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4 novembre 2012 7 04 /11 /novembre /2012 10:40

La proximité spatiale offre une multitude d’avantages économiques. Les économies d’agglomération désignent les bénéfices qui sont externes à l’entreprise et qui proviennent de la densité et diversité des agents économiques au niveau local. Marshall (1890) a identifié très tôt trois sources d’économies d’agglomération. Tout d’abord, les entreprises profitent de leur contigüité spatiale pour partager, d’une part, les infrastructures caractérisées par des coûts fixes élevés et de larges économies d’échelle et, d’autre part, les fournisseurs spécialisés d’intrants. Inversement, une plus forte densité d’entreprises permet à chacune d’entre elles de s’assurer d’avoir davantage de débouchés pour sa production. La proximité met également un large ensemble de main-d’œuvre spécialisée à la disposition des entreprises, ce qui leur permet de satisfaire plus finement leurs besoins spécifiques en compétences. Inversement, les travailleurs ont quant à eux accès à un plus large éventail d’opportunités d’emplois et ils ont ainsi plus de chances de trouver un emploi qui leur convienne en termes de préférences et de niveau de qualifications. Enfin, la proximité spatiale permet une meilleure diffusion des savoirs et des nouvelles technologies. En effet, les effets de débordements technologiques s’exercent en particulier dans les relations de face à face. Les effets positifs de ces économies d’agglomérations sont en définitive observés à travers une hausse de la productivité et une baisse des coûts subis par les entreprises.

Les coûts de transport sont un élément crucial pour la compréhension de l’agglomération spatiale des activités économiques. Le partage des intrants, l’appariement entre l’offre et la demande de travail et les transferts technologiques peuvent ne pas s’opérer localement, mais ils s’accompagnent alors d’une perte d’efficacité et de coûts supplémentaires. Une plus forte densité spatiale réduit la distance physique entre les agents économiques et par là les coûts de transport, or la facilité avec laquelle les gens, les produits et se déplacent contribue fortement à la productivité.

Dans ce contexte, les investissements en transport sont susceptibles de relever la productivité de plusieurs manières. Tout d’abord, ils facilitent les interactions interindividuelles en permettant le regroupement d’activités économiques connexes, notamment via l’apparition de districts industriels ou clusters. Ensuite, ils participent à l’accumulation du capital humain en améliorant l’accès à l’éducation, à la formation et aux emplois qualifiés. En outre, ils améliorent l’accès des entreprises aux marchés. Enfin, ils amortissent les coûts de transport des entreprises. Au final, une meilleure infrastructure de transport peut stimuler les économies d’agglomération en réduisant le prix du trajet et par conséquent en diminuant les coûts d’interaction dans l’économie spatiale. Avec une telle réduction des coûts, l’agglomération de l’activité économique s’intensifie et génère des bénéfices à travers les économies d’échelle.

Si les analyses ont fortement exploré le lien entre transport et productivité, ainsi que la relation entre productivité et économies d’agglomération, le lien entre la productivité et les économies d’agglomération générées par le transport n’a occupé qu’une place réduite dans la recherche. Toutefois, le modèle théorique développé par Venables (2007) a mis en évidence les liens existant entre l’offre de transport et le processus d’agglomération. Il met à jour l’existence d’une relation positive entre la taille de la ville et la productivité. Il a montré que les progrès dans le transport urbain génèrent des gains à travers la taille de la ville. En particulier, un relâchement des contraintes pesant sur l’accès au centre stimule notamment l’emploi. Venbles conclue de son étude que l’investissement en transport urbain est source de rendements croissants qui ne sont pas capturés par l’évaluation standard du transport. Si les villes les plus larges ont une productivité plus élevée en raison d’économies d’agglomération, alors l’écart entre les travailleurs urbains et les travailleurs extérieurs à la ville peut être exprimé, non comme un écart constant, mais comme une courbe concave qui s’élève avec la taille de la ville. Venables démontre alors que les bénéfices associés à un investissement de transport urbain peuvent être quantifiés assez simplement si nous connaissons, d’une part, le changement dans l’agglomération urbaine qui va résulter de l’investissement en transport et, d’autre part, le supplément de productivité qui sera généré par la plus forte agglomération. 

Daniel Graham, David Levinson et Patricia Melo (2012) se sont penchés sur la relation entre la productivité du travail et les économies d’agglomération urbaine à parti d’un échantillon de 51 zones urbaines aux Etats-Unis. Les économies d’agglomération sont saisies à travers des mesures de l’accessibilité à l’emploi basées sur la distance et le temps, ce qui leur permet de prendre explicitement en compte le lien entre le réseau de transport et les économies d’agglomération. Leur modélisation fait apparaître qu’un doublement de la densité des emplois entraîne une hausse des salaires de 4,3 % en moyenne. Graham et alii observent la présence de non-linéarités dans la relation entre la productivité du travail et les économies d’agglomération pour les aires urbaines aux Etats-Unis. Les effets des économies d’agglomération sur la productivité du travail pourraient donc être amplement sous-évalués lorsqu’ils sont estimés au niveau régional ou national.

Préciser la décroissance spatiale des économies d’agglomération importe pour la décision publique. Si les bénéfices des économies d’agglomération ne s’exercent que sur une échelle purement locale, alors les autorités publiques doivent mettre en œuvre des politiques qui favorisent les proches interactions entre les entreprises et entre celles-ci et les travailleurs. En revanche, si les bénéfices de l’agglomération s’exercent sur une échelle géographique plus large, en embrassant différents marchés du travail, alors les autorités publiques ont plutôt à améliorer les interactions entre les marchés du travail. L’étude de Graham et alii suggère que les effets d’agglomération peuvent s’exercer jusqu’à 60 minutes dans le cas des zones urbaines des Etats-Unis, mais leur magnitude décroît très rapidement avec la durée de trajet. Doubler le nombre d’emplois accessibles dans un rayon de 20 minutes du durée de trajet est associé à une hausse moyenne de 6,5 % dans les salaires réels, tandis qu’un tel doublement dans l’espace entre 20 à 30 minutes ne se traduit que par une hausse salariale de 0,5 %. Les effets des externalités d’agglomération urbaine seraient donc au final assez localisées, ce qui suggère aux auteurs de l’étude que les externalités de connaissances sont probablement une source importante d’économies d’agglomération.

 

Références Martin ANOTA

Department of Transport (2012), « Job density, productivity and the role of transport », juin.

GRAHAM, Daniel, James LAIRD & Peter MACKIE (2011), « The direct and wider impacts of transport projects: a review », in A Handbook of Transport Economics.

GRAHAM, Daniel, David LEVINSON & Patricia MELO (2012), « Agglomeration, Accessibility, and Productivity: Evidence for Urbanized Areas in the US », working paper.

GRAHAM, Daniel, & Kurt VAN DENDER (2012), « Estimating the agglomeration benefits of transport investments: some tests for stability ».

MARSHALL, Alfred (1890), Principes d’économie politique.

VENABLES, Anthony J. (2007). « Evaluating Urban Transport Improvements: Cost-Benefit Analysis in the Presence of Agglomeration and Income Taxation », in Journal of Transport Economics and Policy, vol. 41, n° 2.

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21 octobre 2012 7 21 /10 /octobre /2012 16:01

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Les marchés du travail régionaux sont marqués par de profondes disparités en termes d’emploi, de salaires et de chômage. Si les différences institutionnelles peuvent expliquer l’essentiel des différences observées entre les marchés du travail nationaux, elles peuvent difficilement expliquer les disparités observées entre les marchés régionaux puisque le cadre institutionnel ne varie que marginalement d’une région à l’autre au sein d’un pays donné. Toute une littérature de l’économie géographique s’est penchée sur la structure spatiale des disparités régionales des marchés du travail et notamment du chômage.

Les études empiriques mettent en évidence que les taux de chômage sur les différents marchés du travail régionaux présentent un degré significatif de corrélation spatiale. Henry G. Overman et Diego Puga (2002) ont mis en évidence que les taux de chômage des régions européennes sont bien plus proches des taux moyens affichés par les régions qui leur sont immédiatement avoisinantes que le taux moyen des autres régions dans le reste du pays. Cette association spatiale ne s’explique pas principalement par la concentration spatiale de zones dotées d’une même composition en compétences, ni même d’une même spécialisation sectorielle. Overman et Puga attribuent les taux de chômage régionaux à la demande de travail. Par conséquent, si les disparités constatées entre les marchés du travail régionaux trouvent une explication dans la demande de travail, alors elles pourraient en définitive dépendre du commerce interrégional. D’autres auteurs mettent également en avant l’importance des flux de commuting, c’est-à-dire des trajets quotidiens entre lieu de résidence et lieu de travail, de la migration, de l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail ou encore de l’activité immobilière pour expliquer la forte dépendance spatiale des taux de chômage. 

Alessandra Fogli, Enoch Hill et Fabrizio Perri (2012) ont cherché à rendre compte des propriétés géographiques des différents cycles d’affaires que connurent les Etats-Unis au cours des trente dernières années, en mettant particulièrement l’accent sur l’épisode de la Grande Récession qui débute en 2007. Pour observer l’apparition et la diffusion spatiales des récessions lors de ces trois décennies, ils compilent les taux de chômage mensuels que le Bureau of Labor Statistics a enregistré entre janvier 1977 et décembre 2011 pour 3065 comtés présents sur le continent américain. Dans la première partie de l’analyse empirique, Fogli et alii se focalisent sur la Grande Récession, puis ils comparent dans un deuxième temps les caractéristiques spatiales du récent cycle avec ceux caractérisant les précédents. Les quatre graphiques infra représentent la déviation du taux de chômage constaté dans chaque comté de sa tendance à long terme. Les trois auteurs observent en outre la déviation standard du chômage entre les comtés, qui rend compte de la dispersion spatiale des déviations des niveaux de chômage de leur moyenne à long terme. Ils observent également le coefficient autorégressif spatial, un indicateur utilisé pour mesurer le degré de corrélation spatiale, c’est-à-dire l’association qui existe entre l’emploi dans chaque comté et celui observé dans les comtés avoisinants.


GRAPHIQUE 1 Déviation du chômage de sa moyenne de long terme en juin 2007 (en points de pourcentage)

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source : Fogli et alii (2012)


GRAPHIQUE 2 Déviation du chômage de sa moyenne de long terme en septembre 2008 (en points de pourcentage)

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source : Fogli et alii (2012)

 

GRAPHIQUE 3  Déviation du chômage de sa moyenne de long terme en décembre 2008 (en points de pourcentage)

GeoUS-dec08.jpg

source : Fogli et alii (2012)

 

GRAPHIQUE 4  Déviation du chômage de sa moyenne de long terme en juin 2009 (en points de pourcentage)

GeoUS-jui09.jpg

source : Fogli et alii (2012)

 

En juin 2007, avant que ne débute la récession, le taux de chômage s‘établit à 4,6 % au niveau agrégé (cf. graphique 1). A cet instant-ci, le chômage n’est pas aléatoirement réparti dans l’espace, mais présente au contraire un degré élevé de corrélation spatiale ; des ensembles de comtés proches les uns des autres partagent soit un niveau élevé de chômage, soit un faible niveau. Toutefois, la majorité des comtés présentent des taux de chômage équivalents ou inférieurs à leur moyenne de long terme. La corrélation spatiale du chômage entre les comtés est alors de 0,796. Dans les mois suivants, avec l’apparition et l’aggravation de la crise, le taux de chômage au niveau national va passer de 5 % en décembre 2007, puis s’établir à 7,3 % un an plus tard. La répartition géographique du chômage va suivre sur cette période un schéma épidémique. En effet, le chômage ne s’accroît tout d’abord que dans quelques comtés, qui ne sont par ailleurs pas nécessairement proches les uns des autres, ce qui se traduit par une baisse du degré de corrélation spatiale (cf. graphique 2). Ensuite, le chômage va s’aggraver dans les comtés avoisinant ceux qui ont été initialement frappés par la remontée du chômage (cf. graphique 3). Par conséquent, le degré de corrélation spatiale, qui avait diminué pour s’établir à 0,704 en décembre 2007, va remonter à 0,767 en septembre 2008, puis à 0,821 en décembre 2008. Lors du pic de la récession en juin 2009, le chômage s’est étendu à l’ensemble du territoire (cf. graphique 4). Les degrés de corrélation spatiale et de dispersion spatiale vont alors se stabiliser. Il apparaît finalement que la localisation d’un comté dans l’espace détermine fortement les dynamiques du chômage qui y sont observées. Son popre niveau de chômage dépend de ceux observés dans les comtés voisins, tout comme il va affecter ces derniers. La géographie aurait donc effectivement un rôle significatif dans la transmission et la propagation des chocs macroéconomiques.

Fogli et alii doivent toutefois prendre en compte dans leur analyse le fait que la spécialisation géographique constitue une source potentielle de corrélation spatiale. Les auteurs prennent l’exemple de l’industrie automobile, géographiquement concentrée autour de Detroit, qui a été sévèrement touchée par le ralentissement de l’activité. L’indicateur de corrélation spatiale qui lui est associé est élevé et va fortement s’accroître lors de la récession puisque les comtés dotés d’une même structure industrielle vont être frappés de la même manière par la récession ; cette corrélation traduit donc une similarité dans la structure industrielle des comtés avoisinants Detroit et non pas véritablement une transmission des chocs d’un comté à un autre. Une fois que les auteurs prennent en compte cette influence de la composition industrielle, ils mettent en évidence que la corrélation spatiale suit effectivement une évolution en forme de V : elle est initialement élevée, puis elle tombe brutalement au début de la récession avant de s’accroître rapidement au cours de la récession pour enfin se stabiliser en fin de celle-ci. La dispersion spatiale présente quant à elle une évolution en forme de U inversé ; elle s’accroît au cours de la récession, puis se stabilise et chute. La transmission des chocs agrégés entre des comtés géographiquement proches peut donc avoir joué un rôle majeur durant la Grande Récession.

Les récessions de 1980, de 1982 et de 1990 présentent des propriétés géographiques similaires à celles mises en évidence pour la Grande Récession. La corrélation spatiale chute toute d’abord lorsque l’activité économique commence à ralentir avant de s’accroître brutalement pour se stabiliser à la fin de la récession. La dispersion spatiale s’accroît violemment durant la récession, puis se stabilise également et se réduit ensuite. Lors de la récession de 2001, la corrélation spatiale présente une évolution similaire en termes qualitatifs, mais son déclin se poursuit tout au long de la récession. En outre, la dispersion spatiale ne connait quant à elle aucune hausse. La hausse relativement limitée du chômage au cours de cet épisode pourrait expliquer la spécificité de ses propriétés spatiales. Au final, il apparaît que les taux de chômage des comtés sont fortement dispersés et corrélés dans l’espace. De plus, les dispersions et corrélation spatiales présentent des évolutions distinctes au cours de la plupart des récessions. Ces dynamiques ne peuvent simplement être expliquées par la composition industrielle des comtés.

Puisque la transmission géographique joue un rôle déterminant dans l’amplification et la propagation d’un choc agrégé, Fogli et alii développent un modèle de cycle d’affaires afin d’explorer plus finement cette conclusion. Le cycle d’affaires trouve son origine dans un choc agrégé frappant l’ensemble des comtés. Les répercussions de ce choc diffèrent toutefois d’un comté à l’autre. Si un comté disposant d’un niveau élevé de productivité peut ne connaître qu’une hausse limitée du chômage suite à un puissant choc agrégé, un comté qui verrait l’essentiel de son emploi concentré dans une entreprise fragile pourrait au contraire connaître une réponse suramplifiée de son taux de chômage à un faible choc. Dans la modélisation, la connexion géographique des comtés s’opère à travers deux canaux. D’une part, les conditions locales auxquelles font face des comtés géographiquement proches les uns des autres peuvent être corrélés simultanément. En l’occurrence, une forte demande qui s’exercerait dans un comté donné pourrait influencer positivement les comtés voisins à travers le commerce local. D’autre part, la migration et les trajets de commuting font dépendre le niveau de chômage constaté à un moment donné dans un comté du niveau observé précédemment dans un autre comté.

Les auteurs reproduisent alors les patterns de corrélation et dispersion spatiales similaires à ceux qu’ils ont mis en évidence au niveau empirique. Le modèle laisse suggérer que les connexions géographiques locales jouent un rôle déterminant dans les dynamiques de l’emploi au niveau agrégé. Les connexions locales peuvent en effet amortir les chocs que subit l’économie nationale si ceux-ci sont de faible intensité, tout comme elles amplifient au contraire les fluctuations de l’emploi lorsque survient un puissant choc agrégé. Ainsi, de moindres connexions locales auraient pu réduire la progression du chômage lors de la Grande Récession ; inversement, de plus fortes connexions locales auraient permis un reflux plus rapide du chômage une fois la reprise amorcée. Lorsque les connexions locales sont plus fortes, les conditions idiosyncratiques des comtés tendent à converger. Il y a alors moins de zones fragiles, tout comme il y a moins de zones robustes. La réduction du nombre de comtés fragiles rend l’économie plus résiliente face à un choc de faible ampleur. En revanche, la moindre proportion de comtés suffisamment robustes pour affronter un fort ralentissement de l’activité sans que leur niveau de chômage augmente rend l’économie nationale plus vulnérable à un choc de grande envergure.

 

Références Martin ANOTA

FOGLI, Alessandra, Enoch HILL & Fabrizio PERRI (2012), « The geography of the Great Recession », NBER working paper, n° 18447, octobre.

LLORED, René (2010), La Richesse des territoires, Bréal.

OVERMAN, Henry G., & Diego PUGA (2002), « Unemployment clusters across Europe’s regions and countries », in Economic Policy, vol. 17, n° 34.

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25 septembre 2012 2 25 /09 /septembre /2012 19:35

Les marchés financiers internationaux ne fonctionnent pas sans frictions ; l’effet taille de marché et les asymétries d’information contribuent à leur segmentation, à leur modelage spatial. Le commerce en actifs financiers entre notamment en étroite interaction avec le commerce en biens et services. L’histoire aussi importe dans la géographie de la finance internationale. En l’occurrence, comme le mettent en avant Livia Chiţu, Barry Eichengreen et Arnaud Mehl (2012) dans leur récent document de travail pour la Banque centrale européenne, l’investissement financier passé peut significativement influencer l’investissement courant en raison de l’existence de coûts fixes. Si les entreprises en entrant sur un marché ont dû supporter des coûts fixes qu’elles ne pourront que difficilement récupérer en en sortant, les chocs transitoires que constituent les pénétrations de marché sont alors propres à influencer à long terme l’agencement des flux commerciaux. Les sociétés financières font notamment face à des coûts fixes lorsqu’elles cherchent à commercialiser des obligations étrangères auprès d’investisseurs domestiques ; les banques, par exemple, peuvent alors créer des filiales à l’étranger de manière à recueillir les informations relatives aux marchés étrangers.

Les coûts fixes ne doivent pas nécessairement être importants pour exercer des effets persistants sur la géographie des détentions en actifs ; il suffit simplement qu’ils diffèrent d’un pays à l’autre. En l’occurrence, s’il y a asymétrie d’information, même un léger avantage informationnel à propos des actifs domestiques suffira à générer un biais domestique significatif. La plus grande information disponible réduira le risque associé aux actifs domestiques tel qu’il est perçu par les participants au marché, si bien que ces derniers seront incités à accroître leur demande pour ces actifs et à acquérir encore davantage d’informations les concernant. Un avantage informationnel initialement faible peut donc tendre à s’amplifier au cours du temps. Des coûts fixes d’investissement initialement plus faibles dans certains pays peuvent de la même manière se traduire au cours du temps par un investissement toujours plus important à destination de ces pays.  

Les détentions passées en obligations d’un pays donné constituent un indicateur indirect des coûts fixes auxquels font face les investisseurs financiers, dans la mesure où ces derniers ont dû subir des coûts pour acquérir les informations relatives à ces titres. Chiţu, Eichengreen et Mehl ont donc utilisé les données relatives aux détentions d’obligations étrangères par les investisseurs américains dans 88 pays en 1943 pour observer les effets de dépendance au sentier qu’impliquent les coûts irrécouvrables dans l’entrée et sortie du marché obligataire. Il apparaît alors que la configuration des dotations américaines en titres d’il y a sept décennies expliquent en partie leur allocation actuelle : une hausse de 1 % dans le volume d’actifs détenus dans un pays donné en 1943 par les investisseurs américains est associée à une hausse de 1% dans le volume d’actifs possédés aujourd’hui dans ce même pays. L’impact de l’histoire sur les détentions américaines en obligations étrangères dépend de la devise en laquelle sont libellés ces titres. L’« effet histoire » est en l’occurrence deux fois plus important pour les obligations libellées en dollars, ce qui s'expliquerait par la relative importance des coûts auxquels sont confrontés les investisseurs américains lorsqu’ils font l’acquisition d’actifs libellés dans une devise autre que le dollar. Le rôle que le dollar joue actuellement en tant que devise de placement international constitue véritablement un héritage de l’époque où il détrôna la livre sterling.

 

Référence Martin ANOTA

CHIŢU, Livia, Barry EICHENGREEN & Arnaud MEHL (2012), « History, gravity, and international finance », ECB working paper, n° 1466, septembre.

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