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21 août 2016 7 21 /08 /août /2016 22:59

Même si elle suit une tendance baissière à long terme, l’inflation est restée remarquablement stable aux Etats-Unis ces dernières années, que ce soit lors de la crise financière elle-même (où beaucoup s’attendaient à voir l’économie basculer durablement dans une forte déflation) ou bien suite à celle-ci (beaucoup s’attendant alors à une accélération rapide de l’inflation, à mesure que l’économie se rapproche du plein emploi). La Réserve fédérale maintient son taux directeur proche de zéro depuis bientôt une décennie pour ramener l’inflation à 2 %, ce qui a contribué à ce que le taux de chômage diminue et soit désormais inférieur à 5 %. Et pourtant, l’inflation reste en-deçà de sa cible. Beaucoup ont alors considéré que de tels événements confirmaient que la courbe de Phillips n’était plus valide. Pour d’autres, notamment le FMI (2013), elle est toujours valide, mais elle s’est « aplatie ». Dans le premier cas, la Fed ne doit pas chercher à réduire le taux de chômage sous son niveau naturel : non seulement la baisse du chômage ne serait que temporaire, mais l’inflation risque aussi d’accélérer, sensiblement et longuement. Dans le deuxième cas, la Fed dispose peut-être d’une marge de manœuvre pour réduire davantage le chômage sans pour autant accroître durablement l’inflation.

Après avoir étudié avec Eugenio Cerutti et Larry Summers la relation entre inflation et chômage à partir d’un échantillon de 20 pays développés, Olivier Blanchard (2016) a analysé plus précisément le comportement de l’inflation et du chômage aux Etats-Unis. Il constate qu’un faible niveau de chômage tend toujours à pousser le taux d’inflation à la hausse, tandis qu’un niveau élevé de chômage tend toujours à pousser le taux d’inflation à la baisse. Autrement dit, la courbe de Phillips est toujours « vivante ». Ce qui a toutefois changé, c’est le fait que les anticipations d’inflation soient plus solidement ancrées que par le passé. L’inflation dépend désormais principalement de l’inflation anticipée à long terme plutôt que l’inflation passée, tandis que l’inflation anticipée à long terme dépend elle-même moins de l’inflation passée. Au final, la courbe de Phillips correspond désormais essentiellement à une relation entre le taux de chômage et le niveau d’inflation plutôt qu’à une relation entre le taux de chômage et la variation de l’inflation. En ce sens, la relation ressemble davantage à la courbe de Phillips des années soixante qu’à la courbe de Phillips « accélérationniste » que l’on a pu observer par la suite. Blanchard cherche alors à déterminer la pente de la courbe de Phillips, c’est-à-dire la sensibilité de l’inflation au taux de chômage pour un taux d’inflation anticipé donné. Il constate que celle-ci s’est accrue durant les années soixante et soixante-dix, avant de décliner durant les années quatre-vingt. Elle est restée ensuite relativement stable. Blanchard confirme ainsi que la courbe de Phillips s’est aplatie, mais il souligne également que cet aplatissement précède la récente crise financière mondiale. Selon lui, le maintien de l’inflation à un niveau faible et stable a incité les agents à négocier et modifier moins fréquemment les prix et les salaires, si bien que l’inflation tend à être moins affectée par les conditions en vigueur sur le marché du travail.

Stefan Laseen et Marzie Taheri Sanjani (2016) confirment qu’il n’y a pas eu de changement dans la pente de la courbe de Phillips suite à la Grande Récession : la crise financière mondiale n’a pas modifié la relation entre l’inflation et le chômage. En fait, ce qui a changé après la crise financière mondiale, ce serait plutôt la nature des chocs qui ont touché l’économie américaine. Ces chocs, notamment la faible croissance mondiale, se sont révélés désinflationnistes, si bien qu’ils ont contribué à maintenir l’inflation à un faible niveau aux Etats-Unis malgré le fait que le marché du travail américain se soit rapproché du plein emploi. De leur côté, Yasser Abdih, Ravi Balakrishnan et Baoping Shang (2016) ont constaté que l’inflation sous-jacente des services est avant tout influencée par les forces domestiques, tandis que l’inflation sous-jacente des biens est avant tout influencée par les facteurs mondiaux et les variations du taux de change du dollar. Les pressions mondiales devraient normalement maintenir l’inflation sous-jacente sous 2 % dans un avenir proche, à moins que le dollar commence à fortement se déprécier ou que le taux de chômage passe bien en-deçà de son niveau naturel.

Ces divers résultats ont de nombreuses implications, notamment pour la conduite de la politique monétaire américaine. Avec une courbe de Phillips accélérationniste, tout boom doit nécessairement être suivi par un effondrement de même ampleur. Par contre, avec une courbe de Phillips comme celle que l’on observait dans les années soixante ou que l’on observe depuis les années quatre-vingt, tout boom est certes associé à une plus forte inflation, mais l’inflation diminue ensuite, lorsque le chômage retourne à son niveau naturel, si bien qu’un boom de l’activité ne doit pas nécessairement être suivi par un effondrement. Autrement dit, il peut ne pas y avoir de coût à avoir un boom temporaire, si ce n’est une inflation momentanément plus élevée. 

Blanchard souligne qu’il est essentiel de comprendre pourquoi les anticipations se sont ancrées à un faible niveau. Il est possible que la plus grande crédibilité des autorités monétaires et une longue période de faible inflation y aient contribué. Mais si l’inflation reste durablement éloignée de sa cible, les anticipations risquent de se désancrer. Pour l’instant, le maintien de l’inflation en-deçà de sa cible ne semble pas avoir désancré les anticipations, mais il est difficile de savoir de quelle marge les autorités monétaires disposent avant qu’une telle éventualité se concrétise. De l’autre, il est également possible que l’ancrage reflète un manque de « saillance » : à de faibles taux d’inflation, les gens peuvent ne pas se focaliser sur l’inflation, si bien qu’ils peuvent ne pas ajuster leurs anticipations lorsque le taux d’inflation varie. Si c’est le cas, la Fed peut disposer d’une certaine marge pour davantage pour le chômage à la baisse aussi longtemps que l’inflation reste suffisamment faible pour ne pas devenir saillante.

A court terme, la faiblesse de la pente de la courbe de Phillips signifie que la Fed fait face à un arbitrage entre inflation et chômage particulièrement tentant. Selon les estimations de Blanchard, une baisse de 1 % du chômage au cours d’un trimestre accroît l’inflation (en rythme annuel) de 0,2 %. Avec l’ancrage des anticipations, même si le chômage reste faible, l’inflation ne va pas s’accroître de beaucoup plus de 0,2 %. C’est un argument susceptible de convaincre la Fed de chercher à pousser le taux de chômage en-deçà de son niveau naturel. Si en outre des effets d’hystérèse sont à l’œuvre, ceux-ci constituent un argument supplémentaire en faveur d’une telle stratégie. En effet, si le taux de chômage reste supérieur à son niveau naturel, ce dernier est susceptible d’augmenter en raison des effets d’hystérèse. Or, plus le taux de chômage naturel est élevé, plus les tensions inflationnistes sont susceptibles d’apparaître rapidement lorsque le taux de chômage reflue et plus il est difficile de réduire ce dernier via des politiques conjoncturelles. Certains vont encore plus loin et estiment qu’un maintien du taux de chômage en-deçà de son niveau naturel est susceptible de réduire ce dernier. Dans la mesure où beaucoup appellent la Fed à ne pas relever ses taux d’intérêt tant qu’elle ne voit pas « l’inflation dans le blanc des yeux » et où il y a des délais dans la transmission de la politique monétaire à l’économie, Blanchard en conclut que la Fed est invitée à maintenir longuement le taux de chômage en-deçà de son niveau naturel. 

 

Références

ABDIH, Yasser (2016), « The lowdown on U.S. core inflation », in iMFdirect.

ABDIH, Yasser, Ravi BALAKRISHNAN, Baoping SHANG (2016), « What is keeping U.S. inflation low: insights from a bottom-up approach », FMI, working paper, n° 16/124.

BLANCHARD, Olivier (2016), « The US Phillips curve: Back to the 60s? », PIIE, policy brief, n° 16-1.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, n° 15/230.

FMI (2013), « The dog that didn’t bark: Has inflation been muzzled or was it just sleeping », World Economic Outlook, chapitre 3, avril. Traduction française, « Telle l’histoire du chien qui n’a pas aboyé : l’inflation a-t-elle été muselée, ou s’est-elle simplement assoupie? », Perspectives de l’économie mondiale, chapitre 3.

LASEEN, Stefan, & Marzie Taheri SANJANI (2016), « Did the global financial crisis break the US Phillips curve? », FMI, working paper, n° 16/126. 

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29 juillet 2016 5 29 /07 /juillet /2016 09:05

Le lundi 15 septembre 2008, Lehman Brothers se déclare en faillite. La banque d’investissement américaine avait en effet subi de larges pertes sur les investissements immobiliers entre 2007 et 2008, ce qui avait peu à peu égratigné sa solvabilité. Plusieurs institutions financières perdirent confiance envers elle et cessèrent de lui prêter, ce qui accrut démesurément ses besoins de liquidité. Si Lehman Brothers se déclara en faillite aux premières heures du 15 septembre, c’est tout simplement parce qu’elle ne disposait alors plus de liquidité pour assurer ses services au cours de la journée. Les marchés financiers réagirent extrêmement mal à la nouvelle. Les cours boursiers s’écroulèrent tout d’abord aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde. Ce qui n’était initialement, au début de l’année 2007, qu’une crise relativement limitée à un sous-compartiment du crédit hypothécaire américain (le crédit « subprime ») et était devenu au fil des mois une crise financière internationale attint alors son apogée. L’événement contribua certainement par là même à la sévérité de la Grande Récession.

Aux Etats-Unis, Lehman Brothers est la seule institution de grande échelle qui ait été contrainte à faire faillite durant la crise financière. Les autres, comme Bear Stearns et AIG, ont connu des crises de liquidité, mais elles ont échappé à la faillite car elles reçurent des prêts d’urgence de la part de la Réserve fédérale. Laurence Ball (2016) s’est alors demandé pourquoi la Fed n’a pas sauvé Lehman Brothers. Certains ont suggéré que les responsables de la Fed ont subi des pressions politiques en défaveur d’un sauvetage de Lehman Brothers. D’autres pensent que ces mêmes responsables ont cherché à ne pas créer ou plutôt à ne pas aggraver un risque moral : en sauvant Lehman Brothers, une banque qui s’est retrouvée en difficultés parce qu’elle a multiplié les prises de risque et qui a contribué par là même aux déséquilibres qui ont mené à la crise financière, la Fed aurait signalé aux autres institutions financières qu’elles seraient aussi certainement secourues si elles se retrouvaient dans la même situation, ce qui les aurait alors incité à prendre davantage de risques. En laissant Lehman Brothers faire faillite, la Fed aurait ainsi « donné une leçon » au secteur bancaire et contribué au maintien futur de la stabilité financière en freinant les prises de risque. Enfin, certains ont suggéré que les responsables de la Fed ont sous-estimé les dommages que provoquerait la faillite de Lehman Brothers sur le système financier et sur l’économie réelle.

Toutefois, les responsables de la Fed, en particulier Ben Bernanke qui était alors à sa tête fin 2008, ont clairement indiqué qu’aucune de ces trois interprétations n’est correcte. Ils ont déclaré qu’ils n’étaient pas en soi contre l’idée de sauver Lehman Brothers, mais qu’ils manquaient de l’autorité légale pour le faire, parce que la banque d’investissement ne possédait pas suffisamment de collatéraux pour emprunter les liquidités dont elle avait besoin. En effet, lorsque la Fed prête à une institution financière, la première exige que la seconde possède suffisamment de collatéraux pour la protéger si l’emprunteur fait défaut. L’emprunteur peut certes être illiquide à l’instant du prêt, mais il doit rester solvable (ce qui s’inscrit dans la conception du prêteur en dernier ressort développée par Bagehot). Ou, pour le dire encore autrement, la banque centrale n’a le droit de prêter qu’aux banques qui seront a priori capables de la rembourser. Bernanke lui-même a pu déclarer que la Fed n’aurait pu sauver Lehman Brothers qu’en violant la loi.

Au terme d’un travail de quatre ans l’ayant conduit à rédiger un long manuscrit de 214 pages, Laurence Ball en est venu à la conclusion que cette explication est inexacte. D’une part, ce n’est pas un apparent manque d’autorité légale qui a empêché la Fed de ne pas sauver Lehman Brothers. D’autre part, la Fed avait l’autorité légale pour sauver Lehman Brothers. En consultant les délibérations des autorités avant la faillite de Lehman Brothers, Ball estime ne trouver aucune trace suggérant qu’elles aient effectivement examiné l’adéquation des collatéraux de la banque d’investissement ou que des barrières juridiques les empêchèrent d’aider cette dernière. En examinant les finances de cette dernière, Ball en conclut qu’elle avait suffisamment de collatéraux pour obtenir un prêt de la part de la Fed. Non seulement ce prêt aurait selon lui empêché une faillite désordonnée et n’était que peu risqué pour la banque centrale, mais il aurait très certainement permis à Lehman Brothers de survivre, du moins si les conditions du prêt étaient les mêmes que celles dont ont pu bénéficier les autres banques d’investissement. (1) Ball estime que si Lehman Brothers avait obtenu un tel prêt, la crise financière ne se serait pas aggravée autant qu’elle ne le fit et l’économie mondiale aurait subi un moindre choc.

Au final, Ball explique l’inaction de la Fed face à l’effondrement de Lehman Brothers en privilégiant deux interprétations populaires : d’après sa lecture des données existantes, non seulement des considérations purement politiques ont joué un rôle déterminant dans la décision de la Fed, mais cette dernière a également sous-estimé les répercussions d’un éventuel défaut de la banque d’investissement. En effet, la décision de laisser Lehman Brothers couler aurait été principalement impulsée par Henry Paulson, qui était alors le Secrétaire au Trésor américain. Paulson aurait été influencé par la forte opposition politique aux sauvetages des banques. Lui-même avait été sévèrement critiqué pour le sauvetage de la Bear Stearns et la nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac ; il ne voulait pas avoir essuyé de nouvelles critiques en entreprenant un nouveau renflouement bancaire. Les responsables de la Fed s’inclinèrent face à Paulson, alors même qu’ils étaient les seuls à avoir l’autorité pour prendre cette décision selon le Federal Reserve Act. Ils ont également sous-estimé les répercussions de la faillite de Lehman Brothers, en considérant notamment que les investisseurs financiers avaient déjà pleinement anticipé l’événement.

 

(1) Stephen Cecchetti et Kermit Schoenholtz (2016) sont en désaccord avec Ball sur ce point. Selon leur propre analyse des données, Lehman Brothers était effectivement insolvable le 15 septembre 2008.

 

Références

BALL, Laurence (2016), « The Fed and Lehman Brothers: Introduction and summary », NBER, working paper, n° 22410, juillet.

CECCHETTI, Stephen, & Kermit SCHOENHOLTZ (2016), « The lender of last resort and the Lehman bankruptcy », in Money & Banking (blog), 25 juillet. 

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15 juillet 2016 5 15 /07 /juillet /2016 10:33

Les taux d’intérêt réels, c’est-à-dire ajustés par rapport à l’inflation, ont connu une tendance baissière à long terme et ils sont restés à un niveau exceptionnellement faible depuis la crise financière mondiale de 2008. Beaucoup estiment que cette dynamique découle d’une chute des taux d’intérêt naturels, qui s’expliquerait par diverses tendances contribuant à accroître l’épargne et à déprimer l’investissement, c’est-à-dire par là même à déprimer la demande globale et finalement la croissance économique. En l’occurrence, l’hypothèse d’une « stagnation séculaire » de Larry Summers (2014) met tout particulièrement en avant le rôle de la baisse des prix des biens d’investissement, la hausse des inégalités de revenu ou encore le vieillissement démographique. Certains, comme Bernanke, mettent l’accent sur la forte propension à épargner des pays émergents, notamment d’Asie, qui contribue à générer une « surabondance d’épargne » (saving glut) au niveau mondial. D’autres, comme Ricardo Caballero et Emmanuel Farhi (2014), suggèrent que les pays développés, voire l’économie mondiale, est en train de connaître une pénurie d’actifs sûrs, les piégeant dans une « trappe à sûreté » (safety trap).

Selon Mikael Juselius, Claudio Borio, Piti Disyatat et Mathias Drehmann (2016), quatre économistes de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), de telles explications de la faiblesse des taux d’intérêt partagent deux idées centrales. D’une part, elles définissent le taux d’intérêt naturel comme le taux d’intérêt qui serait en vigueur si la production était égale à la production potentielle. D’autre part, elles considèrent que l’inflation est le signal indiquant que la croissance n’est pas soutenable, que la production n’est pas à son niveau potentiel. En l’occurrence, l’économie connaîtrait des pressions inflationnistes si la production est supérieure à son niveau potentiel ; elle subirait au contraire des tensions déflationnistes si le niveau de la production est inférieur à son potentiel. Ces explications supposeraient qu’à moyen terme la politique monétaire ne ferait que suivre passivement le taux d’intérêt naturel, si bien que la chute des taux d’intérêt naturels ne serait que le produit de forces sur lesquelles les banques centrales n’ont pas de prises.

Juselius et ses coauteurs doutent de ces interprétations. Celles-ci négligeraient en effet le rôle des variables financières dans la soutenabilité de la croissance : par exemple, un boom sur les marchés boursiers ou immobiliers est susceptible de générer de l’inflation et de laisser place à une crise financière, associée à une forte contraction de l’activité, des pressions déflationnistes et des séquelles durables à long terme. Ils déterminent alors le taux d’intérêt naturel pour lequel l’économie ne connaît aucun déséquilibre financier en identifiant les déviations de deux variables financières par rapport à leur valeur de long terme : le niveau d’endettement et la charge du service de la dette des entreprises et des ménages. Ils appliquent alors une telle méthode aux données relatives à l’économie américaine pour la période comprise entre 1985 et 2015. 

Ils en tirent trois principales conclusions. Premièrement, une fois que les facteurs financiers sont pris en compte, le taux d’intérêt naturel est bien plus élevé que le suggèrent les approches empiriques habituelles et sa chute est moindre qu’on ne le pense habituellement. Les taux directeurs ont été systématiquement inférieurs à cette mesure du taux d’intérêt naturel. Alors que beaucoup suggèrent que le taux d’intérêt naturel est actuellement négatif ou tout du moins proche de zéro, Juselius et ses coauteurs estiment que le véritable taux d’intérêt naturel (associé à l’équilibre financier) est bien positif. Depuis 2009, la politique monétaire américaine serait excessivement accommodante, puisque le taux directeur ajusté à l’inflation est inférieur au taux d’intérêt naturel associé à l’équilibre financier. Les auteurs rejoignent ainsi les recommandations que ne cesse de répéter la BRI depuis le début de la reprise mondiale : les banques centrales doivent resserrer leurs taux directeurs pour éviter d’alimenter de nouveaux déséquilibres financiers qui se solderaient par une nouvelle crise financière.

En outre, Juselius et alii constatent que la politique monétaire n’est pas neutre à long terme. Via son impact sur le cycle financier, elle influence durablement la production et ses variations. En effet, les booms et effondrements de l’activité laissent des cicatrices permanentes, du moins sur le niveau de production, et cela semble être également le cas lorsqu’aucune crise bancaire n’éclate [Borio et alii, 2016]. Or en influençant la production, la politique monétaire influence les taux d’intérêt réels à moyen terme. Par conséquent, ces premières conclusions suggèrent aux auteurs qu’il n’est pas possible d’attribuer la totalité du déclin des taux d’intérêt réels à la chute exogène du taux d’intérêt naturel. Ce déclin reflète en partie de l’interaction entre politique monétaire et cycle financier. La politique monétaire a été systématiquement et agressivement assouplie lors des effondrements financiers, mais elle n’a pas été suffisamment, ni rapidement resserrée lors des booms financiers. Or, une telle asymétrie est susceptible de pousser les taux d’intérêt à la baisse.

Les économistes de la BRI ont souvent appelé à ce que les banques centrales adoptent une politique monétaire « allant à contre-courant » (leaning against the wind) : elles doivent resserrer leur politique monétaire lorsque l’économie connaît une accumulation de déséquilibres financiers, par exemple une expansion excessive du crédit et la formation d’une bulle spéculative. Comme la banque centrale ne répond alors aux risques pesant sur la stabilité financière que lorsqu’ils deviennent évidents, le resserrement risque de survenir trop tard, si bien que non seulement la politique monétaire risque de ne pas empêcher les déséquilibres financiers de s’accroître et de se solder par une crise, mais elle risque aussi d’amplifier ces déséquilibres. Selon les auteurs, la politique monétaire peut et doit prendre en compte systématiquement et immédiatement les dynamiques financières [Borio, 2014]. Il est en effet possible d’identifier en temps réel les déséquilibres financiers et même le niveau de croissance qui est compatible avec l’équilibre financier [Borio et alii, 2013]. Cette prise en compte peut se traduire par l’adoption d’une règle de politique monétaire prenant la forme d’une version augmentée de la règle de Taylor qui incorporerait des indicateurs du cycle financier, comme l’écart du niveau d’endettement par rapport à son niveau de long terme. Le taux directeur pourrait ainsi être fixé au plus proche de l’« équilibre financier ». Juselius et ses coauteurs concluent leur analyse en proposant un exercice contrefactuel. Ce dernier suggère qu’une règle de politique monétaire qui prend systématiquement en compte les développements financiers, à la fois durant les bons et les mauvais temps, peut contribuer à réduire le cycle financier, ce qui permet d’accroître la production à long terme. Une telle politique se traduirait aussi par une moindre baisse des taux d’intérêt réels.

 

Références

BORIO, Claudio (2014), « Monetary policy and financial stability: What role in prevention and recovery? », BRI, working paper, n° 440, janvier.

BORIO, Claudio, Piti DISYATAT & Mikael JUSELIUS (2013), « Rethinking potential output: Embedding information about the financial cycle », BRI, working paper, n° 404, février.

BORIO, Claudio, Enisse KHARROUBI, Christian UPPER & Fabrizio ZAMPOLLI (2016), « Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences », BRI, working paper, n° 534, janvier.

CABALLERO, Ricardo J., & Emmanuel FARHI (2014), « The safety trap », NBER, working paper, n° 19927, février.

JUSELIUS, Mikael, Claudio BORIO, Piti DISYATAT & Mathias DREHMANN (2016), « Monetary policy, the financial cycle and ultralow interest rates », BRI, working paper, n° 569, juillet.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

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