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12 août 2014 2 12 /08 /août /2014 01:19

De plus en plus d’études cherchent à déterminer l’impact macroéconomique des dégradations environnementales et surtout du changement climatique. Par exemple, Melissa Dell, Benjamin Jones et Benjamin Olken (2012) se sont penchés sur l’impact des hausses de température sur la croissance économique. Par contre, les répercussions à long terme des événements extrêmes, notamment des cyclones, ont été relativement délaissées. Pourtant 35 % de la population mondiale est dès à présente exposée aux cylones proprement dits, aux ouragans, aux typhons et aux tempêtes tropicales ; si l’Europe en est épargnée, ce n’est pas le cas des zones côtières de l’Amérique du Nord, de l’est asiatique ou de l’Océanie. En outre, ces évènements extrêmes se révèlent particulièrement coûteux. Or, avec le réchauffement climatique, les cyclones sont susceptibles de gagner en intensité et de devenir plus fréquents.

Hsiang--Jina--catastrophe-climatique--cyclone--PIB-par-tet.png

Les économistes ne sont pas parvenus à se concilier sur les répercussions exactes des catastrophes environnementales sur la production à long terme. Les différents résultats qu’ils sont susceptibles d’obtenir peuvent être regroupés en quatre grandes hypothèses concurrentes :

1. Selon l’hypothèse de la destruction créatrice (creative destruction hypothesis), les désastres peuvent stimuler temporairement les économiques pour grossir plus rapidement, ne serait-ce parce que le remplacement du capital détruit stimule la demande en biens et services, parce que l’aide internationale afflue vers les zones sinistrées ou encore parce que les dégradations environnementales stimulent l’innovation.

2. Selon l’hypothèse d’une meilleure reconstruction (build back better hypothesis), la croissance ralentit initialement avec les pertes humaines et les destructions du capital productif, mais le remplacement progressif du capital détruit par le capital neuf peut stimuler la croissance à long terme, car une partie des actifs détruits était obsolète ou usée.

3. Selon l’hypothèse de retour à la tendance (recovery to trend), la croissance est temporairement freinée, mais elle atteint ensuite un rythme élevé qui permet aux niveaux de revenu de converger vers leur tendance de long terme. Avec les destructions et les pertes humaines, les facteurs travail et capital deviennent rares, si bien que le produit marginal du capital s’élève, incitant les individus et les capitaux à affluer vers les lieux dévastés jusqu’à ce que la production retrouve la tendance qu’elle suivait avant le désastre. 

4. Selon l’hypothèse d’absence de reprise (no recovery hypothesis), les désastres entraînent un ralentissement de la croissance économique soit en détruisant le capital productif, soit en détruisant des biens de consommation durables (en particulier des logements) qui sont remplacés en utilisant des fonds qui auraient pu être utilisés pour financer des investissements productifs. Il peut ne pas y avoir de reprise car aucun mécanisme ne compense complètement les répercussions immédiates sur la production. Ces dernières s’accompagnent également d’une chute de la consommation. La production peut certes continuer à croître à long terme après le désastre, mais elle reste inférieure aux niveaux qu’elle aurait atteintes en l’absence de désastre.

Solomon Hsiang et Amir Jina (2014) sont peut-être les premiers à estimer l’impact des désastres environnementaux de grande échelle sur la croissance de long terme. Ils ont utilisé les données météorologiques pour déterminer l’exposition de chaque pays aux cyclones entre 1950 et 2008. Ils ont ensuite observé l’impact des différents cyclones observés au cours de cette période sur la trajectoire de croissance de chaque pays. Leur analyse les amène à rejeter les hypothèses selon lesquelles ces désastres stimuleraient la croissance ou que les pertes disparaitraient à court terme avec les migrations ou les transferts de richesse. En effet, après avoir essuyé un cyclone, un pays voit son revenu, non par retourner à la trajectoire tendancielle qu’il suivait auparavant, mais plutôt suivre une nouvelle trajectoire qui lui est parallèle et inférieure. Chaque mètre par seconde additionnel dans l’exposition aux vents moyenne d’un pays réduit sa production par tête de 0,37 % vingt ans après. En d’autres termes, deux décennies après le passage d’un ouragan, le PIB est inférieur de 3,6 % à ce qu’il aurait été s’il n’y avait pas eu de désastre environnemental. Il n’y a pas de rebond de la croissance au cours des vingt années qui suivent un cyclone, donc les revenus restent à jamais inférieurs aux niveaux qu’ils auraient sinon atteints. En l’occurrence, selon Hsiang et Jina, les pertes de revenu associées aux plus violents cyclones apparaissent même plus importantes que celles associées à une crise bancaire. En effet, le type de cyclones particulièrement violent que l’on observe qu’une fois tous les dix ans réduit les revenus par tête de 7,4 % vingt ans après.

En outre, les répercussions économiques des cyclones sont plus importantes pour les pays qui les subissent peu fréquemment et plus faibles pour les pays qui les subissent régulièrement. Selon Hsiang et Jina, ce résultat pourrait suggérer que les populations exposées s’adaptent à leur climat en entreprenant des investissements qui protègent partiellement leurs économies des cyclones. Toutefois les pays qui sont exposés de façon répétée aux cyclones souffrent d’une perte de revenu qui s’amplifie avec chaque tempête. Donc un climat propice aux cyclones diminue substantiellement le taux de croissance à long terme. Dans les régions particulièrement exposées, les auteurs constatent que les pertes générées par les cyclones pourraient expliquer environ un quart des différences de taux de croissance de long terme observées d’un pays à l’autre. En agrégeant leurs résultats pour l’ensemble des pays, Hsiang et Jina estiment que les cyclones qui sont survenus entre 1950 et 2008 eurent pour conséquence de ralentir le taux de croissance annuel du PIB mondiale d’environ 1,27 point de pourcentage durant la période s’écoulant entre 1970 et 2008. Bref les cyclones joueraient un rôle déterminant dans les performances macroéconomiques.

Hsiang et Jina relient ensuite leurs résultats aux prévisions de l’activité cyclonique future. Ils estiment que le coût actualisé du changement climatique est supérieur de 9700 milliards de dollars (soit l’équivalent de 13,8 % du PIB mondial courant) au montant précédemment avancé par la littérature. Par exemple, la valeur actualisée des pertes en croissance de long terme associées aux cyclones s’élèvent à 855 milliards de dollars pour les Etats-Unis (soit 5,9 % du PIB américain), à 299 milliards de dollars pour les Philippines (soit 83,3 % de son PIB courant), à 1000 milliards de dollars pour la Corée du Sud (73 % de son PIB courant), 1400 milliards de dollars pour la Chine (soit 12,6 % de son PIB courant) et 4500 milliards de dollars pour le Japon (soit 101,5 % de son PIB courant).

 

Références

DELL, Melissa, Benjamin F. JONES & Benjamin A. OLKEN (2012), « Temperature shocks and economic growth: Evidence from the last half century », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 4, n° 3.

HSIANG, Solomon M., & Amir S. JINA (2014), « The causal effect of environmental catastrophe on long-run economic growth: Evidence from 6,700 cyclones », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20352, juillet.

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4 août 2014 1 04 /08 /août /2014 22:29

En 155 ans, l’exploitation de pétrole a connu de nombreux booms et effondrements, notamment au gré du progrès technique. James Hamilton (2014) cherche à montrer dans son récent document de travail que les récents développements que le secteur ont connu marquent une rupture dans l’usage de cette énergie.

GRAPHIQUE 1  Consommation de pétrole des pays développés

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source : Hamilton (2014)

Hamilton revient tout d’abord sur les dynamiques touchant la demande. Au cours du vingtième siècle, les plus grandes économies avancées ont été les premiers consommateurs de pétrole. Depuis 1984 et ce pendant près de deux décennies, la consommation quotidienne de pétrole des Etats-Unis, du Canada, de l’Europe et du Japon s’est accrue en moyenne chaque année d’environ 440.000 barils (cf. graphique 1). Cette tendance s’est inversée au cours de la dernière décennie. La consommation quotidienne de pétrole dans les pays développés a chuté en moyenne de 700 000 barils chaque année. Fin 2012, elle était inférieure d’environ 8 millions de barils à ce qu’elle aurait été si la tendance passée s’était poursuivie. Le ralentissement de la consommation de pétrole des pays avancés s’explique par le déclin de la production, du revenu et de la consommation associé à la Grande Récession, mais aussi et surtout par le doublement du prix du pétrole depuis 2005. Par contre, la consommation quotidienne des économies en développement s’est accrue chaque année de 650 000 barils entre 1984 et 2005, puis encore plus rapidement ensuite (cf. graphique 2). La seule croissance de la Chine explique 57 % de cet accroissement depuis 2005. Les pays en développement sont aujourd’hui à l’origine de 55 % de la consommation mondiale de pétrole, contre un tiers en 1980. Désormais, la demande mondiale de pétrole est tirée par les pays en développement.

GRAPHIQUE 2  Consommation de pétrole des pays en développement

Hamilton--consommation-petrole-pays-en-developpement--Mar.png

source : Hamilton (2014)

Avant 2005, la production s’accroissait annuellement de 8,7 millions de barils par jour, mais seulement de 2,3 millions de baril par an entre 2005 et 2013, alors même que la demande des pays en développement s’accélérait. Si les prix n’avaient pas augmenté, la demande aurait dépassé l’offre. La stagnation de la production mondiale de pétrole signifie que les prix vont être significativement plus élevés.

Hamilton se penche sur les éventuelles raisons expliquant pourquoi la production mondiale de pétrole a stagné durant cette période de forte demande. L’un des facteurs retenant la production de pétrole dans plusieurs endroits aujourd’hui est le désordre géopolitique. Les événements libyens ont particulièrement contribué à la stagnation de la production au cours des trois dernières années. Les sanctions continuent de réduire la production iranienne et les attaques sur les infrastructures pétrolières maintiennent la production nigérienne sous son potentiel. Environ 400.000 barils par jour sont perdus en raison des conflits au Soudan et en Syrie. Au niveau mondial, l’ensemble des problèmes géopolitiques entraînerait une perte journalière de 3,3 millions de barils en juin 2014, ce qui explique entre un tiers et la moitié de la pénurie. Les récents développements géopolitiques amènent Hamilton à penser que la production de pétrole est davantage susceptible de chuter que d’augmenter.

Hamilton se tourne ensuite vers les limitations géologiques. Il rappelle que la production saoudienne de pétrole est restée relativement insensible à la demande durant la dernière décennie, sauf durant les récessions de 2001 et de 2008-2009 au cours desquelles elle diminua. Certains analystes considèrent qu’il s’agit d’une décision délibérée et que la plupart des membres de l’OPEP sont capables d’accroître significativement leur production. Hamilton montre toutefois que la stagnation de la production pétrolière au Moyen-Orient a été synchrone avec une intensification des efforts de forage. Certes la baisse de la production de l’OPEP lors de la Grande Récession a peut-être été délibérée, mais il n’en reste pas moins que le Moyen-Orient consacre de plus en plus de ressources pour le développement en amont, mais n’en retire qu’un maigre bénéfice en termes de production. Hamilton observe la même dynamique en observant les 11 plus grandes compagnies pétrolières : leur production a chuté de 2,5 millions de barils par jour depuis 2005, alors même que leurs dépenses en capital immobilisations triplaient. Cela s’explique notamment par l’épuisement des plus vieux réservoirs et le coût élevé associé au développement des nouvelles ressources. 

Aux Etats-Unis, le déclin de la production américaine a été compensé par l’exploitation de l’immense champ alaskien de Prudhoe Bay et surtout par l’exploitation récente du pétrole de schiste. Celle-ci pourrait ramener la production des Etats-Unis à son pic de 1970, voire même au-delà. Pourtant, pour Hamilton, il est clair que les prix réels du pétrole ne vont pas retourner aux valeurs qu’ils atteignaient il y a une décennie. L’une des raisons est qu’il est bien plus coûteux de produire du pétrole avec ces méthodes. La plupart des entreprises produisant à partir des formations de pétrole de schiste dépensent plus qu’elles rapportent aux prix courants. Le pétrole de schiste pourrait contribuer à contenir la tendance haussière des prix, mais il ne va pas ramener les prix du pétrole à leurs plus bas historiques : ils vont rester supérieurs à 100 dollars.


Référence

HAMILTON, James D. (2014), « The changing face of world oil markets », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20355, juillet.

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12 mars 2013 2 12 /03 /mars /2013 20:03

La Grande Récession a été précédée par une puissante expansion des prix des matières premières. Entre 2003 et 2008, les prix réels de l’énergie et des métaux ont plus que doublé, atteignant des records historiques, tandis que les prix réels des produits alimentaires ont augmenté de 75 % [Erten et Ocampo, 2012]. Si les premiers semblent effectivement connaître une trajectoire haussière à long terme, les prix des produits agricoles avaient quant à eux plutôt tendance à diminuer depuis les années quatre-vingt. La crise mondiale, en se traduisant mécaniquement par un fort ralentissement de la croissance économique, a entraîné une forte baisse des prix, avant que ceux-ci se reprennent très rapidement, laissant suggérer une poursuite durable du boom. Ce « super-cycle » du prix des matières premières n’est pas unique dans l’histoire économique, même s’il se singularise de par ampleur et sa durée. Le développement de la Chine est très certainement moteur dans leur évolution actuelle, de la même manière que la reconstruction européenne et l’industrialisation du Japon, qui était alors une économie émergente, ont été à l’origine d’un forte accroissement des prix des matières premières au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

David S. Jacks (2013) a étudié l’évolution des prix réels de 30 matières premières depuis 1850. Déployant son analyse sur plusieurs horizons temporels, il distingue les tendances à long terme, les cycles à moyen terme et les épisodes de boom et d’effondrement que l'on peut observer à court terme. Selon la pondération privilégiée par l’auteur, les prix réels des matières premières ont en moyenne augmenté de 252,41% depuis 1900, de 191,77% depuis 1950, et de 46,23% depuis 1975. Ils ont clairement été à la hausse depuis 1950. Cette tendance s’expliquerait avant tout par l’évolution propre aux prix des énergies.

Les super-cycles des prix des matières premières surviennent de manière récurrente et ils se traduisent par de fortes déviations positives des prix par rapport à leur tendance à long terme. Les phases haussières peuvent s’étendre sur 10 à 35 ans, si bien que la durée d’un super-cycle complet est comprise entre 20 et 70 ans. Les mouvements haussiers, qui sont souvent associés à des épisodes historiques d’industrialisation ou d’urbanisation, sont avant tout tirés par la demande dans un contexte où de nombreuses matières premières, notamment l’énergie, les métaux et les minéraux, subissent de lourdes contraintes du côté de l’offre. Ainsi, l’industrialisation rapide de la Chine, de l’Inde et des autres pays émergents a pu directement contribuer à l’émergence du super-cycle en cours. Réciproquement, les prix réels retournent typiquement à leur tendance à long terme lorsque ces contraintes de capacité se desserrent et que la croissance économique ralentit. Ainsi, puisque les super-cycles sont tirés par la demande, ils tendent alors à se synchroniser au cours du temps.

La majorité des matières premières analysées par Jacks ont débuté un nouveau super-cycle au cours des années quatre-vingt-dix. Cet ensemble de super-cycles est actuellement à son pic, si bien les prix réels devraient prochainement amorcer leur retour à leur tendance à long terme. En outre, de nombreuses études, en particulier celles réalisées dans les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, avaient précédemment conclu que les prix réels des matières premières ne révélaient aucune tendance particulière ou, si elles parvenaient à en extraire une, qu’ils étaient sujets à une tendance baissière. Or, ces analyses ont précisément été réalisées sur une période où la majorité des matières premières suivaient la phase descendante de leur super-cycle.

Enfin, Jacks fait apparaître que les super-cycles des matières premières ont depuis toujours été régulièrement ponctués par des booms et des effondrements à court terme, mais ces mouvements tendent à s’amplifier au cours du temps. En outre, l’analyse suggère que les périodes de taux de change flottant sont associées à des booms et effondrements des prix réels beaucoup plus amples et plus longs. Ce schéma est particulièrement visible lors des quatre décennies qui suivent l'éclatement du système de Bretton Woods. Les booms et effondrements sont à leur tour associés à une plus forte volatilité des prix des matières premières, or une partie de la littérature économique a mis en évidence une corrélation négative entre la volatilité des prix des matières premières et la croissance économique. Jacks en conclut que celle-ci risque alors de persister à l’avenir et ainsi de continuer à affecter les perspectives de croissance, en particulier celles des pays exportateurs de matières premières.

Pour préciser les répercussions de cette volatilité des prix sur l’activité économique, Jacks observe son impact sur l’économie australienne. Selon ses estimations, avec un boom du prix des matières premières, le PIB australien tend à s’élever de 6,47 % par rapport à sa tendance à long terme. Lorsque les prix connaissent au contraire un effondrement, le PIB australien tend à diminuer de 8,22 % par rapport à sa tendance à long terme. L’accroissement de la volatilité des prix des matières premières pourrait alors entraîner à l’avenir de plus larges déviations.

 

Références

ERTEN, Bilge, & José Antonio OCAMPO (2012), « Super-cycles of commodity prices since the mid-nineteenth century », DESA working paper, n° 110.

JACKS, David S. (2013), « From boom to bust: A typology of real commodity prices in the long run », NBER working paper, n° 18874, mars.

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