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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 21:30

La création de l’euro a marqué pour la périphérie de l’union monétaire et pour l’Europe émergente le début d’une ère de larges déficits courants. Entre 1999 et 2007, ces deux régions ont en effet connu une profonde dégradation de leurs comptes courants, avant que la crise ne les pousse à corriger leurs déficits. Ruben Atoyan, Jonathan Manning et Jesmin Rahman (2013) ont récemment observé comment les déséquilibres extérieurs se sont accumulés dans la périphérie de la zone euro (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal) et dans l’Europe émergente (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie) entre 2003 et 2007, puis comment l’ajustement des comptes courants de ces économies s’est déroulé depuis l’éclatement de la crise.

Jusqu’à 2007, de larges entrées de capitaux alimentèrent un boom insoutenable de la demande domestique qui stimula les importations et détériora le compte courant. Dans la périphérie de la zone euro, les entrées de capitaux ont été provoquées par la chute des coûts d’emprunt et l’abondance des liquidités au niveau mondial. Dans le cas de l’Europe émergente, elles ont été provoquées par les perspectives de convergence rapide des revenus que laissait espérer l’adhésion à l’union européenne. Le crédit bénéficia à plusieurs secteurs des biens non échangeables, notamment la construction. Les anticipations d’une rapide convergence des revenus, elles-mêmes suscitées par les perspectives de l’intégration européenne, entraînèrent une augmentation rapide des salaires et des prix, or celle-ci éroda la compétitivité du secteur des biens échangeables. Ces économies ont ainsi accumulé un énorme volume de dette, détenue principalement par le reste du monde, sans avoir été capables de se constituer en parallèle une capacité suffisante pour assurer son service. 

Dans les deux régions toutefois, les booms de la demande et les déficits courants qui leur sont associés n’ont pas trouvé leur origine dans les mêmes mécanismes. Dans les pays émergents, les déficits courants étaient principalement le fait du secteur privé. Plus précisément, ces déséquilibres extérieurs trouvent essentiellement leur origine dans un boom de l’investissement réalisé par les entreprises privées. Les quatre pays ont également connu des baisses importantes de l’épargne des ménages en raison de l’accroissement des dépenses de consommation. Les déséquilibres du secteur public ont joué un rôle secondaire, mais essentiel, dans la dégradation des comptes courants dans l’Europe émergente. La politique budgétaire s’est révélée procyclique. Non seulement les autorités budgétaires n’ont pas su freiner l’expansion de la demande, mais elles se sont également révélées incapables de se constituer une marge de manœuvre pour soutenir l’activité une fois le boom révolu.

Dans la périphérie de la zone euro, la dégradation du compte courant reposait principalement sur un boom de la consommation. Le secteur des ménages était fortement déséquilibré en Grèce et en Irlande. Les déséquilibres publics ont été un facteur majeur de déficits courants en Grèce et au Portugal. Dans l’ensemble de la périphérie, au cours de la période de prospérité, l’épargne du secteur privé déclinait et l’investissement des entreprises non financières a peu augmenté. L’investissement public a également stagné et l’épargne publique a diminué, excepté en Espagne. 

Depuis la crise, l’ajustement des deux régions ne s’est pas opéré au même rythme. Les pays émergents ont connu un ajustement rapide de leurs comptes courants, au prix de coûts macroéconomiques particulièrement élevés, notamment d’une forte hausse du chômage. La compression des importations et la reprise des exportations ont joué un rôle important dans l’ajustement du compte courant. D’un côté, la fuite des capitaux a asséché le financement et contraint fortement la demande pour les biens importés. De l’autre, les exportations furent stimulées par l’ajustement des salaires dans le secteur des biens échangeables et la croissance des partenaires commerciaux.  L’ajustement des pays émergents a été alimenté par une baisse des investissements et un accroissement de l’épargne. L’année 2012 marque la reprise de la consommation privée et la fin du désendettement des ménages.

Le rééquilibrage de la périphérie de la zone euro a progressé à un rythme plus lent. En Grèce et au Portugal, le secteur privé contribue encore fortement au déficit courant. En Irlande et en Espagne, les déficits courants sont le fruit de larges déficits publics qui n’existaient pas avant la crise ; dans ces deux pays, l’ajustement du bilan des agents privés, particulièrement endettés, exige que l’ajustement des finances publiques soit particulièrement étalé dans le temps. Comme les pays de la périphérie sont beaucoup plus fermés que les pays émergents, l’impact de la politique budgétaire sur l’activité y est particulièrement puissant. Les importations se sont contractées, mais les exportations n’ont pas connu de progression significative. Les faibles performances à l’exportation de chacun de ces pays s’expliquent par la faible demande émanant de leurs principaux partenaires commerciaux, par la part réduite des biens exportables dans la production domestique et par le lent ajustement des prix et salaires. Enfin, le rééquilibrage extérieur de la périphérie se traduit par une chute de l’investissement privé. 

Les dynamiques observées dans la périphérie de la zone euro ont deux importantes implications pour la politique économique. D’une part, l’ajustement des déséquilibres extérieurs, tel qu’il a pris forme ces dernières années, empêche la dette publique de revenir sur une trajectoire soutenable. Le recul de l’investissement et la hausse du chômage y détériorent la production potentielle et réduisent par conséquent la capacité de ces pays à assurer le service de leur dette. D’autre part, le recul de l’investissement nuit à la compétitivité structurelle, donc au potentiel d’exportation. Surtout, aucun ne pourra véritablement stimuler ses exportations si la demande émanant de ses partenaires commerciaux diminue. Les économies excédentaires de la zone euro, et en premier lieu l’Allemagne, pourraient stimuler leur demande intérieure. Le surcroît de demande qui serait alors généré dans l’union monétaire faciliterait non seulement l’ajustement extérieur des pays de la périphérie, mais aussi la stabilisation de leurs finances publiques. 

 

Références

ATOYAN, Ruben, Jonathan MANNING & Jesmin RAHMAN (2013), « Rebalancing: Evidence from current account adjustment in Europe », IMF working paper, n° 13/74, mars.

WOLFF, Guntram B. (2013), « Chart of the week: Is external adjustment working in the euro area? », in Bruegel (blog), 12 mars.

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 20:24

Immédiatement suite au choc financier de 2007, les Etats-Unis et l’Europe ont tous deux observé les performances macroéconomiques des diverses régions qui les composent diverger les unes des autres. Le choc initial sur les marchés immobiliers et la réaction immédiate des économies à celui-ci furent relativement similaires des deux côtés de l’Atlantique. A partir de 2009, toutefois, les différents Etats fédérés des Etats-Unis sont entrés dans un mouvement de convergence, tandis que les performances économiques des Etats européens continuèrent de diverger les unes des autres. Charles A.E. Goodhart et D. James Lee (2012) estiment ainsi que les mécanismes d’ajustement aux chocs doivent donc être améliorés en Union européenne. Afin de déterminer quelles refontes institutionnelles doivent être opérées en Europe pour renforcer sa résilience aux chocs, les deux économistes observent comment les mécanismes d’ajustement ont effectivement agi lors de la crise dans trois Etats, en l’occurrence en Arizona, en Espagne et en Lettonie. Arizona et Espagne sont tous les deux membres d’une union monétaire ;  la Lettonie n’appartient pas à la zone euro, mais sa devise est toutefois ancrée à l’euro. Sur le continent européen, si l’Espagne peine toujours aujourd’hui à achever un ajustement satisfaisant, la Lettonie a de son côté ajusté son économie via une dévaluation interne, mais au prix de coûts macroéconomiques particulièrement élevés.

Si l’économie américaine s’ajuste plus facilement aux chocs macroéconomiques, ce n’est pas en raison d’une plus grande flexibilité des salaires. Les salaires américains sont légèrement moins flexibles que les salaires espagnols et beaucoup moins flexibles que les salaires lettons. En revanche, les travailleurs sont plus mobiles aux Etats-Unis : si les emplois sont massivement détruits dans un Etat américain, les travailleurs et leurs familles vont se déplacer vers les régions où les opportunités d’emplois restent nombreuses. L’Europe souffre d’une plus grande inertie de la main-d’œuvre : si les opportunités d’emplois se réduisent dans une région, les taux d’activité vont baisser après une période temporaire de chômage élevé. Toutefois, les auteurs concluent de leur analyse que la mobilité du travail n’est pas le facteur permettant à un ajustement plus flexible des Etats-Unis aux chocs par rapport à l’Europe.

Goodhart et Lee se tournent ensuite vers les mécanismes budgétaires. Selon une conception assez répandue, une union monétaire ne peut durablement subsister sans qu’existe en parallèle une union budgétaire. Cette dernière pourrait se concrétiser par l’instauration de mécanismes automatiques de transferts budgétaires contracyliques du niveau fédéral vers les Etats en difficulté afin d’amortir les fluctuations conjoncturelles : par exemple, un ralentissement de l’activité se traduirait automatiquement par une hausse des allocations chômage et de moindres prélèvements obligatoires, ce qui devrait ralentir la contraction de l'activité. Les auteurs ont donc observé comment de tels transferts budgétaires ont effectivement agi comme amortisseurs contracyliques. Leur analyse fait apparaître que les flux budgétaires automatiques du centre fédéral vers l’Arizona ne sont pas aussi importants qu’attendu. En revanche, l’Arizona et la Lettonie furent particulièrement soutenus lorsque les répercussions de la crise se révélèrent profondes pour leur économie. Les auteurs en concluent que la volonté politique d’aider les Etats voisins en difficulté importe bien davantage que l’existence de mécanismes de transferts automatiques.

Goodhart et Lee se penchent enfin sur l’impact des différences entre les secteurs bancaires deux côtés de l’Atlantique sur la résilience des économies aux chocs. L’un des facteurs aggravateurs de la crise européenne fut l’interaction entre le risque souverain et le risque bancaire. De tels cercles vicieux furent moins visibles aux Etats-Unis, d’une part, parce que la dette des Etats fédérés occupe une moindre place dans l’encours total de la dette publique et, d’autre part, parce que les principales banques américaines sont aujourd’hui des entités évoluant au niveau fédéral. Il existe toutefois des interactions entre l’activité économique d’un Etat fédéré et l’activité des banques locales. Lorsque les prêts bancaires locaux sont concentrés sur l’immobilier, un effondrement du marché immobilier local va sévèrement endommager la santé du système bancaire local. Les banques sont alors moins désireuses et capables d’accorder de nouveaux prêts, ce qui entretient un cercle vicieux. L’analyse réalisée par Goodhart et Lee suggère que, si le système bancaire local est principalement focalisé sur la dette publique et l’économie locales, les chocs macroéconomiques s’en trouvent amplifiés, en particulier lorsque l’Etat est le membre d’une union monétaire et ne dispose ni d’une devise, ni d’une politique monétaire qui lui soient propres. Selon eux, il serait en définitive bien plus urgent d’instaurer une union bancaire en Europe avant de procéder à une union budgétaire.

 

Référence Martin ANOTA

GOODHART, Charles A.E., & James LEE (2012), « Adjustment mechanisms in a currency area », London School of Economics, working paper, 26 octobre.

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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 16:40

Face à la hausse insoutenable de plusieurs primes de risque souverain, les Etats-membres de la zone euro ont poursuivi depuis quatre ans des stratégies de consolidation budgétaire pour restaurer ou conserver la confiance des marchés financiers et tenter de stabiliser leur endettement public. Les fortes turbulences observées sur les marchés de la dette souveraine depuis 2010 ont tout d’abord touché la Grèce, puis l’Irlande, le Portugal et d’autres pays « périphériques » de la zone euro pour menacer au final le reste des Etats-membres et l’existence même de la devise unique. Outre les interactions pernicieuses entre les risques bancaire et souverain que la faiblesse de la croissance économique exacerbe, les dettes externes ont joué aussi un rôle clé dans l’émergence et l’aggravation de la crise européenne. Celle-ci n’est pas le simple produit de l’insuffisante discipline budgétaire des Etats-membres.

Ruo Chen, Gian-Maria Milesi-Ferretti et Thierry Tressel (2012) ont examiné plus finement les déterminants internes et externes à la zone euro des déséquilibres de comptes courants de ses membres. Les déséquilibres individuels apparaissent dans une large mesure comme le produit de chocs commerciaux trouvant leur origine à l’extérieur de l’union monétaire. L’émergence de l’économie chinoise s'est traduite par une forte demande pour les biens d’équipement allemands, tandis que les produits chinoises évincèrent sur les marchés à l'exportation les produits des pays débiteurs de la zone euro. La hausse des prix des matières premières et notamment du pétrole (qui fut elle-même alimentée par le développement chinois) participa également à détériorer les soldes commerciaux, tandis que le supplément de revenus capté par les pays producteurs de pétrole alimenta directement la demande en biens d’équipement allemands. En se fondant sur la compression des coûts salariaux domestiques, la stratégie de croissance menée tout au long de la décennie par l’Allemagne a exercé un puissant choc déflationniste au sein de la zone euro et oeuvré substantiellement à la divergence des différentiels de compétitivité. Les entreprises allemandes poursuivirent leur développement à l’étranger en s’implantant notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale pour profiter d’un plus haut rendement du capital et de plus faibles salaires ; ces derniers ont aussi particulièrement bénéficié à la compétitivité de l’Europe émergente et stimulé ses exportations à destination des pays débiteurs de la zone euro. L’appréciation brutale du taux de change nominal de l’euro a également fortement pesé sur la compétitivité des pays déficitaires de la zone euro en raison de leurs prix et coûts domestiques. Le financement accommodant que la périphérie trouva auprès du cœur de la zone euro lui permit de faire face à l’appréciation réelle des taux de change et retarda au final l’ajustement nécessaire pour que la divergence des performances commerciales dans l’union monétaire soit stoppée et renversée.

L’intégration financière de la zone euro a joué un rôle majeur dans la persistance des déséquilibres courants. Malgré l’existence de déséquilibres commerciaux significatifs avec le reste du monde, les déficits courants de certains membres de la zone euro furent principalement financés par l’excédent des autres membres. Les déficits commerciaux enregistrés avec le reste du monde furent financés par un afflux net de capitaux depuis le cœur de la zone euro. Plus exactement, les flux de capitaux internes à la zone euro vinrent financer la dette souveraine dans le cas de la Grèce, l’emprunt du secteur financier dans le cas de l’Espagne ou de l’Irlande, voire les deux dans le cas de l’Italie ou du Portugal. Les investisseurs non résidant dans la zone euro ont à leur tour accru leurs créances sur des pays tels que l’Allemagne et la France. Les investisseurs de la zone euro perçurent davantage les titres émis par les pays périphériques comme de proches substituts aux titres émis par le cœur européen que ne le firent les investisseurs extérieurs à la zone monétaire.

Entre la création de l’euro au tournant du millénaire et l’éclatement de la crise mondiale en 2008, la hausse des déficits courants et des dettes externes reflétèrent avant tout une aggravation des bilans des agents privés. En l’occurrence, la hausse significative de la dette des ménages qui lui fut sous-jacente fut durablement dissimulée par le boom des prix d’actifs. Ce n'est que lorsque ces derniers se retournèrent que les profonds déséquilibres accumulés au cours du temps se révélèrent pleinement. Cette détérioration des bilans privés au sein des pays débiteurs fut plus ou moins directement financée par les achats de titres publics par les non-résidents et par le recours accru des banques au financement externe. Les équilibres extérieurs des pays débiteurs s’expliquent donc notamment par les ventes de titres publics auxquelles procédèrent les agents privés résidents. Au final, la part de la dette publique des pays débiteurs détenue par les non résidents s’accrut fortement sur la période alors même que la dette souveraine ne connut qu’une hausse limitée en points de pourcentage.

Suite à l’unification monétaire, les mécanismes clés d’ajustement de l’équilibre extérieur furent inopérants. Les chocs commerciaux susmentionnés auraient en effet exigé une dépréciation réelle du taux de change pour que se restaure la soutenabilité extérieure à long terme des pays déficitaires. Les flux de capitaux internes à la zone euro et l’appréciation tendancielle du taux de change nominal de l’euro contribuèrent au contraire à renforcer l’appréciation réelle de la devise et ainsi à dégrader davantage les performances à l’exportation des pays périphériques. La nature asymétrique des chocs subis par les pays européens exige selon Chen et alii la mise en place au niveau fédéral de puissants mécanismes de partage du risque macroéconomique et de transferts budgétaires entre les pays. La réalisation d’une union budgétaire est d’autant plus opportune pour l’ajustement des pays aux chocs qui leur sont spécifiques que la mobilité du travail s’avère limitée entre les pays et que les marchés du travail présentent de profondes rigidités. En outre, le processus d’ajustement serait amplement facilité par un renforcement de la demande étrangère et par une forte dépréciation de l’euro. L’accent mis aujourd’hui sur l’austérité budgétaire risque de se révéler dans ce contexte comme particulièrement contreproductif tant pour la résolution des déséquilibres des comptes publics que pour celle des déséquilibres de comptes courants.

 

Références Martin ANOTA

ALESSANDRINI, Pietro, Andrew Hughes HALLETT, Andrea F PRESBITERO & Michele FRATIANNI (2012), « The Eurozone crisis: Fiscal fragility, external imbalances, or both? », in VoxEU.org, 16 mai.

CHEN, Ruo, Gian-Maria MILESI-FERRETTI & Thierry Tressel (2012), « External Imbalances in the Euro Area », IMF worlkng paper, septembre.

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