Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 novembre 2012 5 30 /11 /novembre /2012 16:25

La poursuite de la récession et l’aggravation du chômage en zone euro ne conduisent aucunement ses dirigeants politiques à redéfinir leurs stratégies de sortie de crise. Les gouvernements se sont engagés à continuer leurs efforts de rigueur l’année prochaine pour ramener le niveau d’endettement public sur une trajectoire soutenable, ne faisant tout entier reposer une éventuelle dynamisation de l’activité économique que sur la mise en place de réformes structurelles. Dans un tel contexte, il est difficile de voir ce qui pourrait enrayer la dégradation de la situation sur les marchés du travail et empêcher le chômage de toucher 27 millions de résidents européens fin 2013 [Blot et alii, 2012].

Dans les circonstances actuelles, une quelconque manœuvre de consolidation budgétaire ne peut qu’échouer en zone euro. Comme l’ont notamment montré Emi Nakamura et Jón Steinsson (2012) dans leur analyse des impulsions budgétaires aux Etats-Unis, appartenir à une union monétaire amplifie substantiellement la taille des multiplicateurs budgétaires en période de crise. Par conséquent, si les relances budgétaires sont alors susceptibles d’être particulièrement efficaces, les plans d’austérité vont au contraire se révéler particulièrement dommageables à l’activité. Lorsque le chômage est élevé, davantage de ménages et d’entreprises sont contraints en termes de liquidité. De nombreux consommateurs vont ainsi dépenser la totalité de leurs revenus ; de tels comportements « non ricardiens » donnent à la politique budgétaire une extrême efficacité. En outre, les répercussions d’une consolidation budgétaire sur le PIB sont particulièrement exacerbées lorsque les taux directeurs avoisinent, voire atteignent leur bordure inférieure zéro (zero lower bound). Les autorités monétaires voient leur marge de manœuvre se réduire, si bien que la sortie de l’économie hors de la trappe à liquidité ne va dépendre en définitive que de la seule politique budgétaire.

Avec l'ouverture des économies, les politiques adoptées dans un pays sont susceptibles d'influer sur les performances économiques des autres pays. Alan J. Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2012) mettent en évidence que la politique budgétaire mise en oeuvre dans un pays donné a des effets significatifs sur la production des autres pays. L'ampleur de ces effets de débordement dépend de la conjoncture et ceux-ci sont particulièrement larges au cours des récessions, ce qui dénote l'importance de la coordination des politiques économiques lors des ralentissements de l'activité. Dans le cas d’une union monétaire en particulier, l’impact des plans d’austérité est amplifié en raison de l’interdépendance des pays-membres et plus particulièrement des liens commerciaux qui existent entre eux. Lorsque tous les pays consolident simultanément leurs finances publiques, la production de chaque pays est non seulement réduite par la consolidation budgétaire mise en œuvre dans l’économie domestique, mais elle sera également affectée par les consolidations budgétaires réalisées dans les autres pays-membres.

La multiplication des plans d’austérité dans une zone monétaire conduit inévitablement ceux-ci à échouer. La contraction de l’activité générée par l’austérité se traduit mécaniquement par une baisse des rentrées fiscales, voire également par une hausse des dépenses publiques en raison des stabilisateurs automatiques. Non seulement les ratios dette publique sur PIB risquent de ne pas diminuer, mais ils sont au contraire susceptibles de s’élever et de compliquer la stabilisation de l’endettement public. Plusieurs études du FMI reconnaissent que les consolidations budgétaires ne stimulent jamais l’activité économique; toutes les accélérations de l’activité domestique qui ont été observées suite à l’adoption d’un plan d’austérité s’expliquent par un boom de la demande extérieure, en général impulsée par une dépréciation réelle du taux de change. Or, les Etats-membres de la zone euro, notamment les pays les plus sévèrement touchés en périphérie, ne peuvent individuellement procéder à une telle dépréciation pour compenser le choc négatif généré par les plans d’austérité sur leur économie domestique.

La nature même des mesures de rigueur va conditionner l’ampleur de leurs répercussions sur l’activité. Nicoletta Batini, Giovanni Callegari et Giovanni Melina (2012) confirment les effets dépressifs des consolidations et constatent que les réductions de dépenses publiques sont bien plus dommageables à l’activité que les hausses d’impôts. Christopher J. Erceg et Jesper Lindé (2012) ont de leur côté développé un modèle DSGE de deux économies pour observer comment l’appartenance à une union monétaire façonne précisément les effets d’une consolidation selon qu’elle prenne la forme d’une hausse d’impôts ou bien d’une réduction des dépenses publiques. Une consolidation entraîne une contraction de l’activité dans la totalité des environnements monétaires qu’ils étudient. Toutefois, à court et moyen termes, une contraction des dépenses publiques déprimera davantage la production que si la consolidation budgétaire avait pris la forme d’une hausse d’impôts. Par contre, le modèle suggère que les réductions des dépenses sont moins dommageables à l’activité à long terme, ce qui amène Erceg et Lindé à finalement préconiser une combinaison de réductions de dépenses et de hausses d’impôts si l’Etat-membre d’une union monétaire était contraint à consolider ses comptes publics. Les deux auteurs reconnaissent toutefois sous-estimer les répercussions que les réductions de dépenses publiques peuvent avoir sur la croissance potentielle. Les dépenses d’infrastructure sont en effet susceptibles de stimuler la productivité du capital privé, tandis que les dépenses en éducation améliorent la productivité de long terme de la main-d’œuvre en stimulant l’accumulation de capital humain, deux canaux que leur modélisation ne prend pas en compte.

Dawn Holland et Jonathan Portes (2012) ont observé quelles ont été les répercussions des divers plans d’austérité adoptés en zone euro. Les politiques économiques poursuivies ces dernières années par les pays européens se révèlent au final particulièrement nocives pour l’activité. En outre, le resserrement budgétaire a entraîné une hausse du ratio dette publique sur PIB dans chaque pays-membre, excepté en Irlande. La consolidation coordonnée des politiques budgétaires s’est traduite par une hausse du ratio d’approximativement 5 points de pourcentage pour la zone euro dans son ensemble. Les plans d’austérité ont généralement été mis œuvre afin d’atténuer les tensions sur les marchés de la dette souveraine et éviter une contagion, or il apparaît qu’ils ont pu conduire au contraire à une hausse des taux d’intérêt, exacerber les effets négatifs sur la production et finalement accroître les ratios dette sur PIB. Non seulement la croissance aurait été plus élevée si de telles politiques n’avaient pas été mises en œuvre, mais les ratios dette publique sur PIB auraient également été plus faibles. Hier comme aujourd’hui, décaler dans le temps les efforts d’ajustement budgétaire permettrait de réduire les coûts sur l’emploi et la croissance, sans forcément que l’endettement s’éloigne de sa trajectoire soutenable. La croissance économique reste le principal déterminant de la soutenabilité des finances publiques.

 

Références Martin ANOTA

Auerbach, Alan J., & Yuriy Gorodnichenko (2012), « Output spillovers from fiscal policy », NBER working paper, n° 18578, novembre.

BATINI, Nicoletta, Giovanni CALLEGARI & Giovanni MELINA (2012), « Successful austerity in the United States, Europe and Japan », FMI working paper, n° 190, juillet.

BLOT, Christophe, Jérôme CREEL et Xavier TIMBEAU (2012), « iAGS, un rapport annuel indépendant », in Blog de l’OFCE, 30 novembre.

ERCEG, Christopher J., & Jesper LINDÉ (2012), « Fiscal consolidation in a currency union: Spending cuts vs. tax hikes », Federal Reserve, International finance discussion paper, n° 1063, novembre 2012.

HOLLAND, Dawn, & Jonathan PORTES (2012), « Self-defeating austerity? », in VoxEU.org, 1er novembre.

NAKAMURA, Emi, & Jón STEINSSON (2011), « Fiscal stimulus in a monetary union: Evidence from U.S. regions », in NBER working paper, n° 17391, septembre.

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 15:28

La crise de 2008 s’est traduite par un relèvement massif des propensions à épargner des agents privés. La menace d’une dépression majeure a incité de nombreux gouvernement à mettre en œuvre en 2009 des politiques budgétaires expansionnistes pour compenser la chute de la demande globale. Le niveau de la dette publique dans les pays avancés est passé d’environ 75 % du PIB à la veille de la crise à plus de 100 % du PIB en 2011, atteignant ainsi un niveau inégalé depuis la Seconde Guerre mondiale. La relance budgétaire n’est à l’origine que d’une fraction des déficits ; la chute des revenus, l’accroissement du chômage et la hausse résultante des allocations sociales ont contribué pour une part majeure à l’accroissement de la dette. Le creusement des déficits a toutefois eu lieu dans un contexte où les comptes publics étaient déjà fortement déséquilibrés. En outre, indépendamment de la Grande Récession, le vieillissement de la population et la hausse des coûts de santé exercent une pression à la hausse sur l’endettement public. Face aux craintes des marchés financiers suscitées par l’hypothétique insoutenabilité des finances publiques, les gouvernements ont collectivement, mais sans aucune coordination, adopté des plans d’austérités pour ramener leur endettement sur une trajectoire soutenable [Brender et alii, 2012]. Aujourd’hui, l’économie mondiale fait face à un nouveau ralentissement de l'activité sans pour autant que l’endettement souverain ait été stabilisé, mais les Etats sont réticents à changer leur stratégie.

Dans l’optique keynésienne, les consolidations budgétaires réalisées en période de ralentissement économique sont immanquablement vouées à l’échec. Dans la mesure où les multiplicateurs sont en théorie plus larges lors d’une récession, une contraction des dépenses publiques déprime davantage la demande globale : non seulement les déséquilibres macroéconomiques sont alors accentués, mais les comptes publiques se dégradent avec la réduction des rentrées fiscales et la hausse des revenus de transferts engendrées par l’aggravation de la crise économique. Les dépenses publiques doivent au contraire s’accroître pour compenser le déficit de demande privée et elles seront partiellement financées (voire totalement dans certains cas selon DeLong et Summers [2012]) par le surcroît d’activité qu’elles généreront.

Selon les modèles néoclassiques, la consolidation budgétaire peut au contraire générer une hausse de la consommation et de l’investissement privés dans le court terme, un phénomène qualifié d’« austérité expansionniste » [Alesina et alii, 2012]. Une réduction des dépenses publiques abaisse le niveau attendu d’imposition, ce qui génère un effet de richesse positif pour les agents privés, stimule par conséquent la consommation, mais élève aussi également l’offre de travail. Les effets de richesse seront plus importants si les réductions de dépenses publiques sont attendues à être permanentes. L’annonce d’une diminution permanente des dépenses publiques réduit l’incertitude des investisseurs et relève leur propension à investir. La réduction même de l’emploi public s’avère bénéfique à l’activité puisqu’elle entraîne une baisse des salaires réels et la hausse résultante des profits va stimuler l’investissement.

De nombreuses études empiriques ont cherché, d’une part, à évaluer la taille des multiplicateurs budgétaires et, d’autre part, à déterminer l’impact des consolidations budgétaires sur l’activité économique et sur les finances publiques. Plusieurs de leurs auteurs, notamment les économistes du FMI, doutent de la réussite des ajustements budgétaires réalisés lors des récessions et a fortiori de leurs effets expansionnistes sur l’activité. Jaime Guajardo, Daniel Leigh et Andrea Pescatori (2011), dans leur lecture des expériences passées d’ajustement budgétaire, montrent par exemple qu’aucune d’entre elles ne s’est traduite en soi par une stimulation de la dépense privée. Plus récemment, Nicoletta Batini, Giovanni Callegari et Giovanni Melina (2012) ont affiné ces résultats en montrant que la mise en place d’un plan d’austérité dans une économie où l’activité est déjà contractante tend à prolonger la récession sans pour autant ramener l’endettement public sur une trajectoire stable. Les multiplicateurs budgétaires sont effectivement plus larges lors des ralentissements que dans les phases d’expansions économiques, tandis que les multiplicateurs associés aux variations de dépenses sont plus larges que ceux associés aux variations de recettes fiscales. La variation des dépenses publiques exerce en effet de puissants effets sur la consommation des agents économiques les plus contraints financièrement. La probabilité qu’une consolidation budgétaire intensifie le ralentissement conjoncturel lorsque l’économie se trouve déjà en récession est deux fois plus élevée que la probabilité qu’une consolidation budgétaire déclenche un ralentissement de l’activité. Au cours des ralentissements, la politique monétaire n’amortit que faiblement les coûts macroéconomiques des consolidations budgétaires. De plus, l’effet récessif d’une consolidation budgétaire est maximal lors de sa première année. Pour cette raison notamment, un ajustement budgétaire est moins récessif s’il est étalé dans le temps. Les consolidations abruptes tendent à contracter davantage l’activité, par conséquent à réduire les recettes fiscales, et donc retardent la réduction, voire même la simple stabilisation, du ratio dette publique sur PIB. Le sentiment de défiance des marchés vis-à-vis de l’endettement souverain peut alors s’en retrouver renforcé et participer à dégrader davantage les comptes publics.

Reda Cherif et Fuad Hasanov (2012) ont analysé les effets respectifs des consolidations budgétaires, de l’inflation et de la croissance sur la dynamique de la dette publique en se focalisant sur les seuls Etats-Unis. Le ratio de la dette publique sur le PIB chute en réponse aux hausses d’excédents primaires, puis retourne à sa trajectoire initiale, voire à une trajectoire explosive : il y a 25 % de chances pour que le ratio dépasse son niveau initial. L’impact négatif sur la croissance économique neutralise en définitive les efforts d’austérité. Dans l’environnement économique actuel, c’est-à-dire marqué par une faible activité, de faibles taux d’intérêt et d’inflation, de larges déficits publics et de dettes souveraines croissantes, la probabilité que les plans d’austérités échouent est bien plus élevée que sous des conditions normales.

L'observation plus fine des épisodes historiques d'austérité considérés jusqu'à présent comme « expansionnistes » met en doute le rôle de ces consolidations budgétaires dans la stimulation de l'activité. Roberto Perotti (2011) a étudié les ajustements budgétaires réalisés par le Danemark entre 1982 et 1986, par la Finlande entre 1992 et 1998, par l’Irlande entre 1987 et 1990 et enfin la Suède entre 1993 et 1998. Ces quatre épisodes de consolidation budgétaire ont été associés à une expansion de l’activité, mais seul au Danemark le moteur de la croissance fut la demande domestique. Dans les trois autres épisodes, les exportations constituèrent le principal vecteur d’expansion de l’activité. La croissance fut stimulée en Irlande par l’appréciation de la livre sterling, tandis qu’elle fut stimulée en Finlande et Suède par la forte dépréciation de leurs devises respectives. Dans l’ensemble des épisodes, le taux d’intérêt diminua rapidement et la modération joua un rôle dans la création de gains de compétitivité et la baisse des taux d’intérêt. Perotti doute au final de la pertinence de l’hypothèse des « austérités expansionnistes » et la considère comme inapplicable dans les conditions économiques auxquelles sont aujourd’hui soumises l’économie mondiale et plus particulièrement la zone euro.

Historiquement, c’est avant tout la croissance économique qui a généré des excédents primaires et contribué à la réduction de la dette. En temps de crise, stimuler la croissance économique via une détente budgétaire permet d’améliorer à moyen terme les dynamiques de dette publique et contribue à stabiliser l’équilibre budgétaire en engendrant plus de revenus publics. Il n’est opportun de réduire la dette publique par des mesures d'austérité que lorsqu’une reprise robuste de l’activité économique est en cours : procéder à une consolidation budgétaire lors des phases d'expansion conjoncturelle réduit significativement l’impact négatif sur la production. Si l’Etat doit tout de même procéder à une consolidation budgétaire lors d’un ralentissement de l'activité, par exemple pour regagner la confiance des marchés financiers, l’ajustement doit prioritairement se traduire par une hausse des taux d’imposition. Enfin, si les consolidations doivent être opérées durant les ralentissements de l’activité et se concentrer en priorité sur la diminution des dépenses publiques, elles doivent être lisses, graduelles et tout de même accompagnées par des hausses des taux d’imposition. La politique monétaire peut faciliter l’ajustement budgétaire en réduisant plus rapidement et proactivement ses taux directeurs, voire en adoptant des mesures non conventionnelles.

La majorité des pays avancés est aujourd’hui confrontée à une explosion du chômage de masse. La production fonctionne sous son potentiel et ce dernier se détériore avec la persistance de la récession. La destruction des emplois et des entreprises est propre à avoir des effets persistants sur la production potentielle dans le futur. Ces effets d’hystérèse se traduisent par une chute du revenu permanent et donc de la demande globale dans la période courante, ce qui génère et entretient un cercle vicieux, la hausse du chômage et la chute de la demande s’alimentant l’une l’autre. Les taux d’intérêt nominaux sont proches de leur niveau plancher, donc les banques centrales ont largement perdu leur pouvoir de stimulation de l’activité. Les politiques non conventionnelles peuvent être davantage utilisées, mais leur effet sur le crédit privé reste incertain. La crise financière a réduit la propension à prêter des intermédiaires financiers, en raison notamment de l’insuffisance de leur propre capital. Dans cette configuration précise, les multiplicateurs budgétaires sont particulièrement larges. Une politique budgétaire expansionniste est ici susceptible d'accélérer l’activité économique à court terme, voire également à long terme selon la nature des dépenses. Réciproquement, les contractions budgétaires ne peuvent avoir qu’un impact particulièrement négatif sur l’activité en amplifiant la chute de la demande et ce d’autant plus que la politique monétaire peut difficilement le compenser.

La situation de la zone euro se singularise toutefois par les vicieuses interactions entre risque souverain et risque bancaire compliquant l'usage du Budget comme instrument de stabilisation conjoncturelle. La corrélation entre coûts d’emprunt public et privé tend à devenir plus forte durant les crises. Cette corrélation élevée aurait pu être le seul sous-produit des chocs récessifs affectant simultanément mais indépendamment les bilans souverains et privés, mais elle résulte aussi d’une causalité à double sens : le renflouement des banques a contribué aux problèmes de dette souveraine, mais les banques elles-mêmes sont fragilisées en raison de leur détention de titres publics ; une faible activité pèse sur le secteur bancaire, tandis qu’une activité bancaire atone pèse en retour sur la croissance. Selon Giancarlo Corsetti, Keith Kuester, Andre Meier et Gernot J. Mueller (2012) toutefois, la causalité va principalement du public au privé : les intermédiaires financiers subissent des pertes sur leur portefeuille d’obligations publiques et restreignent par conséquent leur offre de prêts. La hausse du risque souverain détériore les conditions de financement du secteur privé, à moins que la hausse des primes de risque soit compensée par un assouplissement de la politique monétaire. Si les taux directeurs sont à leur niveau plancher zéro, le risque souverain est propre à devenir un vecteur essentiel des turbulences macroéconomiques.

Le canal du risque souverain étudié par Corsetti et alii (2012) a deux implications majeures pour la stabilité macroéconomique. D’une part, la transmission de la politique budgétaire s’en trouve affectée. Si le risque souverain est élevé, on peut s’attendre à ce que les multiplicateurs budgétaires soient plus faibles qu’en temps normal. D’autre part, les économies particulièrement endettées deviennent plus vulnérables aux enchaînements autoréalisateurs. En particulier, si les agents économiques s’attendent à une chute de l’activité, ils anticiperont immédiatement une détérioration des comptes publics. Les marchés financiers exigeront une plus haute prime de risque sur la dette publique. Cela tend à élever les coûts d’emprunt, déprime la production et donc valide le pessimisme initial. Le risque souverain exacerbe donc les répercussions des chocs négatifs ; les récessions tendent alors à s’aggraver et à se prolonger. Si les taux d’intérêt nominaux sont à leur niveau plancher, la sortie de la trappe à liquidité s’en trouve retardée.

Corsetti et alii en concluent que lorsque la dette publique est d’un large montant et le marché obligataire volatile, le déploiement d’une politique budgétaire contracyclique ne peut assurer la stabilité macroéconomique. Dans de telles conditions, mettre en œuvre au contraire une politique budgétaire procyclique, en l’occurrence un resserrement budgétaire lors des ralentissements conjoncturels, peut réduire le risque d’instabilité macroéconomique. Puisque la présence d’un risque souverain significatif réduit les multiplicateurs budgétaires, une consolidation budgétaire s’avère moins dommageable pour l’activité économique. Les effets récessifs générés par la contraction des dépenses publiques sont en effet partiellement compensés par son impact positif sur les primes de risque souverain et donc sur les conditions de financement du secteur privé. Dans certains cas particuliers où les déséquilibres budgétaires sont extrêmes et la politique monétaire durablement contrainte, le resserrement budgétaire pourrait même exercer un effet expansionniste sur l’activité. Toutefois, dans la majorité des configurations possibles étudiées par Corsetti et alii, la consolidation budgétaire n’est pas une cure miracle, puisque la contraction des dépenses publiques amplifie les coûts macroéconomiques du ralentissement conjoncturel initial.

Comme le montrent notamment les travaux de Paul De Grauwe ou des néochartalistes, le risque souverain existe effectivement pour les Etats-membres d’une union monétaire empruntant dans la devise de cette union, mais cela n'est pas forcément le cas pour les autres pays. En outre, les développements à court terme sur le marché de la dette souveraine apparaissent comme relativement indépendants des changements de court terme dans l'orientation de la politique budgétaire. Les marchés financiers se focalisent également sur les développements à court terme de la croissance : s’ils pensent qu'un resserrement budgétaire va mener à un déclin de l’activité économique, les primes de risque sur la dette souveraine ne vont pas diminuer, mais au contraire s’élever. Selon Jonathan Portes (2012), poursuivre des cibles de déficit public à court terme, telles que celles imposées par la commission européenne à l’Espagne et à l’Italie, contrarie l’objectif de soutenabilité à long terme, alors qu’une accélération de la croissance suffirait à stabiliser les finances publiques dans les cas espagnol et italien. La situation de la zone euro ou du Royaume-Uni montre bien que l’austérité budgétaire enferme les économies dans un cercle vicieux où l’instabilité macroéconomique, le risque bancaire et le risque souverain se renforcent mutuellement : la faible croissance économique participe à l’insolvabilité potentielle des finances publiques, mais l’austérité budgétaire inspirée par la crise de la dette contraint fortement la croissance. La zone euro étant une économie relativement fermée sur elle-même, la multiplication des plans d’austérité renforce leurs effets dépressifs sur l’activité. Sortir de ce cercle vicieux implique pour la zone euro un assouplissement de la politique monétaire, une recapitalisation des banques et une coordination des politiques budgétaires : les pays les moins vulnérables sur le marché de la dette souveraine doivent reporter leur ajustement budgétaire et assouplir massivement leur politique budgétaire, tandis que les pays en détresse doivent graduer dans le temps leur consolidation budgétaire. Dans l’économie fermée que constitue la zone euro, une relance coordonnée aurait un effet stimulateur maximal sur l’activité économique et, au-delà, éliminerait enfin la puissante contrainte que fait peser la stagnation européenne sur la croissance mondiale.

 

Références Martin ANOTA

ALESINA, Alberto, Carlo FAVERO & Francesco GIAVAZZI (2012), « The output effect of fiscal consolidations », CEPR discussion paper, septembre.

BATINI, Nicoletta, Giovanni CALLEGARI & Giovanni MELINA (2012), « Successful austerity in the United States, Europe and Japan », IMF working paper, n° 190, juillet.

BRENDER, Anton, Emile GAGNA & Florence PISANI (2012), « How euro economies are being choked by an accounting identity », in VoxEU.org, 21 juin.

CHERIF, Reda, & Fuad HASANOV, (2012), « Public debt dynamics: the effects of austerity, inflation, and growth shocks », IMF working paper, n° 250, septembre.

COTTARELLI, Carlo (2012), « The austerity debate: Festina lente! », in VoxEU.org, 20 avril.

CORSETTI, Giancarlo (2012), « Has austerity gone too far? A new Vox debate », in VoxEU.org, 2 avril.

CORSETTI, Giancarlo, Keith KUESTER, Andre MEIER, & Gernot J. MUELLER (2012), « Sovereign risk, fiscal policy, and macroeconomic stability », IMF working paper, n° 33, janvier.

DELONG, Brad, & Laurence SUMMERS (2012), « Fiscal policy in depressed economy », Brookings, 20 mars.

GUAJARDO, Jaime, Daniel LEIGH & Andrea PESCATORI (2011), « Expansionary austerity: new international evidence », IMF working paper, n° 158, juillet.

PEROTTI, Roberto (2011), « The “austerity myth”: gain without pain? », BIS working paper, n° 362, décembre.

PORTES, Jonathan (2012), « Is austerity self-defeating? Of course it is », in VoxEU.org, 10 avril.

Partager cet article
Repost0
12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 15:42

Selon Harald Hau et Ulrich Hege (2012), la zone euro ne pourra résoudre la crise souveraine qu’en optant soit pour le défaut sur la valeur réelle des obligations publiques à travers l’inflation, soit par le défaut souverain à travers la restructuration de la dette. Une accélération de l’inflation réduirait la valeur réelle de la dette et affecterait sans distinction l’ensemble des créanciers, c’est-à-dire sans qu’importe la solvabilité de leur débiteur respectif. Si le taux d’inflation augmentait de manière non anticipée de 4 points de pourcentage, la dette publique à dix ans s’en trouverait allégée de 34 %. Le défaut peut également s’opérer à travers une décote de la valeur faciale de la dette souveraine et un report des intérêts. Le retour de l’endettement sur une trajectoire soutenable peut en l’occurrence passer avec une substitution de la dette de court terme par une dette à long terme et avec un plus grand étalement des versements d’intérêts dans le temps.

Cette option serait d’autant plus appréciable que les coûts économiques d’un défaut souverain tendent à disparaître relativement rapidement. Dans leur analyse des diverses crises souveraines du dernier demi-siècle, Eduardo Borensztein et Ugo Panizza (2010) ont identifié quatre coûts auxquels une économie fait potentiellement face lorsqu’elle procède à un défaut sur sa dette publique. Les pays mis en défaut voient leur accès aux marchés des capitaux internationaux se détériorer. Les défauts sur la dette souveraine sont immédiatement suivis d’une chute dans la notation du crédit et subissent une hausse des primes de risque souverain équivalente en moyenne à 400 points de base. La perte de réputation n’est toutefois pas durable : ses effets disparaissent généralement trois ou cinq ans après le défaut. De plus, ce dernier s’accompagne également d’une chute dans les échanges avec le reste du monde, mais ceux-ci se rétablissent en moins de trois ans. L’économie subit en moyenne une diminution de 2,5 points de pourcentage du taux de croissance lors de l’année du défaut souverain, mais les effets sur la croissance s'avèrent négligeables les années suivantes.

Ainsi, les coûts économiques apparaissent comme transitoires, l’activité étant dans la plupart des épisodes de défaut amplement stimulée par la dépréciation du taux de change. Malgré la perspective d’une reprise relativement rapide, Borensztein et Panizza montrent que les dirigeants politiques tendent à retarder le défaut sur leur dette souveraine. Les gouvernements en place risquent effectivement de perdre par la suite une partie de leur soutien électoral. Si de tels coûts politiques poussent davantage les dirigeants à (tenter de) rembourser la dette, ils les inciteraient également à différer l’échéance du défaut, ce qui accroît finalement ses coûts économiques. Les responsables politiques pourraient également être réticents à proposer le défaut pour s’assurer que les marchés le considèrent non pas comme une manœuvre stratégique, mais comme une mesure inévitable, de manière à réduire les coûts en réputation.

Si les Etats-membres de la zone euro ne peuvent s’appuyer sur une dépréciation de leur devise dans le cas où ils resteraient dotés de la monnaie unique, Hau et Hege estiment que la restructuration de leur dette possèderait plusieurs avantages, à la condition toutefois qu’elle soit opérée au plus tôt. Un défaut souverain qui serait réalisé de manière coordonnée dans la zone euro réduirait les transferts des pays les plus endettés vers leurs créanciers. Il imposerait à ces derniers de prendre leur responsabilité vis-à-vis de leurs décisions de placement, ce qui n’est pas le cas avec une socialisation de la dette. Si la dette est restructurée, une plus large fraction du fardeau financier reposera sur les créanciers extérieurs de la zone euro et les pertes d’un défaut souverain incomberont aux créanciers les plus aisés. En revanche, une mutualisation de la dette publique tend quant à elle à renflouer les créanciers extérieurs à la zone euro et ce seront les contribuables de la zone euro, en particulier les classes moyennes, qui en supporteront essentiellement le fardeau.

Bien évidemment, la perspective d’une restructuration souveraine met en question la résilience des marchés financiers face à cet événement. L’exemple grec a montré qu'une dette souveraine peut être restructurée sans forcément bouleverser les marchés, ni conduire à une contagion aux autres Etats. Une décote de la dette souveraine risquerait toutefois d’affecter les banques sous-capitalisées ; leur recapitalisation doit ainsi être rapidement opérée, notamment via l’action du MES, une fois que les actionnaires et obligataires aient endossé leurs pertes. Les réformes européennes de supervision bancaire importent également beaucoup dans le succès de la restructuration : la concrétisation de l’union bancaire au niveau de la zone euro pourrait réduire les phénomènes de captation des régulateurs et accroître la stabilité financière de la zone euro en imposant les exigences en fonds propres que les régulateurs nationaux ont échoué à imposer. La suspension du versement des dividendes, l’émission d’actions ou la conversion de la dette en fonds propres sont divers autres mécanismes permettant de stabiliser l’activité bancaire. Puisque les niveaux d’expositions interbancaires se situent aujourd’hui à de faibles niveaux, les craintes d’une contagion apparaissent comme exagérées d'après Hau et Hege. Le principal risque pour les banques étrangères est la perte sur leurs détentions en obligations souveraines, mais peu d'entre elles seraient menacées par l’insolvabilité. De plus, le volume de CDS sur les titres souverains de la périphérie sud de la zone euro est presque négligeable. Mis à part lors du mois de septembre 2008 au cours duquel les participants au marché n’avaient pas eu le temps d’ajuster leurs expositions, les marchés financiers ont su se montrer relativement résistants lors des divers épisodes de défaut qui ont émaillé ces cinq dernières années.

Un défaut ordonné ne peut être utile qu’avant que le MES et la BCE absorbent l’essentiel du risque de défaut. Les directoires de la BCE présidés par Trichet, puis Draghi, se sont montrés jusqu'à présent réticents à un défaut souverain de la Grèce. Sans pourtant résoudre la crise souveraine, les instances nationales et supranationales au niveau de la zone euro ont donc écarté la possibilité d’un défaut de paiement, mais cet atermoiement ne fait qu’en accroître les coûts potentiels et en réduire donc progressivement l’intérêt. Parallèlement, la zone euro a adopté des stratégies de transferts qui ne peuvent qu’accentuer la crise selon Hau et Hege. D’une part, les renflouements publics opérés à travers le FESF ou son successeur MES font du problème de surendettement de quelques pays un problème de surendettement pour les autres Etats-membres également. D’autre part, les achats d’obligations publiques par la BCE ne peuvent avoir d’effets durablement positifs sur les coûts de financement auxquels sont confrontés les Etats en détresse. Tant que ces derniers continuent d’émettre de la nouvelle dette, ils continueront de payer une importante prime de risque de défaut. La séniorité de la BCE participe notamment à accroître le spread, puisque les autres acheteurs de la dette anticipent que la BCE sera la première à être remboursée en cas de défaut.

 

Références Martin ANOTA

BORENSZTEIN, Eduardo, & Ugo PANIZZA (2010), « The costs of sovereign default: Theory and reality », in VoxEU.org, 6 mai.

HAU, Harald, & Ulrich HEGE (2012), « Why early sovereign default could save the euro », in VoxEU.org, 8 septembre.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher