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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 16:32

(Petit clin d'oeil à l'épreuve de spécialité des terminales ES de ce matin...)

Les théories classiques du commerce international apparaissent tout d’abord comme une généralisation du principe de la division du travail au niveau international. Chez Adam Smith, les échanges internationaux s’expliquent par les différences dans les coûts de production entre les différentes économies. Un pays va se spécialiser dans la production pour laquelle il présente les coûts de production absolus les plus faibles, comparativement aux autres pays, et échanger avec ces derniers les biens qu’il aura produits. Cette théorie laisse en suspens le comportement d’un pays ne disposant d’aucun avantage absolu. Pessimiste quant à la poursuite de la croissance à long terme, David Ricardo va concevoir le libre-échange comme un moyen de retarder la convergence de l’économie vers son état stationnaire. Développant une analyse plus riche que celle de Smith, il va démontrer que chaque pays a intérêt à s’ouvrir au commerce international, même s’il ne dispose d’aucun avantage absolu. Dans le septième chapitre de ses Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817), il va ainsi introduire la notion d’avantage comparatif et démontrer sa pertience à travers l’exemple fictif du commerce de l’Angleterre et du Portugal dans les secteurs viticole et textile.

En Angleterre, la production d’une unité de drap nécessite 100 travailleurs, tandis que celle d’une unité de vin 120 travailleurs. Au Portugal, la production d’une unité de drap nécessite 90 travailleurs et celle d’une unité de vin 80 travailleurs. Dans cet exemple, l’Angleterre ne dispose d’aucun avantage absolu, donc elle n’aurait d’utilité à se spécialiser dans aucune activité selon l’optique smithienne. Ricardo s’écarte de Smith en considérant, non pas les coûts absolus, mais les coûts relatifs. Les coûts unitaires relatifs de la production de drap par rapport à celle de vin sont de 100/120 en Angleterre et de 90/80 au Portugal. Chaque pays va alors se spécialiser dans la production dans laquelle il détient un avantage comparatif. En l’occurrence, l’Angleterre va se spécialiser dans la production de drap et le Portugal dans celle du vin. Chacun va retirer un gain à l’échange en exportant le bien pour lequel il dispose d’un avantage comparatif et en important le bien pour lequel il n’en dispose aucun. La spécialisation et l’intégration des pays au commerce international accroissent la production mondiale et le bien-être collectif par rapport à une situation autarcique.

La réflexion est limitée par ses hypothèses : Ricardo suppose la pleine mobilité des produits au niveau international et l’absence de coûts de transport, mais également l’immobilité des facteurs de production entre les pays. A l’intérieur des pays, les facteurs sont toutefois supposés pleinement mobiles entre les secteurs. Malgré ses hypothèses restrictives, la théorie ricardienne a fait l’objet de multiples développements théoriques, mais aussi de plusieurs tentatives de vérifications empiriques. Celles-ci se heurtent toutefois sur une sérieuse difficulté : la productivité relative, qui constitue la variable clé dans la théorie ricardienne, n’est pas directement observable. Le problème n’est qu’implicite dans le modèle car ce dernier implique à l’équilibre une complète spécialisation des économies. Dans la mesure où les biens importés ne sont pas produits dans le pays importateur, les différences dans les besoins en main-d’œuvre sont alors inobservables. Si l’Angleterre ne fabrique pas de vin et le Portugal ne produit pas de draps, il apparaît compliqué d’évaluer l’efficacité avec laquelle ils pourraient les produire.

Pour résoudre ce problème d’indentification, Arnaud Costinot et Dave Donaldson (2012) se sont focalisés sur le secteur agricole, un secteur pour lequel l’influence des inputs (par exemple l’eau, la terre et les conditions climatiques) sur le niveau de production est pleinement appréhendée scientifiquement. Les agronomes sont en effet capables de prévoir quelle sera la productivité d’une parcelle donnée de terre (un « champ ») selon la nature de la culture mise en œuvre. Les économétriciens peuvent alors déterminer la productivité d’un champ dans toutes les activités économiques.

Dans leur étude, Costinot et Donaldson ont tout d’abord déterminé comment le niveau total de production devrait théoriquement varier entre les pays en fonction, d’une part, du vecteur de productivités des champs dont les pays sont dotés et, d’autre part, des prix de production déterminant l’allocation des différentes cultures entre les champs. Ils ont utilisé les données de productivité et de prix relatives à 17 cultures agricoles et 55 pays fournies par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA). Une fois les niveaux théoriques de production déterminés, les deux économistes les ont comparés avec les niveaux de production effectivement constatés. Selon leurs résultats empiriques, les niveaux de production impliqués par la théorie ricardienne s’accordent raisonnablement avec les données sur la production agricole mondiale. La théorie des avantages comparatifs démontrerait ainsi un véritable pouvoir explicatif.


Références  Martin Anota 

COSTINOT, Arnaud, et Dave DONALDSON (2012), « Ricardo’s Theory of Comparative Advantage: Old Idea, New Evidence », NBER working paper, n° 17 969, avril.

RAINELLI, Michel (2009), Le Commerce international, dixième édition, Repères, La Découverte.

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7 avril 2012 6 07 /04 /avril /2012 18:15

Si le volume du commerce mondial tripla entre 1990 et 2007, les exportations chinoises furent multipliées par 12 sur la même période. L’intégration croissante de la Chine dans le commerce international suscite naturellement une inquiétude des pays développés concernant les secteurs industriels dans lesquels ils possèdent un avantage comparatif. Reprenant la théorie de Ricardo pour l’appliquer aux relations sino-américain, Paul Samuelson (2004) avait affirmé que les économies développées peuvent souffrir d’un accroissement de productivité de la Chine dans les secteurs où celle-ci ne possède initialement pas d’avantages comparatifs. Aujourd’hui, Giovanni, Levchenko et Zhang (2012) proposent un modèle alternatif et concluent de leur côté qu’une amélioration technique de la Chine dans les secteurs où elle possède un désavantage comparatif favorise l’économie mondiale et notamment les économies avancées.

Dans le modèle que présente Samuelson (2004), l’économie mondiale ne se compose que de deux pays : la Chine et les Etats-Unis. La première se compose de 1 000 travailleurs tandis que 100 travailleurs sont présents sur le sol américain. Seuls deux biens sont produits, en l’occurrence le bien 1 et le bien 2. En l’absence de spécialisation, les travailleurs dans chaque pays se répartissent également entre les deux secteurs industriels. Les productivités étasuniennes sont respectivement Π1 = 2 et Π2 = 1/2 pour la production du bien 1 et celle du bien 2 ; les productivités chinoises sont respectivement égales à π1 = 1/20 et π2 = 1/5 pour la production du bien 1 et celle du bien 2. Par conséquent, selon la loi des avantages comparatifs, les Etats-Unis se spécialisent dans la production de bien 1 et en produisent 200 unités ; la Chine se spécialise dans la production de bien 2 et en produit 200 unités. Les deux pays procèdent à des échanges internationaux et chacun dispose d’un revenu par tête plus élevé qu’il ne l’aurait été en situation autarcique. Les consommateurs disposent ainsi d'un plus grand pouvoir d'achat. Si les ajustements sectoriels peuvent être douloureux à court terme, les bénéfices à long terme font plus que les compenser. A ce point de l’exposé, la simple application de la théorie ricardienne tend à soutenir la thèse du libre-échange puisque chacune des deux économies trouve un gain net à l’échange.

Samuelson fait alors intervenir le progrès technique et développe deux scénarii :

1. Il suppose tout d’abord que la productivité chinoise quadruple dans la production du bien 2, c’est-à-dire le bien exporté vers les Etats-unis, et passe de π2 = 1/5 à π2 = 8/10. Les Etats-Unis restent spécialisés dans la production de bien 1 et la Chine dans celle du bien 2. Les travailleurs étasuniens produisent toujours 200 unités de bien 1, mais désormais la Chine produit 800 unités de bien 2. Les Etats-Unis conservent une part du gain lié à l’augmentation de la production mondiale. La Chine peut quant à elle connaître un processus d'auto-appauvrissement (self-immiseration) : si les demandes sont peu élastiques, les gains de productivité entraînent une détérioration de ses termes de l'échange et par là une baisse de son revenu par tête ;

2. Samuelson suppose ensuite que la Chine voit au contraire sa productivité quadrupler dans la production du bien 1, c'est-à-dire celui pour lequel les Etats-Unis disposaient initialement d’un avantage comparatif ; la productivité chinoise passe en l'occurrence de π1 = 1/20 à π’1 = 8/10. La Chine devient alors plus productive que les Etats-Unis dans ce secteur manufacturier. La production potentielle s’accroît, mais les avantages comparatifs disparaissent, si bien que les deux pays n’ont plus intérêt à se spécialiser et échanger. Les Etats-Unis produisent 100 unités du bien 1 et 25 unités du bien 2. Le revenu par tête étasunien chute alors fortement.

Selon le secteur concerné, soit un gain de productivité profite à l’ensemble des pays échangistes (premier scénario), soit il ne profite qu’au seul pays au sein duquel il apparaît, les pays étrangers connaissant alors des pertes durables de bien-être (second scénario). En définitive, si Samuelson ne recommande pas pour autant l’adoption de mesures protectionnistes, son propos vise toutefois à fortement nuancer l’image idyllique que les partisans du libre-échange (notamment Bhagwati) peuvent donner de l’intégration chinoise.

Import Trade Services

Julian di Giovanni, Andrei Levchenko et Jing Shang (2012a) présentent un modèle multifactoriel multi-pays pour réévaluer les résultats de Samuelson. Ils utilisent des données issues de 19 secteurs industriels et de 75 pays. Les auteurs mettent alors en scène deux scénarii :

1. Dans le scénario d’une croissance « équilibrée », le taux de croissance de la Chine dans chaque secteur est identique et égal au taux moyen observé entre les années quatre-vingt-dix et deux mille (1,32 % annuellement), si bien que les avantages comparatifs dont dispose la Chine perdurent ;

2. Dans le scénario d’une croissance « déséquilibrée », le taux de croissance de la Chine est plus élevé dans les secteurs où elle présente un désavantage comparatif, si bien que les différences de la productivité relative de la Chine par rapport aux pays les plus performants dans chaque secteur s’atténuent.

La productivité moyenne de la Chine est la même dans les deux scenarii, mais ces derniers diffèrent selon les productivités relatives des secteurs. Selon Giovanni et alii, les gains moyens sont dix fois supérieurs dans le scénario déséquilibré que dans le scénario équilibré. La croissance déséquilibrée de la Chine bénéficie particulièrement aux pays devenant similaires à la Chine. Les résultats obtenus par Samuelson disparaissent donc dans un modèle avec plus de deux pays et plus de deux biens. Le bien-être étasunien ne diminue pas forcément lorsque la technologie sectorielle de la Chine se calque sur celle des Etats-Unis.

La Chine connaît une forte productivité relative dans des secteurs tels que le textile que les auteurs qualifient de « communs », dans le sens où plusieurs pays ont eux-mêmes également une productivité élevée dans ces secteurs ; elle connaît au contraire des désavantages comparatifs dans des secteurs tels que la comptabilité ou l’informatique, qualifiés de « rares » dans le sens où seuls peu de pays connaissent une forte productivité dans ces secteurs. Selon les résultats empiriques obtenus par Giovanni et alii, le reste du monde profiterait effectivement d’une forte croissance de la productivité chinoise dans les « rares » secteurs. Le progrès technique, bien qu’atténuant les désavantages comparatifs de la Chine, ne serait pas aussi nocif pour les économies avancées que ne le pensait Samuelson.

 

Références Martin Anota

GIOVANNI, Julian di, Andrei LEVCHENKO & Jing ZHANG (2012a), « The Global Welfare Impact of China: Trade Integration and Technological Change », IMF working paper, mars.

GIOVANNI, Julian di, Andrei LEVCHENKO & Jing ZHANG (2012b), « Can China’s growth lower welfare in developed countries? A refutation of the Samuelson conjecture », in VoxEu.org, 2 avril.

SAMUELSON, Paul (2004), « Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization », in Journal of Economic Perspectives, vol. 18, n° 3, été, pp. 135–146.

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 21:12

Jolie petite illustration par le CEPII de la montée des émergents et du déclin des pays de l’OCDE.

La Grande Récession s’était traduite par une brutale contraction des échanges mondiaux, mais la reprise est rapidement intervenue, avec une poursuite, voire une intensification des tendances lourdes qui étaient précédemment à l’œuvre. Ainsi, les pays en développement ont très rapidement retrouvé et dépassé leurs volumes d’exportations et d’importations de 2007, alors que les pays développés peinent encore à retrouver leurs niveaux d’avant-crise.

GRAPHIQUE  Evolution des exportations et importations (en volumes)

cepii.jpg
Source : CEPII, d’après les données du CPB World Trade Monitor                    

Les exportations et les importations des économies développées se sont respectivement accrues de 31 % et 21 % entre 2000 et 2011, tandis que les pays en développement ont vu leurs volumes d’exportations et d'importations augmenter respectivement de 133 % et 149 % sur la même période. Si le nouveau millénaire marque clairement le rattrapage des économies développées par les économies en développement, la crise de 2008 semble avoir accéléré le rythme de convergence. Ces tendances globales ne doivent pas occulter le fait que les pays en développement demeurent un ensemble disparate, aux taux de croissance différents, et que ce sont essentiellement les émergentes Chine et Inde qui gouvernent la dynamique d’ensemble.

La géographique mondiale de la croissance continue à se redessiner, finissant de brouiller la trop simple ligne de partage Nord-Sud. Le centre de gravité de l’économie-monde, après avoir traversé l’Atlantique, tend à se repositionner sur l’Asie dans un lent mais irrésistible mouvement vers l’ouest. L’actuel ralentissement de l’activité économique en Chine et en Inde pourrait toutefois un peu retarder le cours des événements…

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