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29 décembre 2014 1 29 /12 /décembre /2014 10:54

De nombreuses études ont exploré les liens qu’entretiennent la politique monétaire, le crédit hypothécaire, les prix du logement et l’instabilité financière, mais elles ne sont pas encore parvenues à en décrire les interactions exactes. Beaucoup ont suggéré que les banques centrales avaient maintenu leurs taux directeurs « trop longtemps trop bas » au début des années deux mille et qu’elles auraient ainsi alimenté les bulles immobilières à l’origine de la crise financière mondiale. La violence de la Grande Récession a ensuite amené les banques centrales à ramener leurs taux directeurs au plus proche de zéro pour restaurer le plein emploi, mais beaucoup ont alors craint que le maintien de conditions monétaires exceptionnellement accommodantes n’alimente de nouvelles bulles, peut-être sur d’autres marchés que les marchés immobiliers. Certains ont alors préconisé de resserrer rapidement la politique monétaire pour éviter que l’économie mondiale ne connaisse une nouvelle crise financière, mais un tel resserrement monétaire risque de freiner la reprise de l’activité. Comme beaucoup de banques centrales, la Banque de Suède a ramené ses taux directeurs à zéro, mais face à l’endettement des ménages et aux pressions spéculatives sur les marchés immobiliers, elle a relevé ses taux d’intérêt à partir du milieu de l’année 2010 ; ce faisant, elle a fait basculer l’économie suédoise dans la déflation, l’amenant finalement à réduire de nouveau ses taux directeurs pour les ramener à zéro fin 2014.

Afin d’éclaircir plus finement cet arbitrage entre stabilisation macroéconomique et stabilisation financière, Òscar Jordà, Moritz Schularick et Alan Taylor (2014b) ont analysé le rôle que jouent les taux d’intérêt et le crédit dans le cycle de booms et d’effondrements des prix immobiliers en utilisant les données couvrant 140 années d’histoire économique moderne, en l'occurrence la période 1870-2012, pour 14 économies avancées. Ils ont utilisé et complété les résultats de leur précédente étude pour décrire les tendances de long terme que connaissent le crédit hypothécaire, l’accession à la propriété et les prix immobiliers. Le fort essor du ratio dette privée sur PIB que l’on a pu observer dans plusieurs pays occidentaux dans la seconde moitié du vingtième siècle s’explique principalement par la forte hausse de la dette hypothécaire. Le prêt immobilier s’est en effet fortement développé tout au long du vingtième siècle : le crédit hypothécaire représentait en moyenne 70 % du PIB en 2010, contre environ 20 % un siècle plus tôt. Il représente aujourd’hui les deux tiers des bilans des banques, contre un tiers au début du vingtième siècle. En conséquence, le transfert de l’épargne des ménages à destination du marché hypothécaire est devenu la principale activité des banques. Bref, nous sommes bien loin de la vision que présentent les manuels, en l’occurrence celle de banques finançant l’accumulation du capital productif. 

Le développement du crédit hypothécaire a très certainement facilité l’accession à la propriété tout en renchérissant le prix de l’immobilier. Les prix des logements sont restés stables en 1870 et le milieu du vingtième siècle, puis ils ont graduellement augmenté. Au cours de l’histoire, il y a eu d’amples fluctuations du ratio prix immobiliers sur revenu. Les périodes de hausses prononcées furent souvent suivies par d’abruptes corrections. Il y a une forte hétérogénéité dans le comportement des prix immobiliers entre des pays pourtant similaires et aux performances de croissance semblables à long terme. Les prix immobiliers ont augmenté plus rapidement que le revenu en Australie ; ils ont augmenté moins rapidement que le revenu en Belgique, en Suède, en Allemagne et aux Etats-Unis ; les prix immobiliers ont augmenté au même rythme que le revenu au Canada, au Royaume-Uni, au Japon et en France.  

Ensuite, Jordà et ses coauteurs constatent qu’au cours de l’histoire le maintien de conditions monétaires laxistes fut étroitement associé à un boom du prêt hypothécaire et des prix immobiliers. Les auteurs utilisent comme expérience naturelle les variations des conditions monétaires qui trouvent leur origine dans les conditions macroéconomiques. Ils prennent en compte le fait que les régimes de change fixes entraînent une variation exogène des conditions monétaires. En effet, lorsqu’un pays ancre sa monnaie à celle d’un autre pays, la politique monétaire du premier est influencée par celle du second au point de l’amener à adopter des mesures inadaptées au regard des conditions domestiques : c’est le fameux « trilemme » en finance internationale. C’est d’une certaine manière le cas de la zone euro : puisque celle-ci se caractérise par une politique monétaire unique pour l’ensemble des pays-membres, cette politique monétaire risque d’être « trop laxiste » pour certains et « trop restrictive » pour d’autres.

Jordà et alii isolent ainsi les variations exogènes des taux d’intérêt de court terme associées aux régimes de change administrés. Aux fréquences des cycles d’affaires, ils décèlent la présence d’un mécanisme liant les taux d’intérêt à court terme, le prêt hypothécaire et les prix immobiliers. Les taux d’intérêt à long terme réagissent aux taux de court terme, ce qui affecte alors le coût du crédit hypothécaire. En réponse à l’assouplissement des conditions monétaires et donc à une réduction du coût du crédit hypothécaire, le prêt hypothécaire croît. La hausse des prix immobiliers augmente la valeur des collatéraux et par là que la capacité et la volonté des banques à prêter davantage. Les conditions monétaires accommodantes sont précisément à l’origine des booms du crédit hypothécaire et des prix immobiliers et cette causalité s’est renforcée après la Seconde Guerre mondiale : le prêt hypothécaire et des prix immobiliers sont devenus plus sensibles aux variations des conditions monétaires. 

Enfin, les trois auteurs mettent en évidence un lien étroit entre, d’un côté, le crédit hypothécaire et les booms des prix immobiliers et, de l’autre, l’instabilité financière. Au cours des 140 années de l’histoire économique moderne, les booms du crédit hypothécaire et des prix immobiliers ont été intimement associés à une forte probabilité de crises financières. De nouveau, la relation s’est renforcée après la Seconde Guerre mondiale. 

Les autorités monétaires ne peuvent donc poursuivre un objectif de stabilisation macroéconomique sans prendre en compte ses répercussions sur les marchés du crédit et la stabilité financière. Même si l’expérience historique suggère qu’il faut prendre au sérieux les conséquences potentiellement déstabilisatrices des faibles taux d’intérêt, Jordà et ses coauteurs jugent qu’il n’est pas certain qu’il faille forcément resserrer la politique monétaire. Si les banques centrales désirent assurer le maintien de la stabilité financière tout en maintenant une politique monétaire accommodante pour stimuler l’activité, il est préférable qu’elles adoptent également des mesures macroprudentielles.

 

Références

JORDÀ, Òscar, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2014a), « The Great Mortgaging: Housing finance, crises, and business cycles », NBER, working paper, n° 20501, septembre.

JORDÀ, Òscar, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2014b), « Betting the house », NBER, working paper, n° 20771, décembre. 

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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 18:00

Plusieurs travaux réalisés ces dernières années, à commencer par ceux de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009), ont enraciné une nouvelle croyance en macroéconomie : les récessions qui suivent une crise financière seraient plus sévères et plus longues que les récessions « normales ». 

Ces études souffrent toutefois de plusieurs limites. Tout d’abord, le constat selon lequel les répercussions des crises financières sont sévères et durables s’explique avant tout par le comportement des pays avancés avant la Seconde Guerre mondiale ou bien par celui des pays en développement. Ensuite, la définition d’une crise financière est imprécise. En outre, les datations des crises financières reposent sur une classification binaire : soit un pays connaît une crise financière, soit il n’en connait pas. Certaines études distinguent les crises financières selon qu’elles sont ou non de dimension systémique, mais elles ne cherchent pas davantage à différencier les épisodes selon leur gravité. Enfin, la plupart des études existantes utilisent des techniques très simples d’analyse empirique. 

GRAPHIQUE 1  L’indicateur de détresse financière de Romer et Romer

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Christina et David Romer (2014), anciens conseillers économiques de la Maison blanche, remettent en cause les conclusions de Reinhart et Rogoff en se penchant à leur tour sur les conséquences des crises financières dans les pays avancés dans les décennies qui ont précédé la Grande Récession. Ils construisent une nouvelle série de données mesurant la sévérité de la détresse financière dans 24 pays –membres de l’Organisation de la Coopération et du Développement Economiques pour la période s’écoulant entre 1967 et 2007. La série est constituée à partir des évaluations en temps réel que l’OCDE a compilé sur la santé financière de ses membres ; elle est vérifiée avec les données des rapports annuels des banques centrales et les articles du Wall Street Journal. Elle permet de classifier la détresse financière sur une échelle de 0 à 15 et ne la traite donc pas comme une simple variable binaire. Elle permet ainsi à Romer et Romer de capturer plusieurs crises modernes comme celles du Japon et de la Suède dans les années quatre-vingt-dix, mais également aussi des épisodes moins tumultueux comme celle de la France au milieu des années-quatre-vingt-dix suite au sauvetage du Crédit Lyonnais (cf. graphique 1). Pour analyser cet échantillon, les deux auteurs utilisent des techniques empiriques qu’ils jugent moins rudimentaires que celles habituellement employées pour étudier les liens entre instabilité financière et activité économique.

GRAPHIQUE 2  Réponse de la production industrielle dans les semestres qui suivent une détresse financière (en %)

Christina-David-Romer--production-industrielle--Martin-Anot.png

Certes la production chute dans les pays avancés lorsque ceux-ci connaissent une crise financière, mais cette chute reste d’ampleur limitée. Lorsqu’ils observent le comportement de la production industrielle, Romer et Romer constatent qu’elle rebondit rapidement, en l’occurrence six mois après, et qu’elle rejoint sa trajectoire d’avant-crise au bout de deux ans. Lorsqu’ils observent le comportement du PIB réel, les auteurs constatent que la production ne rebondit pas, mais ce résultat repose sur la seule expérience du Japon. Ce dernier a en effet connu un ralentissement durable de sa croissance du PIB qui commença au même instant que sa crise financière. Une fois le Japon exclu de l’analyse, Romer et Romer constatent que le PIB réel tend à rapidement rebondir suite à une crise financière (cf. graphique 3). Les deux auteurs soulignent que leurs résultats ne s’expliquent qu’en partie par leur nouvelle mesure de la détresse financière. En effet, lorsqu’ils appliquent leurs techniques de régression avec les datations habituelles des crises financières dans les pays avancés, ils ne parviennent pas non plus à montrer que les crises financières ont généralement des répercussions durables. Bref, les crises financières que les pays avancés ont connu au cours des quatre décennies qui précèdent la Grande Récession n’ont été généralement suivies que par une chute modérée et temporaire de la production.

GRAPHIQUE 3  Réponse du PIB réel dans les semestres qui suivent une détresse financière (en %)

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Romer et Romer constatent également que les répercussions des plus graves crises financières varient fortement d’un épisode à l’autre. Dans certains cas, par exemple en Norvège ou en Suède, la production s’éloigne à peine de sa trajectoire d’avant-crise. Dans d’autres cas, comme en Turquie, la production chute sous la trajectoire d’avant-crise, mais pour ensuite rebondir et se retrouver au-dessus de celle-ci. Dans le cas du Japon à la fin des années quatre-vingt-dix, la production s’éloigne de plus en plus de sa trajectoire d’avant-crise. Ces différences s’expliquent avant tout par la sévérité et la persistance de la crise financière elle-même : lorsqu’elle est limitée et rapidement résolue, alors la production se stabilise rapidement ; lorsque la détresse financière est particulièrement aigue ou se poursuit sur une période prolongée, alors ses répercussions sur la production s’aggravent. Or la durée et la sévérité d’un épisode d’instabilité financière dépend de la réaction qu’adoptent les gouvernements et les banques centrales à son encontre.

Le constat selon lequel la production ne chute en général que faiblement dans les pays avancés suite à une crise financière amène Romer et Romer à rejeter l’idée que la performance économique soit toujours mauvaise suite à une crise financière. La sévérité de la Grande Récession et la lenteur de la subséquente reprise s’expliquent avant tout par la sévérité et la persistance de la détresse financière. La crise financière de 2008 fut la plus violente depuis la Grande Dépression des années trente. En outre, comme plusieurs banques, en particulier dans les pays européens, sont toujours en difficulté, l’offre de crédit continue d’être contrainte, ce qui pénalise l’activité. Lorsqu’un seul pays ou une poignée de pays connait une forte détresse financière, comme ce fut en général le cas après-guerre, l’effondrement de l’offre de crédit domestique est en partie compensée par l’offre de crédit du reste du monde. En revanche, si la forte détresse financière a une dimension mondiale, comme ce fut le cas lors de la récente crise, il existe peu de prêteurs sains pour combler le vide, ce qui aggrave la crise et retarde la reprise.

Romer et Romer avancent d’autres raisons susceptibles d’expliquer la sévérité de la Grande Récession et la lenteur de la reprise subséquente. Premièrement, dans les années qui précèdent la crise, plusieurs économies avancées ont connu la formation d’amples booms immobiliers et l’accumulation de dette. Or, de telles dynamiques ont précisément contribué à aggraver la contraction de l’activité une fois la crise amorcée et à freiner la reprise subséquente. Deuxièmement, les gouvernements ont resserré leur politique budgétaire à partir de fin 2009 en Europe continentale, à partir de 2010 au Royaume-Uni et à partir de 2011 aux Etats-Unis. Une telle consolidation budgétaire a pu contribuer au ralentissement de la reprise, voire à faire basculer certains pays dans une nouvelle récession. Troisièmement, la borne inférieure zéro (zero lower bound) sur les taux d’intérêt nominaux a participé à amplifier les répercussions de la récente crise financière. En effet, les banques centrales réagissent habituellement à une crise financière en réduisant leurs taux directeurs. Or, lors de la récente crise financière, elles ont très rapidement rapproché leurs taux directeurs au plus proche de leur borne zéro sans pour autant suffisamment stimuler l’activité. Une telle contrainte explique pourquoi la performance de la production japonaise a été plus faible que ne le suggère la seule prise en compte de la détresse financière. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, lorsque la crise financière atteint son apogée, la Banque du Japon maintient son taux directeur à zéro. Le Japon est le seul pays de l’échantillon qui a atteint la borne inférieure zéro au cours de la période observée par Romer et Romer. Que la sévérité de la Grande Récession et la lenteur de la reprise qui l’a suivie s’expliquent par l’une ou par plusieurs de ces raisons, les époux Romer suggèrent qu’elles n’étaient en rien inéluctables.

 

Références

LAHART, Justin (2014), « Romer and Romer vs. Reinhart and Rogoff », in Wall Street Journal, 31 octobre.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2009)This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Traduction française, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière.

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (2014), « New evidence on the impact of financial crises », 14 octobre.

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27 octobre 2014 1 27 /10 /octobre /2014 12:48

Plusieurs marchés financiers, notamment les marchés d’actifs sans risque comme celui des bons du Trésor américain, ont connu une forte volatilité ces dernières semaines. L’indice VIX, qui mesure la volatilité des marchés boursiers et qui est considéré par là comme « l’indice de la peur », retrouve un niveau qu’il n’avait pas atteint depuis 2012, lorsque la crise de la zone euro était encore dans une phase active (cf. graphique ci-dessous). Les actions sont à la baisse, en particulier en dehors des Etats-Unis, les obligations sont à la hausse et les matières premières sont à la baisse. Sur les marchés boursiers, les actions cycliques ont connu de mauvaises performances, tandis que les actions défensives se sont plutôt bien comportées. Les primes de risque de crédit se sont élevées, notamment les primes de risque souverain en zone euro. Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans ont diminué, tandis que le dollar s’est apprécié. Bref, les marchés ont agi comme si l’économie mondiale basculait en récession.

GRAPHIQUE  Indices de volatilité Chicago Board of Options Exchange (en points de pourcentage)

source : The Economist (2014)

Pour Gavyn Davies (2014), trois facteurs ont probablement été à l’œuvre : en premier lieu, un renversement des positions spéculatives, mais celui-ci n’explique pas les tendances de fond et il n’est que temporaire. Davies doute que le ralentissement de la croissance ou tout du moins une révision à la baisse des anticipations de croissance ait été à l’origine de la forte volatilité. Certes les perspectives de croissance de grands pays-membres de la zone euro, en particulier de l’Allemagne, mais aussi de la France et de l’Italie, ont été revues à la baisse, mais les prévisions de croissance ont été revues à la hausse pour les Etats-Unis et la Chine, si bien que les secondes ont en quelque sorte compensé les premières. Ainsi, les conjecturistes n’ont toujours pas changé leurs prévisions de croissance mondiale, si bien que pour Davies, il semble que les marchés boursiers se soient montrés déconnectés des dynamiques de l’économie réelle ces dernières semaines. Par contre, comme le risque d’une récession en zone euro a été revu à la hausse, peut-être que les marchés ont alors revu à la hausse le risque que le reste du monde bascule aussi en récession par effet de contagion.

Le comportement du dollar s’explique facilement. La valeur d’une devise sur les marchés des changes est souvent liée aux perspectives de croissance du pays émetteur. La croissance des Etats-Unis est plus forte qu’anticipée, dans un contexte où la croissance des grands pays de la zone euro est revue à la baisse. En outre, la poursuite de la reprise aux Etats-Unis rend plus probable un resserrement de la politique monétaire de la Fed, ce qui rend plus rentable de placer ses capitaux aux Etats-Unis. En outre, si les marchés ont revu à la baisse leurs anticipations de croissance pour l’économie mondiale, le dollar a naturellement joué son rôle de valeur de refuge. Son appréciation reflète la plus forte demande d’actifs sûrs durant une période de forte incertitude. 

Si, pour Davies, la volatilité des prix d’actifs ne peut s’expliquer par une révision de croissance mondiale, elle a par contre sûrement trouvé son origine dans une révision des anticipations d’inflation. L’évolution des marchés obligataires suggère qu’ils ont revu leurs anticipations d’inflation à la baisse, en particulier pour la zone euro. Les marchés de swaps d’inflation ont commencé à mettre en doute la capacité ou la volonté de la BCE à maintenir un taux d’inflation inférieure, mais proche de, 2 %, mais aussi à jouer son rôle de prêteur en dernier ressort souverain, comme le suggère la détérioration des marchés de la dette souveraine. Un désancrage des anticipations d’inflation rend plus probable un basculement de l’ensemble de la zone euro dans la déflation et l’apparition de dynamiques de déflation par la dette qui ne pourront qu’alourdir l’endettement aussi bien des agents privés que des Etats.

Davies avance une autre raison pour expliquer la chute des anticipations d’inflation, en l’occurrence la chute de 25 % du prix du pétrole depuis juin. Mais selon lui, celle-ci s’explique non pas du côté de la demande (par exemple avec le ralentissement de la croissance des pays émergents), mais bien du côté de l’offre, si bien que les pays importateurs bénéficient d’un choc d’offre positif, ce qui n’est pas forcément favorable à l’activité dans un contexte de très faible inflation. Si, comme en 2009, les prix du pétrole diminuent sans pour autant que les anticipations d’inflation soient révisées à la baisse, le « contre-choc » pétrolier sera bénéfique à la reprise. Si par contre les anticipations d’inflation ne restent pas stables, ce qui apparaît de plus en plus probable en zone euro, le scénario d’une déflation s’en trouve accru.

Robert Shiller (2014) rappelle que si le comportement des marchés boursiers à long terme est plutôt prévisible, leurs fluctuations à court terme le sont plus difficilement. Celles-ci sont provoquées par des histoires populaires (popular narratives) qui agissent comme de véritables virus, se répandant par contagion. Elles ne sont pas forcément vraies, mais elles ont des répercussions bien réelles, au point qu’elles peuvent se révéler être des prophéties autoréalisatrices. Ces histoires amènent les investisseurs à agir de manière à pousser davantage les cours dans la même direction, ce qui les incite à répéter un tel comportement. En l’occurrence, depuis le pic de septembre, les expressions de « ralentissement mondial », de « déflation » et de « stagnation séculaire » sont revenues très fréquemment, même si rien n’assure que ces trois phénomènes sont à l’œuvre. Or, la baisse des prix d’actifs accroît précisément le risque d’une déflation et d’une nouvelle récession, ce qui matérialiserait les craintes mêmes des marchés. 

Pour Gavyn Davies, le récent pic de volatilité pourrait suggérer que les marchés remettent que question l’efficacité des mesures non conventionnelles que les banques centrales ont mises en oeuvre ces dernières années pour sortir les économies de la Grande Récession et stimuler la reprise. Or, l’assouplissement quantitatif et surtout le forward guidance influencent les prix d’actifs et plus largement l’économie précisément car les marchés croient qu’ils les influencent : leur efficacité repose avant tout sur leur effet d’annonce. Toutefois, face à la chute des cours boursiers, les banques centrales ont suggéré qu'elle poursuivraient éventuellement leurs mesures non conventionnelles et les cours boursiers ont bondi suite à ces annonces, ce qui suggère que les marchés considèrent comme efficaces. Pour Ambrose Evans-Pritchard (2014), la baisse des prix d’actifs et la hausse de la volatilité trouvent précisément leur origine dans le retrait des mesures exceptionnelles de relance monétaire. La réduction des achats d’actifs s’est révélée être un véritable choc pour l’ensemble du système financier. Les banques centrales ont en effet réduit leur relance monétaire de 125 milliards de dollars chaque mois depuis la fin de l’année dernière, soit l’équivalent de 1500 milliards de dollars sur l’année. Or la déstabilisation des marchés pourrait amener les banques centrales à retarder le resserrement de leur politique monétaire.

 

Références

DAVIES, Gavyn (2014), « What is global market turbulence telling us?  », in Financial Times, 19 octobre. 

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014), « One simple reason why global stock markets are reeling », in The Telegraph, 17 octobre.

FARMER, Roger (2014), « Don't panic --- yet! », in Roger Farmer's Economic Window (blog), 15 octobre.

NEELY, Christopher (2014), « Explaining recent asset price movements », St. Louis Fed, On The Economy, 17 octobre.

SHILLER Robert (2014), « When a stock market theory is contagious », in New York Times, 18 octobre.

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