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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 23:48

La Grande Récession et la nécessité d'une intervention des autorités publiques pour ramener l'économie au plein emploi ont renouvelé l'intérêt pour les études autour de la politique budgétaire, notamment pour déterminier son efficacité à stimuler l'économie, mais aussi pour mieux évaluer la soutenabilité des finances publiques. En observant les Etats-Unis, Alan Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2012) ont, parmi d’autres, montré que la taille du multiplicateur budgétaire (c’est-à-dire la sensibilité de l’activité économique aux changements de politique budgétaire) était bien plus élevée lors des périodes de récessions qu’en périodes d’expansions. Un tel résultat tend à justifier l'adoption de politiques budgétaires contracyliques, c'est-à-dire expansionnistes lors des récessions (pour stimuler l'activité et l'emploi) et restrictives lors des expansions (afin de rééquilibrer les finances publiques). Auerbach et Gorodnichenko (2014) poursuivent leurs précédents travaux en se concentrant cette fois-ci sur l’impact de la politique budgétaire au Japon. L’économie nippone se distingue des autres pays avancés par une situation exceptionnelle : ces dernières décennies, elle est restée dans la stagnation et a régulièrement connu la déflation, malgré la mise en œuvre de plusieurs plans de relance. L’analyse réalisée par Auerbach et Gorodnichenko pour la période s’étalant entre 1960 et 2012 suggère que la politique budgétaire est, comme dans les autres pays avancés, à même de stimuler l’activité au Japon, en particulier lors des récessions : le multiplicateur budgétaire est plus élevé en bas du cycle économique qu'en haut. Les résultats sont toutefois moins clairs en ce qui concerne la période récente : le multiplicateur semble plus instable.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette instabilité. Tout d’abord, les autorités budgétaires perdent de leur capacité à stimuler l’activité si la banque centrale joue contre elles. A partir du milieu des années quatre-vingt-dix, la Banque du Japon a constamment suggéré qu’elle resserrait sa politique monétaire aussitôt qu’apparaitraient des signes d’accélération de l’inflation. Non seulement un tel comportement de la part des autorités monétaires a pu contribuer à maintenir l’économie insulaire dans la déflation, mais il a pu également rendre inefficace la politique budgétaire. En l’occurrence, la banque centrale n’a pas à resserrer sa politique monétaire pour que l’effet stimulant de la politique budgétaire s’étiole : la simple annonce d’un resserrement monétaire suffit. En outre, les plans de relance mis en œuvre par les gouvernements successifs ont pu se révéler inefficaces en raison de leur nature temporaire et, pour certains auteurs, tout simplement parce qu’ils ont été de faible ampleur [Kuttner et Posen, 2002]

De plus, l’éclatement même des bulles immobilière et boursière à la fin des années quatre-vingt a pu rendre inopérants certains canaux de transmission des politiques conjoncturelles. En particulier, les banques japonaises ont eu du mal à reconnaître l’étendue de leurs pertes suite à l’effondrement des prix d’actifs. Or, si elles sont sous-capitalisées, les banques sont susceptibles de reconduire leurs prêts aux clients défaillants afin de les maintenir à flot, tout en refusant d’accorder des prêts aux entreprises solvables, en l’occurrence les entreprises les plus productives. Un tel comportement entraîne alors une mauvaise allocation des capitaux et détériore par là le potentiel de l’économie. 

Ensuite, la stagnation économique, plus que les plans de relance, a entraîné une forte hausse de l’endettement public en comprimant les recettes fiscales [Kuttner et Posen, 2002]. Celui-ci représente aujourd’hui plus de 235 % du PIB. Or, il est possible que ce niveau exceptionnellement élevé de dette publique amène les agents privés à adopter des comportements ricardiens : puisqu’ils savent que le gouvernement devra à l’avenir fortement réduire les dépenses publiques et accroître les recettes fiscales pour ramener la dette sur une trajectoire plus soutenable, les ménages et les entreprises peuvent rester insensibles au déploiement d’un plan de relance aujourd'hui, voire même réduire leurs dépenses en prévision des futurs resserrements budgétaires.

Enfin, Auerbach et Gorodnichenko soulignent que toute analyse de la politique budgétaire japonaise fait face à plusieurs problèmes d’ordre méthodologique. Les deux auteurs rappellent que les données en comptabilité nationale du Japon sont incomplètes : il n’y a pas de série continue d’estimations du PIB pour l’après-guerre ; certaines variables ne sont tout simplement pas disponibles (par exemple l’utilisation des capacités) ; d’autres sont peu utiles, notamment le taux de chômage, car celui-ci est relativement insensible au cycle d’affaires. Il est difficile d’obtenir des mesures claires du cycle d’affaires au Japon. L’économie insulaire a connu une longue stagnation depuis 1990, mais il est difficile de séparer la tendance du cycle, en l’occurrence de déterminer si cette stagnation correspond à une « nouvelle norme » (new normal) ou à une sous-utilisation des capacités de production.

Cette étude éclaire toutefois les nouvelles mesures de politique économique mises en œuvre depuis l’année dernière par le gouvernement de Shinzo Abe pour sortir enfin l’économie nippone de la stagnation. En déployant la « première flèche » de l’abenomics, la Banque du Japon espère mettre fin à la déflation : elle accroît fortement sa base monétaire pour atteindre un taux d’inflation de 2 % et étend pour cela la gamme d'actifs qu'elle achète. Ainsi, la banque centrale ne menace pas de resserrer sa politique monétaire en cas d’accélération d’inflation ; elle vise précisément celle-ci. L’assouplissement de la politique monétaire peut alors renforcer l’impact de la relance budgétaire sur l’activité économique (la « seconde flèche »). Réciproquement, si la croissance économique s’accélère, les entreprises et les ménages relèveront leurs anticipations d’inflation, ce qui pourrait enclencher un cercle vertueux, en particulier si les entreprises sont incitées à verser de plus hauts salaires (ce qui est précisément l’un des objectifs attachés à la « troisième flèche » de l’abenomics). D’un autre côté, en accroissant les dépenses publiques et en finançant celles-ci par l’émission de titres, le gouvernement accroît délibérément la dette publique, ce qui pourrait renforcer les comportements ricardiens. Enfin, l’annonce d’un relèvement de la TVA dans les prochains moins risque elle-même de réduire l’efficacité de la deuxième flèche en donnant un caractère temporaire à la relance budgétaire. 

 

Références

AUERBACH, Alan J., & Yuriy GORODNICHENKO (2012), « Measuring the output responses to fiscal policy », in American Economic Journal: Economic Policy, vol. 4, n° 2, mai.

AUERBACH, Alan J., & Yuriy GORODNICHENKO (2014), « Fiscal multipliers in Japan », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19911, février.

KUTTNER, Kenneth N., & Adam S. POSEN (2002), « Fiscal policy effectiveness in Japan », in Journal of the Japanese and International Economies, vol. 16, n° 4, décembre.

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 14:08

Au sortir de la Grande Récession, les pays avancés faisaient face à un profond dilemme (et l'on peut se demander s'il n'est pas toujours d'actualité) : l’activité restait particulièrement fragile, ce qui plaidait en faveur d’un maintient de politiques accommodantes, voire d’un nouvelle assouplissement, or les Etats se caractérisaient par un niveau de dette publique particulièrement élevé, ce qui plaidait au contraire pour un resserrement de la politique budgétaire.

Certains économistes suggèrent que des niveaux élevés de dette publique pèsent sur la croissance économique. Cette idée a notamment été étayée par les travaux de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2010). Ces derniers ont en effet suggéré qu’il existe un niveau d’endettement (proche de 90 % du PIB) à partir duquel la croissance tend à ralentir. Cela peut dénoter la présence d’un effet d’éviction : à un niveau élevé de dette publique, les agents privés anticipent un fort relèvement des impôts, donc ils sont susceptibles de réduire dès à présent leur investissement et leur offre de travail, ce qui détériore effectivement l’activité. L’endettement public peut facilement déraper si les marchés doutent de la capacité de l’Etat à le maintenir sur une trajectoire soutenable et exigent alors des taux d’intérêt plus élevés, ce qui va renforcer l’effet d’éviction sur l’activité privée. Par conséquent, l’Etat doit alors nécessairement avoir un faible niveau d’endettement pour assurer une croissance robuste. En l’occurrence, même si l’économie est en récession, une relance budgétaire ne permettra pas d’assurer une croissance soutenue, si bien que les gouvernements n’ont d’autres choix que de privilégier leur désendettement sur la stimulation de l’activité. L’étude de Reinhart et Rogoff a ainsi pu être utilisée par certains pour justifier d’un point de vue scientifique le resserrement budgétaire dans plusieurs pays européens à partir de 2010, c’est-à-dire à un instant où leur économie n’avait pas encore renoué avec une croissance soutenue.

Or, pour d’autres, c’est parce que certains pays connaissent une faible croissance que le poids de leur dette publique tend à augmenter. Par exemple, en raison des stabilisateurs automatiques, une faible croissance économique va se traduire par une dégradation du solde primaire. De plus, une récession peut accroître mécaniquement le ratio dette publique sur PIB en réduisant le dénominateur. Selon ces auteurs, la croissance est à la fois le principal déterminant de la soutenabilité d’une dette publique et, en l’occurrence, le seul moyen de réduire durablement celle-ci. Par conséquent, si l’économie est en récession, l’Etat doit privilégier la stimulation de l’activité en adoptant des plans de relance, même si son niveau d’endettement est élevé ; ce n’est que lorsque l’économie renoue avec l’expansion que l’Etat peut consolider ses finances publiques, à la fois efficacement et sans pénaliser l’activité. Certains auteurs ont même suggéré qu’un niveau élevé de dette publique pouvait nuire à la croissance… tout simplement en incitant les gouvernements à adopter des plans d’austérité [Panizza et Presbitero, 2012]

Les études empiriques se sont multipliées depuis les travaux originels de Reinhart et Rogoff pour déterminer s’il existe effectivement des non linéarités dans la relation entre dette publique et croissance économique. Certaines ont confirmé leurs conclusions, d’autres l’ont rejetée. Le débat a pris une nouvelle ampleur l’année dernière lorsque Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin (2013) ont révélé des erreurs d’ordre méthodologique dans l’étude de Reinhart et Rogoff (2010). Quelques mois plus tard, Markus Eberhardt et Andrea Presbitero (2013) ont publié un document de travail pour le Fonds monétaire international où ils constataient que, s’il existe effectivement un seuil d’endettement au-delà duquel la dette publique se révèle nocive à la croissance, celui-ci n’est pas commun à l’ensemble des pays et n’est pas constant dans le temps, ce qui les amenait à rejeter l’idée qu’une même politique économique n’est pas forcément applicable à l’ensemble des pays, encore moins au même instant.

Dans une nouvelle publication du FMI, Andrea Pescatori, Damiano Sandri et John Simon (2014) utilisent une nouvelle méthode économétrique leur permettant de prendre en compte la causalité inversée, c’est-à-dire l’impact de la croissance économique sur la dette publique. Ils constituent une nouvelle base de données leur permettant de suivre l’évolution des ratios dette publique sur PIB de nombreux membres du FMI depuis 1875. Dans leur échantillon, la dette publique représente en moyenne 55 % du PIB, tandis que le taux de croissance annuel moyen de la production réelle s’élève à 2,24 %. Les auteurs ne trouvent aucune preuve empirique de l’existence d’un seuil d’endettement public à partir duquel les perspectives de croissance à moyen terme sont affectées. Au contraire, l’association à moyen terme entre dette publique et croissance s’affaiblit pour de hauts niveaux d’endettement (cf. graphique pour différents horizons temporels).

GRAPHIQUE Dette et croissance à moyen terme

Pescatori-dette-publique-PIB-croissance.png

source : Pescatori et alii (2014)

Pescatori et ses coauteurs constatent également que la trajectoire de la dette peut être aussi importante que le niveau de dette pour comprendre les futures perspectives de croissance. En effet, les pays dont le volume de dette publique est important, mais toutefois décroissant, connaissent une croissance du PIB aussi rapide que les pays moins endettés. Toutefois, leur analyse suggère qu’un niveau plus élevé de dette est associé à un plus haut degré de volatilité de la production, or cette volatilité est susceptible de profondément nuire au bien-être collectif. Cela suggère selon eux que des niveaux élevés de dette publique peuvent toujours être associés avec de plus fortes pressions sur les marchés obligataires ou par l’action des autorités budgétaires et monétaires, notamment les plans d’austérité. Mais comme le reconnaissent les auteurs, cette relation peut elle-même refléter une causalité inverse : la volatilité de la croissance peut empêcher les gouvernements de gérer efficacement leurs finances publiques. 

 

Références

EBERHARDT, Markus, & Andrea F. PRESBITERO (2013), « This time they are different: Heterogeneity and Nonlinearity in the Relationship between debt and growth », IMF working paper, novembre.

HERNDON, Thomas, Michael ASH & Robert POLLIN (2013), « Does high public debt consistently stifle economic growth? A critique of Reinhart and Rogoff », avril.

PANIZZA, Ugo, & Andrea F PRESBITERO (2012), « Public debt and economic growth: Is there a causal effect? », MoFiR working paper, n° 65, 2 avril.

PESCATORI, Andrea, Damiano SANDRI & John SIMON (2014), « Debt and growth: Is there a magic threshold? », FMI, working paper, n° 14/34, février.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2010), « Growth in a time of debt », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 100, n° 2.

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17 janvier 2014 5 17 /01 /janvier /2014 21:59

Avec la Grande Récession, de nombreux économistes se sont de nouveau penchés sur les relations entre politique budgétaire et activité économique, notamment pour comprendre comment la première influence la seconde. Avant qu’éclate la crise mondiale, les macroéconomistes considéraient que la politique monétaire était non seulement capable de gérer les chocs de demande, mais qu’elle générait moins de distorsions que la politique budgétaire, si bien qu’ils avaient eu tendance à préconiser l’usage exclusif de la première pour stabiliser l’activité et à délaisser la seconde dans leurs analyses. Les événements de la Grande Récession les ont amenés à reconsidérer bien des choses, notamment en ce qui concerne le rôle des politiques conjoncturelles. Les banques centrales eurent beau fixer leurs taux directeurs au plus proche de son niveau plancher, la politique monétaire demeurait insuffisamment accommodante pour ramener l’économie au plein emploi. Les gouvernements avaient dû alors accroître leurs dépenses et laisser leurs déficits se creuser pour amortir la chute de la demande globale. A partir de 2010, les gouvernements commencèrent à resserrer leur politique budgétaire pour maintenir sur une trajectoire soutenable les énormes volumes de dette publique qu’ils avaient accumulés. Mais dans un contexte où la reprise était particulièrement fragile, ces plans d’austérité ont pu faire rebasculer les économies dans la récession.

Si les gouvernements ont rapidement délaissé la relance budgétaire pour adopter l’austérité, c’est notamment parce qu’ils se figuraient que la première ne stimulait que trop peu l’activité et que la seconde n’aurait qu’un impact limité sur l’activité. Il y a tout juste un an, Olivier Blanchard et Daniel Leigh (2013), deux économistes du FMI, ont reconnu que la sensibilité de l’activité à la politique budgétaire avait été particulièrement sous-estimée lors de la récession par leur propre institution et par les différents gouvernements à travers les pays avancés. Or, en affirmant que les gouvernements se sont par conséquent appuyés sur de mauvaises prévisions pour décider de l’orientation de leur politique budgétaire, Blanchard et Leigh suggèrent que le resserrement budgétaire a bel et bien été hâtif. En l’occurrence, les prévisions officielles se basaient sur des estimations des multiplicateurs budgétaires réalisées sur une période précédant la Grande Récession, or la théorie et les analyses empiriques suggèrent que l’effet multiplicateur apparaît beaucoup plus élevé en période de ralentissement économique qu’en « temps normal ». Plus récemment, la Commission européenne a également reconnu que ses propres estimations de l’impact de l’austérité sur l’activité avaient été bien trop optimistes (non seulement parce qu’elle n’a pas pensé que le multiplicateur serait plus élevé en période de récession, mais aussi parce qu’elle a insuffisamment pris en compte les répercussions de chaque plan d’austérité sur l’activité des autres pays-membres). Elle-même suggère ainsi que les efforts de consolidation budgétaire auraient dû être davantage étalés dans le temps.

Comme l’ont rappelé Blanchard et Leigh, la taille du multiplicateur budgétaire est susceptible de varier en fonction de la position dans le cycle économique ; en d’autres termes, le niveau d’activité même conditionne l’efficacité de la politique budgétaire. Lorsque l’activité est déprimée et le chômage élevé, la consommation dépend alors davantage du revenu courant que du revenu futur, tandis que l’investissement dépend davantage des profits courants que des profits futurs, si bien que les multiplicateurs sont plus élevés qu’en temps normal et, en l’occurrence, risquent d’être bien supérieurs à un. Comme l’ont modélisé Gauti Eggertsson et Paul Krugman (2012), c’est a fortiori le cas lorsque les banques restreignent le crédit et que les ménages cherchent à se désendetter rapidement. Robert Hall (2009), Michael Woodford (2011), Lawrence Christiano, Martin Eichenbaum et Sergio Rebelo (2011) suggèrent que les multiplicateurs sont significativement supérieurs à l’unité quand l’économie est plongée dans une trappe à liquidité : lorsque les taux directeurs sont à leur borne inférieure zéro (zero lower bound), les banques centrales ne peuvent pas compenser les répercussions négatives à court terme de l’austérité budgétaire sur l’activité économique (si ce n’est en adoptant des mesures « non conventionnelles », comme les achats d’actifs à large échelle ou le forward guidance). La politique monétaire devient excessivement restrictive, puisque le taux d’intérêt est supérieur au taux naturel (celui qui équilibrerait tous les marchés selon la littérature nouvelle keynésienne) : c’est comme si l’économie subissait alors perpétuellement des chocs de demande négatifs qui l’éloignent de plus en plus du plein emploi. 

Puisque les effets de la politique budgétaire diffèrent selon la taille du multiplicateur, les autorités budgétaires ne peuvent prendre les mêmes décisions selon que l’économie se situe en haut ou en bas du cycle. En effet, les répercussions d’une relance budgétaire sur l’activité sont maximales lorsque la demande est particulièrement déprimée, les agents contraints en termes de liquidité et l’économie confrontée à une trappe à liquidité. Si inversement le gouvernement adopte un plan d’austérité en période de récession, par exemple afin de réduire son endettement, les dommages portés à l’activité de court terme seront maximaux. Lorsque la demande globale est insuffisante, une consolidation budgétaire, qu’elle prenne la forme d’une baisse des dépenses publiques ou d’une hausse des impôts, ne peut qu’amplifier la contraction de la demande et éloigner davantage l’économie du plein emploi. Non seulement le gouvernement risque alors de creuser son déficit public, mais, même s’il parvenait à améliorer son solde budgétaire, le ratio dette publique sur PIB pourrait tout de même s’élever comme le dénominateur est susceptible de diminuer plus rapidement que le numérateur. Cette aggravation de la crise économique risque en outre de réduire le niveau de production potentielle via les effets d’hystérèse. Or, en réduisant les perspectives de croissance à long terme, le gouvernement risque précisément de saper le principal déterminant de la soutenabilité de la dette publique. En revanche, si le gouvernement cherche à consolider ses finances publiques une fois que la reprise s’est pleinement amorcée et que l’économie s’est rapprochée du plein emploi, alors l’activité devient moins sensible aux évolutions de la politique budgétaire et l’Etat pourra alors se désendetter sans la brider.

Par conséquent, si le multiplicateur est significativement positif et surtout supérieur à l’unité en période de récession, tandis qu’il retrouve de plus faibles valeurs en « temps normal », le gouvernement doit adopter une politique budgétaire contracyclique. Il doit assouplir sa politique budgétaire et s’endetter en période de récession pour relancer la croissance et attendre que l’économie renoue avec l’expansion pour resserrer sa politique budgétaire et ramener ses finances publiques à l’équilibre. En adoptant une politique budgétaire procyclique alors que leur économie n’avait pas renoué avec un rythme soutenu de croissance, certains pays européens ont non seulement aggravé leurs ratios dette publique sur PIB, mais se sont retrouvés dans une spirale récessive. 

Guillaume Cléaud, Matthieu Lemoine et Pierre-Alain Pionnier (2013) ont très récemment cherché à évaluer comment le multiplicateur de dépenses publiques a évolué en France depuis le début des années quatre-vingt. Ils notent que la taille du multiplicateur budgétaire est susceptible de changer indépendamment du cycle d’affaires. Par exemple, l’économie française s’est davantage ouverte au cours de la période, si bien que la contrainte extérieure a pu devenir plus forte et la politique budgétaire moins efficace. Pourtant, selon leurs résultats, la taille du multiplicateur ne semble pas varier significativement au cours du temps, puisqu’il reste toujours proche de l’unité. En l’occurrence, il ne semble pas plus élevé en périodes de récession. Les auteurs privilégient la persistance du chômage à un niveau élevé depuis les années quatre-vingt comme explication à ces résultats. Ces derniers suggèrent que le multiplicateur de dépenses est beaucoup moins élevé en période de récession que n’ont pu le suggérer les plus récentes études empiriques, comme celle d’Alan Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2012) dans le cas américain et surtout celle de Jérôme Creel, Eric Heyer et Mathieu Plane (2011) dans le cas français. Toutefois, en trouvant tout de même un multiplicateur proche de l’unité, Cléaud et ses coauteurs n’en concluent pas moins que la relance budgétaire reste tout de même efficace et, réciproquement, que l’austérité budgétaire a un impact significatif sur l’activité française que soit la position dans le cycle économique. 

 

Références

AUERBACH, Alan, & Yuriy GORODNICHENKO (2012), « Measuring the output responses to fiscal policy », in American Economic Journal – Economic Policy, vol. 4. 

BLANCHARD, Olivier, & Daniel LEIGH (2013), « Growth forecast errors and fiscal multipliers », IMF working paper, n° 13/1. Traduction partielle disponible en ligne.

CHRISTIANO, Lawrence, Martin EICHENBAUM & Sergio REBELO (2011), « When is the government spending multiplier large? », in Journal of Political Economy, vol. 119, n° 1.

CLÉAUD, Guillaume, Matthieu LEMOINE & Pierre-Alain PIONNIER (2013), « Which size and evolution of the government expenditure multiplier in France (1980-2010)? », Banque de France,document de travail.

CREEL, Jérôme, Eric HEYER & Mathieu PLANE (2011), « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », in Revue de l’OFCE, n° 116.

EGGERTSSON, Gauti B., & Paul KRUGMAN (2012), « Debt, deleveraging, and the liquidity trap », inQuarterly Journal of Economics, vol. 127, n° 3.

HALL, Robert E. (2009)« By how much does GDP rise if the government buys more output? », inBrookings Papers on Economic Activity, vol. 40, n° 2, automne.

TIMBEAU, Xavier (2012), « Que valent les multiplicateurs budgétaires aujourd’hui ? », in OFCE (blog), 21 novembre 2012.

WOODFORD, Michael (2011), « Simple analytics of the government expenditure multiplier », inAmerican Economic Journal: Macroeconomics, vol. 3, n° 1.

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