La création de l’euro a marqué pour la périphérie de l’union monétaire et pour l’Europe émergente le début d’une ère de larges déficits courants. Entre 1999 et 2007, ces deux régions ont en effet connu une profonde dégradation de leurs comptes courants, avant que la crise ne les pousse à corriger leurs déficits. Ruben Atoyan, Jonathan Manning et Jesmin Rahman (2013) ont récemment observé comment les déséquilibres extérieurs se sont accumulés dans la périphérie de la zone euro (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal) et dans l’Europe émergente (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie) entre 2003 et 2007, puis comment l’ajustement des comptes courants de ces économies s’est déroulé depuis l’éclatement de la crise.
Jusqu’à 2007, de larges entrées de capitaux alimentèrent un boom insoutenable de la demande domestique qui stimula les importations et détériora le compte courant. Dans la périphérie de la zone euro, les entrées de capitaux ont été provoquées par la chute des coûts d’emprunt et l’abondance des liquidités au niveau mondial. Dans le cas de l’Europe émergente, elles ont été provoquées par les perspectives de convergence rapide des revenus que laissait espérer l’adhésion à l’union européenne. Le crédit bénéficia à plusieurs secteurs des biens non échangeables, notamment la construction. Les anticipations d’une rapide convergence des revenus, elles-mêmes suscitées par les perspectives de l’intégration européenne, entraînèrent une augmentation rapide des salaires et des prix, or celle-ci éroda la compétitivité du secteur des biens échangeables. Ces économies ont ainsi accumulé un énorme volume de dette, détenue principalement par le reste du monde, sans avoir été capables de se constituer en parallèle une capacité suffisante pour assurer son service.
Dans les deux régions toutefois, les booms de la demande et les déficits courants qui leur sont associés n’ont pas trouvé leur origine dans les mêmes mécanismes. Dans les pays émergents, les déficits courants étaient principalement le fait du secteur privé. Plus précisément, ces déséquilibres extérieurs trouvent essentiellement leur origine dans un boom de l’investissement réalisé par les entreprises privées. Les quatre pays ont également connu des baisses importantes de l’épargne des ménages en raison de l’accroissement des dépenses de consommation. Les déséquilibres du secteur public ont joué un rôle secondaire, mais essentiel, dans la dégradation des comptes courants dans l’Europe émergente. La politique budgétaire s’est révélée procyclique. Non seulement les autorités budgétaires n’ont pas su freiner l’expansion de la demande, mais elles se sont également révélées incapables de se constituer une marge de manœuvre pour soutenir l’activité une fois le boom révolu.
Dans la périphérie de la zone euro, la dégradation du compte courant reposait principalement sur un boom de la consommation. Le secteur des ménages était fortement déséquilibré en Grèce et en Irlande. Les déséquilibres publics ont été un facteur majeur de déficits courants en Grèce et au Portugal. Dans l’ensemble de la périphérie, au cours de la période de prospérité, l’épargne du secteur privé déclinait et l’investissement des entreprises non financières a peu augmenté. L’investissement public a également stagné et l’épargne publique a diminué, excepté en Espagne.
Depuis la crise, l’ajustement des deux régions ne s’est pas opéré au même rythme. Les pays émergents ont connu un ajustement rapide de leurs comptes courants, au prix de coûts macroéconomiques particulièrement élevés, notamment d’une forte hausse du chômage. La compression des importations et la reprise des exportations ont joué un rôle important dans l’ajustement du compte courant. D’un côté, la fuite des capitaux a asséché le financement et contraint fortement la demande pour les biens importés. De l’autre, les exportations furent stimulées par l’ajustement des salaires dans le secteur des biens échangeables et la croissance des partenaires commerciaux. L’ajustement des pays émergents a été alimenté par une baisse des investissements et un accroissement de l’épargne. L’année 2012 marque la reprise de la consommation privée et la fin du désendettement des ménages.
Le rééquilibrage de la périphérie de la zone euro a progressé à un rythme plus lent. En Grèce et au Portugal, le secteur privé contribue encore fortement au déficit courant. En Irlande et en Espagne, les déficits courants sont le fruit de larges déficits publics qui n’existaient pas avant la crise ; dans ces deux pays, l’ajustement du bilan des agents privés, particulièrement endettés, exige que l’ajustement des finances publiques soit particulièrement étalé dans le temps. Comme les pays de la périphérie sont beaucoup plus fermés que les pays émergents, l’impact de la politique budgétaire sur l’activité y est particulièrement puissant. Les importations se sont contractées, mais les exportations n’ont pas connu de progression significative. Les faibles performances à l’exportation de chacun de ces pays s’expliquent par la faible demande émanant de leurs principaux partenaires commerciaux, par la part réduite des biens exportables dans la production domestique et par le lent ajustement des prix et salaires. Enfin, le rééquilibrage extérieur de la périphérie se traduit par une chute de l’investissement privé.
Les dynamiques observées dans la périphérie de la zone euro ont deux importantes implications pour la politique économique. D’une part, l’ajustement des déséquilibres extérieurs, tel qu’il a pris forme ces dernières années, empêche la dette publique de revenir sur une trajectoire soutenable. Le recul de l’investissement et la hausse du chômage y détériorent la production potentielle et réduisent par conséquent la capacité de ces pays à assurer le service de leur dette. D’autre part, le recul de l’investissement nuit à la compétitivité structurelle, donc au potentiel d’exportation. Surtout, aucun ne pourra véritablement stimuler ses exportations si la demande émanant de ses partenaires commerciaux diminue. Les économies excédentaires de la zone euro, et en premier lieu l’Allemagne, pourraient stimuler leur demande intérieure. Le surcroît de demande qui serait alors généré dans l’union monétaire faciliterait non seulement l’ajustement extérieur des pays de la périphérie, mais aussi la stabilisation de leurs finances publiques.
Références