Après avoir connu une période de stabilité (autour de 110 dollars), le cours du pétrole a récemment connu l’une des plus fortes chutes de son histoire. Après avoir été stable pendant plus de trois ans (en fluctuant autour de 110 dollars), le prix du baril de pétrole brut Brent a chuté de 49 dollars, soit de 44 %, entre juin et décembre 2014. Sa chute s’est poursuivie au mois de janvier, avant qu’il ne se stabilise à 50 dollars et ne remonte légèrement pour atteindre aujourd’hui aux alentours de 60 dollars.
GRAPHIQUE Cours du baril du pétrole brut Brent (en dollars)
La chute du cours du pétrole a mis sous pression les producteurs de pétrole à travers le monde en réduisant leur rentabilité et elle a notamment mis en question la soutenabilité de formes alternatives de production [Baumeister et Kilian, 2015]. Elle a dégradé les finances publiques de pays tels que l’Iran, la Russie et le Venezuela qui dépendent fortement des recettes tirées des exportations de pétrole, si bien qu’elle a ravivé les inquiétudes quant à la stabilité budgétaire, macroéconomique et politique de plusieurs de ces pays. Elle a peut-être stimulé l’activité économique des importateurs nets de pétrole : au sein de ces derniers, les entreprises devraient voir leur rentabilité s’améliorer grâce à la baisse de leur coûts de production, tandis que les consommateurs devraient gagner en pouvoir d’achat, ce qui pourrait les inciter à consommer davantage. Rabah Arezki et Olivier Blanchard (2015) estiment ainsi que la baisse des cours du pétrole permettra au PIB mondial de 2015 d’être de 0,3 à 0,7 % plus élevé qu’il ne l’aurait été autrement. Mais la baisse des cours du pétrole exerce une pression à la baisse sur l’inflation, alors même que celle-ci est déjà excessivement faible dans les pays avancés. Elle a pu ainsi contribuer à faire récemment basculer la zone euro dans la déflation.
Il y a déjà eu de fortes baisses du cours du pétrole par le passé. En 1986, l’Arabie saoudite avait décidé de ne plus jouer le rôle de producteur d’appoint qu’elle s’était vue contrainte d’endosser au sein de l’OPEP, si bien qu’elle augmenta fortement sa production. Le prix du baril était alors passé de 27 à 14 dollars, un niveau auquel il se maintint peu ou prou pendant une quinzaine d’années, avant d’amorcer une hausse soutenue. Il connut une nouvelle chute à la fin de l’année 2008, lorsque l’économie mondiale bascula dans la Grande Récession. Au cours des deux épisodes, le cours du pétrole n’a pas baissé par les mêmes raisons : en 1986, il y eut une hausse soutenue de l’offre ; en 2008, elle y eut un effondrement de la demande.
Les analystes se sont demandés pourquoi les cours ont récemment baissé. Les prix du pétrole chutèrent de 44 % entre juin et décembre 2014, tandis que les prix des autres matières premières ne diminuèrent en moyenne que de 5-15 % sur la même période, ce qui suggère que la baisse des cours du pétrole s’explique avant tout par des facteurs propres au marché du pétrole, donc du côté de l’offre. Or la production mondiale de pétrole a en effet régulièrement augmenté ces dernières années. Par exemple, la fracturation hydraulique a permis aux producteurs américains d’ajouter 4 millions de barils de pétrole à la production monde [Davies, 2015]. Certains observateurs comme Arezki et Blanchard considèrent ainsi que le relèvement de l’offre de pétrole aux Etats-Unis et dans d’autres pays (comme l’Irak et la Lybie) sont à l’origine de la chute du cours du pétrole depuis juin 2014. L’OPEP aurait accéléré la chute des cours en annonçant le 27 novembre 2014 le maintien de sa production au même niveau malgré la hausse régulière de la production des pays producteurs qui ne sont pas membres de l’OPEP. En laissant la chute des cours se poursuivre, l’Arabie saoudite et d’autres membres de l’OPEP semblent vouloir évincer les producteurs américains du marché.
La spéculation financière peut contribuer à amplifier l’évolution des cours. Arezki et Blanchard doutent toutefois qu’elle ait joué un rôle significatif dans la chute des prix observée à partir de juin 2014. Ils rappellent que les stocks de pétrole atteignaient leur niveau le plus élevé de ces deux dernières années, ce qui suggère que leurs agents ont anticipé une hausse et non une baisse des cours. Samya Beidas-Strom et Andrea Pescatori (2014a, b) se sont demandé quelle est la contribution de la spéculation financière à la volatilité des cours du pétrole. Lorsque la spéculation est courte en termes de durée, la faiblesse de la demande expliquerait près de la moitié des variations des cours du pétrole au cours des onze premiers mois de l’année 2014, suivie par l’offre, tandis que la spéculation financière ne contribuerait que modestement à la volatilité. Par contre, lorsque la spéculation a des répercussions à court et à long terme, la spéculation devient la principale contributrice à la volatilité.
Christiane Baumeister et Lutz Kilian (2015) suggèrent que plus de la moitié du déclin du prix du pétrole entre juin et décembre 2014 était prévisible en juin 2014. La chute des cours reflète avant tout les effets cumulés des précédents chocs d’offre et de demande plutôt que de plus récents chocs. Leur modélisation souffre de larges erreurs de prévision pour les mois de juillet et de décembre 2014. Aucune de ces deux erreurs de prévision ne semble s’expliquer par l’occurrence d’un large choc positif touchant l’offre de pétrole. L’erreur de prévision de juillet apparaît cohérente avec un choc négatif touchant la demande pour motif de stockage qui reflétait un plus grand optimisme concernant la production de pétrolier ou bien un plus grand pessimisme en ce qui concerne l’économie mondiale ou bien une combinaison des deux. Le choc de décembre 2014 ne trouve pas son origine dans l’annonce de l’OPEP du 27 novembre 2014. Les données suggèrent plutôt qu’il y eut en décembre un puissant choc négatif touchant la demande de pétrole ; celui-ci est associé au ralentissement non anticipé de la croissance mondiale.
Le modèle de Baumeister et Kilian prévoyait en décembre 2014 que le prix du pétrole poursuivrait sa chute en atteignant environ 60 dollars en janvier avant d’augmenter à nouveau pour atteindre environ 70 dollars en juin 2015. Lutz Kilian (2015) en conclut alors que toute baisse additionnelle du prix du pétrole en 2015 ne pourrait s’expliquer que par des chocs supplémentaires, qui n’étaient pas discernables en décembre 2014. Par exemple, le fait que le prix du baril de Brent fut inférieur à 50 dollars en janvier suggère que le marché du pétrole a connu ce mois-ci un autre choc. Si l’activité économique ne se détériore pas davantage, certaines raisons amènent Kilian à penser que la baisse du cours du pétrole ne se poursuivra pas. D’une part, toute baisse des prix supplémentaire rendrait la production de pétrole non rentable pour certains producteurs. D’autre part, l’activité de forage semble ralentir, ce qui devrait entraîner une chute de la production.
Références
AREZKI, Rabah, & Olivier BLANCHARD (2014), « Seven questions about the recent oil price slump », in iMFdirect (blog), 22 décembre 2014. Traduction française, « Sept questions sur la chute récente des cours du pétrole ».
BAUMEISTER, Christiane, & Lutz KILIAN (2015), « Understanding the decline in the price of oil since june 2014 », CEPR, discussion paper, n° 10404, janvier.
BEIDAS-STROM, Samya, & Andrea PESCATORI (2014), « Oil price volatility and the role of speculation », FMI, working paper, n° 14/218.
DAVIES, Gavyn (2015), « Is the oil crash over? », in Financial Times, 16 février.