crédit : Nai Hen Lin
La croissance chinoise, après avoir atteint deux chiffres sur plusieurs décennies, va peut-être devoir désormais s’en contenter d’un seul ; les autorités publiques ciblent ainsi une croissance de 7,5 % pour 2012. La Chine semble avoir délaissé en 2008 son modèle de développement, si fructueux jusqu’alors, assis sur la demande extérieure, pour se recentrer sur le marché domestique, mais la consommation des ménages n’a pas encore pris le relais pour devenir la principale composante de la dynamique de croissance, un passage pourtant obligé pour stabiliser le processus de développement économique.
L’investissement en actifs fixes constitue le principal moteur de la croissance chinoise, or rien ne certifie que l’économie soit encore capable d’absorber les nouveaux flux d’investissement [Yongding, 2012]. Le taux d’investissement chinois, toujours croissant, approche 50 % du PIB. Un investissement dépassant les limites d’absorption de l’économie risque de perdre en efficacité et de détériorer les perspectives de croissance à long terme. La structure même de l’investissement, et non seulement son niveau, doit être profondément révisée. En 2009, seulement 10 % des prêts octroyés pour l’investissement fixe étaient destinés à l’industrie ; la moitié des prêts était affectée aux projets d’infrastructures : routes, rails et bâtiments, alimentant notamment la bulle immobilière [The Economist, 2012]. Le premier projet chinois de rail à haute vitesse fut construit en 2003 ; aujourd’hui, la Chine dispose d’un réseau opérationnel de 8 000 kilomètres, tandis que 17 000 kilomètres demeurent encore en construction [Yongding, 2012]. Par comparaison, le réseau occidental, fruit d’un demi-siècle d’investissements, atteint 6 500 kilomètres. L’immobilier, sous-composante primordiale de l’investissement jusqu’alors, représente environ un dixième du PIB et un quart de l’investissement total, ce qui dénote la menace que le dégonflement de la bulle immobilière fait peser sur les performances chinoises. La soutenabilité de la croissance dépend d’un recentrage des fonds en direction des activités créatrices de capital humain de l’innovation ; la poursuite du rattrapage sur les économies avancées rend toujours plus pressantes les dépenses en recherche-développement.
crédit : UPI/Stephen Shaver
Le commerce international fut également un déterminant majeur de la croissance chinoise durant les trois dernières décennies. La Chine présentant une forte compétitivité-prix grâce au faible niveau de ses salaires, le monde s’est précipité sur ses produits manufacturés bon marché ; aujourd’hui, le toujours plus poussé réajustement des prix relatifs pèse sur le secteur exportateur [Frankel, 2012]. L’appréciation nominale du yuan par rapport au dollar et l’inflation ont contribué à la hausse du taux de change réel du yuan. Les autorités monétaires ont abandonné la quasi fixité du taux de change par rapport au dollar et laissé le renminbi s’apprécier. Les hausses salariales se sont multipliées, à l’instar des multiples relèvements du salaire minimum observées à Pékin, Shanghai et Shenzhen ; d’autres coûts, tels que les charges auxquelles font face les entreprises ou les prix immobiliers ont connu de plus forts accroissements. En conséquence, l’appréciation réelle du yuan au cours des trois dernières années s’établit à 12 %. Puisque la comparaison de la Chine avec les économies aux revenus analogues laissait transparaître en 2009 une sous-évaluation de 25 % du yuan par rapport au dollar, il semble que l’économie chinoise ait donc depuis diminué de moitié la sous-évaluation de sa monnaie.
L’excédent commercial de la Chine, après avoir culminé en 2008 en atteignant le montant de 300 milliards de dollars, connaît depuis un déclin [Frankel, 2012], ne représentant plus que 2 % du PIB en 2011 [Lemoine, 2012]. Avec une demande intérieure vigoureuse, la Chine a vu ses importations fortement progresser, en particulier pour les biens manufacturés et les produits primaires. Parallèlement, depuis 2007, les exportations ralentissent ; elles progressent à un rythme moindre que la production domestique, mais comme elles s’accroissent toujours plus rapidement que le commerce international, les parts de marché de la Chine ont continué de progresser. 16 % des exportations de produits manufacturés dans le monde sont aujourd’hui réalisées par l’économie chinoise. En outre, si l’excédent commercial perd en ampleur, les déséquilibres bilatéraux demeurent. Les excédents commerciaux de la Chine se sont accrus sur les Etats-Unis, tandis que ses déficits se sont creusés avec l’Afrique et l’Asie. Toujours dépendant des chaînes de valeur ajoutée en Asie, la Chine voit parallèlement son marché intérieur bousculé par la présence croissante des produits asiatiques, en particulier les biens d’équipement. De leur côté, les déficits avec les producteurs d’énergies et de matières premières gonflent également, l’économie chinoise accentuant sa demande alors que les prix augmentent.
La Chine a joué un rôle déterminant dans l’accumulation des déséquilibres globaux au cours de la dernière décennie. La réduction de l’excédent extérieur confirme que la croissance chinoise s’est récemment recentrée sur la demande intérieure, mais parallèlement la consommation des ménages, relativement déclinante en longue période, est passée de 60 % en 2002 à 47 % du PIB en 2010 [Lemoine, 2012]. Le redéploiement s’explique par le fort dynamisme de l’investissement, même si le ce constat peut être nuancé : l’investissement global pourrait être surestimé, puisqu’il prend en compte les ventes de terrains, tandis que la non-déclaration des revenus et la sous-estimation du coût des services biaiseraient l’estimation des revenus et dépenses des ménages. La réforme du système de registre des ménages (hukou), permettant une plus forte mobilité des travailleurs, la promotion de la sécurité sociale et la réduction des inégalités socioéconomiques, notamment celles observées entre les villes et les campagnes apparaissent nécessaires pour renforcer la consommation des ménages [Lin, 2012].
La pérennité de la croissance chinoise est indissociable d’une refondation institutionnelle. Selon Antonio Fatás (2012), il existerait deux phases dans le processus de croissance économique, en l’occurrence une première où la qualité des institutions importe peu et une seconde où celle-ci apparaît au contraire cruciale. Durant la première phase, l’économie voit son revenu par tête progresser si d’adéquates politiques économiques sont mises en œuvre, mais sans qu’aucune réforme institutionnelle d’envergure ne soit nécessairement réalisée. A partir de 10 000-12 000 dollars de revenu par tête, seuil qualifié de « Grande Muraille » (Great Wall) par l'auteur, les économies entrent dans une seconde phase de croissance au cours de laquelle institutions et revenu par tête sont positivement et fortement corrélés l’un avec l’autre. Aucune économie avancée ne se caractérise par de faibles institutions. La reforme apparaît donc comme une condition à une poursuite de la croissance. L’Union soviétique et certaines économies latines telles que l’Argentine ou le Venezuela sont des exemples d’économies n’ayant pas su franchir la Grande Muraille. En l’absence de réforme institutionnelle, l’économie demeure au seuil de la Grande Muraille et voit son revenu par tête stagner. La Chine est encore dans la première phase de la croissance, mais se rapproche toujours davantage de la Grande Muraille, ce qui rend plus pressant la mise en œuvre de réformes institutionnelles, notamment au niveau politique, afin qu’elle puisse se hisser dans le club des économies avancées.
source : Fatas (2012)
Le premier ministre chinois, Wen Jiabao a ainsi pu déclarer l’« urgence de procéder à des réformes politiques structurelles », tandis que la population se montre majoritairement favorable à une démocratie occidentalisée [Favilla, 2012]. Une offre accrue et une plus grande cohérence en matière de normes, règlements et politiques, amélioreraient le processus productif et l’allocation des ressources [Lin, 2012]. En améliorant son cadre institutionnel, la Chine favoriserait le processus de concurrence, ébranlerait les structures monopolistiques présentes dans de nombreux secteurs, faciliterait la spécialisation et accroîtrait la productivité, tout en réduisant les incertitudes, les risques et l’impact de l’activité économique sur l’environnement. Une réforme au niveau financier devrait désegmenter le secteur bancaire et résoudre la pénurie de crédit que subissent les entreprises privées et le surendettement des collectivités locales, tout en permettant un plus grand contrôle des pratiques bancaires, condition nécessaire au maintien de la stabilité financière.
Références Martin Anota
The Economist (2012), « Fears of a Hard Landing », 17 mars.
FATAS, Antonio (2012), « The Great Wall and Chinese Reforms », 26 mars.
LIN, Justin Yifu (2012), « L’avenir de la croissance de la Chine », in Project Syndicate, 15 mars.
YONGDING, Yu (2012), « China’s Struggle to Slow », in Project Syndicate, 28 mars.