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13 novembre 2013 3 13 /11 /novembre /2013 18:22

Depuis 2010, les pays « périphériques » de la zone euro ont fait face de puissantes pressions sur les marchés obligataires en raison des craintes quant à la soutenabilité de leurs finances publiques. La dette publique des pays en difficulté représentait en 2012 entre 90 % (dans le cas de l’Espagne) et 165,5 % (dans le cas de la Grèce) du PIB. Elle atteignait la même année 219,1 % du PIB au Japon, soit plus du double de la dette moyenne de l’OCDE (puisque celle-ci représentait 108,8 % du PIB). Pourtant ce dernier n’a connu aucune hausse des taux d’intérêt sur sa dette publique, alors même que le vieillissement rapide de la population va pousser les dépenses publiques à la hausse. Qu’est-ce qui pourrait expliquer que le Japon n’ait pas encore connu de crise de la dette souveraine ?

Une explication couramment avancée met l’accent sur l’importance de l’épargne générée par l’économie nippone et sur la présence d’un fort biais domestique (home bias) : si les taux d’intérêt n’augmente pas sur la dette publique japonaise, c’est tout simplement parce qu’elle est principalement détenue par les agents résidents. Pourtant, avec le vieillissement de la population nippone, l’épargne domestique risque de peu à peu décliner, si bien que le reste du monde va devoir absorber une part croissante de la dette publique japonaise. Charles Horioka, Takaaki Nomoto et Akiko Terada-Hagiwara (2013) confirment dans une récente étude que les épargnants nippons ont effectivement été les principaux détenteurs de titres publics japonais, du moins jusqu’à très récemment. Plus précisément, entre 2000 et 2011, les banques et compagnies d’assurance domestiques s’en sont de plus en plus portés acquéreurs, tandis que les institutions publiques ont eu tendance à s’en détourner.

GRAPHIQUE Part de titres publics japonais détenue par le reste du monde (en %)

detenteurs-dette-publique-japonaise.png

source : Horioka et alii (2013)

Toutefois, le reste du monde a détenu ces dernières années une part de plus en plus importante de titres publics japonais, en particulier ceux de court terme (cf. graphique). Cette récente évolution trouve une explication dans la Grande Récession : les turbulences sur le marché du crédit subprime, leur transmission à l’ensemble du système financier américain et surtout l’effondrement de Lehman Brothers ont poussé les épargnants à se réfugier vers des titres jugés sûrs. Horioka et ses coauteurs notent que la crise de la zone euro a également contribué aux évolutions observées sur le marché obligataire nippon. La dette japonaise a précisément joué son rôle d’actif sans risque à un moment où l’économie mondiale subissait une forte remontée des taux d’épargne et une plus forte aversion au risque. Les rendements obligataires ont aussi fortement chuté dans les autres pays avancés en raison du fort assouplissement des politiques monétaires, rendant les rendements japonais plus attrayants aux yeux des épargnants. Enfin, les banques centrales étrangères (en particulier la Banque populaire de Chine, particulièrement soucieuse de diversifier son portefeuille et de réduire sa dépendance à l’égard des Etats-Unis) ont joué également un rôle en achetant des titres publics japonais de court terme.

Horioka et ses coauteurs ne pensent donc pas que les taux d’intérêt nippons persisteront à un faible niveau. Un afflux de capitaux étrangers a contribué à stabiliser les taux d’intérêt ces dernières années, alors même que l’épargne domestique déclinait, mais il est de nature temporaire. Au fur et à mesure que les agents étrangers vont détenir une part importante de sa dette publique, l’Etat japonais sera pressé d’ajuster ses finances publiques pour réduire son endettement [1].

 

[1] Le Japon peut-il pour autant connaître une crise de la dette souveraine à la grecque ? A la différence des Etats-membres de la zone euro, le Japon dispose d'une banque centrale autonome. Or, comme le suggèrent par exemple Paul Krugman (dans le document de travail qu'il a présenté à la récente conférence du FMI) ou Paul DeGrauwe, les autorités monétaires sont alors à même d'éviter l'éclatement d'une panique autoréalisatrice sur le marché obligataire en jouant leur rôle de prêteur en dernier ressort souverain. Les auteurs néochartalistes (regroupés autour de L. Randall Wray) vont encore plus loin, puisqu'ils affirment que les banques centrales contrôlent le taux d'intérêt sur la dette publique...

 

Référence

HORIOKA, Charles Y., Takaaki NOMOTO & Akiko TERADA-HAGIWARA (2013), « Why has Japan's massive government debt not wreaked havoc (yet)? », NBER working paper, n° 19596, octobre.

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19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 11:36

L’éclatement des bulles immobilière et boursière à la fin des années quatre-vingt a ouvert une ère de stagnation économique et d'endémiques déficits budgétaires au Japon. La dette publique s’est fortement accrue, triplant en deux dernières décennies pour atteindre aujourd’hui plus de 200 % du PIB. Le Japon se singularise toutefois par l’important stock d’actifs financiers dont il dispose [Bender et alii, 2012]. Lorsque l’on prend compte ce dernier, la dette publique nette représente actuellement près de 110 % de la production (cf. graphique 1). Malgré ce ratio, les taux d’intérêt sur la dette publique japonaise se maintiennent à de faibles niveaux. D’une part, la déflation persistante contribue à stabiliser les rendements obligataires. D’autre part, plus de 90 % de la dette publique est détenue par les résidents et ceux-ci s’attendent pour l’heure à ce que la dette publique se maintienne à une trajectoire soutenable. Une forte accélération de la croissance contribuerait à stabiliser l’endettement public, mais celle-ci paraît peu probable. D'après Selo Imrohoroglu et Nao Sudo (2011), il faudrait que la croissance de la productivité globale des facteurs s’établisse à 6 % pendant au moins une décennie pour équilibrer les finances publiques, or le Japon n’a pas connu une telle performance au cours des 35 dernières années. 

GRAPHIQUE 1 Ratio dette publique nette sur RNB (en %)

japon-ratio-dette-publique-nette-RNB-hansen-2013.png

source : Hansen et Imrohoroglu (2013)

A long terme, l’économie nipponne fait en outre face à des dynamiques démographiques nuisibles à l'activité et aux finances publiques. Avec le vieillissement de la population japonaise, les dépenses de santé et les allocations retraite vont continuer à s’accroître, au moins durant les quatre prochaines décennies. Or, non seulement le vieillissement démographique alourdit les dépenses publiques, mais il affecte également les prélèvements obligatoires en réduisant la contribution des actifs et en dégradant les gains de productivité, donc la croissance potentielle.

GRAPHIQUE 2  Les ratios de dépendance (en %)

japon-ratios-de-dependance-hansen-2013.png

source : Hansen et Imrohoroglu (2013)

Le premier ratio de dépendance (rapportant le nombre de personnes de plus de 65 ans sur le nombre de personnes ayant entre 20 et 64 ans) implique qu’environ trois actifs prennent aujourd’hui en charge un retraité ; dans 60 ans, un retraité sera pris en charge par quasiment un seul actif (cf. graphique 2). Même si l’âge de départ à la retraite était retardé, les conditions de financement du système de retraite se dégraderaient fortement. En effet, le second ratio de dépendance (rapportant le nombre de personnes de plus de 70 ans sur le nombre de personnes ayant entre 20 à 69 ans) va aussi continuer à fortement agmenter. 

Pour assurer sa solvabilité budgétaire, l’Etat japonais a déjà programmé plusieurs hausses du taux de TVA. Celle-ci devrait passer de 5 % aujourd’hui à 10 % en octobre 2015. Gary Hansen et Selo Imrohoroglu (2013) utilisent un modèle de croissance néoclassique pour estimer l’effort budgétaire qui serait nécessaire pour stabiliser le ratio d’endettement. Celui-ci représenterait 30 à 40 % des dépenses de consommation. Pour l’obtenir, les taux de taxation devraient atteindre jusqu’à 60 %. Ce chiffre serait ramené à 40 % si le gouvernement élargissait l’assiette fiscale. Les hausses programmées du taux de TVA se révèlent donc dramatiquement insuffisantes pour équilibrer les finances publiques. L’ampleur de l’effort budgétaire amène par conséquent Hansen et Imrohoroglu à préconiser l’adoption de mesures supplémentaires telles que le développement des flux d’immigration ou le relèvement du taux d’activité des femmes.

 

Références

ARTUS, Patrick (2013), « Comment le Japon peut-il restaurer sa solvabilité budgétaire ? », Natixis, Flash économie, n° 712, 11 octobre.

BRENDER, Anton, Florence PISANI et Emile GAGNA (2012), La Crise des dettes souveraines, collection « Repères », La Découverte.

HANSEN, Gary, & Selo IMROHOROGLU (2013), « Fiscal reform and government debt in Japan: A neoclassical perspective », NBER Working Paper, n° 19431, septembre.

IMROHOROGLU, Selo, & Nao SUDO (2011), « Will a growth miracle reduce debt in Japan? », in The Economic Review, (Keizai Kenkyuu, Institute of Economic Research, Hitotsubashi University), vol. 62, n° 1.

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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 09:28

Pour certains, la récente amélioration de la croissance économique en zone euro démontre la réussite des plans d’austérité. Selon eux, les mesures d’austérité auraient suscité de la confiance, ce qui aurait poussé les agents privés à accroître leurs dépenses de consommation et d’investissement : c’est l’idée de « consolidation expansionniste ». Pourtant, selon Paul De Grauwe et Yuemei Ji (2013), rien ne certifie que le resserrement des politiques budgétaires ait permis aux gouvernements d'assurer plus facilement le service de leur dette. Au contraire, il a fortement contribué à l’envolée des ratios de dette publique sur PIB (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Evolution du ratio de dette publique brute sur PIB (en % du PIB)

De Grauwe et Ji, ratios dette publique sur PIB, pays périp

source : De Grauwe et Ji (2013)

Au cours de la récession qui a prévalu dans les pays périphériques, les agents privés ont cherché à réduire leurs niveaux de dette. Ils ont alors réduit leurs dépenses. Dans une telle situation, qualifiée de « récession de bilan » par Richard Koo (2011), l’Etat devrait normalement assouplir sa politique budgétaire pour amortir les répercussions du choc de demande sur l’activité et permettre aux agents privés de pleinement se désendetter. Or, à partir de 2010, les Etats des pays périphériques ont au contraire cherché à consolider leurs finances publiques, sous la pression des marchés obligataires et surtout des autres Etats-membres de la zone euro ; ils ont réduit leurs dépenses à l'instant même où les ménages et les entreprises baissaient les leurs. Les autorités publiques ont alors aggravé la récession au lieu de l’atténuer, au point que certains pays ont connu une contraction de l’activité aussi ample que celle de la Grande Dépression.

GRAPHIQUE 2  Croissance cumulative du PIB (en %) et degré d'austérité entre 2009 et 2012 (en % du PIB)

De Grauwe et Ji, croissance du PIB et degré d'austérité,

source : De Grauwe et Ji (2013)

De Grauwe et Ji montrent que le déclin du PIB est fortement corrélé avec le degré d’austérité budgétaire (qu’ils mesurent en utilisant les variations du budget primaire corrigé des variations conjoncturelles) (cf. graphique 2). Selon leurs propres estimations, un Etat devait réduire de 2 % ses dépenses publiques pour améliorer son solde budgétaire de 1 %, or avec un multiplicateur budgétaire qu’ils estiment à 1,4 (une valeur proche des estimations récemment obtenues par le FMI), cette baisse des dépenses se traduisait par une diminution de 2,8 % du PIB. Les ratios de dette publique sur PIB n’ont pu alors que s’accroître à nouveau. Les auteurs constatent en effet une forte corrélation entre le degré d’austérité budgétaire et la hausse des ratios d’endettement (cf. graphique 3). Ainsi, alors que la crise financière de 2008 avait conduit dans un premier temps à une hausse des ratios d’endettement en raison de l’effondrement de la demande globale, les plans d’austérité expliquent pourquoi les déficits ont continué à se creuser après 2010. Le resserrement de la politique budgétaire s’est donc révélé non seulement inefficace, puisque les ratios d’endettement se sont accrus, mais il s’est alors révélé inutilement coûteux pour les économies périphériques.

GRAPHIQUE 3  Variation du ratio dette publique sur PIB (en %) et degré d'austérité (en % du PIB) entre 2009 et 2012

De Grauwe et Ji, degré d'austérité et variation-copie-1

source : De Grauwe et Ji (2013)

Pour les deux auteurs, cette situation relève du « sophisme de composition » de Keynes et les mécanismes à l'oeuvre s'apparentent à ceux de la déflation par la dette de Fisher. Un plan d’austérité se serait révélé plus efficace et moins coûteux pour l’activité si celui-ci avait été mis en œuvre isolément. Or, les Etats des périphériques (et d’autres gouvernements européens) ont cherché à consolider simultanément leurs finances publiques. En tentant de se désendetter, ils ont au contraire accru le poids de leur endettement. L’ajustement aurait été plus efficace et moins douloureux s’il avait été plus symétrique au sein de la zone euro : même si les pays périphériques devaient nécessairement resserrer leur politique budgétaire pour regagner la confiance des marchés et stabiliser les primes de risque souverain, le reste de la zone euro aurait dû accepter de laisser creuser ses déficits publics, de manière à accroître la demande extérieure des pays contraints à réduire leur demande domestique. La multiplication des plans d’austérité dans l’ensemble de l’union monétaire s’est au contraire traduite par une pression déflationniste pour ses pays-membres, ce qui a fortement compliqué la stabilisation des ratios d’endettement. 

Ainsi, l'austérité lègue aux pays de la zone euro un niveau insoutenable de dette publique. Si les pays périphériques parviennent à retrouver des conditions macroéconomiques favorables, ils devraient alors maintenir un excédent budgétaire d’au moins 4 % sur une période prolongée, comprise entre 12 et 22 ans, pour espérer réduire de moitié leur niveau de dette. Comme ces pays n’ont aujourd'hui toujours pas stabilisé leurs ratios d’endettement, les efforts qu’ils auront à fournir seront en réalité encore bien plus importants. Or, les pays périphériques risquent de ne pas supporter, sur un plan politique et social, des efforts de rigueur aussi prolongés.

Comment expliquer la récente amélioration de l’activité économique dans la zone euro ? Selon De Grauwe et Ji, elle résulte du programme OMT que la BCE a annoncé en mai 2012 et qu’elle a mis en œuvre en septembre de la même année. L’annonce a entraîné une forte chute des taux d’intérêt sur la dette publique dans les pays en difficulté de la zone euro : les primes de risque sur les titres publics espagnoles, grecs, irlandais et portugais ont fondu de moitié. Cette évolution des marchés obligataires ne peut s’expliquer par une quelconque amélioration des fondamentaux macroéconomiques, puisque les ratios de dette publique sur PIB se sont détériorés. L’action de la BCE a rendu moins urgent de mettre en place des plans d’austérité ; le ralentissement subséquent de la consolidation budgétaire a pu alors contribuer à « stimuler » la demande globale. 

 

Références

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2013), « The legacy of austerity in the eurozone », CEPS Commentary, 4 octobre.

KOO, Richard (2011), « The world in balance sheet recession: causes, cure, and politics », Real-World Economics Review, n° 58, 12 décembre.

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