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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 21:41

Les travaux les plus optimistes en économie de l’environnement confèrent au changement technologique une place déterminante dans la lutte contre le réchauffement climatique, or les récentes modélisations incorporant un progrès technique endogène suggèrent que le marché ne va pas générer suffisamment d’innovations pour réduire l’ampleur du changement climatique. Les dépenses en recherche-développement sont en l’occurrence bien trop concentrées dans la création de technologies « sales ». Plusieurs modèles ont affirmé que la trajectoire du progrès technique est soumise à un phénomène de dépendance au sentier (path dependency). En effet, dans les économies qui ont fortement innové par le passé dans les technologies sales, les entreprises trouveront plus profitable d’innover à l’avenir dans ces dernières. Ce phénomène de dépendance au sentier va entrer en interaction avec les externalités environnementales : les entreprises ne prennent pas en compte le fait que la dégradation de l’environnement va se traduire par une diminution de la productivité agrégée et de l’utilité des consommateurs. Une économie soumise au seul laissez-faire va donc excessivement produire des technologies sales en délaissant l’innovation en technologies propres. Une intervention des autorités publiques est alors nécessaire pour réorienter le changement technologique sur une trajectoire compatible avec la protection de l’environnement. Par exemple, l’Etat peut favoriser l’adoption d’énergies renouvelables et inciter les agents à délaisser les énergies fossiles.

Le secteur automobile va être déterminant dans la transition écologique. Le transport routier représente en effet 16,5 % des émissions mondiales de CO2, ce qui a récemment amené Philippe Aghion, Antoine Dechezleprêtre, David Hemous, Ralf Martin et John Van Reenen (2012) à se pencher sur le processus d’innovation dans le secteur automobile. Ils ont utilisé les données de 3423 entreprises et individus dans 80 pays entre 1965 et 2005. Aghion et ses coauteurs se sont focalisés sur les innovations propres (en l’occurrence les voitures électriques, à hydrogène et hybrides) plutôt que sur les innovations dans l’efficience énergétique du carburant, car il est difficile de pleinement distinguer celles-ci des innovations sales. De plus, les progrès dans l’efficience énergétique d’une voiture à combustion interne vont se trouver limités par des limites technologiques. Enfin, les progrès réalisés dans l’efficience énergétique du carburant peuvent être annulés par la multiplication des véhicules en circulation, phénomène que l’on qualifie d’effet rebond (et que les théoriciens de la décroissance ont particulièrement mis en avant pour dénier au progrès technique ses vertus curatives).

L’étude fait tout d’abord apparaître qu’une hausse des prix du carburant stimulent l’innovation dans les technologies propres et pousse au contraire les agents à délaisser l’innovation sale. Les différences observées d’un pays à l’autre (ou au cours du temps) dans la fiscalité des carburants expliquent en grande partie les différences de prix. Ces derniers n’auront pas le même impact d’un constructeur automobile à l’autre selon leurs parts respectives de marché.

L'analyse confirme également la présence d’une dépendance au sentier dans le changement technologique : les entreprises que furent les plus exposées par le passée à l’innovation propre sont les plus susceptibles de consacrer leurs futurs efforts de recherche à l’innovation propre. Réciproquement, les entreprises qui ont auparavant généré une multitude d’innovations sales sont plus susceptibles de se focaliser à l’avenir sur l’innovation sale. En utilisant les modèles économétriques, les auteurs mettent en évidence la présence d’une dépendance au sentier tant au niveau de chaque entreprise qu’au niveau agrégé.

L’existence d’une telle dépendance au sentier aussi bien pour l’innovation sale que propre souligne la nécessité d’agir au plus tôt pour modifier les incitations à innover. Puisque le stock d’innovations sales est plus élevé que le stock d’innovations sales (l’échantillon d’Aghion et alii incorpore notamment 6500 brevets en technologies propres contre 18500 brevets en technologies sales), l’effet de sentier de dépendance va conduire les économies à fortement émettre du carbone, même si une légère taxe carbone est introduire ou si les autorités publiques subventionnent la recherche-développement verte. Aghion et alii plaident alors à une forte action aujourd’hui, quitte à relâcher les efforts à l’avenir, une fois que l’économie sera placée sur une trajectoire d’innovation propre. Les hausses dans les prix du carbone peuvent contribuer à réorienter les efforts d’innovation vers le développement de technologies plus propres. Par exemple, les auteurs estiment que si les prix du carburant se maintenaient à plus de 140 % de leur valeur en 2005, le stock d’innovations propres pourrait dépasser le stock d’innovations sales en moins d’une quinzaine d’années. L'instauration d'une véritable taxe carbone permettrait ainsi d'accélérer le redéploiement de la recherche-développement vers l'objectif d'une croissance verte.

 

Référence Martin ANOTA

AGHION, Philippe, Antoine DECHEZLEPRÊTRE, David HEMOUS, Ralf MARTIN, & John VAN REENEN (2012), « Carbon taxes, path dependency and directed technical change: Evidence from the auto industry », NBER working paper, n° 18596, décembre.

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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 18:05

Plusieurs modèles ont été proposés ces dernières années pour évaluer quantitativement les effets économiques du changement climatique. William Nordhaus (2010) a notamment développé un modèle de croissance économique à multi-régions pour évaluer quantitativement l’impact de différentes politiques de réduction des émissions polluantes. De leur côté, Melissa Dell, Benjamin Jones et Benjamin Olken (2012) ont de leur côté conclu de leurs travaux que si le réchauffement climatique semble peu affecter la croissance économique des pays avancés, il s’avérera à l’avenir particulièrement négatif pour les performances macroéconomiques des pays en développement. Toutefois, si Dell et alii négligent la relation entre température et production sectorielle.

Klaus Desmet et Esteban Rossi-Hansberg (2012) ont récemment développé un cadre d’analyse pour observer comment le réchauffement climatique influe sur la répartition spatiale de l’activité économique. Ils modélisent l’hémisphère nord de la terre et calibrent leur modèle en utilisant les données actuelles et des prévisions de température et de croissance économique. En raison de son impact sur l’innovation et les améliorations dans les technologies locales, leur modèle suggère que le changement climatique aura des effets durables sur l’activité économique. Puisque le changement se traduit par un réchauffement des régions du Nord, l’un de ses principaux effets sera de déplacer la production et la population vers ses latitudes.

La modélisation développée par Desmet et Rossi-Hansberg incorpore deux secteurs, en l’occurrence l’agriculture et l’industrie manufacturière, dont les productivités respectives dépendent à la fois de la température et des technologies locales dont disposent chaque secteur. La technologie locale est le fruit des innovations technologies et de leur diffusion spatiale. Il s’agit donc d’un modèle de croissance endogène. Les entreprises des secteurs agricole et manufacturier doivent notamment décider de la localisation de leur production en prenant en compte les coûts de transport. Certains travaux précédents avaient beau inclure plusieurs régions dans leur analyse, ils n’avaient pu saisir les changements qui surviendront dans la spécialisation géographique et les flux commerciaux, tout comme dans la géographie de l’innovation et des migrations. 

Leur modèle incorpore deux externalités ; la première est reliée à la diffusion technologique, la seconde à l’usage énergétique et aux émissions de carbone. Les entreprises utilisent le travail, la terre et l’énergie comme intrants dans la production, or l’usage des énergies s’accompagne d’émissions polluantes. Les émissions sont locales, mais elles mènent à une hausse du stock mondial de carbone dans l’atmosphère, qui entraîne elle-même des variations dans les températures locales. Les innovations technologiques participent à réduire l’usage énergétique par unité produite. L’innovation locale génère elle-même une externalité positive, puisqu’elle se révèle bénéfique en termes d’usage énergétique, de pollution et finalement de réchauffement global. Toutefois, sans autorités politiques pour aiguillonner leur comportement, les entreprises locales n’internalisent pas les effets de leurs émissions sur la température. Taxer l’usage de l’énergie contribue à amortir certains des effets du réchauffement climatique. Les taxes vont interagir avec les schémas de spécialisation et les choix en termes d’innovations pour avoir des effets positifs, quoique faibles, sur la croissance globale et le bien-être collectif. Elles tendent également à réduire le stock de carbone et génèrent ainsi des bénéfices sur le plan de la santé et de la consommation.

L’analyse développée par Desmet et Rossi-Hansberg mettent en exergue les deux principaux effets que l’élévation des températures entraînera sur la géographie de l’espace économique.  D’une part, le nord devient peu à peu la localisation idéale pour les entreprises des deux secteurs. Les hausses de températures sur la productivité sont relativement plus prononcées dans le secteur agricole. Les spécialisations géographiques évoluent, ce qui entraîne des changements dans les innovations technologiques.  Les espaces aux abords du Pôle Nord vont subir les plus larges variations de températures et voir leur avantage comparatif s’améliorer dans l’agriculture. Le Nord tendrait à se spécialiser dans l’activité agricole, tandis que le Sud se spécialise dans l’activité manufacturière en déployant des technologies à faible productivité. Les technologies industrielles étant initialement meilleures dans le Nord, ce dernier va accélérer son flux d’innovations.

Ces deux dynamiques, en refaçonnant la géographie de l’espace économique, vont générer de larges flux migratoires. En l’absence de restrictions à l’immigration, le changement de température aurait pu se traduire durant un temps par des gains positifs en termes de bien-être puisque le Nord dispose d’une meilleure technologie. Toutefois, si les émissions de carbone provoquent de larges variations de températures et si l’immigration continue de subir de fortes restrictions, alors que les pertes en bien-être global s’en trouveront accentués et les coûts du réchauffement climatique seront particulièrement massifs pour le Sud. Le modèle développé par Desmet et Rossi-Hansberg suggère ainsi que la politique migratoire aura une place déterminante dans la gestion macroéconomique du réchauffement climatique.

 

Références Martin ANOTA

DELL, Melissa, Benjamin F. JONES & Benjamin A. OLKEN (2012), « Temperature shocks and economic growth: Evidence from the last half century », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 4, n° 3, juillet.

DESMET, Klaus, & Esteban ROSSI-HANSBERG (2012), « On the spatial economic impact of global warming », NBER working paper, n° 18546, novembre.

NORDHAUS, William D. (2010), « Economic aspects of global warming in a post-Copenhagen environment », Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, 10 mai.

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 19:02

La réduction des atteintes portées à l’environnement passe par une réduction des émissions polluantes et plus largement par un changement dans le comportement tant des producteurs que des consommateurs. Le simple moindre usage des ressources naturelles va d’une part participer à cette réduction des émissions polluantes et d’autre part contribuer à maintenir le stock de ressources naturelles. La réduction de la consommation de combustibles fossiles réduit par exemple les émissions de gaz à effet de serre et contribue à garder un maximum de ressources fossiles à la disposition des générations futures. Les efforts déployés pour soutenir la croissance économique n’entrent pas forcément en contradiction avec la préservation de l’environnement. De même, si celle-ci contraint effectivement à court terme l’activité économique en allouant des ressources financières, humaines et physiques hors des activités productives proprement dites, elle n'est pas sans générer des gains à un plus lointain horizon temporel. Préserver des ressources naturelles est en outre essentiel au maintien de la croissance à plus long terme. La croissance verte définit en l’occurrence un modèle de développement visant à encourager la croissance économique à long terme tout en assurant la préservation de la nature.

L’innovation technologique a une place essentielle au cœur du modèle de croissance verte. Selon l’approche (relativement) optimiste de la soutenabilité faible, le développement soutenable dépend avant tout du progrès technique. Dans sa récente contribution pour la Banque mondiale, David Popp (2012) cherche à mettre en évidence comment l’innovation technologique peut contribuer à réduire les coûts associés à la protection de l’environnement et à l’adoption d’une croissance verte. C’est en usant de techniques avancées que les pays à revenu élevé ou intermédiaire ont réussi à atteindre une meilleure qualité environnementale en ce qui concerne certains polluants. Or de telles techniques impliquent initialement des coûts élevés, alors même que les bénéfices attendus, bien que substantiels (tels que l’amélioration de la qualité de vie, de la santé, l’allongement de la durée de vie), ne se traduisent qu’à plus long terme, ce qui peut soulever des débats sur la réelle opportunité d’adopter un modèle de croissance verte. Donner une plus grande efficacité énergétique aux biens de production et de consommation peut se traduire par une réduction des coûts d’usage des ressources, donc par des gains immédiats pour l’activité économique.

Puisque les pays développés ont déjà payé l’essentiel des coûts associés au développement des technologies vertes, le transfert de ces technologies revêt aujourd’hui toute son importance. La réussite d’un transfert technologique repose sur la bonne adéquation entre les besoins du pays destinataire et les technologies disponibles dans le pays d’origine. Les externalités de connaissance entre les pays sont un moteur important de l’innovation, or une plus grande distance technologique entre deux pays réduit le flux de connaissances entre eux. La distance technologique est en l’occurrence plus déterminante dans la géographie des transferts de connaissances que la distance spatiale elle-même. Puisque la distance technologique est plus grande entre des pays à niveaux de revenus différents, Popp en conclue que les pays en développement doivent davantage s’appuyer sur les transferts de technologies et l’adoption de technologies existantes plutôt que sur l’innovation elle-même. Ils ne vont pas rester passifs dans ce processus, puisqu’ils doivent adapter les technologies importées aux spécificités de leur économie. Leur activité domestique de recherche-développement peut améliorer l’ajustement des nouvelles technologies aux conditions des marchés locaux en y apportant des innovations incrémentales. Les processus productifs peuvent en l’occurrence être adaptés de manière à réduire les coûts sur les marchés locaux. 

Au sein d’un pays donné, la diffusion d’une nouvelle technologie est un processus dynamique profondément graduel. L’adoption des nouvelles technologies débute tout d’abord avec un nombre limitée d’utilisateurs, suivie par une période de plus rapide adoption avant que le taux d’adoption ne se stabilise une fois que la plupart des utilisateurs potentiels ont adopté la technologie. L’information joue un rôle important dans la dynamique de la diffusion technologique. L’apprentissage depuis autrui est essentiel pour sensibiliser les agents à la nouvelle technologie. Les projets de démonstration ou les subventions aux premiers utilisateurs facilitent la diffusion d’une technologie dans un marché. Les premiers utilisateurs jouent notamment un rôle essentiel en réduisant l’incertitude entourant la qualité des nouvelles technologies.

D’importantes divergences sont observées dans les rythmes d’adoption des technologies entre les pays développés et en développement. La maintenance et l’accès à la finance sont importants pour la réussite de l’adoption d’une technologie dans les pays en développement. L’entretien du projet doit être planifié dès le début du projet et ne doit pas nécessiter beaucoup de formation supplémentaire, sinon les usagers risquent d’abandonner la technologie dès la première défaillance. En raison des coûts élevés de démarrage, le financement est une barrière importante pour les projets dans les pays en développement, puisque les agents y ont un accès plus limité aux marchés du crédit. Il est alors essentiel de mettre en place des mécanismes alternatifs de financement pour résoudre ce problème d’accès au financement.

David Popp reconnaît que les moteurs de l’adoption des technologies vertes restent toutefois encore partiellement incompris. Les technologies rentables à haute efficacité énergétique ne connaissent qu’une lente diffusion dans l’économie, alors même qu’ils réduisent les coûts de production. Ce « paradoxe de l’efficacité énergétique » suggère que les défaillances de marché peuvent fortement contribuer à ralentir l’adoption des technologies vertes. Les externalités environnementales constituent une première défaillance de marché qui refrène le processus d’innovation environnementale. Puisque le marché échoue à donner un prix à la pollution, les entreprises et consommateurs sont insuffisamment incités à réduire leurs émissions polluantes en l’absence d’intervention publique. Les agents privés échouent à prendre en compte l’ensemble des bénéfices sociaux qui sont liés à l’utilisation des technologies réduisant la pollution. Non seulement les incitations sont alors insuffisantes pour que les agents privés génèrent de nouvelles technologies, mais même lorsque celles-ci sont disponibles, les agents privés seront insuffisamment incités à mettre pleinement en œuvre leur diffusion dans l’économie.

Une seconde défaillance de marché en raison de la nature de bien public que revête le savoir. L’innovateur ne peut récolter tous les fruits de son investissement si son innovation n’est pas mise à la disposition du public, mais si elle est mise à sa disposition, le savoir contenu dans l’innovation est également rendu public. Encore une fois, les rendements sociaux de l’innovation sont plus larges que les bénéfices privés qu’en retire l’innovateur. Celui-ci est alors insuffisamment incité à investir dans le développement de nouvelles technologies. D’autres défaillances de marché, notamment l’incomplétude des marchés du crédit ou l’incertitude, ralentissent la diffusion technologique. En l’occurrence, les acheteurs potentiels peuvent être incertains quant à la qualité d’une nouvelle technologie ou aux conditions futures du marché.

Puisque les forces du marché ne fournissent pas suffisamment d’incitations aux agents privés pour que ceux-ci investissent dans la création et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement, la politique publique va jouer un rôle déterminant en fournissant ces incitations et en favorisant directement le développement et la diffusion des technologies vertes. La politique environnementale des autorités publiques va directement stimuler la demande pour les technologies vertes en rendant les pollueurs directement responsables des dommages environnementaux que leur activité génère. Pour être efficace, elle doit en outre s’accompagner d’une politique technologique contribuant à pleinement récompenser les innovateurs pour les bénéfices publics qui résultent des externalités de connaissance.

 

Références Martin ANOTA

POPP, David (2012), « The role of technological change in green growth », Banque Mondiale, policy research workign paper, octobre, n° 6239.

ROTILLON, Gilles (2010), Économie des ressources naturelles, La Découverte.

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