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26 février 2016 5 26 /02 /février /2016 16:41

Les récessions synchrones à une crise financière tendent à être plus sévères que les récessions « normales » et à être suivies par des reprises plus lentes. Ce phénomène peut s’expliquer par l’impact persistant de la crise financière sur la demande globale : comme les crises financières sont souvent précédées par un boom du crédit, les ménages et les entreprises ont tendance à se désendetter une fois la crise amorcée, si bien qu’ils tendent à réduire durablement leurs dépenses. En outre, comme les récessions associées aux crises financières sont plus violentes que les récessions normales, les politiques conjoncturelles ont peut-être moins de marge de manœuvre. En effet, les taux d’intérêt nominaux ont plus de chances d’être contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound), si bien que politique monétaire conventionnelle risque de ne pas suffire pour ramener l’économie au plein emploi. D’autre part, la détérioration plus rapide des finances publiques suite à une crise financière peut inciter les gouvernements à abandonner hâtivement la relance budgétaire pour adopter des plans d’austérité, précisément à un moment où la banque centrale peut difficilement en compenser l’impact sur la demande globale.

Plusieurs auteurs ont notamment mis l’accent sur des mécanismes du côté de l’offre pour expliquer la faiblesse persistante de l’activité suite à une crise financière. Les (nouveaux) keynésiens y font eux-mêmes référence lorsqu’ils suggèrent la présence d’effets d’hystérèse (hystérésis), par lesquels la persistance d’une faible demande se traduit par une dégradation du potentiel de production à long terme. Par exemple, plus les travailleurs restent longtemps au chômage, plus ils perdent en qualifications, moins ils sont productifs ; par définition, les chômeurs ne profitent pas de l’apprentissage par la pratique (learning-by-doing). De plus, tant qu’elles jugent la demande insuffisante, les entreprises n’ont pas forcément intérêt à accroître leurs capacités de production, si bien qu’elles réduisent leurs investissements ; et même si des entreprises désirent tout de même investir, les banques peuvent ne pas être incitées à leur prêter. Or ce sous-investissement ne limite pas seulement l’offre au sortir de la récession ; il réduit également les besoins en main-d’œuvre lors de la reprise, ce qui accroît le risque qu’une part significative de la population active demeure au chômage de longue durée. Surtout, la faiblesse persistante de la demande et le resserrement du crédit risquent de freiner le développement des nouvelles technologies et leur diffusion dans l’économie, et de freiner par là même la croissance de la productivité. En effet, l’émergence de nouvelles technologies ralentit si les entreprises réduisent également leurs dépenses en recherche-développement ; la diffusion des nouvelles technologies ralentit, notamment avec le renouvellement moins fréquent du stock de capital des entreprises.

GRAPHIQUE  Variation de la productivité totale des facteurs et de la productivité du travail aux Etats-Unis (valeurs log-linéarisées)

Comment l’innovation et la diffusion technologique contribuent à la persistance du cycle d’affaires

John Fernald (2014) note que la productivité totale des facteurs et la productivité du travail ont en effet fortement baissé durant la Grande Récession, mais il note aussi que leur chute débute en 2004 ou en 2005, c’est-à-dire avant même qu’éclate la crise financière, ce qui remet en question l’idée que la crise financière en soit à l’origine (cf. graphique). Fernald considère ainsi que la contraction de la productivité résulte simplement d’une « mauvaise chance ». De leur côté, Diego Anzoategui, Diego Comin, Mark Gertler et Joseba Martinez (2016) confirment une chute des dépenses de recherche-développement réalisées par les sociétés américaines durant la Grande Récession. Or ils constatent aussi que ces dépenses ont également chuté au cours de la récession 2001-2002, ce qui suggère que le ralentissement de la productivité avant la Grande Récession constitue en partie une réponse à des facteurs conjoncturels.

Les études ont depuis longtemps mis en avant la nature procyclique des dépenses en recherche-développement. Par contre, le processus même d’adoption des nouvelles technologies a fait l’objet de moins d’attention. Dan Andrews, Chiara Criscuolo et Peter Gal (2015) avaient déjà mis en évidence plusieurs preuves empiriques suggérant un ralentissement de la diffusion des nouvelles technologies dans les pays de l’OCDE au cours de la Grande Récession. Ils notaient que les écarts de productivité entre les entreprises les plus productives d’un secteur et les autres entreprises du même secteur s’étaient creusés lors de la crise financière mondiale. Ils interprétaient ce creusement en suggérant que les entreprises meneuses freinaient la vitesse à laquelle elles incorporaient les technologies développées par les entreprises suiveuses. Anzoategui et ses coauteurs ont de leur côté observé comment un ensemble de 26 technologies de production s’est diffusé sur la période 1947-2003 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ils constatent alors une corrélation positive entre la vitesse de diffusion des nouvelles technologies et le cycle économique. La vitesse de diffusion fut la plus faible au cours de la récession de 1981-1982 ; elle a connu une reprise durant les années quatre-vingt, déclina à nouveau après la récession de 1990, puis s’accrut fortement durant l’expansion de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, avant de décliner à nouveau avec la récession de 2001. Anzoategui et ses coauteurs analysent alors plus finement l’évolution de la diffusion des technologies au cours de la Grande Récession. Ils observent notamment la diffusion de trois technologies relatives à internet au Royaume-Uni entre 2004 et 2013. Ils constatent que la vitesse de leur diffusion décline de 75 % au cours de la Grande Récession, puis convergea vers son rythme d’avant-crise avec la reprise. 

Anzoategui et ses coauteurs proposent une modélisation pour examiner l’hypothèse selon laquelle le ralentissement de la croissance de la productivité suite à la Grande Récession constitue une réponse endogène à la contraction de la demande globale. Leur modèle DSGE d’inspiration néokeynésienne incorpore des mécanismes de croissance endogène à la Paul Romer (1990) et prend en compte les coûts associés au développement et à l’adoption des nouvelles technologies. Ils estiment ensuite le modèle et l’utilisent pour évaluer les sources du ralentissement de la croissance de la productivité. Ils constatent qu’une part significative de la chute de la productivité constitue un phénomène endogène : l’incorporation des nouvelles technologies dans la production a ralenti et ce ralentissement dans l’adoption technologique résulte de la récession. Les résultats qu’ils obtiennent sont cohérents avec l’idée que les facteurs de demande ont joué un rôle dans le ralentissement de la croissance des capacités depuis le début de la Grande Récession : le ralentissement de la productivité suite à la Grande Récession n’est pas simplement dû à de la « mauvaise chance », mais résulte de l’essoufflement même de l’activité économique.

 

Références

ANDREWS, Dan, Chiara CRISCUOLO & Peter N. GAL (2015), « Frontier firms, technology diffusion and public policy. Micro evidence from OECD countries », OCDE, productivity working paper.

ANZOATEGUI, Diego, Diego COMIN, Mark GERTLER & Joseba MARTINEZ (2016)« Endogenous technology adoption and R&D as sources of business cycle persistence », NBER, working paper, n° 22005, février.

FERNALD, John G. (2014), « Productivity and potential output before, during, and after the Great Recession », 29ème conference annuelle du NBER en macroéconomie.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2009)This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Traduction française, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière.  

ROMER, Paul (1990), « Endogenous Technological Change », in Journal of Political Economy, vol. 98, n° 5.

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24 février 2016 3 24 /02 /février /2016 20:32

Avant la crise financière mondiale de 2008-2009, les PIB réels par tête des Etats-Unis et de la zone euro augmentaient à un rythme relativement similaire. Lors de la crise financière mondiale, l’activité économique s’est brutalement contractée les Etats-Unis et dans la zone euro : les deux économies connurent une chute d’environ 5 % de leur activité en 2008-2009. La reprise qui s’amorça se révéla lente : les niveaux de vie des deux côtés de l’Atlantique rebondirent initialement au même rythme. La reprise ne s’est toutefois pas révélée durable dans la zone euro : cette dernière rebascula dans la récession en 2011, alors que les Etats-Unis ont poursuivi leur reprise.

C’est 2010-2011, lors de la crise de la dette souveraine, les trajectoires des PIB de la zone euro et des Etats-Unis commencèrent à diverger l’une de l’autre [Kollmann et alii, 2016 ; Piketty, 2016]. Aux Etats-Unis, le PIB réel par tête a certes retrouvé son rythme d’avant-crise, mais il n’a pas réussi à rejoindre la trajectoire tendancielle qu’il suivait avant la crise. Autrement dit, les pertes de production associées à la Grande Récession apparaissent comme permanentes : les Américains sont aujourd’hui plus pauvres qu’ils ne l’auraient été s’il n’y avait pas eu de crise financière. Le PIB réel par tête américain est inférieur de 10 % au niveau qu’il aurait atteint s’il s’était maintenu sur la trajectoire tendancielle qu’il suivait entre 1995 et 2007. Le PIB des Etats-Unis a dépassé son niveau d’avant-crise en 2011 ; fin 2015, il dépassait de 10 % son niveau d’avant-crise (cf. graphique 1). Le PIB de la zone euro n’a par contre toujours pas atteint son niveau d’avant-crise. En 2014, le niveau de vie de la zone euro demeurait inférieur de 3 % à son niveau maximal d’avant-crise et inférieur de 20 % au niveau qu’il aurait atteint s’il s’était maintenu sur la trajectoire tendancielle qu’il suivait entre 1995 et 2007. Non seulement il suit une trajectoire tendancielle inférieure à celle qu’il suivait avant la crise financière mondiale, mais il ne cesse de s’éloigner de cette trajectoire tendancielle d’avant-crise : les pertes en production ne font qu’augmenter, suggérant qu’un montant toujours plus important de ressources est gâché dans l’économie.

GRAPHIQUE 1  PIB réel trimestriel (en indices, base 100 = quatrième trimestre 2007)

Pourquoi la reprise a-t-elle été plus lente dans la zone euro qu’aux Etats-Unis ?

source : Piketty (2016)

Le comportement de d’autres variables macroéconomiques a également divergé des deux côtés de l’Atlantique suite à la crise financière mondiale [Kollmann et alii, 2016]. Par exemple, le taux d’emploi s’est plus fortement contracté aux Etats-Unis que dans la zone euro durant la Grande Récession, mais il commença à rebondir en 2011 aux Etats-Unis, alors qu’il continua de décliner dans la zone euro. Le taux de chômage diminua à partir de 2010 des deux côtés de l’Atlantique, mais il repartit à la hausse en zone euro début 2011 avant de baisser de nouveau à partir de début de 2013 ; aujourd’hui, le taux de chômage américain retrouve son niveau d’avant-crise, alors que le taux de chômage de la zone euro parvient à peine à retrouver ses niveaux de 2011 (cf. graphique 2). De plus, suite à la reprise mondiale, l’inflation a été plus faible dans la zone euro qu’aux Etats-Unis. Durant la Grande Récession, l’investissement s’est davantage contracté aux Etats-Unis que dans la zone euro, mais ensuite il continua de décliner dans la zone euro, alors qu’il renoua avec la reprise en 2011 aux Etats-Unis. Dans la zone euro, la productivité totale des facteurs a chuté durant la Grande Récession et elle demeure à un niveau inférieur au pic d’avant-crise ; aux Etats-Unis, elle stagna durant la Grande Récession, puis renoua avec la croissance avec la reprise. 

GRAPHIQUE 2  Taux de chômage des Etats-Unis et de la zone euro (en %)

Pourquoi la reprise a-t-elle été plus lente dans la zone euro qu’aux Etats-Unis ?

données : OCDE

D’un côté, plusieurs auteurs mettent en avant le rôle joué par la politique budgétaire. Si les gouvernements des deux côtés de l’Atlantique ont adopté des plans de relance lors de la Grande Récession, les Etats-membres de la zone euro ont cherché à consolider leurs finances publiques dès 2010, alors même que l’activité restait fragile et le chômage élevé. En outre, l’impact récessif des plans d’austérité pourrait avoir tendance à se renforcer (notamment via le canal des échanges commerciaux) lorsqu’ils sont menés simultanément par les différents Etats-membres de l’union monétaire. En effet, la zone euro constitue une économie relativement fermée. Lorsqu’un pays-membre resserre sa politique budgétaire, il réduit la demande des autres pays-membres via la baisse de ses importations ; réciproquement, ses propres exportations tendent à diminuer lorsque les autres pays-membres adoptent un plan d’austérité. Au final, les plans d'austérité se seraient révélés contre-productifs : non seulement ils auraient fait basculer la zone euro dans une seconde récession, mais la dégradation subséquente de l'activité a continué de pousser l'endettement public à la hausse.

D’autres explications ont été avancées. Certains estiment que ce sont les diverses rigidités présentes sur les marchés des produits et du travail dans la zone euro qui auraient freiné la reprise au sein de cette dernière enrayant la réallocation sectorielle des facteurs et la diffusion des nouvelles technologies, ce qui se traduisit au niveau agrégé par le ralentissement de la croissance de la productivité globale des facteurs. De plus, le désendettement des agents privés suite à une crise financière contribue à freiner la reprise. Certains suggèrent alors que l’assouplissement plus agressif de la politique monétaire aux Etats-Unis a permis à ce que le secteur privé américain se désendette plus rapidement que le secteur privé européen. Enfin, suite à la crise financière, les banques européennes ont nettoyé plus lentement leurs bilans que leurs consœurs américaines, si bien qu’elles ont pu jouer moins efficacement leur rôle d’intermédiaires financiers. 

Plusieurs économistes de la Commission européenne, en l'occurrence Robert Kollmann, Beatrice Pataracchia, Rafal Raciborski, Marco Ratto, Werner Roeger et Lukas Vogel (2016), on utilisé un modèle DSGE enrichi afin d’expliquer la divergence dans les trajectoires de l’activité dans la zone euro et aux Etats-Unis. Les résultats de leur modélisation suggèrent que la stagnation persistante de l’activité dans la zone euro découle aussi bien de chocs de demande négatifs que de chocs d’offre négatifs. En fait, Kollmann et ses coauteurs estiment que l’excès d’épargne et l’austérité budgétaire n’ont pas joué le rôle le plus déterminant dans la faiblesse de l’activité de la zone euro. En l’occurrence, la croissance de la zone euro aurait été tout particulièrement affectée par des chocs négatifs touchant la croissance de la productivité totale des facteurs et des chocs adverses à l’investissement en capital physique ; Kollmann et ses coauteurs les relient avant tout aux dysfonctionnements du secteur bancaire. Par contre, l’excès d’épargne privée a joué un rôle important dans le ralentissement de l’inflation européenne. Quant au rebond plus rapide de l’activité économique aux Etats-Unis, il s’expliquerait notamment par une relance budgétaire plus agressive lors de la Grande Récession et par la meilleure santé que le système financier affichait suite à la crise. En outre, la croissance de la productivité totale des facteurs ralentit moins amplement que dans la zone euro. La croissance américaine bénéficia notamment d’une consommation des ménages plus résiliente, peut-être grâce à un désendettement plus rapide des ménages aux Etats-Unis que dans la zone euro. L’économie américaine a malgré tout subi des chocs négatifs ces dernières années. Kollmann et ses coauteurs constatent notamment que la faiblesse de la croissance dans la zone euro a eu tendance à déprimer l’activité réelle aux Etats-Unis.

 

Références

KOLLMANN, Robert, Beatrice PATARACCHIA, Rafal RACIBORSKI, Marco RATTO, Werner ROEGER & Lukas VOGEL (2016), « The post-crisis slump in the euro area and the US: Evidence from an estimated three-region DSGE model », CAMA, working paper, n° 10/2016, février.

PIKETTY, Thomas (2016), « 2007-2015: une si longue récession », in Le Monde (blog), 8 janvier.

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21 février 2016 7 21 /02 /février /2016 11:00

Entre 2005 et 2015, la croissance de la productivité du travail a atteint en moyenne 1,3 % par an aux Etats-Unis, contre 2,8 % sur la période comprise entre 1995 et 2004. A long terme, cette différence se traduit par une perte substantielle en termes de niveau de vie pour les Américains. En effet, si la croissance de la productivité n’avait pas ralenti et s’était poursuivie au même rythme, alors le PIB américain à la fin de l’année 2015 aurait été supérieur de 15 % au niveau qu’il atteint [Syverson, 2016]. Cette « perte » s’élève à 2.700 milliards de dollars pour l’ensemble de l’économie et à 8.400 dollars pour chaque Américain. Si la croissance de la productivité du travail se maintenait à 1,3 % pendant 25 ans, le revenu par tête qui serait atteint en fin de période serait inférieur de 45 % au niveau qu’il aurait atteint si la croissance de la productivité du travail s’était maintenue à 2,8 %.

Diverses études ont cherché à décrire ce ralentissement. Plusieurs d’entre elles suggèrent qu’il n’est pas (uniquement) dû à des phénomènes conjoncturels. John Fernald (2014) a en effet montré qu’il s’est amorcé avant le début de la Grande Récession et qu’il ne s’explique pas par d’éventuelles bulles qui se seraient formées dans le secteur immobilier ou le système financier. Tout comme David Byrne, Stephen Oliner et Daniel Sichel (2013), il relie le ralentissement de la croissance de la productivité au ralentissement de la productivité dans l’industrie et au tarissement des gains de productivité associés à la diffusion des nouvelles technologies d’information et de communication entre 1995 et 2004.

Le débat s’est cristallisé sur les causes et la durée de ce ralentissement. Pour certains, profondément pessimistes, la croissance de la productivité est promise à rester lente ces prochaines décennies. Pour Robert Gordon (2012), c’est l’accélération observée entre 1995 et 2004 qui apparaît exceptionnelle : la croissance de la productivité a simplement retrouvé après 2004 le rythme auquel elle se maintenait dans les décennies qui ont précédé 1995. Le développement et la diffusion des technologies d’information et de communication a certes permis de stimuler la croissance de la productivité, mais leur potentiel était initialement plus faible que celui des vagues d’innovations que les Etats-Unis ont pu connaître par le passé. Certaines raisons amènent d’autres à rester optimiste. Par exemple, Martin Neil Baily, James Manyika et Shalabh Gupta (2013) estiment qu’il demeure des opportunités d’innovation dans plusieurs secteurs de l’économie américaine. De son côté, Chad Syverson (2013) note que les gains de la productivité associés à l’électrification et au moteur à combustion interne se sont manifestés par vagues, ce qui suggère que les gains de productivité associés aux nouvelles technologies d’information et de communication ne se sont pas peut-être entièrement matérialisés entre 1995 et 2004 et qu’une nouvelle vague d’accélération de la productivité pourrait ainsi s’amorcer à moyen terme.

Divers auteurs ont toutefois suggéré que le ralentissement de la croissance de la productivité est, pour une grande part, illusoire. En l’occurrence, les récents gains de productivité ne se seraient pas pleinement reflétés dans les statistiques, si bien que la véritable croissance de la productivité depuis 2004 n’a pas ralenti autant que ne le suggèrent les chiffres et qu’elle pourrait même s’être accélérée. Cette sous-estimation de la croissance de la productivité s’expliquerait notamment par le fait que les chiffres de la productivité ne parviennent pas à capturer la réelle valeur des innovations. Par exemple, plusieurs des innovations de la dernière décennie, notamment les services en ligne, sont disponibles gratuitement ou, tout du moins, à de faibles prix, si bien que leur prix n’indiquerait pas pleinement l’utilité qu’en retirent les utilisateurs.

Chad Syverson (2016) remet en question cette hypothèse en avançant quatre arguments. Premièrement, la croissance de la productivité a ralenti dans une douzaine de pays avancés. Si ce ralentissement s’expliquait par l’incapacité des statistiques à pleinement saisir la valeur des technologies d’information et de communication, alors il serait davantage marqué dans les pays qui produisent ou consomment le plus de ces technologies. Or Syverson ne constate aucun lien statistique entre l’ampleur du ralentissement de la croissance de la productivité et les indicateurs de consommation et de production de technologies d’information et de communication. Cette conclusion rejoint l’une des observations de Roberto Cardarelli et Lusine Lusinyan (2015).

Deuxièmement, plusieurs études ont cherché à estimer le gain que la diffusion des technologies numériques a pu générer en termes de surplus des consommateurs. Or les estimations auxquelles elles aboutissent suggèrent un gain en termes de surplus des consommateurs bien inférieur aux 2.700 milliards de dollars de « production manquante » qui résulte du ralentissement de la croissance de la productivité. Les estimations les plus optimistes suggèrent un gain en termes de surplus des consommateurs représentant moins d’un tiers de cette production manquante.

Troisièmement, Syverson observe les contributions des différents secteurs au PIB américain pour déterminer de combien leur valeur ajoutée aurait dû augmenter pour que l’hypothèse d’une mauvaise mesure de la productivité tienne. Pour expliquer ne serait-ce qu’un tiers de la production manquante, il aurait fallu que la valeur ajoutée des secteurs associés à internet s’accroisse de 170 % entre 2004 et 2015, soit trois fois plus amplement qu’elle n’a augmenté selon les statistiques.

Quatrièmement, Syverson observe les différences entre le PIB et le revenu intérieur brut ; le premier correspond à la somme des valeurs ajoutées et le second à la somme des revenus versés. Si les deux agrégats se mesurent différemment, leurs valeurs devraient en principe coïncider. Or, pendant plusieurs années, le revenu intérieur brut a été supérieur au PIB, ce qui pourrait suggérer que des travailleurs seraient peut-être payés pour produire des biens et services consommés (quasi) gratuitement et que le PIB ne capte pas entièrement les gains associés aux nouvelles technologies d’information et de communication. Syverson note toutefois que la différence entre les deux agrégats apparaît en 1998, c’est-à-dire précisément au début de l’accélération de la productivité américaine, et qu’elle s’explique essentiellement par des profits inhabituellement élevés. Ces quatre constats l’amène alors à rejeter l’hypothèse que le ralentissement de la croissance de la productivité américaine soit apparent.

 

Références 

BAILY, Martin Neil, James MANYIKA & Shalabh GUPTA (2013), « U.S. productivity growth: An optimistic perspective », in International Productivity Monitor, vol. 25.

BUNKER, Nick (2016), « Why the mismeasurement explanation for the U.S. productivity slowdown misses the mark », in Washington Center for Equitable Growth (blog), 17 janvier.

BYRNE, David M., Stephen D. OLINER & Daniel E. SICHEL (2013), « Is the information technology revolution over? », in International Productivity Monitor, vol. 25.

CARDARELLI, Roberto, & Lusine LUSINYAN (2015), « U.S. total factor productivity slowdown: Evidence from the U.S. states », FMI, working paper, n° 15/116, mai.

FERNALD, John G. (2014), « Productivity and potential output before, during, and after the Great Recession », 29ème conference annuelle du NBER en macroéconomie.

GORDON, Robert (2012), « Is U.S. economic growth over? Faltering innovations confronts the six headwinds », NBER, working paper, n° 18315.

SYVERSON, Chad (2013), « Will history repeat itself? Comments on “Is the information technology revolution over?” », International Productivity Monitor, vol. 25.

SYVERSON, Chad (2016), « Challenges to mismeasurement explanations for the U.S. productivity slowdown », NBER, working paper, n° 21974, février.

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