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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 14:00

Le changement climatique et en particulier la hausse tendancielle des températures moyennes sont susceptibles de modifier les flux migratoires, d’accélérer le peuplement de certains territoires et d’entraîner à l'inverse le dépeuplement de d’autres territoires, aussi bien à l’intérieur de chaque pays qu’au niveau international. En l’occurrence, les migrations environnementales dépendent étroitement de l'évolution de la productivité agricole. En effet, le rendement agricole n’a atteint son maximum qu’après des ajustements aux températures locales étalés sur plusieurs siècles, si bien qu’un écart prolongé des températures par rapport à leur moyenne historique est susceptible de réduire la productivité agricole. Or l’agriculture est une source essentielle d’emplois et de revenus dans de nombreux pays en développement. Par conséquent, le changement climatique est susceptible de réduire les revenu des populations rurales et par là même les incitations à rester dans les campagnes.

Ces dernières décennies, plusieurs études ont cherché à préciser l’impact des facteurs climatiques et environnementaux sur la migration [Cai et alii, 2014 ; Cattaneo et Peri, 2015]. Beaucoup d’entre elles mettent en évidence un impact significatif du climat sur la migration. Salvador Barrios, Luisito Bertinelli et Eric Strobl (2006) constatent que les pluies affectent l’exode rural et l’urbanisation dans les pays d’Afrique subsaharienne. A partir de données relatives au Mexique, Feng Shuaizhang, Alan Krueger et Michael Oppenheimer (2010) constatent que les bouleversements des cultures impulsés par le changement climatique influencent l’émigration mexicaine à destination des Etats-Unis. De leur côté, Clark Gray et Valerie Mueller (2012) ont montré que les destructions de cultures provoquées par les sécheresses influencent puissamment la mobilité au Bangladesh, alors que les inondations ont de moindres répercussions. En analysant également les pays d’Afrique subsaharienne, Luca Marchiori, Jean-François Maystadt et Ingmar Schumacher (2012) ont mis en évidence que les intempéries accroissent la migration aussi bien au sein de chaque pays qu’entre les pays eux-mêmes. Valerie Mueller, Clark Gray et Katrina Kosec (2014) constatent que les inondations ont un impact limité sur la migration, mais que les fortes chaleurs accroissent la migration à long terme au Pakistan.

Peu d’études ont véritablement cherché à observer et à prévoir les migrations environnementales au niveau international en s'appuyant sur de larges échantillons de pays. Ruohong Cai, Shuaizhang Feng, Mariola Pytliková et Michael Oppenheimer (2014) ont contribué à combler un tel manque en analysant des données annuelles relatives aux flux de migration en provenance de 163 pays et à destination de 42 pays de l’OCDE au cours des trois dernières décennies. Ils constatent une relation positive et statistiquement significative entre la température et l’émigration dans la plupart des pays qui dépendent de l’agriculture. Ils constatent que les flux migratoires vers les principales destinations sont particulièrement sensibles aux variations des températures.

En utilisant les données à relatives à 116 pays entre 1960 et 2000, Cristina Cattaneo et Giovanni Peri (2015) ont récemment analysé l’impact différentiel du réchauffement climatique sur la probabilité d’émigrer à l’étranger ou bien de simplement quitter les campagnes pour aller dans les villes. Ils constatent que la hausse des températures stimule l’émigration vers les villes et vers les autres pays dans le cas des économies à revenu intermédiaire. Par contre, dans les pays à faible revenu, les ménages font face à de puissantes contraintes en termes de liquidité : les gens sont si pauvres qu’ils ne peuvent faire face au coût de l’émigration. Par conséquent, la hausse des températures réduit la probabilité de quitter les campagnes pour aller résider en villes ou d'émigrer vers d’autres pays, dans la mesure où elle réduit davantage le revenu, donc les possibilités de faire face au coût de l’émigration. Au final, dans les pays à revenu intermédiaire, la migration représente une marge importante d’ajustement face au réchauffement climatique, qui est susceptible d’accélérer le changement structurel et même d’accroître le revenu par travailleur. Cependant un tel mécanisme ne semble pas être à l’œuvre dans les économies pauvres. Si le réchauffement climatique est susceptible d’accroître le PIB par tête en entraînant une baisse de la pauvreté rurale dans les pays à revenu intermédiaire, il risque au contraire de détériorer le niveau de vie dans les pays à faible revenu en enfermant davantage les populations dans des trappes à pauvreté.

 

Références

BARRIOS, Salvador, Luisito BERTINELLI & Eric STROBL (2006), « Climatic change and rural-urban migration: The case of sub-Saharan Africa », in Journal of Urban Economics, vol. 60, n° 3.

CAI, Ruohong, Shuaizhang FENG, Mariola PYTLIKOVÁ & Michael OPPENHEIMER (2014), « Climate variability and international migration: The importance of the agricultural linkage », IZA, discussion paper, n° 8183, mai.

CATTANEO, Cristina, & Giovanni PERI (2015), « The migration response to increasing temperatures », NBER, working paper, n° 21622, octobre.

FENG, Shuaizhang, Alan B. KRUEGER & Michael OPPENHEIMER (2010), « Linkages among climate change, crop yields and Mexico-US cross-border migration », in Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 107, n° 32.

GRAY, Clark L., & Valerie MUELLER (2012), « Natural disasters and population mobility in Bangladesh », in Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 109, n° 16.

MARCHIORI, Luca, Jean-François MAYSTADT & Ingmar SCHUMACHER (2012), « The impact of weather anomalies on migration in sub-Saharan Africa », in Journal of Environmental Economics and Management, vol. 63.

MUELLER, Valerie A., Clark L. GRAY & Katrina KOSEC (2014), « Heat stress increases long-term human migration in rural Pakistan », in Nature Climate Change, vol. 4.

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 22:18

Après quatre années de relative stabilité autour de 105 dollars le baril, le prix du pétrole a fortement chuté depuis juin 2014, mettant peut-être ainsi un terme au supercycle des prix des matières premières qui s’était amorcé à la fin des années quatre-vingt-dix. John Baffes, Ayhan Kose, Franziska Ohnsorge et Marc Stocker (2015) ont analysé les causes de la baisse des prix du pétrole et ses répercussions macroéconomiques et financières.

La chute des prix du pétrole est certes importante, mais les quatre auteurs rappellent qu’elle n’est pas non plus sans précédents. Au cours des trois dernières décennies, il y a eu cinq autres épisodes au cours desquels les prix du pétrole ont baissé de plus de 30 % en moins de sept mois. La récente baisse des prix du pétrole possède plusieurs caractéristiques que l’on retrouve également avec la chute des années 1985-1986 ; cette dernière suivait une période de forte expansion de l’offre de pétrole de la part des producteurs n’appartenant pas à l’OPEP et elle résulte de la décision de l’OPEP d’accroître sa production. Les autres épisodes s’expliquent principalement par un affaiblissement de la demande mondiale ; ce fut le cas suite à la récession américaine de 1990, à la crise asiatique en 1997, à la récession américaine de 2000 et à la crise financière mondiale en 2008. 

La récente baisse des prix du pétrole s’explique par plusieurs facteurs : plusieurs années de hausses surprises de la production de pétrole non conventionnel, une faible demande mondiale, un changement significatif de la politique de l’OPEP, l’assouplissement de certains risques géopolitiques (réduisant les craintes de perturbations dans l’approvisionnement) et une appréciation du dollar américain. Bien que le rôle exact de chaque facteur soit difficile à évaluer, la renonciation par l’OPEP d’un soutien des prix et l’expansion rapide de l’offre de pétrole non conventionnel apparaissent avoir joué un rôle décisif à partir du milieu de l’année 2014. Jusqu’alors, la politique de l’OPEP contribuait tout particulièrement à soutenir les prix à un niveau élevé. Les estimations empiriques que réalisent Baffes et ses coauteurs suggèrent que les facteurs relatifs à l’offre expliquent davantage la baisse des prix que les facteurs relatifs à la demande. Dans la mesure où la plupart des facteurs à l’origine de la baisse des prix du pétrole sont susceptibles d’être toujours à l’œuvre à moyen terme, les prix du pétrole devraient rester à un niveau durablement faible, sans pour autant cesser d’être volatiles.

Baffes et ses coauteurs jugent ces résultats cohérents avec ce que les précédentes études ont pu suggérer. Rabah Arezki et Olivier Blanchard (2014) ont par exemple estimé que les facteurs relatifs à la demande n’ont contribué qu’à environ 20-35 % de la baisse des prix. Selon eux, les facteurs relatifs à l’offre et la décision de l’OPEP de ne pas réduire la production expliquent l’essentiel de cette baisse. James Hamilton (2014) suggère que la faiblesse de la demande mondiale n’explique qu’environ deux cinquièmes de la chute des prix. Enfin, Christiane Baumeister et Lutz Kilian (2015) estiment que la moitié de cette baisse reflète les effets cumulatifs de chocs d’offre et de demande antérieurs à juin 2014 ; l’autre moitié s’explique par des chocs qui sont survenus après, en particulier un affaiblissement de la demande de pétrole lié au ralentissement de l’économie mondiale en décembre ; par contre, aucun choc d’offre significatif ne semble s’être produit entre juin et décembre 2014.

La chute des prix du pétrole va entraîner de substantiels transferts de revenus des pays exportateurs de pétrole vers les pays importateurs, ce qui va stimuler l’activité économique à moyen terme. En l’occurrence, l’analyse des données historiques amènent Baffes et ses coauteurs à estimer qu’une baisse des prix du pétrole de 45 % liée à l’offre à l’offre tend à accroître la croissance mondiale de 0 ,7 à 0,8 points de pourcentage à moyen terme et à réduire l’inflation mondiale d’environ 1 point de pourcentage à court terme. Comme les biens alimentaires sont intensifs en énergie, cette même baisse devrait entraîner une baisse de 10 % des prix alimentaires, contribuant ainsi au ralentissement de l’inflation. L’activité économique des pays importateur s’en trouvera stimulée : la baisse des prix du pétrole va réduire les coûts de production des entreprises et accroître le pouvoir d’achat des ménages. Le solde extérieur des pays importateurs aura tendance à s’améliorer.

L’impact économique sur les pays exportateurs sera par contre négatif et bien plus immédiat. Les pays exportateurs vont connaître une détérioration de leur solde extérieur avec la contraction de la valeur des exportations, mais aussi une dégradation du solde budgétaire avec le tarissement des recettes fiscales tirées de l’exportation de pétrole. Les autorités budgétaires peuvent alors être incitées à consolider leurs finances publiques, ce qui contribuera à déprimer l’activité domestique. Les pays importateurs auront alors tendance connaître des sorties de capitaux, des pertes sur leurs réserves et de brutales dépréciations de leur devise. Les banques centrales sont alors incitées à resserrer leur politique monétaire pour stabiliser l’inflation et préserver la confiance des marchés, ce qui contribuera également à déprimer l’activité domestique.

En outre, plusieurs facteurs peuvent réduire l’impact expansionniste dans les pays importateurs. Le ralentissement de la baisse des prix du pétrole facilite a priori la mission des banques centrales des pays importateurs en réduisant les pressions inflationnistes. Or, dans les pays avancés, le ralentissement de l’inflation, dans un contexte où celle-ci est initialement faible, accroît le risque que les anticipations d’inflation ne soient plus ancrées et que l’économie bascule dans la déflation. En l’occurrence, plusieurs banques ont déjà ramené leurs taux directeurs au plus proche de zéro, si bien qu’elles peuvent difficilement assouplir davantage leur politique monétaire.

 

Références

AREZKI, Rabah, & Olivier BLANCHARD (2014), « Seven questions about the recent oil price slump », in iMFdirect (blog), 22 décembre 2014. Traduction française, « Sept questions sur la chute récente des cours du pétrole ».

BAFFES, John, M. Ayhan KOSE, Franziska OHNSORGE & Marc STOCKER (2015), « The great plunge in oil prices: Causes, consequences, and policy responses », CAMA, working paper, n° 23/2015, juin.

BAUMEISTER, Christiane, & Lutz KILIAN (2015), « Understanding the decline in the price of oil since june 2014 », CEPR, discussion paper, n° 10404, janvier.

HAMILTON, James (2014), « Oil prices as an indicator of global economic conditions », in Econbrowser (blog), 14 décembre.

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18 mars 2015 3 18 /03 /mars /2015 22:47

Plus précisément, entre 1990 et 2000, la valeur réelle de la production manufacturière américaine a augmenté d’un tiers et pourtant le volume des principaux polluants atmosphériques (comme les oxydes d’azote, les particules fines, le dioxyde de soufre et des composantes organiques volatils) émis par le secteur manufacturier a chuté en moyenne de 35 %. Après 2000, la croissance de la production manufacturière réelle a ralenti, pourtant les émissions polluantes de l’industrie ont chuté à nouveau de 25 points de pourcentage par rapport à leurs niveaux de 1990. Ainsi, dans l’ensemble, les émissions des principaux polluants atmosphériques ont chuté de 60 % entre 1990 et 2008.

Les études ont souvent privilégié quatre raisons pour expliquer cette performance. Premièrement, les échanges de biens manufacturiers réalisés par les Etats-Unis avec le reste du monde ont fortement augmenté. Or les activités industrielles polluantes ont pu être délocalisées à l’étranger (par exemple dans les pays émergents comme le Mexique ou la Chine), si bien que les Etats-Unis ont pu se contenter d’importer les biens issus de cette production sans avoir à en supporter les externalités négatives. Ces dernières n’auraient donc pas été éliminées, mais tout simplement « exportées » ailleurs dans le monde. Deuxièmement, le resserrement de la réglementation environnementale, ainsi que l’introduction de taxes environnementales et d’autres mesures de politique climatique, ont sûrement incité les entreprises à adopter des technologies toujours plus propres. Troisièmement, avec la hausse de leur niveau de vie et la satisfaction croissante de leurs besoins fondamentaux, les ménages américains ont pu graduellement choisir de moins dépenser dans la consommation de biens sales et de dépenser davantage dans la consommation de biens propres et de services, ce qui aurait incité les entreprises à réorienter leur production au profit de ces derniers. Quatrièmement, si les entreprises utilisent moins d’intrants polluants chaque année pour produire les mêmes biens et services, alors la croissance de la productivité peut améliorer la qualité de l’air. Certains ont ainsi cru déceler une relation fortement négative entre la pollution par unité produite au niveau de chaque usine et la productivité totale des facteurs dans le secteur manufacturier américain : en l’occurrence, lorsque la productivité totale des facteurs augmente, la pollution par unité produite diminue.

Joseph Shapiro et Reed Walker (2015) ont développé un modèle quantitatif pour déterminer quelle est la contribution respective des échanges internationaux, de la réglementation environnementale, de la productivité et des préférences des consommateurs dans la réduction des émissions polluantes de l’industrie américaine entre 1990 et 2008. Les deux auteurs combinent des modèles issus de la littérature sur le commerce international et de la littérature sur l’économie de l’environnement. Alors que la plupart des modèles quantitatifs sont utilisés pour prévoir comment de possibles politiques comme les taxes carbone et la réduction des droits de douane puissent à l’avenir affecter la pollution et le bien-être, Shapiro et Walker utilisent leur modèle pour analyser le passé. Pour cela, ils s’appuient sur les données détaillées issues du Census Bureau des Etats-Unis. Ces données apportent des informations à propos des émissions, des marchandises et des coûts de production pour chaque usine dans le secteur manufacturier américain.

Le modèle et les données empiriques amènent Shapiro et Walker à tirer trois principales conclusions. Premièrement, la chute des émissions polluantes s’explique principalement par le baisse de la pollution par unité produite dans un ensemble limité de produits plutôt qu’à une réallocation de la production en faveur de nouveaux produits ou à des changements du montant de la production manufacturière. Deuxièmement, le relèvement de la taxe de la pollution a plus que doublé entre 1990 et 2008. Troisièmement, la réglementation environnementale expliquerait plus de 75 % de la réduction observée dans les émissions polluantes dans l’industrie. Les coûts d’échange et le changement des préférences ont joué des rôles bien moindres dans la dépollution. Malgré la relation entre la pollution et la productivité constatée au niveau de chaque usine, la croissance de la productivité a eu un effet limité sur les émissions polluantes au niveau de l’ensemble de l’économie américaine. Ainsi, ce n’est pas la poursuite de la croissance américaine ou, plus spécifiquement, de la croissance de la production manufacturière qui a rendu plus propre cette dernière, mais bien l’action des autorités publiques.

 

Référence

SHAPIRO, Joseph S., & Reed WALKER (2015), « Why is pollution from U.S. manufacturing declining? The roles of trade, regulation, productivity, and preferences », NBER, document de travail, n° 20879, janvier.

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