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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 22:55

La banque centrale du Japon a entrepris un véritable changement de régime ces dernières semaines afin d’extraire l’économie insulaire de la stagnation. Celui-ci constitue aux yeux de Christina Romer (2013) l’une des expériences les plus excitantes en politique monétaire. L’économiste établit des parallèles entre la situation actuelle et la Grande Dépression en comparant les récentes mesures de la Banque du Japon avec celles prises par la Réserve fédérale dans les années trente.

L’éclatement d’une bulle immobilière, puis d’une bulle boursière ont fait basculer le Japon dans la stagnation au début des années quatre-vingt-dix. Les prix ont chuté sur la quasi-totalité des quinze dernières années, entravant la reprise de l’activité. L’assouplissement, certes puissant, mais tardif, de la politique monétaire et l’expansion budgétaire ne sont pas parvenues à relancer l’économie nippone. La persistance de la déflation et la croissance anémique suggèrent que le Japon continue encore aujourd'hui de souffrir d’une insuffisance de la demande. Or, non seulement la banque centrale a déjà ramené son taux directeur à sa borne inférieure zéro (zero lower bound), mais les taux de long terme sont également très faibles, ce qui suggère que les mesures non conventionnelles telles que les achats d’actifs ne peuvent davantage réduire les taux nominaux. Dans une telle situation, une banque centrale peut toujours chercher à influencer les anticipations. D’une part, si les mesures non conventionnelles conduisent les agents à relever leurs anticipations d’inflation, alors les taux d’intérêt réels seront davantage poussés vers le bas et ce même si les taux nominaux ne peuvent davantage diminuer. Les dépenses sensibles au taux d’intérêt, en particulier l’investissement, s’en trouveraient stimulées, ce qui alimenterait alors la demande agrégée. D’autre part, si les actions agressives que prennent les autorités monétaires conduisent les agents à relever leurs anticipations de croissance réelle, cela peut les inciter à accroître leurs dépenses de consommation et d’investissement dans la période suivante. Les ménages consomment davantage s’ils anticipent une hausse de leurs revenus et un retour de l’économie au plein emploi ; les entreprises investissent si elles s’attendent à une forte demande.

Depuis un siècle, les pays avancés n’ont vu leurs taux de court terme atteindre la borne inférieure zéro qu’en trois occurrences : lors de la Grande Dépression pour les Etats-Unis, lors des années quatre-vingt-dix et deux mille pour le Japon et depuis 2008 pour plusieurs pays avancés. Seuls les Etats-Unis des années trente ont su jusqu’à présent faire face efficacement à cette situation : en opérant un véritable « changement de régime » dans la politique économique, Franklin Roosevelt a pu sortir l’économie américaine de la Grande Dépression. Ni le Japon, ni les Etats-Unis, ni l’Europe n’ont récemment réussi à utiliser la politique monétaire pour relancer une reprise robuste de l’activité à la borne inférieure zéro. Le changement de régime auquel nous assistons actuellement au Japon est toutefois bien susceptible de mettre enfin un terme à la déflation.

Lorsque Roosevelt arrive au pouvoir le 4 mars 1933, les Etats-Unis sont plongés dans la dépression depuis trois ans. En l’occurrence, selon Peter Temin et Barry Wigmore (1990), la sortie de l’étalon-or constitue l’action la plus décisive de Roosevelt. Les Etats-Unis adoptaient en effet une forme d’étalon-or depuis le début du dix-neuvième siècle, mais le système monétaire international contraint excessivement la politique conjoncturelle au cours des années trente. Les Etats-Unis suspendent la convertibilité du dollar en avril 1933. La sortie de l’étalon-or signale clairement l’intention de Roosevelt de se focaliser sur l’économie domestique et lui donne une véritable crédibilité dans sa volonté à relancer l’activité. Suite à la suspension de la convertibilité, les Etats-Unis laissent leur taux de change flotter et le dollar se déprécie fortement. Les prix des biens exportables s’élèvent fortement, en particulier les prix agricoles. En janvier 1934, les Etats-Unis reviennent à l’étalon-or. Le prix de l’or en termes de dollars avait alors quasiment doublé depuis l’entrée en fonction de Roosevelt. La réévaluation de l’or, puis la montée des tensions politiques en Europe, provoquent un large afflux d’or que le Trésor choisit de ne pas stériliser, mais de monétiser. Alors que l’offre de monnaie s’était effondrée au début des années trente [Friedman et Schwartz, 1963], elle se relève avec les entrées d’or et cette expansion monétaire particulièrement agressive soutient la dépréciation du dollar. Parallèlement, Roosevelt assouplit la politique budgétaire. Mais surtout, il adopte une politique de communication particulièrement cohérente et efficace, avec laquelle il convainc le public de la nécessité de ramener les prix et revenus à leurs niveaux d’avant la dépression.

Ce changement de régime a eu un profond impact sur l’économie, ne serait-ce qu’à en juger par la vitesse de redressement de l’activité. La production industrielle grimpe de 57 % dans les quatre premiers mois de l’administration de Roosevelt. Le taux de croissance annuel moyen du PIB réel s’élève à presque 10 % entre 1933 et 1937. Les indicateurs d’anticipations se retournent à peu près simultanément avec les actions entreprises par Roosevelt. Alors qu’ils avaient continument chuté au des quatre années précédentes, les cours boursiers se redressent de 70 % entre mars et juin 1933, suggérant une révision à la hausse des anticipations de croissance. James Hamilton (1992) note également un retournement des anticipations d’inflation : alors que les Américains anticipaient en moyenne un taux de déflation de 7 % au début de 1933, le taux anticipé d’inflation atteint 6 % à la fin de l’année. Ce retournement des anticipations d’inflation est d’autant plus surprenant que la production demeurait encore à la moitié de sa tendance d’avant-crise et que le quart de la population active était au chômage. Les actions de Roosevelt ont eu un puissant impact sur la psyché du public. La contraction de la masse monétaire avait joué un rôle centrale dans l’apparition des anticipations déflationnistes au début des années trente ; l’expansion monétaire génère au contraire des anticipations inflationnistes après 1933 [Romer et Romer, 2013]. En poussant les anticipations d’inflation à la hausse, le changement de régime opéré par Roosevelt est susceptible d’avoir diminué les taux d’intérêt réels. En l’occurrence, la production de biens durables se retourne beaucoup plus rapidement que la production de biens non durables, ce qui suggère que les dépenses sensibles au taux d’intérêt se sont effectivement accrues. Enfin, les anticipations de prix ont pu avoir un impact particulièrement direct sur les dépenses des fermiers. Si ces derniers ont anticipé de plus fortes hausses de prix agricoles avec la dévaluation et l’expansion monétaire, ils ont alors également anticipé de fortes hausses de revenus, ce qui expliquerait qu’ils aient été particulièrement incités à dépenser.

Un changement de régime dans la politique monétaire a donc joué un rôle déterminant pour sortir l'économie américaine de la Grande Dépression. Cet épisode historique permet alors d’expliquer pourquoi les actions entreprises par la Fed depuis 2009 se sont révélées peu efficaces pour stimuler la reprise. Selon Romer, la politique monétaire n’a pas été un outil efficace de reprise ces dernières années, non pas parce qu’elle ne marche pas, mais parce qu’elle ne fut pas tentée à une échelle et sous une forme adéquates pour avoir un large impact. Certes, la Fed a pris de fortes mesures pour contenir l’effondrement du système financier et la contraction de l’activité économique. Les achats d’actifs ont notamment fait baisser les taux hypothécaires, amélioré les anticipations et stabilisé les marchés financiers. Du début de l’année 2010 jusqu’à septembre dernier toutefois, la Fed est restée assez prudente. Or, en ne parvenant pas à élever les anticipations de croissance réelle ou d’inflation, les actions de la Fed ont été condamnées à n’avoir qu’un impact limité. En septembre dernier, la Fed change de comportement. Elle lance alors une nouvelle phase d’achats d’actifs et ne donne volontaire ni de date de fin, ni de taille limite aux acquisitions de titres. Bernanke a notamment indiqué que la politique monétaire restera accommodante même après que les conditions macroéconomiques se soient améliorées. Malgré cela, la Fed refuse de changer de régime. Par conséquent, la politique monétaire ne peut être capable de jouer un rôle décisif dans la reprise de l’activité aux Etats-Unis. Les actuelles dissensions au sein du conseil des Gouverneurs et la simple éventualité que ces derniers soulevèrent quant à un arrêt prochain des achats d’actifs ne vont définitivement pas renforcer l’efficacité de la politique monétaire américaine.

En revanche, la réorientation de la politique monétaire au Japon constitue une véritable rupture avec le passé. Jusqu’à présent, les autorités monétaires étaient pessimistes quant à leur capacité à sortir l’économie nippone de la déflation. Le gouvernement élu en décembre considère que le problème japonais n’est pas totalement structurel, si bien qu’il lui apparaît nécessaire de stimuler la demande. Le gouvernement de Shinzo Abe a pris plusieurs mesures de politique économique, notamment une relance budgétaire et des réformes structurelles. Surtout, le nouveau gouverneur de la Banque centrale du Japon, Haruhiko Kuroda a annoncé le 4 avril une accélération des mesures d’assouplissement monétaire pour sortir le Japon de la déflation et de la stagnation en ciblant désormais un taux d’inflation de 2 %. Le banquier central a annoncé de doubler la base monétaire d’ici à fin 2014, et ce en étendant l’achat de dette publique à toutes les maturités. Les achats d’actifs s’opèreront à une plus large échelle que ce qu’a pu faire la Fed jusqu’à lors. La banque du Japon prévoit en effet d’acheter 77 milliards de dollars d’actifs chaque mois, ce qui est certes un montant proche dans l’absolu au volume d’actifs qu’achète actuellement la banque centrale américaine, mais la taille de l’économie japonaise ne représente que le tiers des Etats-Unis. Surtout, les décisions de politique monétaire ont été prises à l’unanimité, ce qui donne une véritable crédibilité à l’engagement des banquiers centraux du Japon. 

La politique économique de Shinzo Abe se révèle pour l’heure particulièrement efficace. En rythme annualisé, le PIB japonais avait progressé de 1 % au dernier trimestre 2012 ; sa croissance s’accélère au cours du trimestre pour atteindre 3,5 %. L’indice Nikkei a bondi de près de 40 % entre mi-novembre et fin mars, ce qui suggère effectivement un relèvement des anticipations de croissance. Le moral des ménages et des entreprises s’est amélioré, ce qui dénoute un retour de la confiance. Les agents révisent leurs anticipations d’inflation à la hausse : 53 % des ménages s’attendaient en décembre 2012à une hausse des prix, alors que 74 % d’entre eux anticipent en mars 2013 une accélération de l’inflation. La consommation des ménages s'accroît. En l’occurrence, les ménages aisés profitent d’un effet de richesse avec la hausse des cours boursiers. Le yen s’est fortement déprécié, stimulant les exportations. Au final, pour reprendre Romer, si les autorités publiques japonaises maintiennent le nouveau régime, il y a de bonnes chances pour que le Japon connaisse une amélioration durable de ses performances macroéconomiques. 


Références

FRIEDMAN, Milton, & Anna J. SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press.

HAMILTON, James D. (1992), « Was the deflation during the Great Depression anticipated? Evidence from the commodity futures market », in American Economic Review, vol. 82.

ROMER, Christina (2013), « It takes a regime shift: Recent developments in Japanese monetary through the lens of the Grande Depression ». 

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (2013), « The missing transmission mechanism in the monetary explanation of the Great Depression », in NBER, working paper.

TEMIN, Peter, & Barrie A. WIGMORE (1990), « The end of one big deflation », Explorations in Economic History, vol. 27.

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20 avril 2013 6 20 /04 /avril /2013 18:22

Quatre récessions mondiales sont survenues au cours du dernier demi-siècle, en l’occurrence en 1975, en 1982, en 1991 et en 2009. Divers indicateurs macroéconomiques tels que le PIB par habitant, la production industrielle ou encore le chômage ont décliné lors de ces divers épisodes. Les reprises qui les ont suivies ont été généralement marquées par un rebond simultané de la consommation, de l’investissement et du commerce au niveau mondial.

Si l’actuelle reprise mondiale s’opère au même rythme que les précédentes, les performances respectives des pays avancés et des pays en développement ont par contre été très différentes. Depuis 2008, les économies avancées ont une plus faible croissance que les pays en développement et cette divergence dans les performances macroéconomiques s’est même accentuée ces dernières années. Les perspectives de croissance diffèrent également parmi les économies développées : si les Etats-Unis peuvent espérer connaître une modeste croissance ces prochaines années, plusieurs pays de la zone euro et la Grande-Bretagne sont de leur côté susceptibles de connaître une stagnation prolongée, voire même une contraction, de leur activité économique.

GRAPHIQUE 1  PIB réel par habitant (indices base 100 l'année précédant la récession)

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source : FMI (2013)

La puissance et la nature du choc ne suffisent pas à expliquer la lenteur la reprise dans les pays avancés. Ayhan Kose, Prakash Loungani et Marco Terrones (2013) mettent l’accent sur l’inadéquation des politiques économiques, en particulier l’absence de relance budgétaire, pour expliquer cette faible croissance. Dans les économies développées, la politique budgétaire était particulièrement assouplie au cours des précédentes reprises de l’activité. Elle se révèle par contre excessivement restrictive aujourd’hui, si bien qu’elle contraint fortement la croissance économique. Si, par exemple, les Etats-Unis ont su mettre en place un plan de relance exceptionnellement puissant au cours de la Grande Récession, ils ont hâtivement resserré leur politique budgétaire une fois la reprise amorcée [Fatás et Mihov, 2013]

GRAPHIQUE 2  Dépenses publiques (indices base 100 l'année précédant la récession)

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source : FMI (2013)

Le niveau historiquement élevé des ratios dette publique sur PIB ont pu désinciter les gouvernements à offrir toute l’impulsion nécessaire pour soutenir la reprise de l’activité. Lorsque la crise mondiale a éclaté, les pays avancés présentaient des finances publiques dégradées. Indépendamment des plans de relance, les puissantes mesures de soutien du secteur financier et surtout la chute des recettes associée à la contraction de l’activité ont puissamment contribué à la hausse de l’endettement public lors de la Grande Récession. Aujourd’hui, les gouvernements resserrent leur politique budgétaire afin de stabiliser l’endettement public, or ces tentatives de consolidation budgétaire, en alimentant la déprime de l’activité, se traduisent par une persistance des déficits et une nouvelle envolée des ratios d’endettement. En effet, en présence d’une faible demande globale et d’agents contraints en termes de liquidité, les multiplicateurs budgétaires sont particulièrement élevés. Autrement dit, si une impulsion budgétaire est alors susceptible de fortement stimuler l’activité, une contraction des dépenses publiques s’avère particulièrement dommageable à cette dernière. De leur côté, les économies en développement ne font pas face aux mêmes contraintes : ils ont su se doter d’une marge de manœuvre budgétaire suffisamment importante avant l’éclatement de la crise mondiale pour ensuite fortement accroître leurs dépenses publiques et consolider ainsi leur reprise.

Si la politique budgétaire a pu se révéler excessivement restrictive lors de la reprise dans plusieurs économies avancées, la politique monétaire s’est par contre avérée bien plus accommodante que par le passé, que ce soit dans les pays en développement ou dans les pays développés. Dans ces derniers, les banques centrales ont ramené leurs taux directeurs à des niveaux historiquement bas. La faiblesse persistante de l’activité et la présence de la borne inférieure zéro (zero lower bound) ont poussé les autorités monétaires à adopter des mesures non conventionnelles et à notamment acheter des actifs à grande échelle. L’ancrage de l’inflation et des anticipations d’inflation à de faibles niveaux offre aux banques centrales une marge de manœuvre pour poursuivre, voire approfondir, leur programme de stimulus monétaire.

Toutefois les mécanismes de transmission de la politique monétaire restent enrayés et cette défaillance est particulièrement aigue en zone euro, où la périphérie fait face à des conditions de crédit bien plus restrictives que le cœur de l’union monétaire. L’incapacité de la politique monétaire à stimuler les dépenses d’un secteur privé en proie au désendettement plaide pour une réorientation de la politique budgétaire et l’adoption de plans de relance dans l’ensemble des pays avancés. Tant que la politique budgétaire reste restrictive, la politique monétaire ne peut qu’en accroître les coûts macroéconomiques. 

 

Références

FATÁS, Antonio, & Ilian MIHOV (2013), « Recoveries », document présenté lors de la 57ième conférence « Fulfilling the full employment mandate », Réserve fédérale de Boston, 13 avril.

KOSE, M. Ayhan, Prakash LOUNGANI & Marco E. TERRONES (2013), « The great diversion of policies », in FMI, World Economic Outlook: Hopes, Realities, Risks, avril. Traduction française, « La grande divergence entre les politiques économiques », in FMI, Perspectives de l’économie mondiale : Espoirs, réalités, risques.

KRUGMAN, Paul (2013), « The non-secret of our non-success », in The Conscience of a Liberal (blog), 20 avril. 

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17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 23:01

Les dévaluations du taux de change nominal ont longtemps été proposées comme une réponse possible face aux chocs macroéconomiques réduisant la compétitivité d’un pays en présence de prix et salaires rigides. Les pays appartenant à une union monétaire ne peuvent toutefois procéder à une dévaluation nominale. Plusieurs auteurs ont alors proposé de produire les effets d’une dévaluation du taux de change réel à travers la fiscalité. Cette hypothèse des « dévaluations fiscales » a été récemment explorée par les théoriciens de la nouvelle économie keynésienne, ce courant de pensée qui puise autant, si ce n’est plus, dans les travaux de Milton Friedman que dans les l'oeuvre cambridgienne. C’est pourtant dans les écrits de Keynes que certains nouveaux keynésiens trouvent l’idée qu’une hausse des tarifs douaniers, combinée à une subvention des exportations, aurait le même impact sur l’économie domestique qu’une dévaluation nominale du taux de change. Si la recette keynésienne était à l’origine destinée aux économies soumises alors à l’étalon-or, elle pourrait permettre aux pays en difficulté de la zone euro de devenir plus compétitifs et de relancer leur activité économique sans avoir à quitter l’union monétaire.

Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Emmanuel Farhi (2012) ont collectivement appelé à la mise en œuvre d’une dévaluation fiscale en France pour réduire le déficit de compétitivité que les entreprises domestiques accusent vis-à-vis de leurs consœurs allemandes et ainsi pour enrayer ce qu’ils estiment être un véritable « effondrement » des parts de marché des firmes françaises à l’étranger. Les répercussions d’un transfert du financement de la protection sociale vers une plus large imposition du revenu et/ou une hausse de la TVA seront similaires à celles observées lors d’une dévaluation du taux de change réel, c’est-à-dire du franc avant la création de l’euro. Si le pouvoir d’achat des consommateurs s’en trouve à court terme, la plus grande compétitivité des secteurs ouverts à la concurrence étrangère pourrait finalement stimuler l’activité. Le transfert de charges réduit le coût du travail en raison du lent ajustement des salaires nets des charges. Les entreprises profitent alors de la baisse des charges pour soit baisser leurs prix, soit améliorer la qualité de leurs produits notamment en investissant davantage en recherche-développement. La plus grande compétitivité française doit alors se traduire par une hausse de la demande étrangère pour les produits français. Les mesures annoncées par le gouvernement Ayrault suite au rapport Gallois entrent en phase avec les préconisations des quatre économistes.

Emmanuel Farhi, Gita Gopinath et Oleg Itskhoki (2012) ont cherché à délivrer une analyse complète des dévaluations fiscales dans un modèle DSGE d’inspiration nouvelle keynésienne. Ils définissent une dévaluation fiscale comme un ensemble précis de mesures fiscales qui génère la même allocation réelle (en termes de consommation, de production ou encore d’offre du travail) que provoquerait une dévaluation de taux de change nominal. Leur modélisation suggère que deux types spécifiques de politiques fiscales génèrent efficacement des dévaluations fiscales. La première politique combine une hausse uniforme des tarifs d’importation à des subventions aux exportations. La seconde politique couple une hausse des taxes sur la valeur ajoutée avec une réduction des cotisations sociales.

Certes, une dévaluation fiscale a le même effet sur les prix relatifs internationaux qu’une dévaluation du taux de change, puisqu’elles rendent toutes les deux les produits domestiques moins chers par rapport aux produits étrangers, mais la première conduit toutefois à une hausse du prix du panier de consommation dans l’économie domestique relativement à celui du reste du monde. Les auteurs préconisent au final une baisse des taxes sur la consommation et un relèvement de l’impôt sur le revenu, en particulier si les agents privés anticipent la réforme fiscale. Une mesure additionnelle doit toutefois être prise lorsque les marchés d’actifs sont incomplets et si les obligations sont libellées en monnaie domestique. Une dévaluation nominale dévalorise en effet la dette externe libellée en monnaie étrangère, mais non la dette domestique libellée en devise domestique. Celle-ci doit donc faire l’objet d’un défaut partiel. Un tel ensemble de mesures réplique alors complètement le comportement du taux de change réel suite à une dévaluation nominale.

Toujours dans une veine nouvelle keynésienne, Anna Lipinskay et Leopold von Thaddenz (2012) modélisent une union monétaire composée de deux pays afin de mettre en évidence les interactions budgétaires et monétaires qui émergent entre les Etats-membres lorsque l’un des deux met en œuvre une dévaluation fiscale. La modélisation adopte une concurrence  La politique monétaire se voit confier un rôle de stabilisation en raison des rigidités des prix nominaux et va suivre une règle à la Taylor ; elle réagit donc à la fois à l’inflation et à l’output-gap. Si elle est mise en œuvre au niveau supranationale, la politique budgétaire est quant à elle spécifique à chaque pays. Dans ce contexte, les auteurs vont alors supposer que l’Etat accroît les taxes sur la consommation dans l’économie domestique sans pour autant modifier le montant des dépenses publiques. Les recettes supplémentaires tirées des taxes sur la consommation seront alors utilisées pour réduire la taxation du travail. Lipinskay et Thaddenz observent sous quelles conditions la réforme fiscale entreprise par un pays membre d’une union monétaire s’avère efficace à la fois à court et à long termes.

Tout d’abord, leur modéliste suggère que les évolutions à long terme des variables économiques dépendent principalement du degré d’intégration financière. La hausse de la production domestique dans le cas de marchés financiers complets représente jusqu’à cinq fois sa hausse dans le cas d’une incomplétude des marchés financiers. La complétude des marchés implique une baisse significative de la consommation domestique en raison du partage du risque, tandis que la demande extérieure s’accroîtra. En revanche, en l’absence de partage du risque, la consommation s’accroît modérément, tandis que la production et la demande étrangère restent peu affectées. Ensuite, l’objectif des banques centrales, les anticipations des agents privés relatives au système fiscal et le degré de viscosité des salaires nominaux vont conditionner les effets de la réforme à court terme. Si les agents privés n’anticipent pas la réforme fiscale, si les salaires nominaux sont flexibles et si les salaires nominaux sont flexibles, alors la banque centrale n’aura à répondre à aucune poussée inflationniste suite à la mise en œuvre de la réforme fiscale, puisque les répercussions inflationnistes de cette dernière sur le reste de l’union monétaire sont compensées par ses répercussions désinflationnistes sur l’économie domestique. Enfin, la réponse des salaires nominaux, dans le cas où ils s’avèrent visqueux, dépend du degré d’intégration financière. La viscosité des salaires se traduit par une amplification des effets de la réforme fiscale à court lorsque l’intégration financière est inachevée.

L’analyse ne se concentre toutefois que sur les seules implications de la réforme fiscale pour le pays qui la met en place, laissant en suspens la question de la coordination des politiques économiques, en particulier au sein de l’union monétaire. Si un pays donné met en œuvre, en temps normal, une dévaluation fiscale, les effets pourraient peut-être effectivement s’avérer bénéfiques pour elle. Elle n’en demeure pas moins non coopérative vis-à-vis des autres Etats-membres. Les répercussions exactes sur l’économie domestique prêtent à discussion dans un contexte où l’activité économique ralentit au niveau mondiale et en particulier au niveau continental. La multiplication des dévaluations fiscales dans une union monétaire pourrait finalement constituer un jeu à somme négative, la concurrence fiscale laissant les Etats-membres dans une situation pire que celle où ils se trouvaient initialement. Il est en outre étrange de vouloir répliquer en temps de crise les politiques économiques qui ont particulièrement contribué à intensifier la spirale dépressive lors des années trente.

 

Références Martin ANOTA

AGHION, Philippe, Gilbert CETTE, Elie COHEN & Emmanuel FARHI (2012), « Pour une dévaluation fiscale », in Le Monde, 24 octobre.

FARHI, Emmanuel, Gita GOPINATH & Oleg ITSKHOKI (2012), « Fiscal devaluations », Federal Reserve Bank of Boston, working paper, n° 10, octobre.

LIPINSKAY, Anna, & Leopold von THADDENZ (2012), « On the (in)effectiveness of fiscal devaluations in a monetary union », Federal Reserve working paper, n° 71.

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