Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 avril 2021 2 20 /04 /avril /2021 15:58
Les répercussions réelles des ruées bancaires

Les difficultés d’une banque sont susceptibles de se répercuter aux autres banques. Les ruées bancaires (bank runs) constituent l’un de ces canaux de contagion, propres à amorcer ou aggraver une crise financière : une banque connaît une ruée bancaire quand une grande partie de ses clients cherche simultanément à réaliser des retraits. Une banque n’ayant pas forcément toutes les liquidités dans l’immédiat pour satisfaire cette demande, elle risque alors de faire faillite. Puisque par effet domino, la faillite d’une banque risque d’entraîner la faillite d’autres banques, tout d’abord celles qui détiennent des créances à son égard, les autres banques risquent de perdre la confiance de leurs déposants et de connaître à leur tour des ruées bancaires.

La mécanique est vicieuse ; dès lors qu’une banque connaît une telle fuite des dépôts, il lui est difficile de la stopper. En effet, même s’il est convaincu de la solvabilité de sa banque, il est rationnel pour un déposant de se ruer aux guichets pour récupérer ses liquidités s’il pense que les autres déposants sont susceptibles de s’y ruer [Diamond et Dybvig, 1983]. En d’autres termes, les ruées bancaires peuvent être autoréalisatrices : une banque peut faire faillite si ses clients pensent qu’elle fera faillite, et ce même si initialement elle était saine, comme l’illustre le cas de la Northern Rock lors de dernière crise financière mondiale [Ménia, 2007].

Comme les autres canaux de transmission des crises financières, les paniques bancaires sont susceptibles de profondément affecter l’activité réelle. Balayant l’idée que la sphère financière ne se contente que de refléter les fluctuations de l’activité réelle, de nombreux travaux ont mis l’accent sur le rôle de l’effondrement du crédit et, plus spécifiquement, des paniques bancaires pour expliquer la gravité de la Grande Dépression dans les années trente [Friedman et Schwartz, 1963 ; Bernanke, 1983 ; Calomiris et alii, 2003]. Les Etats-Unis connurent quatre vagues de ruées bancaires. La première éclata à l’automne 1930 : un an après le « Jeudi noir » et le début de l’effondrement boursier, l’économie américaine semblait amorcer une reprise, mais la crise bancaire l’a véritablement faite basculer dans la Grande Dépression. 

La France connut également des paniques bancaires durant la Grande Dépression. A partir du début du mois de novembre 1930, sur l’ensemble du territoire, les déposants retirèrent leurs fonds des banques commerciales. Une seconde série de ruées bancaires survint l’année suivante et attint son pic en septembre 1931. Ces paniques bancaires ont pu fortement contribuer à creuser la contraction de l’activité économique en France : même si les quatre plus grandes banques de l’époque n’ont pas vu leurs dépôts s’écrouler, le reste du système bancaire a vu les siens fondre de 40 % entre 1929 et 1931 [Baubeau et alii, 2021] (cf. graphique).

GRAPHIQUE  Dépôts dans les banques et Caisses d’épargne en France durant l’entre-deux-guerres (en milliards de francs)

Les répercussions réelles des ruées bancaires

source : Baubeau et alii (2021)

Il est difficile d’identifier les conséquences réelles des ruées bancaires, tout d’abord dans la mesure où celles-ci n’éclatent pas de façon purement exogène. Tout d’abord, elles sont davantage susceptibles de se produire en période de mauvaise conjoncture. Par exemple, entre 1863 et 1913, les paniques bancaires aux Etats-Unis coïncidaient typiquement avec le retournement du cycle d’affaires [Gorton, 1988]. Les déposants, subissant une détérioration de leur situation financière ou redoutant que celle-ci ne se dégrade, pouvaient avoir davantage tendance à puiser dans leur patrimoine financier pour compenser une chute de leur revenu courant. Ou bien, certains déposants, anticipant que les emprunteurs auraient plus de difficile à rembourser leur crédit, redoutaient, à tort ou à raison, que leur banque fasse faillite. Il n'est guère surprenant de voir l'activité économique décliner lors des paniques bancaires ; ces dernières surviennent précisément souvent parce que l'activité économique décline. Il est alors difficile de déceler l'impact propre à une panique bancaire.

Les banques elles-mêmes changent de comportement lors d’une récession ou d’une crise financière : elles-mêmes peuvent redouter une hausse des défauts de remboursement et restreindre en conséquence le crédit ; elles peuvent chercher à vendre en catastrophe des actifs, notamment des titres, pour obtenir des liquidités, mais, en faisant ainsi pression à la baisse sur les prix des actifs, elles détériorent la situation des banques qui détiennent toujours ces actifs et les poussent à se débarrasser à leur tour de leurs actifs. Réciproquement, si les banques subissent des ruées bancaires, elles seront tentées de réduire leur activité de prêt ou de vendre des actifs en catastrophe pour assainir leur bilan. La contagion financière empruntant plusieurs canaux, il est difficile de déceler précisément l’impact exact de l’un d’entre eux sur l’activité réelle. 

Eric Monnet, Angelo Riva et Stefano Ungaro (2021) ont tiré profit d’une singularité du paysage bancaire français lors de la Grande Dépression pour étudier l’impact propre aux ruées bancaires. A cette époque, les banques commerciales n’étaient toujours pas régulées ; la première véritable loi relative à l’activité bancaire date de 1941. Mais elles coexistaient avec les Caisses d’épargne : ces dernières, des institutions de collecte d’épargne bénéficiant d’une garantie de la part de l’Etat, constituaient des substituts plus sûrs aux yeux des déposants. D’ailleurs, lors de la Grande Dépression, les déposants étaient plus susceptibles de retirer l’épargne qu’ils avaient dans un compte hébergé par une banque commerciale lorsqu’ils possédaient également un compte dans une Caisse d’épargne ; et d’importants flux de fonds furent transférés des banques commerciales aux Caisses d’épargne, ce qui explique non seulement pourquoi le montant total de dépôts est resté relativement stable malgré l’effondrement des dépôts bancaires (cf. graphique), mais aussi pourquoi le crédit s’est fortement contracté au cours de la période [Baubeau et alii, 2021].

Or, les Caisses d’épargne n’étaient pas implantées de façon homogène sur le territoire ; leur implantation était assez indépendante des performances économiques locales et du réseau bancaire. C’est cette hétérogénéité qui offre à Monnet et à ses coauteurs une occasion pour déceler les répercussions réelles des ruées bancaires.

Les trois chercheurs ont utilisé la densité des Caisses d’épargne observée avant la Grande Dépression pour quantifier le déclin de l’activité bancaire pendant la crise ; ils ont mesuré l’activité économique locale à partir des données fiscales relatives aux recettes et revenus. Au terme de leur analyse, ils constatent qu’une baisse de 1 % des agences bancaires réduisait le revenu agrégé de 1 %. Les ruées bancaires semblent par conséquent avoir très significativement contribué à la sévérité de la Grande Dépression en France : un calcul au dos de l’enveloppe suggère qu’elles ont pu expliquer un tiers de la chute du PIB réel observée de 1930 à 1931. 

 

Références 

BAUBEAU, Patrice, Eric MONNET, Angelo RIVA & Stefano UNGARO (2021), « Flight-to-safety and the credit crunch: A new history of the banking crisis in France during the Great Depression », in Economic History Review, vol. 74, n° 1.

BERNANKE, Ben S. (1983), « Nonmonetary effects of the financial crisis in propagation of the Great Depression », in American Economic Review, vol. 73, n° 3.

CALOMIRIS, Charles W., & Joseph R. MASON (2003), « Fundamentals, panics, and bank distress during the depression », in American Economic Review, vol. 93, n° 5.

DIAMOND, Douglas W., & Philip H. DYBVIG (1983), « Bank runs, deposit insurance, and liquidity », in Journal of Political Economy, vol. 91, n° 3.

FRIEDMAN, Milton, & Anna J. SCHWARTZ (2008), A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press.

GORTON, Gary (1988), « Banking panics and business cycles », in Oxford Economic Papers, vol. 40, n° 4.

MÉNIA, Stéphane (2007), « Faire nocturne pour sauver la banque », in Econoclaste (blog), 17 septembre.

MONNET, Eric, Angelo RIVA & Stefano UNGARO (2021), « The real effects of bank runs. Evidence from the French Great Depression (1930-1931) », CEPR, discussion paper, n° 16054.

Partager cet article
Repost0
18 décembre 2017 1 18 /12 /décembre /2017 16:07
Quel est le taux de rendement de tout ?

Les économistes se sont depuis longtemps intéressés au taux de rendement du capital : les classiques David Ricardo et John Stuart Mill ont consacré une grand part de leur travail aux intérêts et aux profits ; c’est en raison de la baisse tendancielle du taux de profit que Karl Marx estime que le capitalisme est condamné à s’effondrer, etc. Aujourd’hui, le taux de rendement du capital continue de tenir une place importante dans de nombreux débats, notamment autour du taux d’intérêt naturel, de la stagnation séculaire et des inégalités. Malgré ce rôle dans de nombreuses théories, les estimations empiriques restent bien fragmentaires le concernant. L’immobilier est par exemple une composante essentielle du patrimoine des ménages, il représente environ la moitié de la richesse nationale d’une économie et, pourtant, les rendements de l’immobilier restent peu connus.

Oscar Jordà, Katharina Knoll, Dmitry Kuvshinov, Moritz Schularick et Alan Taylor (2017) ont cherché à combler ce vide en construit une large base de données annuelles sur les taux de rendement des plus grandes classes d’actifs dans 16 pays développés depuis 1870 : deux classes d’actifs risqués (l’immobilier et les actions) et deux classes d’actifs relativement sûrs (les obligations publiques et les bons du Trésor).

Jordà et ses coauteurs ont tout d’abord remarqué la grande stabilité du rendement des actifs risqués. L’immobilier résidentiel et les actions ont généré des gains réels élevés, en moyenne d’environ 7 % par an. Avant la Seconde Guerre mondiale, les rendements sur l’immobilier et les actions ont suivi des trajectoires finalement assez similaires ; pour autant, l’immobilier rapportait davantage que les actions. Depuis le conflit, les actions ont davantage rapporté en moyenne que l’immobilier, mais au prix d’une plus forte volatilité et une plus forte synchronisation avec le cycle d’affaires ; les actions ont connu des cycles d’expansion et d’effondrements plus fréquents et plus corrélés. En outre, s’il n’y a pas de corrélation entre les rendements immobiliers au niveau international, les rendements boursiers sont devenus de plus en plus corrélés d’un pays à l’autre au fil du temps, en particulier depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le rendement réel des actifs sûrs a été très volatile à long terme et souvent bien plus volatile que le rendement réel des actifs risqués. Chacune des deux guerres mondiales et les années soixante-dix ont été marquées par de très faibles taux sur les actifs sûrs, bien inférieurs à zéro, ce qui permit notamment aux gouvernements de se désendetter rapidement au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le taux réel sur les actifs sûrs a atteint des pics durant l’entre-deux-guerres et au milieu des années quatre-vingt, lorsque les banques centrales avaient fortement resserré leur politique monétaire pour combattre l’inflation. Au final, la baisse des taux réels sur les actifs sûrs que nous avons pu observer ces dernières décennies s’apparente à celle que l’on a pu observer dans les décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. A très long terme, donc, le taux réel sur les actifs sûrs semble fluctuer autour des niveaux qu’il atteint actuellement, si bien que le niveau actuel n’est finalement pas inhabituel au regard de l’Histoire. Par conséquent, les économistes devraient se demander, non pas pourquoi les taux ont baissé ces dernières décennies, mais plutôt pourquoi ils ont été aussi élevés au milieu des années quatre-vingt.

Ces constats sont cohérents avec celui auquel avaient abouti Kathryn Holston, Thomas Laubach et John Williams (2016) : le taux d’intérêt naturel semble avoir décliné depuis le milieu des années quatre-vingt et est aujourd’hui proche de zéro. Ils sont également compatibles avec l’hypothèse de la stagnation séculaire avancée par Larry Summers (2014) : en raison de dynamiques lourdes comme la hausse des inégalités ou le vieillissement démographique, les économies avancées ont peut-être tendance à dégager un excès structurel d’épargne qui les piège durablement dans une trappe à faible investissement. Une telle éventualité a de profondes implications pour la conduite de la politique économique. Par exemple, si les taux d’intérêt de court terme risquent plus fréquemment de se retrouver contraints par leur borne inférieure zéro, alors les banques centrales peuvent ne pas parvenir à ramener rapidement les économies au plein emploi suite aux chocs macroéconomiques ; cela remet d’ailleurs en cause la stratégie de ciblage d’inflation qu’elles ont eu tendance à suivre ces dernières décennies.

A très long terme, la prime de risque a été volatile ; elle tend même à fluctuer sur plus décennies, en des amplitudes qui dépassent celles observées à la fréquence des cycles d’affaires, sans pour autant présenter de tendance manifeste à long terme. En temps de paix, les primes de risque sont généralement stables, comprises entre 4 % et 5 %, mais elles sont étrangement restées élevées des années cinquante aux années soixante-dix. Les fortes hausses de prime de risque en temps de guerre et durant l’entre-deux-guerres découlent avant tout de la chute des taux d’intérêt sur les actifs sûrs plutôt que d’une hausse des taux d’intérêt sur les actifs risqués. Le taux risqué a souvent été plus lisse et plus stable que les taux sûrs, en restant en moyenne compris entre 6 % et 8 % dans la plupart des pays. Récemment, la prime de risque s’est élevée, précisément parce que les taux sûrs ont chuté plus rapidement que les taux risqués. Pour autant, les deux taux de rendement sont restés proches de leur valeur historique normale. 

Jordà et ses coauteurs précisent également la relation entre le taux de rendement sur le patrimoine (r) et le taux de croissance de l’économie (g) qui tient une place si cruciale dans le magnum opus de Thomas Piketty (2013). Selon ce dernier, si le rendement du capital est supérieur à la croissance, alors les rentiers accumulent plus rapidement du patrimoine, ce qui accroît les inégalités de richesse. Ce serait effectivement le cas ces dernières décennies, ce qui expliquerait la hausse des ratios richesse sur revenu et la hausse des inégalités [Piketty et Zucman, 2013]. En se concentrant sur les données britanniques sur la période s’écoulant entre 1210 et 2013, Jakob Madsen (2017) a récemment confirmé l’idée que l’écart rg tend à gouverner la dynamique du ratio richesse sur revenu et la part du revenu du capital. En analysant des données relatives à de nombreuses économies, Jordà et ses coauteurs constatent que r est fortement supérieur à g : au niveau mondial et dans la plupart des pays, le taux de rendement pondéré du capital représentait le double du taux de croissance au cours des 150 dernières années. Les exceptions concernent des périodes très particulières, en l’occurrence les années de conflit ou les années qui entourent immédiatement celles-ci. En l’occurrence, avant la Seconde Guerre mondiale, l’écart rg s’élevait en moyenne à 5 % par an, sauf lors de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, il reste élevé, compris entre 3 % et 4 % ; il s’est réduit à 2 % durant les années soixante-dix, lors des chocs pétroliers, avant de se creuser dans les années qui ont précédé la crise financière mondiale. Le fait que les rendements du patrimoine soient restés assez élevés et stables depuis les années soixante, tandis que la richesse agrégée s’est accru rapidement, suggère que l’accumulation du capital a contribué à modifier la répartition du revenu national au détriment du travail et par là à alimenter les inégalités de revenu.

 

Références

HOLSTON, Kathryn, Thomas LAUBACH & John C. WILLIAMS (2016), « Measuring the natural rate of interest: International trends and determinants », Réserve fédérale de San Francisco, working paper, n° 2016-11, décembre.

JORDÀ, Oscar, Katharina KNOLL, Dmitry KUVSHINOV, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2017), « The rate of return on everything, 1870–2015 », NBER, working paper, n° 24112.

MADSEN, Jakob B. (2017), « Is inequality increasing in r - g? Piketty’s principle of capitalist economics and the dynamics of inequality in Britain, 1210-2013 », CAMA, working paper, n° 63/2017, octobre.

PIKETTY, Thomas (2013), Le Capital au XXIe siècle.

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2013), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries 1700-2010 », Paris School of Economics, 26 juillet.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

Partager cet article
Repost0
26 juin 2017 1 26 /06 /juin /2017 08:15
Le service de la dette, cette face sombre des booms du crédit

Suite à la crise financière mondiale, de nombreuses études empiriques ont cherché à préciser l’impact des variables financières sur l’économie réelle. En étudiant les données relatives à 14 pays développés depuis 1870, Moritz Schularick et Alan Taylor (2012) ont par exemple constaté que la croissance du crédit constitue un puissant indicateur avancé des crises financières, ce qui les amène à suggérer que ces dernières résultent de « booms du crédit qui ont mal tourné ». Òscar Jordà, Moritz Schularick et Alan Taylor (2013) ont observé que les récessions synchrones à une crise financière sont plus coûteuses que les récessions « normales », dans la mesure où elles se traduisent par de plus fortes pertes en termes de production. D’autre part, ils ont constaté que les récessions sont d’autant plus sévères et les reprises lentes que les expansions sont intensives en crédit. De leur côté, en étudiant 130 récessions dans 26 pays depuis les années 1970, Jonathan Bridges, Chris Jackson et Daisy McGregor (2017) ont confirmé qu’une période de croissance rapide du crédit à la veille d’une récession prédit une récession plus sévère et plus longue que lorsque la croissance du crédit est lente. La croissance du crédit leur semble constituer un indicateur avancé plus robuste que le niveau d’endettement pour prédire la sévérité de la récession, même si certains éléments suggèrent que l’impact d’un boom du crédit est plus ample lorsque le niveau d’endettement est élevé.

Ces études ont négligé le rôle du service de la dette. Or, Mathias Drehmann, Mikael Juselius et Anton Korinek (2017) notent que ce dernier peut s’accumuler avec retard par rapport aux nouveaux emprunts si ces derniers sont des emprunts à long terme et s’ils sont auto-corrélés. En analysant les données relatives à 17 pays pour la période allant de 1980 à 2015, Mathias Drehmann, Mikael Juselius et Anton Korinek (2017), trois économistes de la Banque des Règlements Internationaux, confirment que les nouveaux emprunts sont fortement auto-corrélés sur un intervalle de six ans. En outre, ils constatent les nouveaux emprunts sont corrélés avec le futur service de la dette au cours des dix années suivantes. Enfin, leur analyse suggère que le pic du service de la dette a lieu en moyenne quatre ans après le pic des nouveaux emprunts.

Drehmann et ses coauteurs se sont ensuite tournés vers les implications que ce retard peut avoir pour l’économie réelle. Tout d’abord, ils notent que les emprunts des ménages ont un impact clairement positif sur la croissance de la production, tandis que le service de la dette a un impact significativement négatif sur celle-ci. Par conséquent, les booms du crédit ont un impact significativement positif sur la production à court terme, mais cet effet s’inverse et devient négatif à moyen terme, à un horizon allant de cinq à sept ans. Ensuite, les effets négatifs que peuvent exercer les nouveaux emprunts sur la production à moyen terme découlent pour l’essentiel des effets prévisibles du futur service de la dette. Ces résultats mettent en évidence un mécanisme de transmission pour les effets réels des booms du crédit que la littérature a récemment mis à jour. Enfin, le service de la dette semble constituer le principal canal à travers lequel les nouveaux emprunts affectent la probabilité qu’éclate une crise financière. Drehmann et ses coauteurs constatent en effet que les nouveaux emprunts accroissent la probabilité qu’éclate une crise financière à moyen terme, ce qui est cohérent avec les études qui ont récemment montré que la croissance de la dette constitue un indicateur avancé des crises financières. Par contre, le service de la dette réduit la probabilité de crises à court terme. Au final, les effets négatifs du futur service de la dette généré par une hausse des nouveaux emprunts expliqueraient la quasi-totalité de la hausse de la probabilité d’une crise financière.

Pour Drehmann et ses coauteurs, ces résultats suggèrent que les autorités font potentiellement face à un arbitrage lorsqu’elles essayent de stimuler l’économie en encourageant l’expansion de la dette privée. Les nouveaux emprunts ont des effets positifs à court terme, mais ils vont mécaniquement accroître le service de la dette à l’avenir, si bien que la croissance finit par s’en trouver freinée à moyen terme. En outre, cet arbitrage a de possibles implications pour l’utilisation de la politique monétaire « à contre-courant » : si la banque centrale resserre sa politique monétaire pour freiner une croissance excessive du crédit et éviter ainsi que se gonfle une bulle, cela peut certes affaiblir la croissance à court terme, mais cela permet de préserver la croissance à moyen terme et de réduire le risque de crise.

 

Références

BRIDGES, Jonathan, Chris JACKSON & Daisy MCGREGOR (2017), « Down in the slumps: the role of credit in five decades of recessions », Banque d’Angleterre, staff working paper, n° 659.

DREHMANN, Mathias, Mikael JUSELIUS & Anton KORINEK (2017), « Accounting for debt service: The painful legacy of credit booms », BRI, working paper, n° 645 

JORDÀ, Òscar, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2013), « When credit bites back », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 45.

SCHULARICK, Moritz, & Alan M. TAYLOR (2012), « Credit booms gone bust: Monetary policy, leverage cycles, and financial crises, 1870-2008 », in American Economic Review, vol. 102, n° 2.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher