L’expérience économique de la Lettonie, une économie émergente en périphérie européenne, est au centre de toutes les attentions. La crise financière de 2008 mit fin à un épisode fiévreux de boom économique : entre 2005 et 2007, le taux de croissance moyen était supérieur à 10 % et le déficit du compte courant représentait plus de 20 % du PIB. La croissance rapide et les afflux de capitaux ont accéléré les hausses salariales, laissant les travailleurs peu compétitifs lorsque survint le retournement de l’activité. En 2008, le PIB se contracta violemment, les capitaux refluèrent et les comptes publics se dégradèrent fortement, ce qui amena très rapidement le pays à demander l’aide de la communauté internationale. Dans une telle situation, un pays procéderait normalement à une dépréciation de sa devise pour restaurer sa compétitivité et stimuler la demande extérieure. Les économies baltes furent toutefois réticentes à abandonner leur régime de taux de change fixe, car un tel abandon aurait compromis leur candidature à la zone euro. La dévaluation aurait en outre eu de dramatiques effets de bilan : 90 % des prêts domestiques en Lettonie sont libellés en euro. Les économies baltes ont fait face à la crise en adoptant une dévaluation interne, fondant la restauration de leur compétitivité sur la contraction des taux de salaires.
La Lettonie a ainsi embrassé un douloureux processus de consolidation budgétaire et multiplié les réformes structurelles. La Lettonie vit son PIB se contracter de 20 % la première année de crise et le taux de chômage passa de 6 % en 2007 à 18,4 %. Quelques années après, l’économie a su renouer avec une croissance soutenue. En 2011, le PIB letton crût de 5,5 %, l’un des taux les plus élevés alors en Europe. Selon les actuelles projections, il pourrait croître cette année d’au moins 3,5 %. Son régime de taux de change fixe s’est maintenu, grâce notamment aux prêts consentis par le FMI, et la Lettonie a su rééquilibrer ses comptes courants et budgétaires. Christine Lagarde a qualifié cet épisode de « tour de force ». Les tenants de l’austérité budgétaire présentent ainsi l’ajustement letton comme un exemple que devraient suivre l’Espagne, la Grèce et les autres économies périphériques de la zone euro.
S’il est trop tôt pour parler d’échec ou de réussite selon Dani Rodrik (2012), l’expérience lettone n’est pas aussi idyllique que ne le laissent transparaître les discours des responsables européens et du FMI. Le PIB demeure encore aujourd’hui 15 % sous son niveau au pic d’avant-crise, tandis que le taux de chômage demeure à 16 %. La croissance lettone se situe également en-deçà du niveau tendanciel qui prévalait avant 2005 et la surchauffe subséquente. Weisbrot et Ray (2011) notent que les pays procédant à une dévaluation en période de crise connaissent en moyenne une perte équivalente à 4,5 % de leur PIB. Ce montant est sensiblement inférieur à la contraction du PIB que connut la Lettonie au cours de la récession. Le maintien de son régime de taux de change fixe a puissamment pesé sur son activité. Selon les mêmes économistes, le PIB des économies ayant eu recours à des dévaluations en période de crise est en moyenne supérieur de 6,5 % à son niveau d’avant-crise au bout de trois années ; trois ans après l’éclatement de la crise, le PIB letton s’établissait 21,3 % sous son niveau initial. Pour Paul Krugman (2012), cela ne valide pas l’efficacité de la politique d’austérité. Le reflux du chômage s’explique en outre par une accélération de l’émigration, alors même que le population décline depuis plusieurs décennies.
source : Krugman (2012)
Selon Krugman, l’équilibrage de la balance des paiements n’est peut-être dû qu’à la contraction du PIB et ainsi la poursuite de la reprise pourrait se traduire par un retour du déficit. Selon Rodrik (2012), mise à part l’élimination des déséquilibres extérieurs, rien ne certifie que l’économie lettone ait amélioré sa compétitivité. Les baisses salariales ont été essentiellement opérées dans le secteur public, ce qui ne participe pas à accroître la compétitivité à l’export. Après une forte hausse entre 2004 et 2008, le taux de change mesuré par le coût unitaire du travail n’a connu par la suite qu’une faible dépréciation. Il n’est donc pas certain que l’économie lettone ait suffisamment gagné en compétitivité pour renouer avec la croissance sans que celle-ci s’accompagne à nouveau de déficits extérieurs.
Si des enseignements peuvent être tirés de l'expérience lettone, Olivier Blanchard (2012) estime que les leçons sont difficilement exportables aux autres économies européennes. Selon Ryan Aven (2012), pour qu’une stratégie de dévaluation interne réussie, l’économie qui la met en œuvre doit être disposée à souffrir, être petite et ouverte, disposer d'un marché du travail flexible, n’avoir un stock de dette que relativement faible et enfin avoir pour principaux partenaires commerciaux des économies en relativement bonne santé. Dans le cas de la Lettonie, comme le rappelle Blanchard, le programme d’ajustement a été largement accepté par la population lettone ; les salaires ont fait preuve d’une forte flexibilité, du moins au regard d’un marché du travail traditionnel de l’Europe ; puisqu’elle demeure encore très éloignée de la frontière technologique, l’économie lettone dispose d’une large marge de manœuvre pour accroître sa productivité ; l’économie est petite et ouverte ; la dette publique représentait initialement moins de 10 % du PIB et avoisine aujourd’hui 40 % ; enfin, les banques étrangères, notamment suédoises, ont maintenu leurs lignes de crédit durant la crise, ce qui réduisit la gravité du brutal arrêt des entrées de capitaux et de l’effondrement des prêts domestiques.
Si les économies baltes respectent la plupart des conditions relevées par Aven et Blanchard, ce n’est toutefois pas le cas des pays de la périphérie sud de la zone euro. La plus importante composante de leur PIB est la demande intérieure et la restauration de la croissance repose sur une hausse des échanges. Ensuite, les pays périphériques sont particulièrement endettés, donc une dévaluation interne ne peut que compliquer le service de la dette et accroître le risque de défaut de paiement. De plus, leurs principaux partenaires commerciaux sont en récession. Enfin, ils ont des marges plus réduites pour accroître leur productivité.
Références Martin ANOTA
AVEN, Ryan (2012), « The hard way », in The Economist, 13 juin.
BLANCHARD, Olivier (2012), « Lessons from Latvia », in VoxEU.org, 15 juin.
CHARLEMAGNE (2012), « Latvian lessons », in The Economist, 9 juin.
COHEN-SETTON, Jérémie (2012), « Blogs review: The Baltic experience », in Bruegel (blog), 15 juin.
GRIFFITHS, Mark (2012), « Latvia Beat the Odds—But the Battle Is Far From Over », iMFdirect, 1er juin.
KRUGMAN, Paul (2012), « Latvian competitiveness », in The Conscience of a Liberal (blog), 10 juin.