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13 avril 2017 4 13 /04 /avril /2017 16:55
L’Europe est-elle une zone politique optimale ?

L’Europe a poursuivi un processus d’intégration économique sur les marchés des biens et services et sur les marchés financiers. La première étape de cette intégration s’est déroulée entre 1980 et la fin des années 1990. Elle s’est accompagnée d’une convergence économique : les pays européens les plus pauvres ont connu une croissance plus rapide que les pays les plus riches, si bien que le niveau de vie des premiers a eu tendance à rattraper celui des seconds. En outre, les cycles d’affaires nationaux ont davantage eu tendance à se synchroniser. Puis, la convergence économique a ralenti à partir de la fin des années 1990, c’est-à-dire précisément au l’instant même où l’euro était introduit.

En rendant les Européens plus interdépendants, via le développement des échanges, et en facilitant la circulation des personnes, l’intégration européenne aurait dû rapprocher les populations et ainsi accélérer l’unification politique ; l’adoption même d’une monnaie commune devait contribuer à façonner un sentiment d’appartenance à un collectif européen. Or, ces dernières années ont été marquées par un déclin de la confiance des populations vis-à-vis institutions européennes et par une moindre tolérance vis-à-vis des interférences des institutions européennes avec les politiques nationales. Depuis la crise des dettes souveraines, beaucoup craignent (ou espèrent) que des pays abandonnent la monnaie unique. Les partis politiques anti-européens ont gagné en popularité, accroissant le risque d’un éclatement de la zone euro. L’année dernière, la construction européenne a connu un premier revirement : la population britannique s’est exprimée en faveur d’une sortie de l’Union européenne (le fameux « Brexit). Or, pour beaucoup, la zone euro, telle qu’elle est aujourd’hui configurée, est instable, exposée aux pressions déflationnistes et aux cycles de boom et d’effondrements financiers, ce qui plaide donc soit pour une poursuite de l’intégration européenne, soit pour un revirement du projet européen.

Luigi Guiso, Paola Sapienza et Luigi Zingales (2015) estiment que le projet européen est coincé « au milieu du fleuve » : l’intégration européenne a été poussée trop loin pour qu’elle ne soit pas très coûteuse à abandonner, mais elle est soumise a de trop nombreuses forces poussant à son éclatement. En étudiant l’évolution des sentiments pro-européens au sein de l’UE, ils ont constaté que le Traité de Maastricht de 1992 et la crise de la zone euro de 2010 ont contribué à réduire le sentiment pro-européen. Pourtant, malgré la persistance et la sévérité de la récession, ils notaient que les Européens soutiennent toujours la monnaie unique.

En utilisant les données issues d’enquêtes, Alberto Alesina, Guido Tabellini et Francesco Trebbi (2017) montrent que, malgré plusieurs décennies d’intégration et de convergence économiques, les traits culturels des Européens ne se sont pas rapprochés les uns des autres. En effet, entre 1980 et 2009, les Européens sont devenus légèrement différents dans leurs attitudes en ce qui concerne la confiance, des valeurs générales comme le travail ou l’obéissance, le rôle des genres, la morale sexuelle, la religiosité, l’idéologie et le rôle de l’Etat aussi bien dans l’économie que dans d’autres sphères. En fait, les traits culturels se sont « modernisés » aussi bien dans les pays du nord que dans les pays du sud, mais cette modernisation a été plus rapide dans les premiers que dans les seconds, ce qui a creusé les différences culturelles entre eux. En outre, si les institutions et les politiques ont connu une convergence dans certains domaines, elles ont connu une divergence dans d’autres. Enfin, la qualité des administrations et des systèmes judiciaires ont eu tendance à diverger entre les pays du nord et les pays du sud. 

Pour autant, Alesina et ses coauteurs jugent que l’hétérogénéité culturelle en Europe ne remet pas en soi en cause l’idée d’une intégration politique. En effet, ils notent que l’hétérogénéité en termes de préférences et la diversité culturelle sont dix fois plus fortes au sein de chaque pays de l’UE qu’entre eux. Puisque chaque pays-membre est parvenu jusqu’à présent à fonctionner politiquement malgré sa diversité culturelle, Alesina et ses coauteurs ne voient pas pourquoi l’UE ne pourrait pas fonctionner. En outre, ils notent non seulement que les Européens ne sont pas plus différents entre eux que le sont les Américains, mais aussi que les différences culturelles ont eu tendance à se creuser entre les Américains. Pour autant, des différences culturelles relativement faibles peuvent être amplifiées par d’autres différences, telles que l’identité et la langue nationales ; il est plus facile pour des individus de coopérer entre eux s’ils partagent la même histoire et une même langue. Or, si les Etats-Unis construisent une nation commune depuis 250 ans et si la guerre civile s’est achevée il y a un siècle et demi, non seulement la dernière guerre qui a déchiré l’ensemble de l’Europe s’est achevée il y à peine sept décennies, mais ses stigmates sont encore visibles.

Ainsi, Alesina et ses coauteurs jugent moins important de savoir dans quelle mesure les Européens sont différents les uns des autres que de savoir dans quelle mesure les identités nationales ont évolué par rapport à l’identité européenne. Or ils remarquent que les sentiments de fierté nationale avaient tendance à s’accroître avant même qu’éclate la crise financière. Le pourcentage d’Européens qui se sont déclarés être fiers de leur nationalité est passé de 37 % à environ 50 % entre le début des années 1980 et 2008. Ce sont ces sentiments qui risquent d’empêcher une poursuite de l’intégration européenne, voire d’inverser cette dernière, comme ce fut le cas avec le Brexit au Royaume-Uni.

 

Références

ALESINA, Alberto, Guido TABELLINI & Francesco TREBBI (2017), « Is Europe an optimal political area? », Brookings Papers on Economic Activity, printemps. 

GUISO, Luigi, Paola SAPIENZA & Luigi ZINGALES (2015), « Monnet’s Error? », NBER, working paper, n° 21121, avril.

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10 avril 2017 1 10 /04 /avril /2017 16:01
Comment expliquer la chute de la part du travail dans le revenu national ?

Pendant longtemps, les économistes ont considéré que le partage du revenu national entre les facteurs de production était constant : les parts du revenu rémunérant respectivement le travail et le capital resteraient les mêmes à long terme, malgré d'éventuelles fluctuations à court terme. Il s’agissait d’ailleurs de l’un des « faits stylisés » mis en avant par Nicholas Kaldor (1957). Or la part du revenu rémunérant le travail a eu tendance à décliner dans plusieurs pays ces dernières décennies. Dans les pays développés, la part du revenu rémunérant le travail a commencé à diminuer au cours des années 1980 ; elle a atteint son minimum juste avant qu’éclate la crise financière mondiale en 2008 et elle n’a que très légèrement augmenté depuis. A présent, les parts du travail sont environ inférieures de 4 points de pourcentage à leur niveau dans les années 1970. Les données sont beaucoup plus limitées pour les pays en développement, mais dans plus de la moitié d’entre eux, en particulier dans les plus grands d’entre eux, la part du travail semble également avoir décliné, et ce à partir du début des années 1990. Par exemple, en Chine, la part du travail a chuté de près de 3 points de pourcentage au cours des dernières décennies. 

GRAPHIQUE  Evolution de la part du travail (en % du revenu national)

Comment expliquer la chute de la part du travail dans le revenu national ?

Dans une étude publiée dans les dernières Perspectives de l’économie mondiale du FMI, Mai Chi Dao, Mitali Das, Zsoka Koczan et Weicheng Lian (2017) ont compilé de nouveaux faits stylisés concernant cette déformation du partage du revenu national. Ils constatent notamment qu’entre 1991 et 2014 la part du travail a décliné dans 29 des 50 plus grandes économies ; ces 29 économies représentaient plus des deux tiers du PIB mondial en 2014. Au cours de la même période, la part du travail a eu tendance à décliner dans 7 des 10 plus importants secteurs : elle a le plus chuté dans les secteurs produisant les biens échangeables, notamment l’industrie, le transport et la communication. La baisse de la part du travail entre 1993 et 2014 résulterait en outre davantage du déclin de la part du travail dans chaque secteur plutôt que par une éventuelle réallocation de l'activité des secteurs à forte part du travail vers les secteurs à faible part du travail. 

Si la part du revenu national rémunérant le travail décline, cela signifie que les salaires augmentent plus lentement que la productivité du travail. Selon le FMI, cette dynamique n’est pas forcément négative. Si la productivité du travail s’accroît à un rythme rapide grâce au progrès technique et qu’elle s’accompagne d’une hausse régulière des revenus du travail, alors la baisse de la part du travail peut être considérée comme étant un sous-produit d’un phénomène positif. Or, ce n’est pas le cas. Dans de nombreux pays, la part du travail diminue alors même que la productivité croît lentement, ce qui signifie que les revenus du travail augmentent encore plus lentement ou stagnent. 

De plus, le déclin de la part du travail s’accompagne d’une hausse des inégalités de revenu [Milanovic, 2015]. D’une part, au sein de la population active, le salaire des travailleurs les moins qualifiés a augmenté moins rapidement que celui des plus qualifiés. D’autre part, la propriété du capital est concentrée entre les mains des ménages les plus riches, si bien que ce sont ceux-ci qui profitent d’une hausse de la part du revenu national rémunérant le capital. Or, non seulement l’accroissement des inégalités peut alimenter les tensions sociales, mais elle peut aussi freiner (notamment pour cette raison-là) la croissance économique. Autrement dit, les inégalités peuvent freiner la croissance de la productivité du travail, ce qui alimente en retour le déclin de la part du travail.

L’évolution de la part du revenu national rémunérant le travail n’a pas été la même d’un pays à l’autre. Pour autant, le fait que plusieurs pays aient connu une baisse de la part du travail de façon assez synchronisée suggère que des facteurs mondiaux ont contribué à cette baisse. Les récentes études, souvent focalisées sur les Etats-Unis, ont souvent mis l’accent sur le rôle du progrès technique, de la mondialisation des échanges commerciaux et de la globalisation financière. En effet, le progrès technique aurait déformé le partage de la valeur ajoutée en poussant à la baisse le prix relatif des biens d’investissement : comme le coût (relatif) du capital a décliné, les entreprises auraient été plus incitées à automatiser leur production, c’est-à-dire à remplacer des travailleurs par des machines [Karabarbounis et Neiman, 2014].

La réduction des barrières à l’échange, notamment des coûts de transport et de communication, a accru la concurrence sur les marchés internationaux et la mobilité des biens et des capitaux, ce qui a davantage incité les entreprises à délocaliser leurs établissements dans les pays à faibles salaires [Elsby et alii, 2013]. Avec l’intensification de la concurrence étrangère et la plus grande capacité des entreprises à délocaliser leurs établissements, les travailleurs, en particulier les moins qualifiés, ont perdu en pouvoir de négociation. Dans la mesure où les théories traditionnelles du commerce internationale prédisent que les pays qui sont relativement les plus abondants en capital doivent se spécialiser dans les activités les plus intensives en capital, il n’est alors pas surprenant que la part du revenu national rémunérant le capital se soit accrue dans les pays développés. Par contre, les prédictions de ces mêmes théories ne se vérifient pas en ce qui concerne les pays en développement : comme ces derniers sont relativement plus abondants en travail et auraient par conséquent eu tendance à se spécialiser dans les activités les plus intensives en travail, la part du revenu national rémunérant le travail aurait dû s'accroître en leur sein.

En plus du progrès technique, de la mondialisation commerciale et de la globalisation financière, d’autres facteurs ont pu contribuer à déformer le partage de la valeur ajoutée au profit du capital. Par exemple, la hausse de la concentration dans plusieurs secteurs a pu accroître la part du capital et déprimer la part du travail [Autor et alii, 2017]. En outre, certains politiques économiques, notamment la réduction de l’imposition sur les entreprises, ont pu inciter les entreprises à substituer la main-d’œuvre par du capital. Enfin, des changements institutionnels comme le recul du syndicalisme ont pu contribuer à réduire le pouvoir de négociation des travailleurs.

Selon l’analyse menée par Mai Chi Dao et ses coauteurs, les avancées technologiques constitueraient la principale cause de la baisse de la part du travail dans les pays développés ; elles expliqueraient en l’occurrence environ la moitié de celle-ci. Les pays les plus exposés à l’automatisation des tâches routinières auraient été davantage exposés à la déformation du partage de la valeur ajoutée. La technologie et l’intégration expliqueraient ensemble près de 75 % de la baisse de la part du travail en Allemagne et en Italie et près de 50 % de la baisse de la part du travail aux Etats-Unis. Dans les pays émergents dans leur ensemble, ce sont la mondialisation et la participation aux chaînes de valeur mondiale (la fragmentation des processus productifs) qui contribueraient en premier lieu à la baisse de la part du travail. Le déclin des parts du travail provoqué par la technologie et par l’intégration commerciale et financière a surtout affecté les travailleurs moyennement qualifiés. Ce résultat est cohérent avec l’hypothèse selon laquelle ce sont les travailleurs moyennement qualifiés qui réalisent généralement des tâches routinières et qui sont ainsi les plus exposés à l’automatisation : le progrès technique provoque en fait une polarisation de l’emploi et des salaires en faisant disparaître les emplois moyennement qualifiés. 

 

Références

AUTOR, David, David DORN, Lawrence F. KATZ, Christina PATTERSON & John VAN REENEN (2017), « Concentrating on the fall of the labor share », NBER, working paper, n° 23108.

DAO, Mai Chi, Mitali DAS, Zsoka KOCZAN & Weicheng LIAN (2017), « Understanding the downward trend in labor income shares », in FMI, World Economic Outlook, chapitre 3.

ELSBY, Michael W.L., Bart HOBIJN & Aysegul ŞAHIN (2013), « The decline of the U.S. labor share », Brookings Papers on Economic Activity, automne.

KALDOR, Nicholas (1957), « A model of economic growth », in The Economic Journal, vol. 67, n° 268.

KARABARBOUNIS, Loukas, & Brent NEIMAN (2014), « The global decline of the labor share », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 1.

MILANOVIC, Branko (2015), « Increasing capital income share and its effect on personal income inequality », MPRA paper, n° 67661.

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7 avril 2017 5 07 /04 /avril /2017 18:09
Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ?

La croissance économique a décéléré à travers le monde depuis la crise financière mondiale (cf. graphique 1). Dans une récente contribution pour le FMI, Gustavo Adler, Romain Duval, Davide Furceri, Sinem Kiliç Çelik, Ksenia Koloskova et Marcos Poplawski-Ribeiro (2017) montrent que cela s’explique non seulement par un ralentissement même de l’accumulation des facteurs de production (c’est-à-dire du travail et du capital), mais également par le ralentissement de la croissance de la productivité des facteurs : la qualité et l’efficacité des facteurs de production augmentent moins vite qu’avant la Grande Récession. 

GRAPHIQUE 1  Production par tête : trajectoire effective et tendance d’avant-crise (en indices, base 0 en 2007)

Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ?

En effet, la croissance de la productivité globale des facteurs (PGF) a fortement ralenti suite à la crise financière mondiale et elle est restée lente depuis (cf. graphique 2). Ce ralentissement a été généralisé et durable aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents et les pays à faible revenu. Il n’est pas impossible que des erreurs de mesure aient amené à surestimer l’ampleur du ralentissement, en raison notamment du développement des technologies d’information et de communication, mais ce ralentissement est indéniable. En effet, en décomposant les moteurs de la production potentielle, Adler et ses coauteurs constatent qu’un ralentissement marqué de la croissance de la productivité totale des facteurs a contribué en moyenne à 40 % des pertes en production dans les pays développés ; la croissance de la productivité totale des facteurs reste inférieure à son niveau d’avant-crise dans les trois quarts des pays développés. Le ralentissement de la croissance de la PGF explique une part encore plus importante des pertes en production que les pays émergents et en développement ont essuyées. Pour les pays développés et à faible revenu, le ralentissement de la croissance de la PGF a commencé avant la crise financière mondiale ; cette dernière n’a fait que l’amplifier. Les pays émergents connaissaient par contre une accélération de la croissance de leur PGF à la veille de la crise financière mondiale, si bien que c’est cette dernière qui constitue une rupture.

GRAPHIQUE 2  Taux de croissance de la productivité totale des facteurs (moyenne sur 5 ans, en %)

Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ?

Gustavo Adler et ses coauteurs ont cherché à évaluer le rôle respectif qu’ont pu jouer la crise et les forces séculaires dans le ralentissement de la productivité. Comme dans le sillage des précédentes récessions sévères, ils rappellent que des des effets d’hystérèse ont été à l’œuvre suite à la récente crise financière mondiale [Blanchard et alii, 2015]. Ceux-ci ne se sont pas seulement exercés via le travail (les chômeurs ont perdu en compétences et ont fini par quitter la population par découragement) et l’accumulation du capital (face à une demande stagnante, les entreprises ont cessé d’investir) ; ils ont également touché la PGF, et ce via trois grands canaux.

Tout d’abord, suite à l’effondrement de Lehman Brothers, en septembre 2008, les conditions financières se sont fortement resserrées à travers le monde. Malgré le fort assouplissement des politiques monétaires, les entreprises, en particulier celles de petite ou moyenne taille, ont vu leur accès au crédit se restreindre. Cela les a désincité à investir, notamment dans les actifs intangibles comme la recherche-développement, or de tels investissements sont essentiels à la PGF. La crise financière, mais également le boom qui l’a précédée, ont nui à l’allocation des capitaux, en les réorientant vers les entreprises les moins productives au détriment des entreprises les plus productives, en particulier dans certains pays européens [Borio et alii, 2016]. Deuxièmement, les pays développés semblent connaître un cercle vicieux où la faiblesse de la demande globale, la faiblesse de l’investissement et la lenteur de la diffusion des nouvelles technologies tendent à s’entretenir mutuellement : la faiblesse des ventes désincite les entreprises à investir, or les nouvelles technologies se diffusent via les achats de bien d’équipements ; l’anticipation d’un ralentissement du progrès technique déprime en retour la demande et notamment l’investissement [Blanchard et alii, 2017]. Troisièmement, une forte incertitude à propos des perspectives économiques et de la politique économique a pu avoir davantage déprimé la croissance de la PGF, en déprimant les investissements à hauts risques, donc à hauts rendements. Ces divers freins que la crise mondiale a posés sur la croissance de la PGF sont susceptibles de s’effacer à mesure que la crise s’éloigne ; ils sont toutefois toujours à l’œuvre, tout particulièrement en Europe continentale, ce qui plaide pour un maintien des politiques accommodantes. 

Gustavo Adler et ses coauteurs soulignent toutefois que les effets de la crise financière mondiale se sont conjugués aux vents contraires structurels qui affectaient la croissance de la PGF avant même que celle-ci éclate. Premièrement, le boom des technologies d’information et de communication que l’on a pu observer à la fin des années 1990 et au début des années 2000 a accéléré la croissance de la productivité globale, mais les gains tirés de cette vague d’innovations se sont ensuite affaiblies et le rythme même de l’innovation dans les pays les plus avancés a ralenti. Deuxièmement, le vieillissement de la population et notamment de la population active a affaibli la croissance de la productivité dans les pays développés à partir des années 1990, puis plus récemment dans le reste du monde. Au cours des années 1990 et des années 2000, le vieillissement démographique a pu amputer la croissance de la PGF de 0,2 à 0,5 points de pourcentage par an dans les pays développés et de 0,1 point de pourcentage par an dans les pays émergents et en développement. Troisièmement, alors qu’il augmentait deux fois plus rapidement que le PIB avant la crise financière mondiale, le commerce international augmente moins rapidement que le PIB depuis 2012. Des facteurs conjoncturels ont joué un rôle déterminant, puisque la faiblesse même de l’activité économique a pesé sur les échanges, mais des facteurs structurels ont également été à l’œuvre, notamment le ralentissement du développement des chaînes de valeur mondiales et de l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Or, la moindre concurrence étrangère réduit les incitations des entreprises à accroître l’efficacité de leur production et à innover, tandis que le moindre recours aux biens importés réduit la variété et la qualité des biens intermédiaires auxquels les entreprises ont accès. Quatrièmement, l’accumulation du capital humain a ralenti à partir des années 2000. Au cours de cette décennie, ce ralentissement a pu contribuer à amputer 0,3 points de pourcentage par an à la croissance de la productivité du travail dans les pays développés et émergents. Cinquièmement, alors que les réformes structurelles ont pu contribuer à la forte croissance des pays émergents et en développement au cours des années 2000, elles ont ensuite ralenti. Sixièmement, alors que la réallocation des ressources du secteur agricole (faiblement productif) vers l’industrie a pu contribuer à accélérer la croissance de la productivité dans les pays émergents et en développement, la transformation structurelle que ces derniers connaissent s’avère désormais moins propice aux gains de productivité, dans la mesure où leur activité se réoriente désormais en faveur du tertiaire, réputé moins productif que l’industrie.

 

Références

ADLER, Gustavo, Romain DUVAL, Davide FURCERI, Sinem KILIÇ ÇELIK, Ksenia KOLOSKOVA & Marcos POPLAWSKI-RIBEIRO (2017), « Gone with the headwinds: Global productivity », FMI, staff discussion note, n° 17/04, avril.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, novembre.

BLANCHARD, Olivier, Guido LORENZONI & Jean Paul L’HUILLIER (2017), « Short-run effects of lower productivity growth: A twist on the secular stagnation hypothesis », NBER, working paper, n° 23160, février.

BORIO, Claudio, Enisse KHARROUBI, Christian UPPER & Fabrizio ZAMPOLLI (2016), « Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences », BRI, working paper, n° 534, janvier.

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