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11 juillet 2016 1 11 /07 /juillet /2016 18:57

Lors de la crise financière mondiale et durant la lente reprise qui l’a suivie, les banques centrales des pays développés ont fortement assoupli leur politique monétaire, rapprochant très rapidement leurs taux directeurs au plus proche de zéro et en déployant ensuite des mesures « non conventionnelles », comme des achats d’actifs à grande échelle dans le cadre de programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Plusieurs économistes et responsables politiques des pays émergents y ont vu une véritable « guerre des devises ». Ce fut notamment le cas de Guido Mantega, alors ministre des Finances brésilien, en 2010 et de Raghuram Rajan, alors président de la Banque Centrale d’Inde, en 2014. Beaucoup ont alors appelé à un surcroît de coordination internationale dans la mise en œuvre des politiques économiques.

Olivier Blanchard (2016) s’est penché sur les interactions entre les politiques macroéconomiques poursuivies par les pays développés et émergents depuis la crise financière mondiale. Il rappelle que les contraintes sur la politique budgétaire et notamment les craintes autour de la soutenabilité des dettes publiques ont amené les pays développés à davantage se reposer sur la politique monétaire. Au vu des niveaux élevé des dettes publiques, la contrainte que ceux-ci exercent sur la politique budgétaire devrait inciter durablement les pays développés à exclure l’utilisation de la politique budgétaire de façon à stabiliser l’activité domestique. Blanchard juge qu’un tel contexte rend opportune une coordination entre les différents pays. Toutefois, il n’est pas manifeste si une telle coordination devrait se solder par une hausse ou une baisse des taux d’intérêt dans les pays développés.

En effet, Blanchard rappelle que les répercussions des politiques monétaires des pays développés sur l’économie des pays émergents ne sont pas univoques. Par exemple, un puissant assouplissement monétaire dans les pays développés contribue à déprécier les devises de ces derniers (donc à accroître la compétitivité de leurs produits sur les marchés internationaux), mais aussi par là même à apprécier les devises des pays émergents (donc à réduire la compétitivité de leurs produits). Alors que ces dernières décennies, beaucoup ont pu affirmer qu’une dévaluation du taux de change ne conduisait pas à une amélioration du solde extérieur, une récente étude du FMI (2015) a démontré que les conditions Marshall-Lerner étaient toujours vérifiées : par exemple une dépréciation de 10 % du taux de change réel entraîne en moyenne une hausse du volume d’exportations nettes équivalente à 1,5 % du PIB. Pour autant, si les entreprises des pays développés accroissent leur production pour répondre à un surcroît de demande, elles augmenteront mécaniquement leurs dépenses, donc notamment leurs achats de biens étrangers. De même, si les ménages des pays développés voient leur niveau de vie augmenter, ils consommeront davantage et donc contribueront également à une hausse des importations. Un tel surcroît des importations bénéficie aux pays émergents, notamment en incitant leurs propres entreprises à accroître leur production.

En outre, l’assouplissement monétaire dans les pays développés, dans un contexte où leurs perspectives de croissance s’avèrent sombres, désincite les investisseurs financiers à placer leurs capitaux dans l’économie domestique, mais les incite plutôt à placer ces capitaux dans le reste du monde afin d’obtenir un meilleur rendement. En effet, les politiques monétaires accommodantes adoptées lors de la Grande Récession ont stimulé les entrées de capitaux à destination des pays émergents. Toutefois, l’impact de ces entrées sur l’économie domestique est loin d’être clair [Blanchard et alii, 2015]. Les afflux de capitaux peuvent stimuler à long terme l’activité domestique si elles se traduisent par une hausse des investissements directs à l’étranger entrants. Ils peuvent au contraire se révéler nuisibles à l’activité domestique à court terme en en alimentant une expansion excessive du crédit et des bulles spéculatives sur les marchés d’actifs, susceptibles de se solder par une crise financière, une crise des changes et par conséquent une récession. Les entrées de capitaux peuvent aussi se révéler déstabilisatrices à plus long terme en entraînant une mauvaise allocation des ressources selon un mécanisme proche de la « maladie hollandaise », notamment en amenant l’économie domestique à développer excessivement les secteurs abrités, peu productifs, et à délaisser les secteurs plus ouverts à la concurrence internationale et plus productifs.

Hélène Rey (2013) a confirmé que les pays émergents étaient tout particulièrement exposés à un véritable « cycle financier mondial » et que celui-ci serait étroitement associé aux évolutions de la politique monétaire américaine : si les assouplissements monétaires de la Fed stimule les afflux de capitaux, l’endettement et la prise de risque dans le reste du monde, ses resserrements monétaires tendent à s’accompagner d’une remontée de l’aversion du risque au niveau mondial et d’une contraction du crédit et des prix d’actifs.

Au final, il n’est pas certain que les banques centrales des pays développés puissent réorienter leur politique monétaire de façon à ce que cela soit à la fois bénéfique à leur économie domestique et aux pays émergents. La marge pour une coordination internationale est donc particulièrement étroite. Si, d’un côté, la politique budgétaire est contrainte et si, de l’autre, la politique monétaire entraîne d’indésirables répercussions sur le taux de change et les mouvements de capitaux, l’utilisation des contrôles de capitaux par les pays émergents apparait aux yeux de Blanchard comme l’instrument le plus approprié pour assurer la stabilité financière et la stabilité macroéconomique. Les restrictions imposées aux mouvements de capitaux permettent en effet aux pays développés d’utiliser librement leur politique monétaire pour stimuler la demande globale, tout en préservant les pays émergents des répercussions indésirables qu’elle est susceptible de générer sur les taux de change et les mouvements de capitaux.

 

Références

BLANCHARD, Olivier (2016), « Currency wars, coordination, and capital controls », NBER, working paper, n° 22388, juillet.

BLANCHARD, Olivier, Jonathan D. OSTRY, Atish R. GHOSH & Marcos CHAMON (2015), « Are capital inflows expansionary or contractionary? Theory, policy implications, and some evidence », NBER, working paper, n° 21619, octobre.

FMI (2015), « Exchange rates and trade flows: Disconnected? », in FMI, World Economic Outlook, octobre.

REY, Hélène (2013), « Dilemma not trilemma: The global financial cycle and monetary policy independence », document de travail présenté à Jackson Hole, 24 août.

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3 juillet 2016 7 03 /07 /juillet /2016 21:17

Suite à la crise de la dette souveraine, les pays-membres de la zone euro, en particulier ceux de la périphérie, ont accéléré la mise en œuvre de réformes visant à réduire les rigidités sur le marché du travail et les marchés des produits. Les pays de la zone euro ont ainsi flexibilisé plus rapidement leurs marchés des produits que les autres pays de l'OCDE (cf. graphique a). La réglementation du marché du travail est certes toujours plus stricte dans la zone euro que dans les autres pays de l'OCDE, mais ces derniers l'ont allégée alors que les autres pays de l'OCDE avaient au contraire tendance à la resserrer (cf. graphique b).

GRAPHIQUES  Indices de réglementation sur les marchés des produits et du travail

Flexibilité versus stabilité : le dilemme de la zone euro

source : De Grauwe et Ji (2016), d'après les données de l'OCDE

En principe, ces politiques structurelles doivent non seulement contribuer à accélérer la reprise, mais aussi à accroître la capacité de la zone euro à absorber les chocs qu’elle sera susceptible de subir à l’avenir. Ce remède a pu trouver une justification dans le cadre de la théorie des zones monétaires optimales. En l’occurrence, lorsque les pays-membres subissent un choc symétrique (c’est-à-dire qui touche simultanément et pareillement l’ensemble des pays-membres), la politique monétaire est en mesure de stabiliser l’activité. Par contre, la politique monétaire peut s’avérer contre-efficace lorsque la zone euro subit un choc asymétrique : si la banque centrale cherche à y répondre, elle ne pourra stabiliser l’activité dans les pays-membres touchés par le choc sans déstabiliser le reste de la zone monétaire. En principe, chaque pays-membre peut contrer les chocs qui lui sont spécifiques en utilisant sa politique budgétaire, mais cette dernière est également contrainte par de fortes contraintes. Par exemple, lors de la crise de la zone euro, les pays-membres qui ont connu les récessions les plus sévères n’ont pu recourir à la politique budgétaire en raison des craintes suscitées par la détérioration de leurs finances et de la hausse subséquente des taux d’intérêt sur les marchés de la dette souveraine. Par contre, beaucoup estiment qu’une zone monétaire est à même d’absorber les chocs asymétriques en l’absence de politiques conjoncturelles si les prix et salaires sont pleinement flexibles. Les réformes structurelles contribueraient ainsi à ce que la zone euro absorbe mieux les chocs asymétriques en accroissant le degré de flexibilité des prix et salaires. 

Paul De Grauwe et Yuemei Ji (2016) doutent qu’une telle prescription de politique économique soit efficace. Pour qu’elle le soit, les chocs asymétriques doivent être permanents. S’ils sont temporaires, un surcroît de flexibilité n’est pas nécessairement une réponse appropriée. En l’occurrence, s’ils résultent du cycle d’affaires, alors ils doivent être contrés par la politique conjoncturelle.

De Grauwe et Ji cherchent alors à déterminer la source des chocs touchant la zone euro. Ils utilisent un filtre Hodrick-Prescott pour estimer la composante tendancielle à long terme du PIB, puis ils extirpent la composante conjoncturelle en soustrayant du PIB observé la composante tendancielle. Ils constatent alors que tous les pays de la zone euro, à l’exception de l’Allemagne, ont connu un déclin du taux de croissance à long terme du PIB. Ce déclin est particulièrement significatif en Grèce, en Irlande, en Finlande, en Espagne, au Portugal et en Italie. D’autre part, il y a une forte variabilité de la composante conjoncturelle de la croissance du PIB. Afin de jauger de l’importance relative des composantes conjoncturelles et tendancielles de la croissance du PIB, ils comparent la croissance moyenne conjoncturelle du PIB avec la croissance tendancielle moyenne du PIB pour chaque pays. Il apparaît que, dans le cas des pays du cœur de la zone euro (l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas), les composantes conjoncturelle et tendancielle sont de magnitudes similaires, même si la composante conjoncturelle est systématiquement plus large que la composante tendancielle. Dans les pays de la périphérie (l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, l’Italie et la Grèce), la composante conjoncturelle est bien plus large que la composante tendancielle. Par conséquent, depuis les débuts de la zone euro, les mouvements conjoncturels ont été le facteur dominant derrière les variations de la croissance du PIB. En outre, les mouvements conjoncturels du PIB apparaissent hautement corrélés dans la zone euro. L’asymétrie entre les pays de la zone euro se révèle, non pas tant dans le manque de corrélation entre les cycles d’affaires, mais dans l’intensité des dynamiques d’expansion et d’effondrement. En d’autres termes, les cycles d’affaires des pays-membres semblent avoir été relativement bien corrélés, sauf dans leur amplitude.

Ainsi, les preuves empiriques suggèrent que les plus gros chocs touchant la zone euro ont résulté des mouvements des cycles d’affaires. Par conséquent, les autorités européennes devraient mettre davantage s’appuyer sur les politiques conjoncturelles pour stabiliser les cycles d’affaires plutôt que de mettre l’accent sur les réformes structurelles. En principe, les fluctuations conjoncturelles peuvent être stabilisées au niveau national par une politique budgétaire contracyclique sans qu’un fédéralisme budgétaire soit nécessaire. Toutefois, comme les cycles d’affaires ne sont pas aussi amples d’un pays-membres à l’autre, les pays qui subissent les plus sévères récessions sont susceptibles de connaître des arrêts brusques (sudden stops) dans les entrées de capitaux qui poussent leur gouvernement à adopter des plans d’austérité, c’est-à-dire une politique budgétaire procyclique, qui aggrave la récession. Les consolidations budgétaires mises en œuvre lors des récessions sont d’autant plus dommageables qu’elles passent souvent par une réduction de l’investissement public, or cette dernière contribue à réduire la croissance économique à long terme.

De Grauwe et Ji estiment que la meilleure façon de gérer des cycles d’affaires dont l’amplitude n’est pas synchronisée est d’embrasser l’union budgétaire. Avec la centralisation d’une partie des Budgets nationaux dans un Budget commun, la détérioration des déficits budgétaires suite à une récession commune se traduit par un déficit au niveau fédéral. Par conséquent, les mouvements de liquidité déstabilisateurs entre les pays-membres que l’on peut observer lors des récessions disparaissent et les autorités budgétaires fédérales peuvent laisser les stabilisateurs automatiques associés au Budget fédéral jouer leur rôle dans le lissage des cycles d’affaires.

Mais dans la mesure où il est peu probable qu’un tel fédéralisme budgétaire soit mis en place à moyen terme, De Grauwe et Ji proposent deux mécanismes alternatifs : d’une part, une assurance-chômage commune à l’ensemble des pays-membres et, d’autre part, l’utilisation du mécanisme européen de stabilité (MES) comme stabilisateur sur les marchés d’obligations publics. En l’occurrence, le MES pourrait acheter des titres publiques et émettre des titres en contrepartie lors des récessions et faire l’inverse lors des expansions ; en stabilisant les marchés d’obligations publiques, le MES permettrait ainsi d’éviter que la zone euro connaisse des mouvements de capitaux déstabilisateurs.

 

Référence

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2016), « Flexibility versus stability: A difficult tradeoff in the Eurozone », CEPR, discussion paper, n° 11372, mars.

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30 juin 2016 4 30 /06 /juin /2016 21:46

L’état des finances publiques cristallise aussi bien les débats politiques que les études macroéconomiques. Les ratios dette publique sur PIB ont en effet eu tendance à augmenter dans les pays développés au cours des dernières décennies, en particulier suite à la Grande Récession, suscitant des craintes quant à la soutenabilité d’un tel endettement. La littérature a souligné l’importance de facteurs proprement politiques dans la détérioration continue des finances publiques : les gouvernements peuvent être incités à augmenter leurs dépenses et à réduire les impôts pour satisfaire leur électorat ou des groupes de pression en particulier. Par conséquent, non seulement ils peuvent retarder tout ajustement budgétaire en laissant les gouvernements suivants s’en charger (pour ne pas à en subir les coûts politiques), mais ils contribuent aussi à accroître le poids de cet ajustement.

Pour autant, le solde public ne dépend pas de la seule volonté du gouvernement ou, pour le dire autrement, le déficit public n’est pas forcément signe de mauvaise gestion, de corruption ou d’une quête de soutien électoral. En effet, le solde public dépend également de la conjoncture (et, ce qui complique davantage l’équation budgétaire du gouvernement, la conjoncture n’est en retour pas insensible à ses décisions budgétaires). Pour préparer son Budget, le gouvernement s’appuie sur des prévisions de croissance, mais la croissance effective peut ne pas coller aux prévisions. Si la croissance est finalement supérieure aux attentes, l’Etat gagne davantage de recettes fiscales qu’il ne le prévoyait. Par contre, si la croissance est inférieure aux prévisions, l’Etat risque de gagner moins de recettes fiscales qu’il ne le prévoyait. C’est précisément le cas lorsque l’économie se retrouve en récession : par exemple, les ménages gagnent moins de revenus et dépensent moins, donc ils payent moins d’impôts et de taxes.

La littérature empirique a confirmé l’optimisme excessif des gouvernements tant dans leurs prévisions de croissance du PIB que dans leurs prévisions des principales variables budgétaires (notamment le solde budgétaire et la dette publique). En l’occurrence, ils tendent à surestimer la croissance économique et à sous-estimer le déficit budgétaire (ou surestimer l’excédent budgétaire). Ces deux biais sont intimement liés : comme les gouvernements se fondent sur leurs prévisions de croissance pour préparer leur Budget, une surestimation de la croissance entraîne mécaniquement une sous-estimation du déficit budgétaire. Une faiblesse chronique de la croissance contribue ainsi à expliquer la détérioration continue des finances publiques, mais elle n’épuise pas pour autant le rôle des facteurs politiques et notamment du cycle électoral. Par exemple, les gouvernements peuvent être incités à présenter les prévisions et estimations de croissance les plus élevées possible ; si leurs estimations s’avèrent en général excessivement optimistes, ils persistent à ne pas prendre en compte ce biais. En analysant les sources des erreurs de prévisions budgétaires, Alvaro Pina et Nuno Venes (2011) et Roel Beetsma, Benjamin Bluhm, Massimo Giuliodori et Peter Wierts (2013) ont constaté que des facteurs proprement politiques, tels que la tenue prochaine d’élections, contribuent tout particulièrement à expliquer l’optimisme excessif des gouvernements dans leurs prévisions budgétaires.

En observant les prévisions de croissance du PIB et du solde budgétaire réalisées par les agences gouvernementales de 24 pays, Jeffrey Frankel (2011) et Jeffrey Frankel et Jesse Schreger (2013) ont confirmé que ces prévisions ont en moyenne un biais positif. Ils ont également constaté que ce biais positif est plus important lorsque l’économie est en expansion et que la prévision porte sur un horizon sur trois ans plutôt que pour des horizons plus courts. Beaucoup considèrent que les gouvernements devraient adopter des règles budgétaires limitant leur déficit, mais Frankel et Schreger ont constaté que les prévisions des gouvernements soumis à des règles budgétaires présentent un biais encore plus important que les autres gouvernements. C’est notamment le cas avec le Pacte de Stabilité et de Croissance qui impose aux pays-membres de la zone euro d’avoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique inférieure à 60 % du PIB. Ce constat ne s’explique pas (seulement) par la volonté des Etats-membres d’échapper aux sanctions de Bruxelles suite aux dérapages budgétaires. En effet, Rossana Merola et Javier Pérez (2012) ont comparé les prévisions réalisées par les gouvernements européens dans le cadre des programmes de convergence et de stabilité avec les prévisions réalisées par la Commission européenne ; or, ils ont constaté que les préversions réalisées par la Commissions européenne ne sont guère meilleures que celles réalisées par les gouvernements.

Dans la mesure où les organismes privés ne sont a priori pas incités à fournir des prévisions budgétaires excessivement optimistes, leurs prévisions sont susceptibles d’être plus fines. João Tovar Jalles, Iskander Karibzhanov et Prakash Loungani (2015) ont cherché à déterminer la qualité des prévisions budgétaires réalisées par les institutions du secteur privé en utilisant un échantillon de 29 pays pour la période entre 1993 et 2009. Ils constatent de larges écarts entre les deux groupes : les prévisions des organismes privés des pays développés sont bien plus proches de la réalité et moins marquées d’un optimisme excessif que celles réalisées par les organismes privés des pays en développement. Par contre, que ce soit dans les pays développés ou les pays en développement, les institutions privées ont tendance à lisser leurs prévisions : ils révisent ces dernières lentement, si bien que ces révisions peuvent être systématiquement prédites à partir des prévisions passées. Par conséquent, lorsque l’économie bascule dans la récession, elles tardent à annoncer la dégradation subséquente des finances publiques. Autrement dit, les prévisions du secteur privé sont loin d’être infaillibles.

En explorant un ensemble de données relatives à 26 pays et en prenant désormais en compte les performances prévisionnelles des organismes privés, Jeffrey Frankel et Jesse Schreger (2016) ont mis en évidence que les prévisions de croissance du PIB et du solde budgétaire que réalisent les institutions publiques sont plus optimistes que celles réalisées par le secteur privé. En outre, l’écart ex ante entre les prévisions privées et les prévisions publiques est positivement corrélé avec l’écart entre les prévisions des institutions publiques et les chiffres exacts, c’est-à-dire avec l’erreur de prévision ex post. Par conséquent, les prévisions du secteur privé peuvent améliorer les prévisions réalisées par les institutions publiques. Enfin, Frankel et Schreger montrent qu’au cours de la période entre 1999 et 2007, les organismes privés ont su prédire assez finement quels pays verraient leur déficit dépasser 3 % du PIB (et, dans le cas des pays-membres de la zone euro, ne respecteraient pas par là même le Pacte de Stabilité et de Croissance), alors que les agences gouvernementales se sont révélées être bien réticentes à prévoir une telle éventualité.

Frankel et Schreger en tirent plusieurs implications pour réformer la prévision par les organismes publics. Selon eux, l’instauration et le durcissement des règles budgétaires ne peuvent contribuer à limiter les déficits budgétaires si les prévisions ne s’améliorent pas. Le biais déficitaire a davantage de chances d’être réduit si les agences réalisant les prévisions que les gouvernements utilisent pour préparer leur Budget gagnaient en indépendance (comme le suggèrent notamment Merola et Pérez [2012]) ou tout si ces agences utilisaient les prévisions réalisées par le secteur privé. Pour autant, les prévisionnistes du secteur privé ont beau avoir été plus pessimistes que les gouvernements, ils n’ont pas su prévoir la forte contraction de l’activité lors de la crise financière mondiale, ni le fort dérapage du déficit qui en résulta. Cela suggère aux deux auteurs que les prévisions du secteur privé sont davantage susceptibles d’améliorer les prévisions publiques lorsque les gouvernements se veulent être optimistes par stratégie plutôt que lorsque l’ensemble des prévisionnistes se révèlent excessivement optimistes ex post.


Références

BEETSMA, Roel, Benjamin BLUHM, Massimo GIULIODORI & Peter WIERTS (2013), « From budgetary forecasts to ex post fiscal data: exploring the evolution of fiscal forecast errors in the European Union », in Contemporary Economic Policy, vol. 31, n° 4.

FRANKEL, Jeffrey (2011), « Over-optimism in forecasts by official budget agencies and its implications », in Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 4.

FRANKEL, Jeffrey, & Jesse SCHREGER (2012), « Over-optimistic official forecasts in the eurozone and fiscal rules », NBER working paper, n° 18283, août.

FRANKEL, Jeffrey, & Jesse SCHREGER (2016), « Bias in official fiscal forecasts: Can private forecasts help? », NBER, working paper, n° 22349, juin.

JALLES, João Tovar, Iskander KARIBZHANOV, & Prakash LOUNGANI (2015), « Cross-country evidence on the quality of private sector fiscal forecasts », in Journal of Macroeconomics, vol. 45.

MEROLA, Rossana & Javier PÉREZ (2012), « Fiscal forecast errors: governments vs independent agencies? », Banque d'Espagne, documento de trabajo, n° 1233.

PINA, Álvaro M., & Nuno M. VENES (2011), « The political economy of EDP fiscal forecasts: An empirical assessment », in European Journal of Political Economy, vol. 27, n° 3.

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