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24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 23:59

Lors de la Grande Récession, l’économie mondiale a subi une pénurie d’actifs sûrs (safe asset shortage). Avec la remontée brutale de l’aversion au risque, le taux d’intérêt naturel (c’est-à-dire le taux d’intérêt qui équilibre l’offre et la demande globales dans la littérature nouvelle keynésienne) a fortement chuté. Or, comme la monnaie est un actif sans risque, les taux d’intérêt nominaux ne peuvent descendre en dessous de zéro. Par conséquent, si la chute du taux d’intérêt naturel sur les actifs sûrs est suffisamment forte pour que celui-ci devienne négatif, le taux d’intérêt nominal ne pourra suffisamment baisser pour équilibrer à nouveau l’offre et la demande globales. Dans une telle situation, les capacités de production ne sont pas pleinement utilisées, la production s’éloigne de son potentiel et le chômage augmente. En d’autres termes, comme l’équilibre ne peut pas être atteint avec une baisse des taux d’intérêt nominaux, il tend à se restaurer via une contraction de la production. Or, rien ne certifie que la chute de la production n’entraîne pas avec elle une nouvelle chute de la demande globale (ne serait-ce que par les effets dépressifs que la montée du chômage entretient sur la consommation des ménages), auquel cas l’écart de production (output gap) ne se résorbe pas et l’économie continue à s’éloigner du plein emploi. Dans ce cadre, une crise de la dette souveraine aggrave la situation car elle réduit davantage la quantité d’actifs jugés sans risque dans l’économie.

Selon Ricardo Caballero et Emmanuel Farhi (2014), une telle pénurie, qu'ils qualifient de « trappe à sûreté » [1] (safety trap) est susceptible de générer des phénomènes macroéconomiques qui s'apparentent à ceux que l’on observe dans une trappe à liquidité, notamment une forte contraction de l’activité et des taux d’intérêt si faibles sur les obligations et la monnaie qu’ils deviennent de parfaits substituts. Or, ces deux situations conservent suffisamment de différences pour ne pas appeler les mêmes politiques économiques. En d’autres termes, même si les deux maladies ont les mêmes symptômes, elles ne peuvent être traitées avec les mêmes remèdes. [2]

Alors que les bulles spéculatives et l’endettement public sont susceptibles de relancer l’économie lorsque celle-ci est confrontée à une trappe à liquidité, seul l’endettement public se révèle efficace dans une trappe à sûreté. Un plan de relance financé par émission de titres publics a en effet deux avantages. D’une part, le gouvernement génère un surcroît de demande globale et ramène par là l’économie vers le plein emploi. D’autre part, en émettant des actifs sans risques, il offre précisément aux agents privés les actifs qu’ils désirent.

Les banques centrales n’ont pas intérêt à adopter les mêmes politiques monétaires selon que l’économie soit confrontée à l’une ou l’autre de ces situations. Lorsque leurs taux directeurs butent sur la borne inférieure zéro (zero lower bound) avant qu’elles aient pu suffisamment assouplir leur politique monétaire pour ramener l’économie au plein emploi, les banques centrales doivent se tourner vers des politiques « non conventionnelles » si elles désirent davantage stimuler l’activité économique. L’assouplissement quantitatif consiste à substituer des actifs risqués par des actifs sans risque (de la dette publique) pour réduire les taux d’intérêt de long terme ; le forward guidance consiste pour les banques centrales à indiquer clairement aux agents privés quelle sera la trajectoire future de leurs taux directeurs de manière à mieux ancrer leurs anticipations et ainsi à renforcer l’efficacité de la politique monétaire.

Plusieurs auteurs suggèrent que la pratique du forward guidance est plus efficace que l’assouplissement quantitatif dans une trappe à liquidité. En l’occurrence, pour que le forward guidance s’avère pleinement efficace dans une trappe à liquidité, les banques centrales doivent clairement indiquer aux agents privés qu’elles maintiendront une politique accommodante plus longtemps que ne l’exigeraient les conditions macroéconomiques, c’est-à-dire s’engager finalement à laisser un boom se former au sortir de la trappe à liquidité ; si les ménages et les entreprises anticipent une telle expansion, ils sont incités à investir dès aujourd’hui, ce qui tend précisément à stimuler l’activité économique [Krugman, 1998 ; Eggertsson et Woodford, 2003 ; Werning, 2011].

Selon Caballero et Farhi, c’est précisément l’inverse dans une trappe à sûreté : l’assouplissement quantitatif devient plus efficace que le forward guidance. En effet, en période de boom (en particulier si des bulles se forment), l’économie génère des actifs risqués, alors que les agents privés désirent acquérir des actifs sans risque. En revanche, en substituant les actifs risqués par des actifs sûrs via les opérations d’assouplissement quantitatif, les banques centrales offrent aux agents privés ce qu’ils recherchent. 

 

[1] Le terme n'est pas très joli, mais je ne vois pas comment le traduire autrement...

[2] Caballero et Farhi n’excluent pas la possibilité que l’économie puisse à la fois connaître une trappe à liquidité et une « trappe à sûreté ». Ils considèrent la seconde comme une forme plus aigue de la première. En l’occurrence, selon les deux auteurs, les récessions les plus sévères risquent de débuter en prenant la forme d’une trappe à sûreté avant de se muer en trappe à liquidité au fur et à mesure que la reprise se dessine.

 

Références

CABALLERO, Ricardo J., & Emmanuel FARHI (2014), « The safety trap », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19927, février.

EGGERTSSON, Gauti B., & Michael WOODFORD (2003), « The zero bound on interest rates and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 34, n° 1.

KRUGMAN, Paul (1998), « It’s baaack! Japan’s slump and the return of the liquidity trap », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 29, n° 2. 

WERNING, Iván (2011), « Managing a liquidity trap: Monetary and fiscal policy », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 17344, août.

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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 17:13

Dans une récente contribution pour la Banque des Règlements Internationaux (BRI), Philippe Aghion et Enisse Kharroubi  (2013) ont cherché à justifier l'adoption de politiques conjoncturelles contracycliques, mais dans une optique « néo-schumpétérienne ». Ils rappellent tout d’abord que plusieurs études ont exploré le lien entre la volatilité macroéconomique et les performances de croissance à long terme d’une économie. Certaines d’entre elles suggèrent que la croissance moyenne à long terme est inversement corrélée avec la volatilité de la croissance. En l’occurrence, pour les deux auteurs, des récessions forcent les entreprises contraintes dans l’accès au crédit à abandonner leurs projets d’investissement car elles ne peuvent alors lever suffisamment de capitaux pour les financer. Ainsi, en cherchant à éviter de faire faillite, les entreprises réduisent leurs dépenses, mais elles amplifient de fait la contraction de la demande globale et aggravent la récession. Ce n’est toutefois pas le mécanisme sur lequel Aghion et Kharroubi se focalisent. Si l’abandon des projets d’investissement se révèle selon eux particulièrement nuisible à la croissance, c’est surtout parce que le processus d’innovation s’en trouve pénalisé : lorsque les entreprises interrompent leurs dépenses en recherche-développement ou en formation, les efforts qu’elles ont précédemment fournis risquent d’être définitivement perdus ; et comme elles n’investissement pas lors de la récession, l’économie génèrera peu d’innovations une fois la reprise amorcée.

Puisqu’elles réduisent la volatilité de la croissance, Aghion et Kharroubi suggèrent que les politiques conjoncturelles peuvent améliorer la croissance tendancielle dans les pays ou secteurs où les entreprises sont les plus contraintes en termes de crédit. Leur analyse n’est toutefois pas d’obédience keynésienne, puisqu’ils se concentrent sur l’offre : les politiques contracyliques ne visent pas à moduler la demande globale, mais finalement à réduire les discontinuités dans le processus d’innovation. En l’occurrence, ils préconisent que le gouvernement adopte une politique budgétaire contracyclique : il doit s’endetter lors des récessions pour subventionner les investissements en recherche-développement, puis profiter des périodes d’expansion pour se désendetter. Les deux auteurs acceptent l’idée que la relance budgétaire puisse être bénéfique pour la croissance via ses effets sur la demande, mais avant tout parce qu’elle élargit le marché potentiel pour les innovations, auquel cas les entreprises sont davantage incitées à se lancer dans l’activité de recherche-développement.

De son côté, une politique monétaire contracyclique, consistant à réduire le coût de financement de court terme lorsque l’activité ralentit, va aider les entreprises à traverser les récessions sans avoir à sacrifier leurs investissements en recherche-développement ou en formation. Inversement, les banques centrales doivent resserrer leur politique monétaire lors des périodes d’expansion pour éviter les tensions inflationnistes et les expansions excessives du crédit. Toutefois, les variations du taux directeur peuvent ne pas directement influencer les décisions de prêt et d’emprunt des agents économiques. En effet, le coût d’emprunt auquel les agents économiques font face dépend également des réactions des institutions financières aux changements de politique monétaire. 

Aghion et Kharroubi observent alors comment les politiques conjoncturelles interagissent avec la réglementation financière dans les pays de l’OCDE pour façonner les dynamiques de croissance économique. Ils tirent de leur analyse quatre constats. Premièrement, plus les secteurs sont contraints en termes de crédit ou de liquidité, plus les politiques conjoncturelles contracycliques seront à même de stimuler la croissance de leur production. Deuxièmement, plus les ratios en fonds propres exigés dans le cadre de la réglementation financière sont élevés, moins la croissance est importante dans les secteurs les plus contraints en termes de crédit ou de liquidité. Troisièmement, plus le crédit est procyclique, plus la croissance s’en trouve pénalisée dans les secteurs les plus contraints en termes de crédit ou de liquidité. Quatrièmement, plus le ratio de capital bancaire est élevé, moins la politique monétaire est efficace. Les deux auteurs suggèrent un arbitrage entre, d’une part, l’atténuation des risques d’instabilité financière avec le resserrement des ratios de fonds propres pour les banques et, d’autre part, la capacité de la politique monétaire à stimuler la croissance dans les secteurs les plus contraints en termes de liquidité. Ils en concluent que le resserrement des exigences en fonds propres peut aider à préserver la stabilité financière et la croissance économique s’il s’accompagne de politiques conjoncturelle et réglementaire plus contracycliques. Avec des normes de capitalisation contracycliques, les contraintes en fonds propres se desserrèrent lors des récessions, si bien que les banques sont davantage incitées à prêter lorsque l’activité ralentit et l’activité s’en trouve alors en partie stabilisée. 

 

Références

AGHION, Philippe, George-Marios ANGELETOS, Abhijit BANERJEE & Kalina MANOVA (2010), « Volatility and growth: credit constraints and the composition of investment », in Journal of Monetary Economics, vol. 57.

AGHION, Philippe, Emmanuel FARHI & Enisse KHARROUBI (2012), « Monetary policy, liquidity and growth », NBER working paper, n° 18072.

AGHION, Philippe, & Enisse KHARROUBI (2013), « Cyclical macroeconomic policy, financial regulation and economic growth », BIS working paper, n° 434, décembre.

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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 18:29

L’introduction de la monnaie unique a permis l’accumulation de profonds déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro. Certains pays-membres ont généré des excédents de compte courant, tandis que d'autres creusaient de larges déficits courants. Ces déséquilibres trouvent une explication dans la perte de compétitivité des pays « périphériques » : leur taux de change réel s’est apprécié de 6 à 15 % par rapport à l’Allemagne entre 2000 et 2008 [Eggertsson et alii, 2013]. Ces pertes de compétitivité s’expliquent elles-mêmes en partie par les fortes hausses de prix observées sur les marchés de biens non échangeables, notamment dans le secteur immobilier [1]. Lorsque les déséquilibres se sont violemment dénoués en 2008, la périphérie a basculé dans une sévère récession et la dette publique s’est mécaniquement envolée.

Lors d’une crise économique, chaque pays-membre de la zone euro ne peut faire varier son taux de change pour stimuler l’activité. Par conséquent, les pays périphériques ont cherché à simuler une dévaluation du taux de change. Pour cela, elles ont mis en place des réformes structurelles visant à accroître la concurrence sur les marchés du travail et des produits. Celles-ci consistent à réduire, d’une part, le pouvoir de monopole des entreprises et, d’autre part, le pouvoir de négociation des travailleurs. De cette manière, les réformes permettent des baisses de prix favorables au pouvoir d’achat, empêchent des hausses excessives de salaires, stimulent l’entrepreneuriat, la création d'emplois, etc. En adoptant des réformes structurelles, les pays périphériques de la zone euro espèrent regagner en compétitivité et améliorer leur solde courant. En outre, comme les réformes sont supposées amener les agents à anticiper une plus forte croissance à l’avenir, donc les inciter à dépenser dès aujourd’hui, elles devraient stimuler la demande domestique.

Les réformes structurelles doivent-elles pour autant être mises en place lorsque les économies sont en récession ? Lorsque la demande globale est insuffisante, soit les gouvernements accroissent leurs dépenses publiques pour rétablir directement le niveau de la demande globale, soit la banque centrale assouplit sa politique monétaire pour stimuler les dépenses privées. Si, dans un tel contexte, les gouvernements sont contraints d’adopter des plans d’austérité (par exemple, en vu de stabiliser l’endettement public et de rassurer les marchés quant à la soutenabilité de la dette publique), alors la chute de la demande s’accélère. Or, si le choc est particulièrement violent, une banque centrale peut ne pas être à même de suffisamment baisser son taux directeur pour ramener l’économie au plein emploi et prévenir l’apparition de la déflation. Une fois cette dernière à l’œuvre, la récession s’en trouve aggravée. En anticipant une poursuite de la baisse des prix et des salaires, les agents privés sont incités à reporter leurs dépenses dans le temps, ce qui amène les entreprises à baisser de nouveau les prix et salaires. La déflation se traduit également par une hausse des taux d’intérêt réels, ce qui alourdit le fardeau de la dette. Les ménages et les entreprises ne sont alors pas incités à emprunter, mais au contraire à se désendetter, ce qui déprime à nouveau l’achat de biens durables.

Pour certains auteurs comme Jesús Fernández-Villaverde et Juan F Rubio-Ramirez (2011), la mise en place de réformes structurelles, même dans une récession, incite les agents privés à accroître leurs dépenses aujourd’hui, puisqu’elles les amènent à anticiper une accélération de la croissance à long terme. Ils en concluent que les réformes structurelles peuvent avoir des effets expansionnistes et ainsi être utilisée pour sortir l’économie d’une trappe à liquidité. Gauti Eggertsson, Andrea Ferrero et Andrea Raffo (2013) sont loin de partager cet optimisme. Selon eux, si des réformes structurelles sont mises en place en période de déflation, alors même que les taux directeurs butent déjà sur leur borne zéro, alors la plus grande flexibilité des prix et salaires accélère la chute de ces derniers. En l’occurrence, les ménages sont également incités à réduire leurs dépenses s’ils anticipent une dégradation de la protection de l’emploi en période de chômage de masse.

Selon Eggertsson et ses coauteurs, les réformes structurelles ne peuvent être mises en place lors d’une récession que si les gouvernements et banques centrales sont à même d’en compenser les répercussions sur la demande agrégée. Dans le cas contraire, elles alimentent la contraction de l’activité. Loin de nourrir la confiance et d’inciter à investir, les réformes risquent d’entretenir le pessimisme et les comportements d’épargne. Par conséquent, elles dégradent également la croissance potentielle en entretenant le chômage de longue durée et en désincitant les entreprises à investir. 

 

[1] Le tango se danse toutefois à deux. Les déséquilibres de compte courant n’auraient pas été possibles sans le comportement non coopératif dont fait preuve l’Allemagne depuis plus d'une décennie. 

 

Références

EGGERTSSON, Gauti, Andrea FERRERO, Andrea RAFFO (2013), « Can structural reforms help Europe? », Réserve fédérale, international finance discussion paper, novembre.

FERNÁNDEZ-VILLAVERDE, Jesús, & Juan F RUBIO-RAMIREZ (2011), « Supply-side policies and the zero lower bound », in VoxEU.org, 11 novembre. 

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