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26 juillet 2014 6 26 /07 /juillet /2014 16:03

Dans les années qui ont précédé la Grande Récession, plusieurs économies de la zone euro (les « pays périphériques » comme la Grèce, l'Irlande, l'Espagne et le Portugal, mais aussi les pays baltes) ont connu de larges déficits extérieurs et l’accumulation de déséquilibres internes. En l’occurrence, les capitaux extérieurs alimentèrent une forte expansion du crédit qui, elle-même, alimenta un boom dans l’économie domestique. Ce boom reposa essentiellement sur l’investissement dans les secteurs produisant des biens non échangeables (en particulier l’immobilier). Il entraîna une accélération de l’inflation et des hausses salariales, ainsi qu’un accroissement des importations. Avec la hausse des prix et coûts du travail domestiques, les entreprises exportatrices perdirent de leur compétitivité, en particulier vis-à-vis de leurs consœurs allemandes. L’accroissement des importations et la réduction des exportations dégradèrent le solde du compte courant (cf. graphique). Le processus resta soutenable tant que les capitaux extérieurs affluèrent. A la veille de la crise financière mondiale, les dettes externes de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne représentaient environ 100 % de leur PIB.

GRAPHIQUE  Solde du compte courant des pays périphériques de la zone euro et des pays baltes (en % du PIB)

FMI--solde-courant-pays-peripheriques-baltes.png

source : Kang et Shambaugh (2014)

Avec la Grande Récession, les pays périphériques perdirent leur accès au financement extérieur. Le crédit fléchissant, les bulles commencèrent à éclater, ce qui conduisit tout d’abord à un ralentissement de l’activité économique, puis à un fort creusement des déficits publics et finalement à une crise de la dette souveraine. Les pays périphériques connaissent depuis lors un rééquilibrage de leur économie. Pour améliorer leurs performances commerciales et leur position extérieure, les pays périphériques nécessitent une dépréciation réelle de leur taux de change et des gains de productivité dans les secteurs produisant des biens échangeables, ce qui améliorerait la compétitivité des entreprises exportatrices relativement aux concurrents étrangers et contribuerait à substituer les importations par les biens domestiques. Puisque les pays périphériques ont pour monnaie l’euro, ils ne peuvent toutefois ajuster leur taux de change nominal. Ils ont alors mis en œuvre une « dévaluation interne », c’est-à-dire cherché à baisser les prix domestiques par rapport aux prix étrangers pour « simuler » une dépréciation du taux de change nominal. D’une part, la baisse relative des prix des biens échangeables produits par les entreprises domestiques par rapport aux prix des biens échangeables produits par les concurrents étrangers contribue en principe à améliorer les performances à l’exportation ; d’autre part, la baisse relative des prix des biens non échangeables par rapport aux biens échangeables contribue en principe à réorienter la production au détriment des biens non échangeables et au profit des biens échangeables, rendant la croissance plus soutenable.

Entre 2008 et 2012, le compte courant s’améliora en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne de 8 à 10 % du PIB [Kang et Shambaugh, 2014 ; Tressel et Wang, 2014]. Cette dynamique s’explique notamment par la contraction des importations (en particulier en Grèce et au Portugal) et une hausse des exportations (en particulier en Irlande, en Espagne et au Portugal). L’ajustement externe a contribué à améliorer le compte courant de l’ensemble de la zone euro ; cette dernière a dégagé fin 2013 un excédent courant équivalent à 2,3 % de son PIB. Pour les pays périphériques, l’ajustement s’est traduit par une chute de la production et par une forte aggravation du chômage. Cinq ans après le début de la crise, la production demeure sous son potentiel et les taux de chômage atteignaient les deux chiffres, ce qui suggère une sous-utilisation massive du facteur travail et dissimule dans certains pays une contraction de la population active.

Plusieurs études ont cherché ces dernières années à expliquer l’accumulation de déséquilibres lors du boom et à décrire le processus d’ajustement que connaissent les pays périphériques suite à la crise financière mondiale. Par exemple, Ruo Chen, Gian-Maria Milesi-Ferretti et Thierry Tressel (2012) se sont par exemple focalisés sur la première phase, tandis que Ruben Atoyan, Jonathan Manning et Jesmin Rahman (2013) se sont penchés sur la seconde. 

Plus récemment, Joong Shik Kang et Jay Shambaugh (2014) ont observé comment le coût unitaire du travail s’est ajusté dans les pays périphériques et les pays baltes depuis la crise financière mondiale. Les coûts unitaires du travail ont diminué dans tous les pays. L’ajustement a été réalisé via une baisse des salaires et une amélioration de la productivité relativement aux partenaires commerciaux. Sauf en Grèce, les gains de productivité ont particulièrement contribué à l’amélioration des coûts unitaires du travail, dans la mesure où le nombre d’emplois a diminué plus rapidement que la production. Inversement, en Grèce, la production a diminué plus rapidement que le nombre d’emplois, entraînant une baisse de la productivité. Les fortes réductions des salaires ont fortement contribué à la réduction des coûts unitaires du travail dans certains pays comme la Grèce et la Lettonie.

Certains pays (comme l’Irlande) ont très rapidement réduit leurs salaires et amélioré leur productivité en contractant l’emploi, tandis que d’autres ont amélioré plus lentement leur productivité. Par contre, à la fin du premier trimestre 2013, la productivité en Grèce était toujours inférieure à son niveau d’avant-crise. Les pays qui ont connu les plus fortes hausses de salaires avant la crise ont connu par la suite les plus fortes baisses de salaires. Dans tous les pays, sauf en Grèce, les coûts unitaires du travail ont chuté plus rapidement dans le secteur produisant des biens échangeables et les productions réelles de biens échangeables sont plus élevées qu’avant-crise. Cet ajustement repose toutefois sur une puissante récession : en effet, l’emploi reste sous son niveau d’avant-crise, même dans les secteurs qui produisent des biens échangeables et les taux de chômage atteignent des niveaux insoutenables dans plusieurs pays périphériques et pays baltes.

Thierry Tressel et Shengzu Wang (2014) ont prolongé l’étude réalisée par Chen et alii (2012). Selon eux, peu de preuves empiriques suggèrent une réallocation des ressources utilisées dans les secteurs produisant des biens non échangeables vers les secteurs produisant des biens échangeables. L’amélioration du compte courant s’explique essentiellement par la compression des importations et non par l’accroissement des exportations. La performance à l’export dépend toujours de la demande émanant du reste du monde et en particulier du reste de la zone euro. La faiblesse persistante de la demande en zone euro freine particulièrement la croissance des exportations dans certains pays comme l’Italie et le Portugal. Le rééquilibrage même des pays périphériques contribue lui-même à entretenir la faiblesse de la demande dans la zone euro : en réduisant ses importations, chaque pays périphérique réduit la demande extérieure qui s’adresse aux autres pays-membres, ce qui complique le rééquilibrage de leur économie.

Tressel et Wang ont cherché à déterminer si l’ajustement était essentiellement structurel ou conjoncturel. S’il est principalement structurel, c’est-à-dire s’il inclut un rééquilibrage interne de la production vers les biens échangeables, alors les pays vont progressivement retourner à une trajectoire de croissance potentielle qui est cohérente avec un resserrement de la contrainte extérieure et qui serait suffisamment fort pour réduire le chômage. Si par contre l’ajustement est principalement conjoncturel, par exemple s’il reflète une faiblesse de la demande domestique, alors les déséquilibres extérieurs réapparaitront aussitôt que la production reviendra à son niveau d’avant-crise et croîtra à son potentiel. Selon l’analyse réalisée par Tressel et Wang, les ajustements de comptes courant qui sont à l’œuvre reflètent des changements structurels, mais aussi des forces conjoncturelles, ce qui suggère qu’une partie des progrès disparaîtront lorsque les conditions conjoncturelles s’amélioreront. En d’autres termes, les déficits du compte courant reviendront au fur et à mesure que la production poursuivra sa reprise.

 

Références

ATOYAN, Ruben, Jonathan MANNING & Jesmin RAHMAN (2013), « Rebalancing: Evidence from current account adjustment in Europe », Fonds monétaire international, working paper, n° 13/74, mars.

CHEN, Ruo, Gian-Maria MILESI-FERRETTI & Thierry TRESSEL (2012), « External imbalances in the euro area », Fonds monétaire international, working paper, n° 12/236, septembre.

KANG, Joong Shik, & Jay C. SHAMBAUGH (2014), « Progress towards external adjustment in the euro area periphery and the Baltics », Fonds monétaire international, working paper, n° 14/131, juillet.

TRESSEL, Thierry, & Shengzu WANG (2014), « Rebalancing in the euro area and cyclicality of current account adjustments », Fonds monétaire international, working paper, n° 14/130, juillet.

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12 juillet 2014 6 12 /07 /juillet /2014 11:36

La crise financière débuta aux Etats-Unis en 2007 avec les turbulences sur le marché du crédit hypothécaire. Elle prit une dimension mondiale suite à l’effondrement de la banque Lehman Brothers en septembre 2008, provoquant un fort déclin de la production et une forte hausse du chômage dans l’ensemble des pays avancés (cf. graphiques 1 et 2). La violence de la crise fin 2008 a surpris les autorités politiques, mais celles-ci ont toutefois fortement assoupli leurs politiques conjoncturelles, ce qui permit aux pays avancés de connaître une reprise de leur activité dès 2009 et d’éviter une répétition de la Grande Dépression. La reprise s’est depuis lors poursuivie aux Etats-Unis, mais elle s’est interrompue en zone euro. Cette dernière a en en effet basculé dans une nouvelle récession en 2011. Le taux de chômage a dépassé 12 % dans la zone euro, un niveau qu’elle n’avait jusqu’alors jamais atteint depuis sa création.

GRAPHIQUE 1  Taux de chômage aux Etats-Unis et en zone euro (en %)

Orphanides--chomage-Etats-Unis-zone-euro--Martin-Anota-.png

source : Orphanides (2014)

Si la récession de 2009 fut déclenchée par un choc économique amorcé aux Etats-Unis, la récession de 2011 est le résultat des seules décisions politiques prises par les gouvernements de la zone euro. C’est sur cette mauvaise gestion de crise que revient Athanasios Orphanides (2014), un ancien gouverneur de la banque centrale de Chyptre. Selon lui, si les responsables politiques avaient cherché à gérer efficacement la crise, ils auraient cherché à réduire les coûts économiques globaux de la crise pour la zone euro dans son ensemble, puis à répartir équitablement ces coûts. Au contraire, les gouvernements ont défendu leurs propres intérêts de manière non coopérative : chaque gouvernement a cherché à réduire les coûts supportés par son économie et à reporter les coûts sur les autres Etats-membres. Cela s’est malheureusement traduit par un accroissement des coûts pour l’ensemble de la zone euro. L’amorce de la crise était pourtant facilement gérable pour la zone euro dans son ensemble : il s’agissait des difficultés budgétaires rencontrées par le gouvernement grec, un problème qui représentait moins d’un pourcent du PIB de la zone euro. Les décisions politiques ont toutefois transformé cette impulsion initiale en véritable crise existentielle pour la zone euro.

GRAPHIQUE 2  PIB par tête aux Etats-Unis et en zone euro (en indices, base 100 quatrième trimestre 2014)

Orphanides--PIB-par-tete-Etats-Unis-zone-euro--Martin-Anot.png

source : Orphanides (2014)

Si l’union monétaire avait été efficace, elle aurait absorbé les chocs touchant un sous-ensemble de pays-membres. En fait, elle a eu tendance à amplifier les différences entre les pays-membres en faisant émerger un « cœur » et une « périphérie ». C’est tout d’abord la Grèce qui connut des difficultés budgétaires au début de l’année 2010 et qui demanda assistance, puis l’Irlande à l’automne de la même année, suivie par le Portugal en 2011, puis par l’Espagne en 2012 et Chypre en 2013. Orphanides fait clairement apparaître la divergence en comparant les performances macroéconomiques des pays qui ont reçu un programme d’aide et celle de l’Allemagne. Le taux de chômage a fortement augmenté dans les pays périphériques, atteignant en Grèce et en Espagne plus de 25 % pour l’ensemble de la population active et plus de 50 % pour les jeunes actifs (cf. graphique 3). Le taux de chômage allemand a à peine augmenté lors de la Grande Récession et a eu tendance à refluer par la suite, ce qui suggère selon Orphanides que la gestion de la crise s’est faite délibérément au bénéfice de l’Allemagne et au détriment des pays-membres en difficulté. 

GRAPHIQUE 3  Taux de chômage dans les pays-membres de la zone euro (en %)

Orphanides--chomage-Grece-Espagne-Portugal-Chyptre-IRland.png

source : Orphanides (2014)

Orphanides se penche tout particulièrement sur deux « gaffes » des responsables politiques pour démontrer la mauvaise gestion de la crise de la zone euro. La première gaffe est la décision qui a été prise à Deauville lors d’une rencontre entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel et qui amena finalement à introduire un risque de crédit dans ce qui était jusqu’alors considéré comme une dette publique sûre. L’idée était que, si un Etat-membre faisait face à des difficultés budgétaires, les pertes seraient imposées aux créanciers privés de sa dette publique, avant même que les gouvernements des autres pays-membres s’accordent à intervenir pour offrir une quelconque assistance. Dès lors, la dette publique des pays-membres ne pouvait plus être considérée comme un actif sûr puisque la promesse implicite qu’elle serait remboursée était écartée. Le coût de financement s’éleva alors dans plusieurs pays-membres, tout d’abord l’Irlande, puis le Portugal. 

Les responsables politiques disposaient pourtant de solutions techniques pour résoudre efficacement la crise. Le problème qui se posait alors était le cercle vicieux entre le risque bancaire et le risque souveraine : si l’Etat se déclare prêt à renflouer le système bancaire, alors la perspective de faillites bancaires amène les agents à anticiper une hausse de l’endettement public ; parallèlement, s’il devient moins certain que l’Etat rembourse sa dette sans difficultés, alors les banques domestiques qui détiennent des titres publics risquent de faire faillite. L’intégration européenne avait entraîné une libéralisation de l’activité bancaire et un retrait des barrières aux activités bancaires internationales, sans qu’une union bancaire soit mise en place. Cette dernière aurait reposé sur un système de régulation et de supervision bancaires, un mécanisme commun de garantie de dépôt et un mécanisme commun de résolution qui soient communs à l’ensemble des pays-membres. Aucune véritable union bancaire n’a été à ce jour mise en place, notamment parce que le gouvernement allemand a bloqué les négociations. D’une part, avec le programme OMT, la BCE a su contenir les turbulences sur les marchés obligataires et réduire les primes de risque sur les titres publics, ce qui rendait moins pressant de mettre en place l’union bancaire. D’autre part, la création d’une union bancaire compromettait la réélection de Merkel à la chancellerie allemande en septembre 2013. 

La seconde erreur sur laquelle se penche l’auteur est la décision qui a été prise le 16 mars 2013 à Bruxelles, lors de la crise chypriote, et qui amena finalement à introduire le risque de crédit dans ce qui était jusqu’alors considéré comme des dépôts sûrs. Le gouvernement chypriote faisait face à une crise budgétaire depuis mai 2011 lorsqu’il perdit l’accès aux marchés suite à deux années de hausses insoutenables des dépenses publiques. Chypre aurait dû demander assistance, mais le gouvernement repoussa toute demande d’aide par souci électoral. La mauvaise gestion de la crise chypriote en mars 2013 s’explique par contre par la réaction allemande. Angela Merkel avait obtenu le soutien du SPD, le principal parti de l’opposition lors des précédents programmes d’aide, ceux mis en place pour la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne. Cependant la population allemande acceptait de moins en moins l’idée d’aider les pays en difficulté, si bien que le coût politique que faisait face le gouvernement en participant à de tels programmes d’assistance augmentait au fur et à mesure qu’approchaient les élections de septembre. Le 16 mars, les gouvernements européens décidèrent d’accorder un plan de sauvetage à Chypre, mais en contrepartie duquel ils exigeaient une ponction des dépôts chypriotes afin d’en utiliser les recettes pour injecter du capital dans les banques chypriotes. La stratégie se révéla payante pour la chancelière allemande durant la campagne. Suite à l’annonce du 16 mars, le parti de l’opposition (le SPD) chercha même à en partager le « crédit ». Cette décision violait toutefois les principes fondamentaux de l’union européenne et les engagements pris par les gouvernements pour protéger les dépôts et soutenir, si bien qu’elle fut amendée le 25 mars. Même temporaire, elle suffit à faire basculer Chypre dans une dépression durable. Au final, l’ensemble des décisions politiques amenèrent à transférer environ la moitié du PIB chypriote en-dehors de l’île pour couvrir des pertes dans le reste du monde.

Pour Orphanides, soit ces erreurs régulières traduisent l’incompétence des décideurs publics, auquel cas le problème pourra être résolu avec leur remplacement, soit elles mettent en évidence un processus de prise de décision au niveau de la zone euro intrinsèquement défectueux, auquel cas le problème sera plus difficile à résoudre. L’auteur rappelle que les défauts de conception de la zone euro avaient été identifiés avant le lancement de la monnaie unique ; il n’y avait notamment aucun mécanisme pour gérer les problèmes de liquidité qu’un Etat-membre était susceptible de connaître. L’euro fut toutefois introduit, les décideurs « croyant ou espérant » que les gouvernements coopéreraient efficacement pour gérer une crise si celle-ci éclatait, ce qui s’est révélé ne pas être le cas.

Bref, pour Orphanides, la zone euro est entrée en crise parce qu’elle était institutionnellement incomplète. En l’absence d’un gouvernement fédéral, aucune institution ne peut véritablement défendre les intérêts de la zone euro dans son ensemble. En l’occurrence, les institutions européennes sont susceptibles d’être « capturées » par les gouvernements des Etats-membres, derniers profitant de la crise pour en tirer des gains politiques locaux, mais aggravant par là même la crise. Pour résoudre cette dernière, il faut alors approfondir l’intégration européenne, notamment en mettant en place l’union bancaire et un gouvernement fédéral. Malheureusement, Orphanides considère la solution comme une simple question technique, qu’il faudrait imposer au motif qu’elle est « économiquement  optimale » et qu’elle n’exigerait par là même aucune consultation des populations européennes.

 

Référence

ORPHANIDES, Athanasios (2014), « The euro area crisis: Politics over economics », MIT, working paper, juin.

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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 22:57

Avec l’approfondissement de l’intégration européenne, l’instauration d’un marché unique et l’unification monétaire, les Etats-membres ont réduit les barrières à l’échange entre eux en espérant stimuler les échanges. Avec l’apparition d’un marché unique, chaque entreprise accroît ses débouchés potentiels, tout comme elle voit s’accroître la concurrence à laquelle elle fait face, si bien qu’elle est incitée à réduire ses prix, au détriment de ses rentes. Avec l’adoption d’une unité de compte commune permettant de comparer plus facilement les prix et de réduire les coûts de transaction (en premier lieu les coûts de conversion), les Européens sont incités à saisir des opportunités d’arbitrage en faveur des prix les plus faibles et mettent plus facilement les entreprises en concurrence. Ces dernières sont alors incitées à pratiquer les mêmes prix et à proposer en l’occurrence les prix les plus faibles. Les consommateurs gagnent en pouvoir d’achat et disposent d’une plus grande variété de biens, ce qui les incite à consommer, tandis que les entreprises disposent d’intrants de meilleur qualité et à un prix réduit. Bref, l’unification des marchés des produits et l’unification monétaire devraient en principe conduire à une convergence des prix par le bas, tout en améliorant l’allocation des facteurs et en stimulant par là même la croissance économique. Toutefois il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les prix pourraient rester dispersés au sein même d’une union monétaire : présence de coûts de transport, différences de langues, de cultures, de goûts, de normes réglementaires, du degré de concurrence, de taxation, etc

Pour qu’il y ait convergence des prix au sein d’une union monétaire, les pays-membres disposant des prix les plus faibles (en l’occurrence les pays les moins développés, par exemple l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal) doivent connaître une plus forte inflation que les autres (en particulier les pays les plus développés, tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas). Leur niveau de productivité va augmenter pour converger vers celui des pays les plus avancés, ce qui conduit à une hausse des prix et des salaires en leur sein : c’est l’effet Balassa-Samuelson et celui-ci correspond finalement à un processus de convergence réel. Toutefois, les différentiels d’inflation ne s’expliquent pas par le seul effet du rattrapage des économies les moins développées sur les plus développés. En fait, l’unification monétaire a conduit à une égalisation des taux d’intérêt nominaux. Or, puisqu’ils subissent une plus forte inflation, les pays de la périphérie ont bénéficié de taux d’intérêt réels plus faibles. Ceux-ci ont stimulé l’investissement résidentiel et plus largement la demande en leur sein, ce qui a entretenu en retour l’inflation. Comme la BCE se focalise sur le taux d’inflation de l’ensemble de la zone euro, elle a pu se révéler excessivement accommodante pour les pays les plus inflationnistes et excessivement restrictives pour les pays les moins inflationnistes. De ce point de vue, l’adoption de la monnaie unique a contribué à alimenter les déséquilibres au sein de chaque pays périphérique en nourrissant une expansion du crédit insoutenable et des bulles spéculatives. De plus, en subissant une inflation plus forte que le « cœur » de la zone euro, les pays de la périphérie ont vu leur taux de change réel s’apprécier sans forcément voir leur productivité s’accroître aussi rapidement. Leur compétitivité s’est dégradée vis-à-vis du reste du monde, ce qui a détérioré leur solde extérieur. Tant que les déséquilibres intérieurs s’accumulaient, ils dissimulaient les déséquilibres extérieurs. De ce point de vue, loin de conduire à une convergence des pays-membres (et de faire de la zone euro une zone monétaire optimale de façon endogène), l’unification monétaire a pu au contraire conduire à une divergence.

De nombreuses études ont cherché à décrire la dynamique des prix au sein de la zone euro. Par exemple, Alberto Cavallo, Brent Neiman et Roberto Rigobon (2013) ont étudié le comportement des prix d’Apple, d’IKEA, d’H&M et de Zara dans 85 pays entre octobre 2008 et mai 2013. Au cours de leur étude, Apple était la plus grande entreprise cotée au monde ; Ikea le plus grand distributeur de fournitures ; H&M et Zara respectivement les troisième et quatrième distributeurs de vêtements. Ils observent comment les prix de ces entreprises diffèrent selon les pays pour des biens identiques et ils évaluent comment les prix d’un pays à l’autre dépendent de la devise dans laquelle ils sont libellés. Ils constatent que les prix d’un même entreprise pour un bien donné diffèrent significativement entre les pays en-dehors de la zone euro, mais sont souvent identiques à l’intérieur de la zone euro. Lorsque l’on compare les mêmes produits entre deux pays qui ont des taux de change flexibles, la dispersion des prix est plus importante que lorsque les deux pays ont des taux de change fixes. La dispersion des prix est environ 15-40 % moindre pour les taux de change fixes que pour les taux de change flexibles, certains desquels peuvent de façon plausible être attribuables à des niveaux typiques de volatilité des taux de change nominaux. La dispersion des prix est inférieure de 30 à 50 % pour les pays dans une union monétaire par rapport à ceux ayant un taux de change fixe. Cette étude ne précise toutefois pas à quelle vitesse cette dynamique se met en œuvre suite à la modification de la politique de change. En l’occurrence, elle ne précise pas l’impact propre à l’unification monétaire.

Alberto Cavallo, Brent Neiman et Roberto Rigobon (2014) se sont alors penchés sur le cas de l’économie lettone. La Lettonie a abandonné sa monnaie (le lat) le 1er janvier 2014 pour adopter l’euro. Au début des années deux mille, un lat valait environ 2 euros. Le taux de change du lat s’est ensuite quelque peu déprécié vis-à-vis de l’euro, puis la Lettonie a ancré sa monnaie sur l’euro au début de l’année 2005. Au 1er janvier 2014, les comptes bancaires, salaires, prestations sociales, prêts et instruments financiers lettons furent convertis en euro, au taux de 1 lat pour 1,42 euro. L’adoption de la monnaie unique ne s’est pas traduite par une variation du taux de change et elle fut largement anticipée. Il n’y eut aucun changement additionnel dans les politiques touchant aux échanges de produits. En effet, puisque la Lettonie appartient à l’UE depuis 2004, les règles les plus importantes, notamment les tarifs douaniers ou les règles concurrentielles, sont établies au niveau européen depuis lors et ces règles n’ont pas été modifiées durant le passage à la monnaie unique. Celui-ci constitue ainsi une véritable expérience naturelle. Cavallo et ses coauteurs ont donc observé le prix de milliers de biens vendus par Zara, le plus grande retailer de vêtements au monde. La dispersion des prix entre la Lettonie et la zone euro s’effondra rapidement après l’entrée dans la zone euro. Le pourcentage de biens avec des prix presque identiques en Lettonie et en Allemagne est passée de 6 % en novembre 2013 à 89 % en février 2014. La taille médiane des différentiels de prix a baissé, passant de 7 % à zéro. 

 

Références

CAVALLO, Alberto, Brent NEIMAN & Roberto RIGOBON (2013), « The euro and price convergence: You wanted it … you got it! », in voxEU.org, 29 novembre.

CAVALLO, Alberto, Brent NEIMAN & Roberto RIGOBON (2014), « The price impact of joining a currency union: Evidence from Latvia », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20225, juin.

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