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3 avril 2017 1 03 /04 /avril /2017 17:04
Les hauts revenus et les taux marginaux d’imposition

Que ce soit dans le débat politique ou dans l’analyse économique, il n’y a pas de consensus sur le niveau optimal d’imposition, notamment pour les hauts revenus. Aux Etats-Unis, la question apparaît comme des plus cruciales aujourd’hui : Donald Trump a promis de réduire les impôts, en particulier pour les hauts revenus, en estimant que cela stimulerait la croissance économique, or les Etats-Unis ont connu une forte hausse des inégalités de revenu ces dernières décennies. Comme dans d’autres pays développés, la baisse des taux d’imposition marginaux pour les hauts revenus et la lente érosion de la progressivité de l’impôt ont pu justement contribuer à la concentration des revenus au sommet de la répartition, sans qu’il y ait eu pour autant une accélération manifeste de la croissance.

Selon Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Stefanie Stantcheva (2014), la littérature empirique autour des effets des taux d’imposition sur les revenus primaires a abouti à deux grandes conclusions. D’une part, les plus hauts revenus réagissent aux variations des taux d’imposition. Cette réaction peut être très ample, en particulier à court terme. D’autre part, lorsque l’assiette fiscale est large et qu’il y a peu de niches fiscales, alors les élasticités ne sont jamais très élevées, du moins pas à court et moyen termes. 

En étudiant les données postérieures à 1960, Piketty et ses coauteurs montrent qu’il y a une forte corrélation dans les pays de l’OCDE entre les réductions des taux d’imposition des hauts revenus et la part du revenu que ces derniers détiennent. Pour expliquer cette élasticité, ils mettent en avant trois types d’explications possibles. Selon certains, notamment les théoriciens de l’offre (supply-siders), la réduction des taux d’imposition parmi les plus hauts revenus les incite à davantage travailler, à se lancer davantage dans l’entrepreneuriat, à davantage épargner, etc., ce qui stimule l’activité économique, du moins au sommet de la répartition. Le gouvernement perd certes directement en recettes fiscales, mais ces pertes peuvent être indirectement compensées, voire plus que compensées, par les recettes fiscales générées par le surcroît d’activité. Selon d’autres, la réaction aux variations des taux d’imposition s’expliquerait davantage par les comportements d’évitement fiscal, qui consiste pour les hauts revenus à faire basculer leurs revenus entre revenus du travail et revenus du capital de façon à payer moins d’impôts. Par exemple, les ménages ont intérêt à faire passer un maximum de leurs revenus sous forme de revenus du capital lorsque ces derniers sont moins imposés que les revenus du travail. Enfin, pour d’autres encore, une forte imposition des hauts revenus freine la quête de rentes parmi les salariés les mieux rémunérés. En effet, lorsque les taux marginaux d’imposition pour les hauts revenus sont très élevés, un salarié très bien rémunéré ne retirerait qu’un faible gain à l’obtention d’une hausse de salaire. Par contre, lorsque les taux d’imposition des hauts revenus baissent, ce gain augmente, si bien que les salariés les mieux rémunérés sont incités à négocier plus agressivement pour accroître leur salaire.

Emmanuel Saez (2016) s’est appuyé sur une expérience naturelle pour observer quelles sont les conséquences d’une plus forte imposition des hauts revenus : la hausse d’impôt qui suivit la réélection d’Obama fin 2012. En 2013, les impôts des hauts revenus augmentèrent en effet fortement aux Etats-Unis avec, d’une part, l’instauration de l’Obamacare et, d’autre part, l’expiration des réductions d’impôts accordées par Bush en 2001. Les taux marginaux d’imposition des hauts revenus augmentèrent de 9,5 points pour le revenu du capital et de 6,5 points pour le revenu du travail. Il s’agit de la plus forte hausse d’impôts que les Etats-Unis aient connue depuis les années 1950. Saez note que les revenus déclarés ont été anormalement élevés en 2012 et anormalement faibles en 2013, ce qui suggère que certains ménages ont anticipé la hausse d’impôt et ont ainsi avancé leur revenu pour réduire leur imposition. En l’occurrence, les 1 % les plus riches ont avancé 11 % de leur revenu de 2013 à l’année 2012.  Cela implique une élasticité du revenu vis-à-vis du taux d’imposition particulièrement forte à court terme. En outre, elle est bien plus élevée pour les 0,1 % les plus riches que pour les autres ménages appartenant au centile supérieur, ce qui suggère que ce sont seulement les très hauts revenus qui disposent de la capacité à déplacer dans le temps leur revenu à court terme.

Ensuite, Saez a analysé les réponses à moyen terme en comparant les années 2011 et 2015. Entre ces deux années, les parts du revenu détenues par les 1 % les plus riches ont continué d’augmenter au même rythme qu’entre 2009 et 2011, période au cours de laquelle l’économie américaine avait déjà amorcé sa reprise. La hausse des taux d’imposition des hauts revenus n’a donc pas déprimé les hauts revenus à moyen terme. Au final, les recettes perdues en raison des réactions comportementales n’ont représenté au maximum que 20 % de l’ensemble des recettes attendues. La hausse des taux marginaux d’imposition de 2013 a donc été très efficace pour générer des recettes fiscales supplémentaires. Elle y parvint de façon très progressive, comme les hausses d’impôts furent concentrées parmi les 1 % les plus riches. Pour autant, Saez estime que cette hausse d’impôts ne suffira pas pour inverser la hausse séculaire des inégalités de revenu que les Etats-Unis connaissent depuis les années 1970. 

Elargissant la focale, Enrico Rubolino et Daniel Waldenström (2017a) ont compilé les données relatives à une trentaine de pays entre 1900 et 2014 pour étudier les dynamiques à long terme de l’élasticité à l’impôt des hauts revenus. Leurs résultats montrent que les élasticités à l’impôt des 0,1 % des plus riches varient fortement au cours du temps. Elles étaient moyennes à faibles avant 1950, presque nulles entre la Seconde guerre mondiale et 1980, puis elles se sont accrues pour atteindre des niveaux sans précédents. La hausse de l’élasticité des plus hauts revenus a été tout particulièrement marquée dans les pays anglo-saxons ; elle est peu visible dans les pays d’Europe continentale et les pays nordiques. Les choses ont été tout à fait différentes pour les ménages qui appartiennent à la moitié inférieure du décile supérieur : leur élasticité à l’impôt a été faible tout au long du vingtième siècle. Leur analyse suggère également que le comportement d’évitement fiscal contribue tout particulièrement à façonner l’élasticité des plus hauts revenus vis-à-vis de l’impôt.

Dans une étude en parallèle, Rubolino et Waldenström (2017b) ont également cherché à observer comment les modifications de la progressivité de l’impôt influence la répartition des revenus en étudiant l’impact des réformes fiscales à grande échelle qui ont été menées dans les pays occidentaux durant les années 1980 et 1990. Ils se concentrent tout particulièrement sur les réformes qui ont été menées en Australie en 1987, la Nouvelle-Zélande en 1989 et la Norvège en 1992. Ces réformes ont eu pour objectif et pour effet de réduire la progressivité des systèmes fiscaux. Elles suivaient en cela les préconisations des théoriciens de l’offre : la réduction de la pression fiscale, en particulier pour les ménages les plus aisés, devait selon eux stimuler la croissance économique. Rubolino et Waldenström constatent que les réductions dans la progressivité de l’impôt consécutives aux réformes fiscales ont tout particulièrement accru les parts de revenu détenues par les plus riches. La part du revenu des 1 % des ménages les plus riches a augmenté de 20 à 50 %. Les effets sont les plus amples parmi les ménages les plus riches, puisque la part du revenu des 0,1 % les plus riches a augmenté de 50 à 100 %, tandis que la moitié inférieure du décile supérieur s’en est trouvée très peu affectée. Les effets ont été durables, supérieurs à une décennie. Ces résultats s’expliquent surtout par la réduction des taux d’imposition marginaux des plus hauts revenus et peu par la réduction de la progressivité globale de la fiscalité. Rubolino et Waldenström ont ensuite cherché à déterminer l’impact des réformes sur l’efficience économique en observant le comportement du PIB par tête, du nombre de dépôts de brevet par tête et des recettes fiscales ; ils constatent qu’aucune de ces trois mesures de l’activité économique n’a été affectée. L’impact sur la part des hauts revenus s’explique essentiellement par une redistribution des ressources existantes et non par la création de nouvelles ressources par l’élite. A nouveau, les réformes ont surtout amené les ménages à hauts revenus à modifier leur comportement en matière d’optimisation fiscale. 

 

Références

PIKETTY, Thomas, Emmanuel SAEZ & Stefanie Stantcheva (2014), « Optimal taxation of top labor incomes: A tale of three elasticities », in American Economic Journal: Economic Policy, vol. 6, n° 1.

RUBOLINO, Enrico, & Daniel WALDENSTRÖM (2017a), « Trends and gradients in top tax elasticities: Cross-country evidence, 1900-2014 », CEPR, discussion paper, n° 11935.

RUBOLINO, Enrico, & Daniel WALDENSTRÖM (2017b), « Tax progressivity and top incomes: Evidence from tax reforms », CEPR, discussion paper, n° 11936.

SAEZ, Emmanuel (2016), « Taxing the rich more: Preliminary evidence from the 2013 tax increase », NBER, working paper, n° 22798.

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15 février 2017 3 15 /02 /février /2017 16:00
Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

Les données relatives à la répartition du patrimoine sont très imparfaites et parfois insuffisantes, en particulier lorsque l’on se focalise sur les décennies, voire les siècles passés. Ainsi, nous ne disposons de séries de données de long terme qui soient réellement fiables que pour une poignée du pays, en l’occurrence les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Suède, notamment grâce aux travaux de Tony Atkinson, Emmanuel Saez, Thomas Piketty ou encore Gabriel Zucman.

Bertrand Garbinti, Jonathan Goupille-Lebret et Thomas Piketty (2016b) ont récemment proposé des séries de données cohérentes et unifiées sur la répartition de la richesse en France entre 1800 et 2014. Pour cela, ils ont utilisé et combiné différentes sources, notamment des données fiscales, des registres testamentaires, des comptes nationaux et des enquêtes. Leur analyse confirme que la répartition du patrimoine est extrêmement inégalitaire (cf. graphique 1) Par exemple, en 2012, le patrimoine net par adulte s’élevait en moyenne à environ 200.000 euros. Les 50 % les plus modestes possédaient environ 5 % du patrimoine national ; leur patrimoine moyen s’élevait à 20.000 euros, c’est-à-dire était dix fois plus faible que le patrimoine moyen de l’ensemble des adultes. Les « classes moyennes », c’est-à-dire les personnes plus riches que les 50 % les plus modestes, moins aisées que les 10 % les plus riches, possédaient environ 40 % du patrimoine national ; leur patrimoine moyen s’élevait à environ 200.000 euros, c’est-à-dire était égal à la moyenne de l’ensemble des adultes. Enfin, le décile supérieur, c’est-à-dire les 10 % les plus riches, possédaient environ 55 % du patrimoine national ; leur patrimoine moyen s’élevait à environ 1,1 millions d’euros, c’est-à-dire représentait 5,5 fois le patrimoine moyen de l’ensemble des adultes.

GRAPHIQUE 1  Parts du patrimoine total détenues par… (en %)

Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

Garbinti et ses coauteurs constatent que le niveau exact des inégalités de patrimoine varie fortement au cours du temps (cf. graphique 1). La concentration des richesses a suivi à très long terme une évolution en forme de U depuis un siècle. En effet, tout au long du dix-neuvième siècle et au tout début du vingtième siècle, la part du patrimoine détenue par les 10 % les plus aisés était comprise entre 80 et 90 %. Les « classes moyennes » ne possédaient alors qu’une faible part du revenu national : celle-ci était légèrement supérieure à 10 %. La part du patrimoine national détenue par les 10 % les plus riches a baissé entre les années 1910 et les années 1980, décennie au cours de laquelle elle fluctuait entre 50 et 60 %. Ce sont en fait les classes moyennes qui ont vu leur part s’accroître : la part du patrimoine des 50 % les plus modestes est quant à elle restée inférieure à 5 %. La hausse de la part du patrimoine détenue par les classes moyennes entre 1914 et 1945 s’explique, non pas par le fait qu’elles aient accumulé rapidement du patrimoine, mais plutôt par le fait qu’elles aient moins perdu de patrimoine que les 10 % les plus riches. Ces pertes en patrimoine s’expliquent notamment par les destructions d’actifs associées aux deux guerres mondiales, aux épisodes d’inflation et aux épisodes de chutes de prix d’actifs. Par contre, au cours des décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, la progression de la part du patrimoine national détenue par les classes moyennes s’explique par le fait qu’elles ont accumulé plus rapidement du patrimoine que les 10 % les plus riches. Garbinti et ses coauteurs notent que la baisse de la part du patrimoine détenue par les 10 % les plus riches que l’on observe à long terme s’explique entièrement par l’effondrement de la part détenue par le centile supérieur, c’est-à-dire par les 1 % les plus riches : ces derniers possédaient entre 15 % et 20 % du patrimoine, contre 55-60 % à la veille de la Première Guerre mondiale (cf. graphique 2).

GRAPHIQUE 2  Parts du patrimoine total détenues par les plus riches (en %)

Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

Depuis les années 1980, la concentration du patrimoine tend légèrement à s’accroître : la part du patrimoine détenue par les 10 % les plus riches a légèrement augmenté, tandis que la part du patrimoine détenue par les classes moyennes a légèrement diminué. La part du patrimoine détenue par les 10 % les plus riches est passée de 15-20 % à environ 25 % entre le début des années 1980 et le début des années 2010. La concentration du patrimoine a toutefois connu d’amples fluctuations de court terme ces dernières décennies en raison des fluctuations des prix d’actifs. En effet, la part du patrimoine détenue par les 10 % les plus riches a fortement augmenté jusqu’à 2000, lorsque les cours boursiers augmentaient plus rapidement que les prix de l’immobilier, avant de fortement décliner, avec l’éclatement de la bulle internet.

GRAPHIQUE 3  Parts du patrimoine, du revenu total, du revenu du travail et du revenu du patrimoine détenues par le centile supérieur (en %)

Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

S’appuyant sur leur étude parallèle sur la répartition des revenus [Garbinti et alii, 2016a], les trois auteurs confirment que les inégalités de patrimoine sont systématiquement plus élevées que les inégalités de revenu et surtout que les inégalités du revenu du travail. Par exemple, la part du revenu du travail rémunérant les 10 % les mieux rémunérées a fluctué entre 25 % et 35 % entre 1900 et 2014 ; au cours de cette même période, la part du patrimoine total allant aux 10 % les plus riches a fluctué entre 50 % et 90 %. La part du revenu du travail rémunérant les 1 % les plus rémunérés fluctue entre 5 % et 8 %, tandis que la part du patrimoine nationale détenue par les 1 % les plus riches fluctue entre 15 % et 60 % (cf. graphique 3). La concentration du revenu total, qui inclut non seulement les revenus du travail, mais aussi les revenus du capital, se situe à un niveau intermédiaire entre la concentration du patrimoine et la concentration des revenus du travail, mais elle est toutefois plus proche de cette dernière, ce qui est tout à fait normalement, dans la mesure où ce sont généralement entre 65 % et 75 % du revenu total qui rémunèrent le travail.

GRAPHIQUE 4  Profil du patrimoine selon l’âge

Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

Garbinti et ses coauteurs se sont ensuite focalisés sur le profil du patrimoine en fonction de l’âge (cf. graphique 4). Il apparaît que la richesse moyenne est toujours très faible à l’âge de 20 ans ; elle est inférieure à 10 % du patrimoine moyen par adulte. Elle s’accroît ensuite fortement avec l’âge jusqu’à 50-55 ans et se stabilise à des niveaux élevés (entre 150 % et 160 % du patrimoine moyen par adulte) entres 60 et 85 ans. Ce profil a été stable sur la période s’écoulant entre 1970 et 2014. A la différence de ce que suggère la théorie du cycle de vie standard, la richesse moyenne ne semble pas décliner à des âges élevés, les individus meurent en laissant un patrimoine important et ils tendent à le transmettre à leur descendance. En outre, les personnes âgées font beaucoup de donations, c’est-à-dire transmettent beaucoup de patrimoine avant même leur décès. Ces donations sont généralement faites dix ans avant le décès. Le flux agrégé de donations a fortement augmenté ces dernières décennies : il représentait 80 % du flux agrégé de legs dans les années 2000-2010, contre 20-30 % dans les années 1970.

GRAPHIQUE 5  Composition du patrimoine en France selon le niveau de patrimoine en 2012

Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

Au cours des dernières décennies, la composition du patrimoine a fortement changé (cf. graphique 5). Les parts respectives des actifs immobiliers et des actifs financiers se sont fortement accrues entre 1970 et 2014, tandis que les parts des actifs professionnels ont fortement décliné, en phase avec le recul du travail indépendant. Les actifs financiers autres que les dépôts bancaires se sont fortement accrues à partir des années 1980 ; ils ont atteint un pic en 2000, avant qu’éclate la bulle internet et que chutent les cours boursiers. Les prix de l’immobilier avaient par contre tendance à chuter à la fin des années 1990, avant de fortement s’accroître durant les années 2000. Ces variations des prix relatifs des actifs ont eu de profondes répercussions sur la dynamique des inégalités de richesse, dans la mesure où les différents groupes n’ont pas les mêmes portefeuilles d’actifs. En 2012, les 30 % les plus modestes détenaient principalement des dépôts. Les actifs immobiliers constituent la principale forme de patrimoine pour les classes moyennes. Ensuite, à mesure que l’on se rapproche du sommet de la répartition des richesses, les actifs financiers autres que les dépôts bancaires prennent une part de plus en plus importante dans le patrimoine.

GRAPHIQUE 6  Parts du patrimoine détenues par les plus riches en France et aux Etats-Unis (en %)

Quelle est la répartition du patrimoine en France ?

Enfin, Garbinti et ses coauteurs comparent l’évolution des inégalités de patrimoine en France avec celle observée dans les autres pays. La dynamique suivie par la concentration des richesses s’apparente par exemple à celle observée au Royaume-Uni et en Suède : extrêmement élevée au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, elle a fortement décliné entre la Première Guerre mondiale et la fin des années 1970, avant de s’accroître à nouveau, modestement, à partir des années 1980. La répartition des richesses était plus inégale en France qu’aux Etats-Unis au début du vingtième siècle ; c’est désormais l’inverse depuis quelques décennies (cf. graphique 6). Cela a pu s’expliquer par le fait que les parts du revenu du travail détenues par les salariés les mieux rémunérées ont augmenté plus rapidement aux Etats-Unis qu’en France.

 

Références

GARBINTI, Bertrand, Jonathan GOUPILLE-LEBRET & Thomas PIKETTY (2016a), « Income inequality in France, 1900-2014: Evidence from distributional national accounts (DINA) », WIID, working paper.

GARBINTI, Bertrand, Jonathan GOUPILLE-LEBRET & Thomas PIKETTY (2016b), « Accounting for wealth inequality dynamics: Methods, estimates and simulations for France (1800-2014) », WIID, working paper.

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7 février 2017 2 07 /02 /février /2017 16:29
Comment ont évolué les répartitions nationales du revenu et du patrimoine depuis un siècle ?

Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (2017) se sont appuyé sur une nouvelle base de données (World Wealth and Income Database) pour observer quelles ont été les grandes tendances dans la répartition du revenu et dans la répartition du patrimoine à travers le monde depuis le début du vingtième siècle, mais en gardant la focale au niveau national ; ils n’ont analysé ni les inégalités mondiales de revenu, ni les inégalités mondiales de patrimoine. En l’occurrence, ils se sont tout particulièrement penchés sur les différences qui existent dans l’évolution des inégalités de revenu et de richesse aux Etats-Unis, en Chine, en France et au Royaume-Uni.

Alvaredo et ses coauteurs confirment que le revenu national par adulte a fortement augmenté ces dernières décennies : entre 1978 et 2015, il a augmenté respectivement de 811 %, 59 % et 39 % aux Etats-Unis, en Chine et en France. Pour autant, cette tendance dissimule des évolutions très différentes selon la position dans la répartition. En l’occurrence, le revenu des plus riches a augmenté plus rapidement que le revenu du reste de la population, si bien que les inégalités de revenu ont eu tendance à augmenter.

GRAPHIQUE 1  Part du revenu national détenue par les 1 % les plus riches en Chine, aux Etats-Unis et en France

Comment ont évolué les répartitions nationales du revenu et du patrimoine depuis un siècle ?

source : Alvaredo et alii (2017)

La hausse des inégalités a en l’occurrence été particulièrement forte aux Etats-Unis ces dernières décennies [Piketty, Saez et Zucman, 2016]. En effet, la part du revenu national détenue par les 50 % les plus modestes a énormément diminué entre 1978 et 2015, puisqu’elle est passée de 20 % à 12 % (cf. graphique 2). Le revenu des 50 % les plus modestes a baissé de 1 % au cours de la période. Parallèlement, la part du revenu national détenue par les 1 % les plus riches est passée de 11 % à 20 % (cf. graphique 1). Autrement dit, la part du revenu national que détiennent les 50 % les plus modestes a été captée par les 1 % les plus riches. Dans les autres pays, notamment en Chine et surtout en France, la part détenue par les 50 % les plus modestes est restée bien plus élevée. En l’occurrence, en France, si les hauts revenus ont augmenté plus rapidement que le revenu moyen, les 50 % les plus modestes ont vu leur revenu s’accroître au même rythme que le revenu moyen, en l’occurrence de 39 % sur l’ensemble de la période entre 1978 et 2015.

GRAPHIQUE 2  Part du revenu national détenu par les 50 % les plus modestes en Chine, aux Etats-Unis et en France

Comment ont évolué les répartitions nationales du revenu et du patrimoine depuis un siècle ?

source : Alvaredo et alii (2017)

En Chine, alors que les données d’enquêtes suggèrent que les 1 % les plus riches possèdent 6,5 % du revenu national, la combinaison de ces données d’enquêtes avec les données fiscales suggèrent que les 1 % les plus riches possèdent environ 13 % du revenu national (cf. graphique 1). Cette part pourrait même être sous-estimée en raison de l’évasion fiscale et des faiblesses des données fiscales et de la comptabilité nationale en Chine. Alors que les inégalités de revenu étaient très faibles à la fin des années soixante-dix, elles se rapprochent désormais des niveaux observés aux Etats-Unis.

GRAPHIQUE 3 La hausse des ratios patrimoine sur revenu en Chine, aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne (richesse privée nette en % du revenu national)

Comment ont évolué les répartitions nationales du revenu et du patrimoine depuis un siècle ?

source : Alvaredo et alii (2017)

Alvaredo et ses coauteurs confirment les observations de Thomas Piketty et Gabriel Zucman (2013) : le ratio rapportant la richesse privée nette sur le revenu national a augmenté dans presque tous les pays au cours des dernières décennies (cf. graphique 3). Cette dynamique n’a pas été affectée par la crise financière de 2008. Le ratio a tout particulièrement augmenté en Chine : la richesse privée nette représentait à peine plus de 100 % du revenu national en 1978 ; elle représentait 450 % en 2015. Ainsi, le ratio patrimoine sur revenu de la Chine se rapproche des niveaux observés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France, où il dépasse les 500 %. Cette hausse généralisée des ratios patrimoine sur revenu a pu notamment s’expliquer par de forts taux d’épargne (s’expliquant quant à eux par des facteurs tels que le vieillissement démographique ou la hausse des inégalités), par une hausse des prix de l’immobilier et par une hausse des cours boursiers. Alvaredo et ses coauteurs mettent notamment l’accent sur le transfert de la richesse publique vers la richesse privée pour expliquer l’essor des ratios patrimoine sur revenu. Par exemple, en Chine, la part de la richesse publique dans la richesse nationale est passée de 70% à 35 % entre 1978 et 2015. Parmi les pays riches, c’est aux Etats-Unis, au Japon et au Royaume-Uni que la richesse publique nette est devenue négative ; celle-ci n’est que légèrement positive en Allemagne et en France. Or cette dynamique peut contribuer à limiter la capacité des gouvernements à redistribuer les revenus et à contenir la hausse des inégalités.

GRAPHIQUE 4  Part du patrimoine national détenue par les 1 % les plus aisés en chine, aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne

Comment ont évolué les répartitions nationales du revenu et du patrimoine depuis un siècle ?

source : Alvaredo et alii (2017)

Les parts du patrimoine détenues par les plus riches ont fortement augmenté aux Etats-Unis et en Chine au cours des dernières décennies, tandis qu’elles ont augmenté plus modérément en France et au Royaume-Uni (cf. graphique 4). Aux Etats-Unis, de plus fortes inégalités de revenu et une puissante stagnation des revenus pour les plus modestes ont pu contribuer à accroître fortement les inégalités de patrimoine. En Chine, la forte hausse des inégalités de patrimoine a pu s’expliquer par l’inégal accès des ménages chinois aux marchés boursiers. En France et au Royaume-Uni, la hausse des prix réels de l’immobilier ont pu avoir exercé un effet atténuateur, notamment pour les classes moyennes. Alvaredo et ses coauteurs jugent difficile de savoir si cette tendance à l’accroissement des inégalités de patrimoine va se poursuivre à l’avenir, dans la mesure où les inégalités de richesse dépendent des taux d’épargne entre les différents groupes de revenu et de richesse, de la répartition du revenu du travail, des taux de rendement de la richesse et de la progressivité de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine. Leurs simulations quantitatives suggèrent que les inégalités de richesse à long terme réagissent fortement à de faibles variations de ces paramètres. Autrement dit, les dynamiques des inégalités de patrimoine sont très instables à long terme.

 

Références

Alvaredo, Facundo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel SAEZ & Gabriel ZUCMAN (2017), « Global inequality dynamics: New findings from WID.world », NBER, working paper, n° 23119, février.

PIKETTY, Thomas, Emmanuel SAEZ & Gabriel ZUCMAN (2016), « Distributional national accounts: Methods and estimates for the United States », NBER, working paper, n° 22945, décembre.

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2013), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries 1700-2010 », Paris School of Economics, document de travail.

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