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19 juin 2013 3 19 /06 /juin /2013 22:53

Ces dernières décennies ont été marquées par une plus grande volatilité des prix des actifs (actions, obligations, logements, etc.). Ces derniers peuvent ainsi régulièrement connaître des périodes de hausses rapides suivies par de violents effondrements. Dans les pays avancés, l’apparente stabilité macroéconomique observée lors de la Grande Modération (great moderation) dissimula l’accumulation de profonds déséquilibres. De nombreux marchés boursiers, puis immobiliers ont connu la formation de bulles spéculatives au cours des années deux mille ; la hausse des cours boursiers et des prix immobiliers alimenta le crédit et celui-ci nourrit en retour la spéculation. Si ces dynamiques stimulent dans un premier temps la croissance économique, le retournement des prix d’actifs provoque un large mouvement de désendettement et conduit à un ralentissement de l’activité. Pour faciliter le nettoyage des bilans et atténuer la sévérité du choc, les banques centrales ont alors à assouplir leur politique monétaire. L’extrême sévérité de la crise du crédit subprime a conduit les autorités monétaires à placer leurs taux à leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et à adopter des mesures non conventionnelles.

L’une des questions qui se pose est si la politique monétaire doit répondre au gonflement des bulles spéculatives sur les marchés d’actifs. Le rôle de la politique monétaire face aux prix d’actifs faisait déjà l’objet d’un intense débat avant la crise du crédit subprime. Le consensus entre de nombreux théoriciens et banquiers centraux était alors que les banques centrales ne devaient qu’assurer la stabilité des prix et minimiser l’écart de production (output gap). Dans cette optique, la politique monétaire ne répond aux variations des prix d’actifs que si ces derniers amènent la banque centrale à réviser ses anticipations d’inflation. Par exemple, si les cours boursiers augmentent, les actionnaires profitent de la hausse de la valeur patrimoniale pour consommer davantage. Le surcroît de demande qui en résulte s’accompagnera alors de tensions inflationnistes. Les autorités monétaires doivent ainsi tenir compte de l’effet de richesse associé aux booms boursiers dans leurs anticipations d’inflation. En outre, pour certains, la stabilité des prix contribue elle-même à renforcer la stabilité financière. Selon Anna Schwartz, la volatilité du niveau général des prix brouille les perspectives de rendements futurs, ce qui fragilise l’activité de crédit. Puisque l’inflation conduit les agents à surestimer la rentabilité des projets d’investissement et par conséquent la capacité de remboursement des emprunteurs, les taux de défaut de paiement sont  susceptibles de s’élever, les prêteurs de faire par conséquent faillite et les réactions en chaîne d’amorcer une crise financière. Aux yeux des monétaristes, la stabilité des prix permet aux investisseurs et épargnants de mieux juger des opportunités de profit et l’économie alloue alors plus efficacement les facteurs dans l’économie. 

Pour d’autres, la stabilité des prix est loin de garantir la stabilité financière et ils appellent alors les banques centrales à prendre véritablement en compte l’évolution des marchés financiers. Des autorités monétaires qui ne se focaliseraient sur le maintien de la stabilité des prix peuvent ainsi laisser les déséquilibres macrofinanciers s’accumuler au seul motif que ceux-ci ne se traduisent pas par des pressions inflationnistes. Or, il y a effectivement eu une déconnexion entre les prix des biens et services et les prix des actifs ces dernières décennies : les premiers tendent à rester stables, tandis que les seconds ont fortement gagné en volatilité. La réaction des banques centrales risque alors d’être asymétrique : elles n’ajustent pas leur taux directeur lorsque les prix d’actifs s’envolent, mais elles assouplissent en revanche leur politique monétaire lorsque les prix d’actifs s’effondrent car leur chute est susceptible de fortement  déprimer l’activité économique et d’amorcer un processus déflationniste ; autrement dit, elles ne réagissent aux bulles que lorsqu’elles éclatent. Non seulement la stabilité des prix n’est pas suffisante pour assurer la stabilité macroéconomique, mais elle peut aussi alimenter les déséquilibres financiers en réduisant les primes de risque et en incitant à la prise de risque. Les banques centrales contribuent elles-mêmes à insuffler de façon erronée un sentiment de sécurité. Rassurés à l’idée que la banque centrale interviendra si l’activité est menacée, les agents économiques prennent davantage de risques : c’est le paradoxe de la crédibilité (paradox of credibility) pour reprendre les termes de Claudio Borio et alii (2003). En formulant une telle idée, les économistes de la Banque des Règlements Internationaux rejettent ainsi l’hypothèse de Schwartz.

Puisque les épisodes de hausses rapides des prix d’actifs se soldent souvent par une crise financière et par une forte contraction de l’activité économique, certains appellent les banques centrales à réagir préventivement en relevant les taux directeurs lors de booms sur les marchés d’actifs pour limiter l’ampleur de la spéculation. Elles ciblent déjà l’inflation ; elles pourraient également cibler les prix d’actifs. En faisant éclater la bulle au plus tôt, les autorités monétaires épargneraient à l’économie les coûts macroéconomiques associés crises financières. Cette question d’un éventuel ciblage des prix d’actifs se pose à nouveau aujourd’hui, puisque la faiblesse des taux directeurs et les mesures non conventionnelles de politique monétaire sont susceptibles de stimuler les prises de risque inconsidérées et d’alimenter des bulles. En effet, si les autorités monétaires doivent réagir à une crise financière en baissant leurs taux directeurs, le relâchement des conditions de financement qui s’ensuit est susceptible d’alimenter une nouvelle bulle, en particulier si l’assouplissement monétaire est durable. Certains accusent ainsi la Fed d’avoir été responsable de la bulle immobilière aux Etats-Unis en laissant ses taux directeurs trop longtemps trop bas suite à l’éclatement de la bulle internet en 2000.

Aujourd’hui encore, les autorités monétaires sont confrontées à un douloureux dilemme : les taux directeurs sont peut-être trop élevés pour suffisamment stimuler l’activité, mais aussi bien trop faibles pour ne pas inciter les agents financiers à prendre des prises excessifs dans leur quête de rentabilité, or ni l’une, ni l’autre de ces éventualités n’est certaine. Un relèvement précoce des taux directeurs pourrait peut-être assurer la stabilité financière, mais en compromettant la reprise de l’activité ; tarder dans le resserrement monétaire ferait courir le risque qu’une nouvelle crise financière survienne et déprimerait (là aussi) la croissance, alors même que les banques centrales disposent aujourd’hui d’une marge de manœuvre beaucoup plus limitée qu’en 2007. Si les banques centrales réagissaient précocement, la probabilité et la sévérité des crises financières seraient atténuées et les banques centrales auraient besoin de moins assouplir leur politique monétaire dans l’éventualité d’une crise.

Ben Bernanke et Mark Gertler (2001) ont rejeté l’idée du ciblage des prix d’actifs. Selon eux, si la banque centrale répondait systématiquement aux hausses de cours boursiers en resserrant leur politique monétaire, ce resserrement n’aurait pas le même impact sur l’économie selon les causes de cet essor et il pourrait se révéler particulièrement dommageable dans certains cas. En l’occurrence, si la hausse des cours est effectivement due à une spéculation, le relèvement des taux directeurs pourrait a priori limiter les comportements spéculatifs. En revanche, si la hausse des cours est due à des gains de productivité, cette hausse est cohérente avec les fondamentaux, si bien que la banque centrale ne peut qu’endommager l’activité en resserrant sa politique monétaire. Les banques centrales ne peuvent donc réagir indistinctement aux hausses de cours. Elles doivent nécessairement déterminer si la hausse des cours est justifiée ou non au regard des fondamentaux avant d’ajuster leurs taux. Or, il est très difficile de déterminer si la hausse d’un prix résulte de la spéculation, en particulier en temps réel. Bernanke et Gertler en conclut que les autorités monétaires devraient abandonner l’idée de cibler les prix d’actifs. Les banques centrales vont par contre naturellement contenir les emballements spéculatifs en se contentant de réagir sévèrement à l’inflation. Si la hausse des cours boursiers est due à la spéculation, la hausse résultante de la demande globale via les effets de richesse se traduira par une accélération de l’inflation, si bien qu’une banque centrale recherchant la seule stabilité des prix relèvera mécaniquement ses taux directeurs et la spéculation s’en trouvera atténuée. En revanche, si la hausse des cours boursiers est due à des gains de productivité, la banque centrale n’a alors aucune raison d’intervenir à l’égard du boom boursier : les gains de productivité, en accroissant l’offre, poussent les prix des biens et services à la baisse, si bien que la banque centrale pourrait même avoir à diminuer ses taux directeurs pour stimuler la demande et éviter la déflation.

Le raisonnement de Bernanke peut faire l’objet de deux objections. D’une part, la moindre capacité de l’inflation des prix d’actifs à se traduire par une inflation des prix des biens et services ne permet pas au ciblage d’inflation d’assurer la stabilité financière. La Grande Récession est survenue dans un contexte où les banques centrales ciblaient plus ou moins explicitement l’inflation. D’autre part, Stephen Cecchetti et ses coauteurs (2000) affirment que déceler une déconnexion des prix d’actifs d’avec leurs fondamentaux est certes difficile, mais pas impossible. Distinguer entre les composantes fondamentale et spéculative des hausses de prix d’actifs n’est pas plus difficile que de déterminer la production potentielle d’une économie ou le NAIRU, deux agrégats qui jouent un rôle important dans la conduite actuelle de la politique monétaire et que les autorités monétaires cherchent régulièrement à estimer.

D’autres arguments amènent à rester prudent quant à l'introduction de la stabilité des prix d’actifs dans les objectifs des banques centrales [Bernanke, 2002]. Par exemple, les canaux de transmission de la politique monétaire demeurent encore imprécis, donc les autorités monétaires ne peuvent pleinement anticiper la réaction exacte des prix d’actifs et des autres variables économiques à un ajustement donné des taux directeurs. Ensuite, le resserrement monétaire pourrait se révéler insuffisant pour dissiper la spéculation ; en revanche, il peut occasionner de profonds dommages collatéraux en déstabilisant les marchés d’actifs où la spéculation est absente et, plus largement, en pénalisant la croissance économique.  Les banques centrales auraient à fortement relever leur taux d’intérêt pour espérer influencer significativement les prix d’actifs, mais cette action serait particulièrement nuisible à l’activité. Enfin, si les banques centrales poursuivaient explicitement un objectif de stabilité des prix d’actifs, les marchés se révèleraient excessivement confiants dans l’action de la banque centrale visant à assurer la stabilité financière. Le paradoxe de la crédibilité ne disparaitrait donc pas ; l’aléa moral s’en trouverait même aggravé : les agents sont incités à prendre encore davantage de risques. 

Si les banques centrales tirent les vrais enseignements de la Grande Récession, elles devraient davantage se préoccuper de la stabilité financière à l’avenir, si bien qu’elles pourraient revoir leurs objectifs et revenir quelque peu à leur mandat d’origine. Si le taux directeur est un instrument trop grossier pour stabiliser les prix d’actifs, alors même que l’objectif de stabilité financière apparaît essentiel pour la conduite de la politique monétaire, les banques centrales doivent nécessairement se doter d’outils supplémentaires pour atteindre cet objectif. Tout en redéfinissant leur objectifs de politique monétaire au profit de la lutte contre l’inflation, les banques centrales avaient délaissé plusieurs instruments de politique monétaire lors des années soixante-dix et quatre-vingt, notamment l’encadrement du crédit. Les récentes études ont pourtant confirmé le rôle central joué par le crédit dans le gonflement des bulles spéculatives ; en outre, les crises sont d’autant plus sévères que le crédit a initialement alimenté les déséquilibres. Les banques centrales n’ont peut-être pas à ajuster leurs taux pour stabiliser les bulles spéculatives, mais elles peuvent toujours redéployer certains instruments qu’elles jugeaient il y a encore peu de temps archaïques pour assurer la stabilité financière. 

 

Références

AGUR, Itai, & Maria DEMERTZIS (2013), « "Leaning against the wind" and the timing of monetary policy », IMF working paper, n° 13/86, avril.

BERNANKE, Ben S. (2002), « Asset-price "bubbles" and monetary policy », discours à New York, 15 octobre.

BERNANKE, Ben S., & Mark GERTLER (2001), « Should central banks respond to movements in asset prices? », in The American Economic Review, vol. 91, n° 2, mai.

BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL'ARICCIA & Paolo MAURO (2013), « Rethinking macro policy II: Getting granular », IMF staff discussion note, n° SDN/13/03, avril.

BORIO, Claudio, William ENGLISH & Andrew FILARDO (2003), « A tale of two perspectives: Old or new challenges for monetary policy », BIS working paper, n° 127.

CECCHETTI, Stephen, Hans GENBERG, John LIPSKY & Sushi WADHWANI (2000), Asset Prices and Central Bank Policy

GALÍ, Jordi (2013), « Monetary policy and rational asset price bubbles », NBER working paper, février, 18806.

MESONNIER, Jean-Stéphane (2004), « Le Paradoxe de la crédibilité en question », in Bulletin de la Banque de France, n° 122.

SCHWARTZ, Anna (1995), « Why financial stability depends on price stability? », in Economic Affairs, vol. 15, n° 4.

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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 10:13

Les taux d’inflation ont fortement diminué ces dernières décennies. Les autorités monétaires ont adopté des mesures particulièrement agressives et l’économie mondiale a connu de profondes évolutions contribuant à maintenir la stabilité des prix, notamment la mondialisation des échanges. A partir des années quatre-vingt-dix, les autorités monétaires des économies avancées ont peu à peu ciblé de très faibles niveaux d’inflation. Les banques centrales du Canada et de la Nouvelle-Zélande ont été les premières à adopter une cible de 2 % et à pousser l’inflation à ce niveau. Dans les autres pays développés, la désinflation fut davantage la conséquence des évolutions conjoncturelles. Aux Etats-Unis, par exemple, l’inflation s’était certes maintenue à 4 % dans la seconde moitié des années quatre-vingt grâce aux actions agressives de Paul Volcker, mais elle ne ralentit par la suite qu’avec les récessions de 1990 et de 2001.

Tout au long des années deux mille, la majorité des banques centrales ont ainsi ciblé plus ou explicitement un taux d’inflation de 2 %. Afin d’atteindre cet objectif, elles ont adopté une politique monétaire contracyclique : elles assouplissent leur politique monétaire lorsque l’activité décélère pour contrer les pressions déflationnistes et la resserre lorsque l’économie est en surchauffe. Or, lorsqu’une crise économique est particulièrement violente, les taux directeurs peuvent atteindre leur borne inférieure zéro (zero lower bound) avant même d’avoir suffisamment stimulé l’économie pour la ramener au plein emploi. Cette contrainte apparaît car les taux directeurs ne peuvent être négatifs. Or, dans une telle situation, l’activité reste durablement déprimée et le chômage est susceptible de persister longtemps à un niveau élevé.

Lors des plus graves récessions qui survinrent dans les années soixante et soixante-dix, les taux d’intérêt nominaux et les taux d’inflation restèrent élevés, si bien que les banques centrales purent fortement réduire leurs taux directeurs pour contrer le ralentissement de l’activité sans s’approcher de la borne inférieure zéro. En revanche, le Japon a basculé dans une trappe à liquidité au milieu des années quatre-vingt-dix, puis plusieurs pays avancés à partir de 2008. Par exemple, la règle de Taylor aurait impliqué que la Réserve fédérale fixe en 2009 son taux des fonds fédéraux à - 5 % [Rudebusch, 2009]. Autrement dit, le taux directeur était supérieur de 5 points de pourcentage au niveau nécessaire pour ramener l’économie américaine au plein emploi, rendant ainsi la politique monétaire excessivement restrictive. La crise japonaise et la Grande Récession survinrent dans un contexte de très faible inflation. La stabilité des prix n’a donc pas été une condition suffisante pour assurer la stabilité macroéconomique. Au contraire, elle pourrait même avoir alimenté l’instabilité financière

Par conséquent, Olivier Blanchard (2010) et Laurence Ball (2013) ont récemment suggéré que les banques centrales redéfinissent leur objectif de politique monétaire en ciblant désormais un taux d’inflation de 4 %. Une cible plus élevée diminuerait non seulement la probabilité que les banques centrales se retrouvent face à une trappe à liquidité, mais elle réduirait également les coûts de cette dernière. Elle allégerait les contraintes pesant sur la politique monétaire lorsque le taux directeur se rapproche de la borne inférieure zéro. Une plus forte inflation élèverait en effet les taux nominaux à long terme, ce qui permettrait aux autorités monétaires de baisser plus amplement leurs taux directeurs. Ainsi, les banques centrales disposeraient d’une plus grande marge de manœuvre pour répondre aux chocs macroéconomiques et pourraient alors plus facilement restaurer le plein emploi.

Daniel Leigh (2010) suggère qu’un relèvement de la cible d’inflation aurait permis à la banque centrale du Japon de réduire la sévérité de sa décennie perdu. En effet, au début des années quatre-vingt-dix, la Banque du Japon ciblait implicitement un taux d’inflation de 1 %. Une cible d’inflation de 4 % lui aurait permis d’éviter que son taux n'atteigne la borne inférieure zéro. Toutefois, en l’absence d’un objectif explicite de stabilisation de l’activité, les autorités monétaires n’en auraient très certainement pas profité pour utiliser toute la marge de manœuvre dont elles auraient alors disposé. Si la Banque du Japon avait ciblé une inflation de 4 % et répondu plus vigoureusement au déclin de l’activité, elle aurait pu diviser par deux les coûts en termes de production que subit l’économie nippone lors de sa décennie perdue. De son côté, Laurence Ball estime qu’une cible plus élevée aurait permis à la Fed de répondre plus efficacement à la Grande Récession. Si les Etats-Unis étaient entrés en crise avec une inflation de 4 %, la Fed aurait pu diminuer son taux directeur de deux points supplémentaires et le taux de chômage moyen entre 2010 et 2013 aurait été plus faible de deux points de pourcentage. 

En outre, une plus forte inflation contribuerait à réduire la valeur réelle de l’endettement si les banques centrales ne répondaient pas à la hausse des prix en resserrant leur politique monétaire. Ainsi, un relèvement du taux ciblé par les autorités monétaires faciliterait la reprise de l’activité en accélérant le processus de désendettement, non seulement pour les agents privés, mais aussi pour le secteur public. Historiquement, l’inflation a effectivement joué un rôle important dans la réduction de la dette souveraine, notamment au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, la dette publique des Etats-Unis s’élevait à plus de 100 % du PIB dans l’immédiat après-guerre. Joshua Aizenman et Nancy Marion (2009) notent qu’avec un taux d’inflation moyen de 4,2 % sur la période, les Etats-Unis ont réduit de moitié le ratio dette publique sur PIB entre 1946 et 1955. Selon Menzie Chinn et Jeffry Frieden (2012), un taux d’inflation qui se maintiendrait entre 4 et 6 % sur plusieurs années contribuerait également aujourd’hui à ramener le fardeau de la dette publique à un niveau plus soutenable. Un relèvement de la cible poursuivie par les banques centrales aurait par ce biais un impact indirect sur l’activité : en desserrant les contraintes pesant sur la politique budgétaire, une telle réorientation de la politique monétaire permettrait aux autorités budgétaires de retarder l’ajustement de leurs finances publiques, voire même de mettre en œuvre des mesures de relance.

Parallèlement, les coûts macroéconomiques d’un taux d’inflation de 4 % seraient particulièrement faibles. La théorie néoclassique a recherché les différents coûts d’une instabilité des prix. Entre autres, l’inflation empêche les agents privés d’identifier les variations des prix relatifs, ce qui les amène à prendre de mauvaises décisions d’investissement et de consommation. La stabilité des prix serait alors essentielle pour que les ressources soient efficacement allouées dans l’économie. De plus, l’inflation provoque une redistribution des richesses au détriment des prêteurs. Elle pousse ainsi ces derniers à exiger de plus taux d’intérêt nominaux pour compenser leur perte de pouvoir d’achat, si bien qu’elle accroît les taux d’intérêt réels et déprime ainsi l’investissement. Plus largement, l’instabilité des prix constituerait une source d’incertitude réduisant les incitations à investir. 

Toutefois, les analyses empiriques ne parviennent pas à saisir l’impact macroéconomique d’une inflation, même si celle-ci atteint deux chiffres. Laurence Ball rappelle ainsi que les estimations d’un éventuel seuil à partir duquel l’inflation deviendrait nuisible pour la croissance économique varient fortement d’une étude à l’autre. Par exemple, Michael Sarel (1995) estime que l’inflation est neutre pour la croissance tant qu’elle reste inférieure à 8 %. De leur côté, Michael Bruno et William Easterly (1996) ne parviennent pas à faire ressortir une quelconque relation entre l’inflation et la croissance pour des taux d’inflation inférieurs à 40 % ; en revanche, une relation négative entre les deux variables apparaît à partir de ce seuil. Dans tous les cas, ces études suggèrent qu’une inflation de 4 % ne serait pas plus dommageable pour l’activité qu’une inflation de 2 %.

Si les avantages apportés par une modeste accélération de l’inflation apparaissent supérieurs aux coûts qui lui sont associés, les autorités monétaires restent toutefois réticentes à relever leur cible. Si les anticipations d’inflation n’étaient plus ancrées à un faible niveau, les banques centrales craignent que l’inflation tende rapidement à s’accélérer. L’expérience inflationniste des années soixante-dix a en l'occurrence profondément marqué la réflexion des banquiers centraux. Ils ne désirent aujourd’hui ni revenir sur leur objectif de stabilité des prix, ni entreprendre une quelconque action qui pourrait compromettre leur crédibilité. Or, selon Ball, les anticipations d’inflation ont plutôt tendance à suivre l’inflation avec un certain délai. Les anticipations ne devraient donc pas surréagir à un modeste relèvement de la cible. Et si les autorités monétaires ont effectivement acquis une crédibilité, rien ne suggère que l’adoption d’une nouvelle cible d’inflation la remette en cause. 

 

Références

AIZENMAN, Joshua, & Nancy P. MARION (2009), « Using inflation to erode the US public debt », in VoxEU.org, 18 décembre.

BALL, Laurence (2013), « The case for 4% inflation », Banque Centrale de la République de Turquie, Central Bank Review, vol. 13, mai.

BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL’ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », IMF staff position note, n° SPN/10/03.

BRUNO, Michael, & William EASTERLY (1996), « Inflation and growth: In search of a stable relationship », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, vol. 78, n° 3.

CHINN, Menzie, & Jeffry FRIEDEN (2012), « Trends: Better living through inflation », in Milken Institute Review, troisième trimestre.

LEIGH, Daniel (2010), « A 4% inflation target?  », in VoxEU.org, 9 mars.

RUDEBUSCH, Glenn D. (2009), « The Fed’s monetary policy response to the current crisis », FRBSF Economic Letter, n° 17.

SAREL, Michael (1995), « Nonlinear effects of inflation on economic growth », IMF Working Paper, n° 95/96.

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22 mars 2013 5 22 /03 /mars /2013 20:17

Fed Officials Upgrade Economic Growth Outlook

La Réserve fédérale a été créée le 23 décembre 1913. Au cours des cent ans qui suivirent, son mandat a été profondément refaçonné à plusieurs reprises. Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2013) sont revenus sur ces évolutions institutionnelles. Ils découpent l’histoire de la banque centrale américaine en trois grandes périodes et suggèrent qu'une quatrième débute avec la Grande Récession. 

Depuis 1913 jusqu’aux années trente, la Fed a pour principal mandat de maintenir la stabilité financière. A cette époque, si l’économie américaine ne connaît pas d’épisodes de forte inflation, les prix se montrant particulièrement stables à long terme, elle est par contre régulièrement sujette à des crises financières. La création de la Fed constitue en l’occurrence une réponse institutionnelle à la panique de 1907. La banque centrale est censée fournir toute la liquidité nécessaire pour soutenir les banques en difficulté lors des crises financières. Les évènements de la Grande Dépression démontrent que la Fed a échoué à cette tâche : entre 1925 et 1933, le nombre de banques est divisé par deux ; la production diminue quant à elle de 31 % entre 1929 et 1933. Une attitude de laissez-faire vis-à-vis des marchés financières laisse place, au cours des années trente, à un renforcement drastique de la régulation financière, avec notamment la création de la Federal Deposit Insurance Corporation, mais aussi à une véritable vague de déglobalisation financière avec l’instauration de puissants barrières aux mouvements internationaux des capitaux. Si durant cette première période la Fed dispose de multiples instruments, elle tend toutefois à les utiliser de façon procyclique. Par exemple, elle doubla les exigences en réserves entre 1935 et 1937, alors même que l’économie américaine n’était pas sortie de la Grande Dépression.

Une deuxième période s’étale du début de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la fin des années soixante-dix. Il s’agit d’une ère de « dominance fiscale », même si la banque centrale vise officiellement à assurer le plein emploi. Après de larges creusements de déficits lors des années trente, la dette publique atteint un niveau historique avec la Seconde Guerre mondiale. Entre 1939 et 1978, la Fed reste étroitement soumise au Trésor public et contribue directement à faciliter le financement public en monétisant la dette souveraine. Les taux d’intérêt sont plafonnés, le crédit encadré, tandis que la répression financière règne tant au sein des Etats-Unis que dans le reste du monde. Les économies font preuve d’une remarquable stabilité financière : aucune crise bancaire de dimension systémique n’a éclaté entre 1945 et la fin des années soixante. Toutefois, la fin de la période est marquée par de puissants chocs d’offre négatifs dans un contexte de politique monétaire extrêmement accommodante. Ceux-ci vont fortement accélérer l'inflation et conduire finalement à une révision du mandat de la Fed.

Ainsi, à partir de 1979, date à laquelle le banquier central Paul Volcker amorce son plan agressif de stabilisation de l’inflation, jusqu’à la crise du crédit subprime, une Fed désormais indépendante a pour mission d’assurer le plein emploi et la stabilité des prix, tout en modérant les taux d’intérêt à long terme. L’instauration d’institutions de supervision financière au cours des années trente laisse en effet toute latitude à la Fed pour se concentrer sur la lutte contre l’inflation et la stabilisation macroéconomique. La faible sévérité des quelques crises financières qui sont survenues après la Seconde Guerre mondiale conforte un tel déplacement de focale de la politique monétaire. Les autorités publiques et la recherche orthodoxe estiment que les économies avancées sont résilientes aux crises financières en raison de l’efficience des marchés. La stabilité des prix apparaît alors aux yeux de beaucoup comme le plus sûr moyen d’assurer la stabilité macroéconomique et la stabilité financière. A ce titre, Ben Bernanke, l’actuel président de la Fed, s’est montré, dans ses diverses publications académiques, comme un fervent partisan du ciblage d’inflation. De nombreux instruments de politique monétaire, tels que les exigences en réserves obligatoires ou l'encadrement du crédit, qui sont jugés obsolètes ou dommageables pour l’activité, sont abandonnés au cours de cette troisième période. Le taux directeur et les stratégies de communication constituent alors les seuls instruments à disposition de la Fed. 

Il est prématuré de caractériser la quatrième période qui semble s’ouvrir avec la Grande Récession, mais celle-ci confirme que les économies avancées demeurent vulnérables aux crises financières. En réponse à la crise du crédit subprime, il est probable que la Fed attache une plus grande importance à un objectif de stabilité financière. Quelles que soient les modifications apportées au mandat de la Fed, Reinhart et Rogoff estiment que les agrégats de crédit doivent nécessairement jouer un plus grand rôle dans l’évaluation des conditions macroéconomiques et l’orientation de la politique monétaire. Le comportement et l’évolution du crédit ont en effet été ignorés ces trois dernières décennies, alors même qu’ils sont des indicateurs particulièrement pertinents de l’évolution de la demande globale, des pressions inflationnistes et de l’accumulation de déséquilibres financiers ; de nombreuses études ont à ce titre récemment confirmé l’étroite association entre les expansions de crédit et l’instabilité financière.

En outre, si la Fed est susceptible de donner une plus grande place à un objectif de stabilité financière, il apparaît peu probable qu’elle abandonne les objectifs de plein emploi et de stabilité des prix. Or, la poursuite d’une multitude d’objectifs exige l'usage de plusieurs instruments. La Fed devra alors ressortir certains instruments qu’elle avait jugés archaïques, comme le contrôle du crédit, qui sont encore utilisés dans plusieurs économies émergentes. Revoir les exigences réserves obligatoires permettrait notamment de réduire les risques associés à l’assouplissement quantitatif, ce qui permettrait à la Fed d’utiliser ce type de mesures de manière plus agressive. 

 

Référence 

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2013), « Shifting mandates: The Federal Reserve’s first centennial », NBER working paper, n° 18888, mars 2013. 

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