir le plus absorbé de fonds européens. Mais surtout, l’ancrage nominal de l’Espagne dans le système monétaire européen a ralenti l’inflation ; cette désinflation et l’assainissement des finances publiques ont permis une détente des primes de risque sur les marchés financiers. La baisse résultante des taux d’intérêt nominaux a réduit les charges d’intérêt de l’Etat de 3 points de PIB, ce qui facilitait en retour l’effort d’assainissement budgétaire. Le processus de rattrapage amorcé par l’économie espagnole ayant toutefois été accompagné d’une forte inflation, les taux d’intérêt réels ont été extrêmement faibles, voire négatifs sur certaines périodes.

Les flux migratoires ont également joué un rôle majeur dans l’accumulation des déséquilibres. Les salaires réels ont stagné en raison, d’une part, du recours massif à l'emploi non qualifié et de l’arrivée d'une main-d’œuvre étrangère peu rémunérée et, d’autre part, de la mise en place de réformes structurelles sur le marché du travail. La faiblesse des gains de productivité, couplée à la modération salariale, a engendré une croissance riche en emplois. Le chômage a connu une forte baisse, mais au prix d’une précarisation de l’emploi.

La stagnation du pouvoir d’achat et la faiblesse des taux d’intérêts réels se sont traduites par un recours massif des agents privés à l’endettement [Mercier, 2011]. L’effet de rattrapage de l’économie et la baisse du chômage ont rendu les ménages optimistes. Les sociétés non financières ont cherché de leur côté à renforcer leur rentabilité en utilisant massivement le levier d’endettement. Les banques se sont montrées particulièrement accommodantes dans leur distribution du crédit. La maturité des prêts a été allongée. L’usage important de la titrisation a également permis de relever l’offre de crédit. Les ménages ont cherché à profiter de la baisse des taux au début des années 2000 en s’endettant à taux variables.

La consommation privée en a été fortement dynamisée, mais l’essentiel de l’endettement des ménages a surtout alimenté l’investissement immobilier. L’afflux d'une main-d’œuvre étrangère et l’évolution de la structure familiale ont généré une forte demande de logements. Une fois la hausse des valeurs immobilières amorcée, elle fut renforcée par la multiplication des comportements spéculatifs. Les prix immobiliers se sont envolés, augmentant annuellement de 11 % entre 2000 et 2007, pour finalement atteindre un niveau supérieur de 200 % à celui observé en 1995. Le crédit a nourri la hausse des prix d’actifs et amplifié ainsi l’effet de richesse, incitant les agents privés à davantage s’endetter et dépenser. Les dynamiques du crédit et de l’immobilier se sont autoentretenues et ont puissamment alimenté la croissance espagnole. Elles ont permis à l’Espagne de connaître la plus longue expansion de son histoire récente.

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La forte demande intérieure a particulièrement bénéficié aux secteurs de la construction et des services. Ces secteurs, très intensifs en main-d’œuvre, sont à l’origine de la moitié des créations d’emplois entre 1995 et 2007. Avant la crise, un tiers de l’emploi total concerne plus ou moins directement le secteur immobilier. Ce dernier constitue alors le véritable moteur de la croissance espagnole. L’économie a connu parallèlement un processus de désindustrialisation. La productivité de l’économie espagnole s’est réduite au fur et à mesure que s’approfondissait sa spécialisation en raison, d’une part, de l’évincement de l’investissement productif par l’investissement résidentiel et, d’autre part, de la faiblesse des gains de productivité des secteurs abrités. La hausse soutenue des prix à la consommation et la persistance de coûts du travail élevés ont pesé sur la compétitivité de l’économie espagnole et sur ses échanges extérieurs. La dégradation de la balance courante a été favorisée et dissimulée par l’appartenance à la zone euro. La dégradation de la position extérieure nette signifia une explosion de la dette extérieure. La bulle immobilière et la bulle du crédit ont en définitive été financées par les agents non résidents.

L’économie espagnole est donc profondément fragilisée lorsque survient en 2007 la crise du crédit subprime. La crise financière accélère la hausse des taux d’intérêt amorcée avec le resserrement de la politique monétaire. Les prix de l’immobilier continuant dans un premier temps leur progression, les ménages doivent sensiblement relever la part de leur revenu destinée à l’achat d’un logement. L'affaiblissement subséquent de la demande immobilière va alors retourner la dynamique des prix et affecter le secteur de le construction. Le ralentissement du rythme de créations d’emplois, en pesant sur les revenus et les dépenses des ménages, déprime davantage l’activité économique. L’aggravation de la crise financière à l’automne 2008 conduit à un effondrement du marché des capitaux et à un brutal assèchement du crédit dans un contexte de surendettement privé. Le chômage va exploser, pour toucher aujourd’hui plus de 23 % de la population active. Le ralentissement de l’activité a fortement diminué les recettes publiques. Si le gouvernement a cherché dans un premier temps à relancer l’activité, la dynamique de l’endettement public l’a ensuite contraint à adopter des mesures d’austérité. Le processus de consolidation budgétaire, à la fois exigé et compliqué par les marchés financiers, pèse en retour sur l’activité économique.

Selon Alcidi et Gros (2012), le processus d’absorption de la bulle semble n’avoir qu’à peine commencé en Espagne. Les prix du logement vont continuer à baisser et le secteur va poursuivre sa lente contraction. Si la construction immobilière se poursuit au même rythme élevé qu’aujourd’hui, le processus d’absorption de la bulle prendra trois décennies pour s’achever. Au total, les pertes auxquelles l’ajustement immobilier expose le secteur bancaire équivaleraient 380 milliards d’euros, soit 37 % du PIB de 2010, un montant bien supérieur à l’ensemble des provisions réalisées jusqu’à présent.

Une bulle immobilière peut ne pas se solder par une sévère crise financière si elle est financée par l’épargne domestique, or l’Espagne s’est fortement reposée sur l’afflux de capitaux étrangers. Sa dette extérieure, en égalant 90 % du PIB, est équivalente à celle de la Grèce ; elle poursuit son accumulation avec la persistance du déficit de la balance courante et pourrait représenter 100 % du PIB en 2016. Une plus forte contraction du secteur de la construction résidentielle permettrait de juguler le déficit extérieur. Les ressources, notamment en main-d’œuvre, qui seraient alors libérées par le secteur immobilier pourraient être réallouées vers l’industrie et les secteurs exportateurs pour enfin relancer l'activité globale.

 

Références Martin Anota

ALCIDI, Cinzia, & Daniel GROS (2012), « The Spanish Hangover », in VoxEU.org, 15 avril.

MERCIER, Thibaut (2011), « L’Espagne a encore les cartes en main », in Conjoncture, BNP-Paribas juillet-août.

Pérez, Julián (2010), « Espagne, de la grande expansion à la crise. Que peut-on espérer pour l’avenir ? », in Accomex, n° 96, novembre-décembre.

PLIHON, Dominique, & Nathalie REY (2011), « L’Espagne, douze années d’aveuglement », décembre.

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 20:23

Après l’abandon du Colombien José Antonio Ocampo, seuls l’Américain Jim Yong Kim (le candidat proposé par Obama) et la Nigérienne Ngozi Okonjo-Iweala demeurent dans la course à la présidence de la Banque mondiale. La fin du mandat de Robert Zoellick et la passation de pouvoir ravivent une pléthore de critiques sur sa gouvernance et suscitent de nombreuses réflexions autour de ses objectifs et de son organisation proprement dite. Cette institution multilatérale créée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour répondre aux enjeux de l’époque, fait aujourd’hui face à de multiples défis, internes et externes, auxquels elle se doit de répondre pour assurer à terme sa survie.

La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), son principal pilier, fut originellement destinée à participer au financement de la reconstruction d’après-guerre. Elle destinait alors exclusivement ses prêts à l’Europe et au Japon. Alors que les besoins de reconstruction se firent moindres, le processus de décolonisation des années cinquante et soixante mit au monde de nombreux pays indépendants. La Banque mondiale, en particulier sous la présidence de McNamara entre 1968 et 1981, se focalisa alors sur la croissance des pays en développement. Ces dernières décennies ont vu la Banque mondiale prendre conscience des multiples dimensions du développement et s’impliquer toujours davantage dans la réduction de la pauvreté. Si la BIRD s’est peu à peu orientée vers l’aide des pays à revenu intermédiaire (PRI) en échange d’efforts de gouvernance de leur part, le second organisme de prêt de la Banque mondiale, l’Association internationale de développement (AID), participe plus spécifiquement au développement des pays les moins avancés (PMA). Avec l’éclatement du bloc soviétique, les années quatre-vingt-dix marquent le début d’une autoréflexion, autant sur le rôle que sur l’organisation proprement dite de la Banque. Les changements organisationnels furent toutefois limités et la raison d’être de la Banque mondiale n’a jamais été véritablement questionnée [Palacio, 2012a].

Le montant, la nature et la destination des prêts concédés par la Banque mondiale sont appelés à être profondément redéfinis. Les PRI en sont les principaux bénéficiaires, alors même qu’ils jouissent parallèlement d’un large accès au financement privé [Cling et Roubaud, 2008]. En raison de leur rattrapage sur les économies avancées, les PRI font moins appel aux ressources de la Banque mondiale. De nombreux acteurs, privés ou publics, sont en outre apparus dans le domaine du développement. La Banque mondiale est ainsi directement concurrencée au sein des PRI par le développement de la microfinance et par les banques régionales, notamment par la Banque du Sud, fruit de la volonté des pays latino-américains de gérer par eux-mêmes leur propre développement. Les banques chinoises ont de leur côté davantage prêté ces cinq dernières années au continent sud-américain que la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement réunies [Palacio, 2012a]. La Banque mondiale demeure toutefois financièrement attractive en raison du faible coût de son offre de financement et de l’assistance technique qu’elle apporte en complément. Restent les PMA, en particulier les pays subsahariens, dont les besoins en financement demeurent considérables. Les financements doivent par conséquent être amplement rééquilibrés en leur faveur et les dons pourraient prendre une plus grande part au sein de l’ensemble des financements accordés.

Si le crédit va demeurer une pratique de l'institution, ne serait-ce qu’en raison de la persistance de la pauvreté à travers le monde, il semble toutefois ne plus (pouvoir) constituer le cœur d’activité de la Banque. Cette dernière, depuis sa naissance, a étendu toujours plus loin le champ thématique de ses activités, jusqu’à empiéter sur les domaines de compétence des agences des Nations Unies [Cling et Roubaud, 2008]. Devenue incontournable en matière de développement en raison de sa puissance financière, de son influence intellectuelle et de sa capacité à intervenir en de multiples domaines, la Banque mondiale ne délimite pas explicitement ses champs d’action et aucun recentrage de sa stratégie n’a été jusqu’à présent clairement opéré. Puisque les multiples défis du vingt-et-unième siècle (la santé, la faible productivité agricole, le changement climatique ou encore la rareté de l’eau) ont par nature une dimension globale, la Banque mondiale est peut-être appelée à délaisser le prêt aux gouvernements pour directement financer la création de biens publics mondiaux [Kapur et Subramanian, 2012]. La connaissance constitue en l’occurrence un bien public global d’une importance cruciale dans notre modernité. Selon Palacio (2012a), la véritable valeur ajoutée apportée par l’institution tient finalement en ce qu’elle constitue un centre du savoir (ne serait-ce que dans la production statistique, l’expertise et l’assistance technique) et un coordinateur des politiques internationales. Mais pour enfin achever sa mutation en « banque du savoir », la Banque mondiale doit faire face à trois défis [Palacio, 2012b]. Tout d’abord, elle doit soutenir plus amplement le secteur privé et pour cela intervenir plus activement dans la mise en place d’infrastructures, au sens large du terme. Ensuite, elle doit renforcer son savoir-faire en ce qui concerne l’aide au développement des compétences, en mettant l’accent sur le droit et plus globalement l’aspect institutionnel. Enfin, elle doit placer au cœur de sa mission la promotion de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.

Ngozi Okonjo-Iweala (crédit : Antoine Antoniol/Bloomberg)

Le fonctionnement interne de la Banque mondiale, ainsi que sa gouvernance, doivent également être repensés en vue de renforcer tant sa légitimité que son efficacité et assurer en définitive sa survie [Cling et Roubaud, 2008]. Il est essentiel que la Banque applique à elle-même les valeurs qu’elle prône aux pays en développement, en premier lieu celles de la bonne gouvernance, de l’empowerment, de la responsabilité démocratique et de la transparence. La Banque mondiale doit tout d’abord dans cette optique refondre sa structure interne [Palacio, 2012a]. Son personnel, pour les deux tiers localisé à Washington, se compose d’experts recrutés à vie et de nombreux consultants externes. Nombreux d’entre eux sont des économistes ou des spécialistes de la finance, alors même que la Banque délaisse son activité de prêt. Le mode de recrutement, couplé à un véritable processus d’autosélection des candidats, est particulièrement rigide. Il apparaît en définitive essentiel que le personnel soit varié, décentralisé et géographiquement mobile.

La répartition des voix au sein du Conseil d’administration ne respecte pas la géographie de l’économie mondiale. Au regard du poids de leur population ou de leurs performances économiques, l’Europe est surreprésentée, tandis que les pays en développement, a fortiori les grands émergents, sont sous-représentés [Cling et Roubaud, 2008]. La Chine, acteur clé du développement et seconde économie au monde, comptabilise encore moins de 5 % des parts de vote, tandis que les Etats-Unis et l’Union européenne détiennent respectivement environ 16 % et 37 % des voix. En outre, huit des vingt-cinq membres du conseil exécutif sont européens [Palacio, 2012a]. L’obtention par les pays émergents de plus grandes parts de vote et leur plus grande implication dans les prises de décision de la Banque apparaissent d’autant plus légitimes qu’ils vont devenir en toute logique ses principaux fournisseurs en ressources financières et non plus l'Ouest endetté [Kapur et Subramanian, 2012].

Face à un Conseil d’administration qui représente les 187 Etats-membres, mais qui s’avère pourtant impuissant, le président de la Banque mondiale centralise l’essentiel du pouvoir, impulsant l’ensemble des orientations stratégiques de l’institution, parfois même en désaccord avec les administrateurs [Cling et Roubaud, 2008]. Ce déséquilibre des pouvoirs est d’autant plus décrié que le président ne possède aucune légitimité. Sa nomination à la tête de l’institution dépend du seul aval du Président des Etats-Unis, selon un accord tacite établi au sortir de la guerre entre les Etats-Unis et l’Europe (cette dernière détenant le pouvoir de nominer le dirigeant du FMI, comme l’illustrent les intronisations de Dominique Strauss-Kahn et plus récemment de Christine Lagarde à sa tête). Un rééquilibrage des pouvoirs est nécessaire, ainsi qu’un nouveau processus de nomination, démocratisé, transparent, capable de choisir la personne la plus qualifiée pour le poste, sans que la nationalité ne constitue un critère de sélection, ce qui implique en outre d’identifier précisément les qualifications qu’implique un tel rôle [Kapur et Subramanian, 2012]. Les nouvelles règles établies ce printemps, en permettant l’établissement d’une longue liste de candidats et en impliquant plus étroitement le Conseil d’administration dans le processus de nomination, constituent un premier pas vers une meilleure gouvernance de la Banque.

 

Références Martin Anota

BOUGUIGNON, François, & Jean-Louis SARBIB (2012), « La présidence de la Banque mondiale doit revenir aux pays émergents », in Le Monde, 11 avril.

CLING, Jean-Pierre (2011), « La Banque mondiale, entre transformations et résilence », in Critique internationale, n° 23, novembre

CLING, Jean-Pierre, & François ROUBAUD (2008), La Banque mondiale, La Découverte, Paris.

KAPUR, Devesh, & Arvind SUBRAMANIAN (2012), « Who Should Lead the World Bank? », in Project Syndicate, 17 février.

PALACIO, Ana (2012a), « Reinventing the World Bank », in Project Syndicate, 20 février.

PALACIO, Ana (2012ba), « Reinventing the World Bank, again », in Project Syndicate, 10 avril. Traduction française, « La Banque mondiale saura-t-elle se réinventer ? ».

STIGLITZ, Jospeh E. (2012), « Whose World Bank ? », in Project Syndicate, 4 avril. Traduction française, « Une procédure anachronique : la désignation du président de la Banque mondiale ».

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