Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 01:18


La conférence Rio +20 qui se tiendra d’ici quelques jours dans la cité brésilienne évaluera le bilan des vingt années qui se sont écoulées depuis le Sommet de la Terre. Chefs d’Etat, dirigeants d’entreprises et représentants de la société civile vont se réunir pour s’accorder sur de nouvelles avancées sur le terrain du développement soutenable et opérer la transition vers une « économie verte ». La croissance économique doit être réagencée vers un plus grand respect des contraintes environnementales et les défaillances de marché plus amplement corrigées, afin d’accroître le bien-être des populations et réduire les inégalités.

La lutte contre les changements climatiques induits par les activités humaines s’est avérée relativement vaine jusqu’à présent. Malgré l'incertitude sur l'ampleur de l'impact de la croissance économique sur l'écosystème, il apparaît que les efforts (insuffisants) fournis par les Etats ne pourront empêcher un réchauffement terrestre d’au moins trois degrés d'ici la fin du siècle. Le protocole de Kyoto, peu contraignant, montre que la coopération internationale ne se concrétise que lorsque l’accord coûte peu pour ses signataires. Les négociations de politique climatique visant un accord post-Kyoto et l’adoption de mesures plus ambitieuses s’avèrent peu effectives. Les récentes conférences à Copenhague, Cancun puis Durban ont été des échecs. L’ensemble des pays partagent les mêmes craintes de long terme, mais peinent à s’accorder sur des cibles quantifiables de court terme. Dans ce contexte, Rio +20 est promis à être désastreux.

Bosetti et al. (2012) ont cherché à évaluer les incitations nécessaires pour que des pays hétérogènes forment des coalitions stables pour combattre le réchauffement climatique. Il est généralement supposé qu’une coalition choisirait le sentier optimal des futures émissions qui égalise les coûts de réduction actualisés et les bénéfices de moindres dommages climatiques. Lorsque chaque pays n’internalise pas les dommages subis par les autres pays, le niveau optimal des mesures d’atténuation s’avère peu influencé par des hypothèses extrêmes concernant les impacts, les indicateurs de bien-être social ou pure taux de préférences temporelles. Même si les futurs dommages du changement climatique sont massifs et les taux d’actualisation faibles, les pays n’ont qu’un faible intérêt à réduire leurs émissions.

Une coalition de pays est nécessaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les impacts qu’ils peuvent avoir sur le climat. Toutefois, de telles coalitions sont réputées instables en raison des comportements opportunistes : chaque membre bénéficie de la réduction des émissions, mais il a individuellement intérêt à quitter la coalition et à accroître ses émissions tout en profitant des efforts des autres membres. Qu’importe le niveau de dommages et le taux d’actualisation, les incitations économiques s’avèrent trop faibles pour qu’une large coalition émerge et se stabilise. Une coalition peut toutefois se maintenir si des transferts sont mis en place pour partager les bénéfices de la coopération. Surtout, Bosetti et al. (2012) concluent que la seule manière d’opérer est de ne procéder qu’à de lents et graduels progrès vers le contrôle du changement climatique.  

Elinor Ostrom (2012), dans un ultime article, considère toutefois qu’un accord international unique lors de la conférence Rio +20 constituerait une grave erreur. La gestion des ressources communes ne peut reposer sur une politique universelle et contraignante, mais sur un ensemble de mesures évolutives, rapidement adaptables et complémentaires à différents niveaux géographiques afin de répondre efficacement aux essais ratés. Un tel processus émerge déjà spontanément. Les villes commencent à prendre des mesures visant à la protection de leur population et de leur économie locale. Malgré l’absence de législation fédérale en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, des centaines de ville se sont accordées aux Etats-Unis sur un plan d’action visant à contrer le réchauffement climatique. Les villes engagées dans le développement soutenable sont à même d’attirer les actifs qualifiés et créatifs propres à participer à leur stratégie écologique. A moyen terme, les villes ayant opté pour le développement soutenable s’interconnecteront pour aiguillonner l’évolution de l’écosystème. Les politiques de développement soutenable doivent ainsi se combiner aux niveaux global et local. Le sommet de Rio doit ainsi permettre de fixer des objectifs universels en matière de développement soutenable, notamment en ce qui concerne les questions énergétiques, alimentaires et sanitaires.

Enfin, selon Zadek (2012), les décisions prises unilatéralement par les pays et zones régionales dans la poursuite de leurs propres intérêts économiques constituent la plus puissante force dans l’économie politique mondiale, notamment dans le domaine climatique. Le régime commercial promulgué par l’OMC est inadapté pour l’élaboration des stratégies économiques et industrielles nécessaires au développement de la technologie verte. La réorientation de l’économie mondiale sur un sentier de croissance soutenable implique de la part des pays d’agir unilatéralement. Par exemple, la Chine subventionne massivement la création d’entreprises à technologies propres de dimension internationale, l’Europe cherche à étendre son mécanisme de droits à émettre du carbone, tandis que plusieurs pays en développement cherchent à attirer les industries à faible émission de carbone. La gestion des biens publics globaux sera facilitée par l’approfondissement de cette forme d’unilatéralisme. Une focalisation sur un nombre restreint d’actions d’envergure, un instrument de politique adéquat pour accomplir ses actions et enfin un ensemble de coalitions internationales pour les piloter sur un sentier légitime sont trois facteurs nécessaires à la réussite de cette stratégie.

 

Références Martin ANOTA

BOSETTI, Valentina, Carlo CARRARO, Enrica DE CIAN, Emanuele MASSETTI & Massimo TAVONI (2012), « Nations can work together for a better planet, but cooperation on stringent climate targets will be difficult », in VoxEU.org, 23 avril 2012.

OSTROM, Elinor (2012), « Green from the Grassroots », in Project Syndicate, 12 juin. Traduction française, « La politique verte doit être impulsée de la base ».

ZADEK, Simon (2012), « Green unilateralism », in Project Syndicate, 11 juin.

Partager cet article
Repost0
12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 21:58

« Instaurer la confiance entre individus et développer des règles institutionnelles bien adaptées aux systèmes écologiques utilisés sont d'une importance capitale pour résoudre les dilemmes sociaux. Le résultat surprenant selon lequel les utilisateurs des ressources en relativement bon état, ou même en voie d’amélioration, investissent dans divers moyens de surveillance mutuels est lié à la nécessité essentielle du renforcement de la confiance. Malheureusement, les analystes politiques, les représentants de la force publique et les chercheurs qui appliquent toujours les mêmes modèles mathématiques simples à l'analyse des paramètres de terrain n'ont pas encore assimilé les leçons centrales rappelées ici. »

Elinor OSTROM, « Par-delà les marchés et les Etats. La gouvernance polycentrique
des systèmes économiques complexes », in Débats et politiques, n° 120, 2011.

Partager cet article
Repost0
28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 13:26

Les prix du pétrole commencèrent à augmenter en 2002, le cours du Brent atteignant le niveau record de 144,27 dollars en juillet 2008, pour ensuite refluer fortement en raison de la récession mondiale et de la déprime subséquente de la demande. Les prix atteignirent un point bas en janvier 2009 ; le Brent retrouvait alors ses valeurs de 2004 en passant sous la barre des 40 dollars le baril. Depuis lors, les cours ont renoué avec leur tendance haussière, en parallèle à la reprise de l'activité économique mondiale. L’identification des causes sous-jacentes à ces mouvements des prix reste imprécise.

Ces évolutions sont cohérentes avec les fondamentaux et en premier lieu avec la dynamique suivie par la demande au cours de l'ensemble de la décennie [Plante et Yücel, 2011a, 2011b ; Porcher, 2012]. Les besoins énergétiques augmentant avec l’activité économique, la consommation pétrolière doit augmenter avec le PIB et, effectivement, les variations annuelles des prix du pétrole ont globalement correspondu à celles du PIB mondial. En outre, la consommation énergétique des économies en développement augmenta deux fois plus rapidement que celle des économies développées. Les premières représentent actuellement la moitié de la demande mondiale de pétrole. Si les économies avancées ont su réduire l’intensité énergétique de leur croissance au cours du temps, l’expansion économique des émergents se singularise par une forte intensité énergétique. A court terme, la demande de pétrole est peu élastique aux variations de son prix, notamment parce qu’elle se destine pour les deux tiers aux besoins de transport, un usage où le pétrole s’avère difficilement substituable. Dans ce contexte de faible sensibilité au prix, un choc sur le marché, en relevant la demande ou en restreignant l’offre, accroît fortement la volatilité des prix.

La dynamique des prix pétroliers est également compatible avec les déterminants de l’offre. Le marché du pétrole n’est pas pleinement concurrentiel. L’OPEP constitue un producteur oligopolistique qui extirpe une rente non concurrentielle en contrôlant la production de ses membres pour faire augmenter les prix. Elle était à l’origine de 42 % de la production mondiale fin 2011. Les producteurs n’appartenant pas à l’OPEP forment une frange hétérogène et concurrentielle qui s’avère preneuse de prix. Les capacités de production actuellement existantes sont plafonnées. Les efforts d’exploration et d’investissement qui sont réalisés au préalable déterminent les capacités de production disponibles et leurs perspectives d’extension. Il est nécessaire de régulièrement mettre en exploitation de nouveaux gisements afin de produire sans discontinuité, mais la mise en exploitation des réserves en capacités de production nécessite de massifs investissements de long terme. Un prix du pétrole élevé rend rentable de procéder à ces derniers. Les membres de l’OPEP disposent de marges de capacité, tandis que les autres producteurs fonctionnent en pleine capacité. La capacité de production de l’OPEP a ainsi peu varié au cours du temps, passant de 34 à 35,5 millions de barils par jour entre 1973 et 2008. L’organisation a dû toutefois réduire ses capacités excédentaires durant la dernière décennie pour répondre à la forte demande. N’ajuster que lentement les capacités a permis à l’OPEP de maintenir les prix à un niveau élevé ; mais puisque l’organisation fut par conséquent dotée d’insuffisantes capacités pour compenser les chocs sur le marché, ces derniers ont entraîné une plus forte volatilité des prix.

L’équilibre du marché entraîne ainsi d’importantes variations des prix. L’écart entre l’offre et la demande mondiales peut toutefois paraître insuffisant pour expliquer les variations du prix effectivement constatées et les évolutions de cet écart et du prix ne sont en outre pas synchrones. Le prix du pétrole s’est par exemple fortement élevé au premier semestre 2009 sans que ne le justifie la reprise de l’activité mondiale. Une hypothèse largement admise serait que la financiarisation du marché et l’afflux de spéculateurs détermineraient d’une manière significative la dynamique des prix. Les liquidités abondantes créées par les faibles taux d’intérêt au début de la dernière décennie auraient ainsi pu alimenter une bulle du pétrole, mais aussi plus largement des matières premières.

Le marché physique du pétrole se compose tout d’abord du marché au comptant (dit spot) et du marché à livraison différée (dit forward). Sur le marché au comptant, se déroulent des transactions physiques à livraison (quasi) immédiate. Le prix du pétrole (le prix spot) se détermine sur ce marché libre à travers la confrontation de l’offre et de la demande. Les agents effectuent sur le marché forward des transactions physiques à livraison différée. Ils échangent des cargaisons de pétrole pour une date ultérieure à un prix immédiatement fixé.

En parallèle à ces compartiments, le marché à terme (futures) est un marché financier où s’échangent des intentions d’achat ou de vente futures de pétrole, pour une date ultérieure et à un prix immédiatement fixé. Le marché à terme héberge principalement les banques, les raffineurs, les distributeurs et les fonds d’investissement, notamment les hedge funds. Un tel marché s’avère utile pour gérer le risque associé aux fluctuations du cours du pétrole. Les opérateurs du marché cherchent soit à s’assurer contre ce risque, c’est-à-dire à se couvrir, soit à spéculer. Les producteurs ou consommateurs qui voudraient couvrir leurs positions sont qualifiés de « commerciaux », tandis que les opérateurs qui ne recherchent que le gain monétaire sont qualifiés de « non commerciaux » ou de « spéculateurs ». L’activité sur le marché à terme s’est fortement développée au cours de la dernière décennie et le nombre de traders non commerciaux a connu également une forte croissance. La spéculation en soi est nécessaire au bon fonctionnement du marché. Il peut en effet exister un décalage entre les acheteurs et les vendeurs sur un contrat à terme donné. Les spéculateurs, en principe, permettent de corriger ces déséquilibres en fournissant de la liquidité et en participant activement au processus de découverte des prix. Démontrer que la spéculation est excessive et déstabilisatrice est difficile. Une spéculation excessive doit toutefois se manifester à travers certains signes tangibles.

Pour orienter les cours à la hausse, les spéculateurs peuvent acheter du pétrole sur le marché au comptant et le stocker [Plante et Yücel, 2011b]. Or, les capacités de stockage sont limitées et coûteuses. Le comportement des stocks durant la décennie s’est révélé globalement cohérent avec la situation d’un marché tendu. En outre, le stockage en mer s’est par exemple réduit durant l’été 2008, alors même que les cours tendaient vers leurs niveaux records. Il reprit à nouveau en fin d’année, alors même qu’avait débuté la récession mondiale.

Les spéculateurs peuvent également acheter un nombre important de contrats futures, ce qui accroît les prix à terme et pousse indirectement les auteurs participant au marché à stocker du pétrole [Plante et Yücel, 2011a]. En temps normal, le prix à terme est supérieur au prix au comptant d'un montant correspondant peu ou prou aux coûts de stockage. Si le prix à terme est significativement élevé, les vendeurs vont être incités à davantage vendre dans le futur et moins aujourd’hui. Les stocks et par conséquent les prix spot doivent alors augmenter, tandis que les prix à terme doivent diminuer. Ainsi, afin qu’un mouvement spéculatif sur le marché à terme entraine une hausse du prix spot, les comportements de stockage spéculatif doivent se multiplier, ce qui ne fut a priori pas le cas. Selon les récentes études de Fattouh et al. (2012), il n’y a en outre pas de preuve claire que les changements de positions des traders financiers prédisent les variations des prix à terme. Les hausses des prix au comptant ne sont pas forcément précédées de hausses des prix à terme.

Ainsi, le développement des marchés à terme fut certes synchrone avec les hausses de prix, mais les comportements de spéculation semblent n’avoir joué qu’un rôle réduit dans celles-ci. Tout au plus, ils peuvent les avoir amplifiées [Porcher, 2012]. 5 à 10 % du prix du baril pourraient ainsi s’expliquer par les pressions spéculatives, mais les évolutions des cours sont restées fondamentalement liés à la forte demande des économies émergentes et aux marges étroites entre l’offre et la demande. Les traders du marché à terme n’auraient eu en définitive qu’une activité essentiellement routinière.

 

Références Martin Anota

ARTUS, Patrick, Antoine d’AUTUME, Philippe CHALMIN & Jean-Marie CHEVALIER (2010), Les effets d’un prix du pétrole élevé et volatil, rapport du CAE, n° 93.

FATTOUH, Bassam, Lutz KILIAN, & Lavan MAHADEVA (2012), « The Role of Speculation in Oil Markets: What Have We Learned So Far? », CEPR Discussion Paper, n° 8916.

PLANTE, Michael D., & Mine K. YÜCEL (2011a), « Did Speculation Drive Oil Prices? Futures Market Points to Fundamentals », Economic Letter, vol. 6, n° 10, octobre.

PLANTE, Michael D., & Mine K. YÜCEL (2011b), « Did Speculation Drive Oil Prices? Market Fundamentals Suggest Otherwise », Economic Letter, vol. 6, n° 11, octobre.

PORCHER, Thomas (2012), « Le marché du pétrole : les facteurs explicatifs de l’évolution des cours », Ecoflash, n° 264, janvier.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher