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17 mai 2014 6 17 /05 /mai /2014 18:55

Le taux de chômage n’a pas réagi de la même manière, d’un pays à l’autre, lors de la crise financière mondiale. Par exemple, il demeure aux Etats-Unis toujours cinq points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise, tandis que le chômage ne s’est qu’à peine dégradé au Royaume-Uni, voire n’a qu’à peine changé en Allemagne, malgré de plus larges contractions du PIB, alors que ces deux derniers pays ont connu une plus forte contraction de leur PIB.

Arthur Okun (1962) avait décelé une relation relativement stable entre les variations du chômage et celles du PIB, une relation qui reçut par la suite le nom de loi d’Okun : lorsque la croissance de la production est inférieure à celle attendue, le chômage augmente. Typiquement, aux Etats-Unis, si le taux de croissance du PIB réel diminue de 2 points de pourcentage par rapport à sa tendance de long terme, alors le taux de chômage s’élève d’environ 1 point de pourcentage. La loi d’Okun s’était révélée extrêmement stable aux Etats-Unis, si bien que les conjoncturistes ont souvent utilisé le taux de chômage pour réaliser des prévisions de croissance ou se sont au contraire basés sur les chiffres de croissance pour prévoir l’évolution du chômage.

Or, lors de la Grande Récession, le chômage s’est accru bien plus amplement que ne le suggéraient les données qui étaient alors disponibles, ce qui a amené beaucoup à s’interroger si la loi d’Okun était toujours pertinente pour les prévisions de chômage. Les révisions ultérieures des données montrent que la relation entre le PIB et le chômage suivit un schéma conjoncturel relativement similaire à celui observé lors des précédents épisodes de récessions et de reprises. Laurence Ball, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013) et Mary Daly, John Fernald, Òscar Jordà et Fernanda Nechio (2014b) ont ainsi montré que la loi d’Okun était restée valide lors de la Grande Récession et lors de la subséquente reprise, suggérant que si le chômage persistait à un niveau élevé dans plusieurs pays avancés, c’est tout simplement en raison du faible rythme de croissance dans ces derniers. 

Mary Daly, John Fernald, Òscar Jordà et Fernanda Nechio (2014a) ont utilisé la loi d’Okun pour déterminer comment les entreprises et les marchés du travail ont réagi à la crise financière mondiale. En l’occurrence, les entreprises peuvent répondre à un choc de demande en faisant varier le nombre de travailleurs, le nombre d’heures travaillées par travailleur ou encore leur productivité. Cela dépendra de multiples facteurs, notamment des lois et institutions qui affectent la capacité des employeurs à embaucher et licencier du personnel et à modifier le temps de travail ou encore du processus de négociations. L’ajustement dépendra aussi de la persistance du choc de demande : si les employeurs interprètent la contraction de la demande comme permanente, ils seront incités à réduire le nombre de travailleurs ; si le choc est au contraire perçu comme temporaire, les employeurs veilleront à « thésauriser » la main-d’œuvre pour que les entreprises puissent immédiatement augmenter leur production lorsque surviendra la reprise. La productivité peut également varier lors d’une chute de la demande, notamment si les entreprises thésaurisent la main-d’œuvre, si le cadre institutionnel empêche de réduire le temps de travail ou si l'intensification de la concurrence incite les entreprises à réduire leurs coûts.

GRAPHIQUE  Coefficients d'Okun

Daly-Fernald-Jorda-Nechio-coefficients-d-Okun.png

source : Daly et alii (2014a)

Daly et alii ont estimé le coefficient d’Okun pour une quinzaine de pays (cf. graphique) ; celui-ci mesure combien la production tend à varier, par rapport à sa tendance, lorsque le taux de chômage augmente d’un point de pourcentage. Le coefficient d’Okun est généralement négatif. En outre, plus sa valeur absolue est élevée, moins le chômage réagit à la conjoncture. Avant la Grande Modération, une hausse d’un point de pourcentage du taux de chômage était typiquement associée à un déclin d’environ 3 points de pourcentage du taux de croissance de la production, ce qui suggère que la production s’ajustait face aux chocs autrement qu’à travers le chômage. Le coefficient d’Okun moyen pour l’ensemble des 15 pays étudiés a fortement diminué durant les années quatre-vingt-dix et deux mille et les différences entre pays se sont considérablement réduites. Cette convergence des coefficients d’Okun pourrait notamment s’expliquer par la mondialisation, la plus grande mobilité de la main-d’œuvre, la libéralisation des relations salariés-employeurs et la diminution de la protection de l’emploi. Ces différents facteurs ont accru la flexibilité des marchés du travail et des produits, si bien que lorsque la production variait, l’ajustement passait de plus en plus par l’emploi et se répercutait donc de plus en plus sur le taux de chômage.

La crise financière mondiale a mis un terme à cette convergence. Le coefficient d’Okun est revenu à des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis les années quatre-vingt. Sauf aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande, sa valeur absolue a fortement augmenté lors de la Grande Récession, en particulier au Royaume-Uni et en Allemagne. Les coefficients d’Okun se sont également fortement dispersés.

Mary Daly et ses coauteurs ont décomposé la relation d’Okun en considérant que la croissance de la production est la somme de la croissance du nombre de travailleurs, la croissance du nombre d’heures par travailleur et la croissance de la productivité. Aux Etats-Unis, le nombre d’heures travaillées par travailleur est procyclique : il tend à chuter lorsque le chômage s’élève durant un ralentissement. Dans d’autres pays, notamment la France, l’Allemagne et l’Italie, les heures par travailleur tendent à s’élever durant les différents ralentissements de l’activité qui ont eu lieu avant la Grande Récession, ce qui suggère que la main-d’œuvre était utilisée plus intensivement lors de ces épisodes. En ce qui concerne la productivité, certaines études ont suggéré que la cyclicité de la productivité aux Etats-Unis avait changé de signe : la productivité américaine était tout d’abord procyclique, puis elle est devenue contracyclique. D’autres pays ont également présenté une productivité contracyclique depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. A l’inverse, dans des pays comme l’Allemagne, la France ou l’Italie, la productivité était procyclique : elle avait tendance à fortement chuter lorsque le taux de chômage s’élevait. 

Durant la Grande Récession et lors de la reprise qui l’a suivie, les pays ont ajusté les trois facteurs, mais ils n’ont pas toujours privilégié le même. A la différence des précédents ralentissements de l’activité, les entreprises se sont davantage appuyées sur le temps de travail pour ajuster leur production. Parallèlement à la hausse du chômage, tous les pays ont réduit le nombre d’heures travaillées par travailleur et certains l’ont même très fortement réduit. L’ajustement aux Etats-Unis apparaît semblable aux précédents : les hausses du chômage étaient associées à une réduction de l’emploi, à une chute la durée du travail et à une légère hausse de la productivité. Au Royaume-Uni, l’emploi, la durée du travail et la productivité réagirent bien plus lors de la Grande Récession qu’ils ne le firent lors des précédents ralentissements de l’activité. La principale différence entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni est principalement l’ajustement de la productivité. En Allemagne, ce sont essentiellement le nombre d’heures travaillées par travailleur et la productivité qui réagirent lors de la Grande Récession, en raison notamment d’une législation qui permet aux employeurs d’ajuster plus facilement la durée du travail. Cela explique pourquoi le taux de chômage a faiblement varié en Allemagne lors de la crise et de la reprise, alors même que la production connaissait de fortes variations. Les dynamiques observées au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pourraient refléter des différences dans les modèles sociaux amenant les entreprises britanniques à privilégier le maintien de l’emploi et les entreprises américaines à privilégier le maintien des salaires. Dans tous les cas, les moyens d’ajustement privilégiés par les entreprises pour faire face à la Grande Récession ont profondément façonné la trajectoire du taux de chômage. 

 

Références

BALL, Laurence, Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « Okun’s law: Fit at fifty? », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 18668.

DALY, Mary C., John G. FERNALD, Òscar JORDÀ, Fernanda NECHIO (2014a), « Labor markets in the global financial crisis: The good, the bad and the ugly », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2014-10.

DALY, Mary C., John G. FERNALD, Òscar JORDÀ, Fernanda NECHIO (2014b), « Interpreting deviations from Okun’s law », Federal Reserve Bank of San Francisco, FRBSF Economic Letter, 21 avril.

OKUN, Arthur (1962), « Potential GNP: Its Measurement and Significance », American Statistical Association, Proceedings of the Business and Economics Statistics Section, pp. 98–104.

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26 avril 2014 6 26 /04 /avril /2014 12:10

La crise financière mondiale a entraîné une hausse significative des taux de chômage dans les pays avancés. Celui-ci était déjà initialement élevé dans plusieurs d’entre eux. Par exemple, entre 1995 et 2004, le taux de chômage moyen dans la zone euro était de 9,5 % [Blanchard et alii, 2013b]. Après avoir atteint un maximum au milieu de l’année 2013 en s’élevant alors à 12 %, il a quelque peu reflué depuis pour se maintenir à 11,9 % depuis octobre. Malgré cette stabilité, il dissimule une très forte hétérogénéité entre les pays-membres. En l’occurrence, l’Espagne et la Grèce ont un taux de chômage particulièrement élevé, tandis que ce dernier est resté remarquablement faible en Allemagne. Pour certains, cela suggère que les économies espagnole et grecque doivent mettre en œuvre des réformes structurelles et notamment déréguler leurs marchés du travail pour réduire l’écart de compétitivité qu’elles accusent vis-à-vis de l’Allemagne et se rapprocher du plein emploi. Pour d’autres, au contraire, les réformes structurelles accélèrent la contraction de l’activité économique et aggravent par là même le chômage.

Ce débat n’est pas nouveau : dès les années quatre-vingt, beaucoup ont lié la persistance d’un chômage élevé dans les pays européens aux rigidités institutionnelles de leurs marchés du travail. En France, le débat s’est surtout cristallisé sur la question du dualisme du marché du travail : les travailleurs temporaires ont une protection de l’emploi limitée et ils supportent l’essentiel de l’ajustement lors des ralentissements de l’activité ; les travailleurs peu qualifiés et les jeunes sont davantage exposés au chômage que les travailleurs très qualifiés ; les chômeurs de longue durée sont susceptibles de quitter la population active (via les mécanismes d’hystérèse) et sont particulièrement exposés au risque d’exclusion sociale. Or la protection de l’emploi pourrait accentuer toutes ces tendances.

Malgré plusieurs décennies de travaux, les effets théoriques de la protection de l’emploi sur le chômage et, plus largement, sur les dynamiques propres au marché du travail, demeurent encore imprécis. La protection de l’emploi réduit la capacité des entreprises à ajuster leur main-d’œuvre, ce qui accroît leurs coûts. Lorsque les règles de licenciement sont contraignantes, les employeurs seraient, d’une part, moins incités à embaucher et, d’autre part, plus sélectifs lorsqu’ils embauchent car ils ont « moins le droit à l’erreur » [Gautié, 2009]. En outre, comme la protection de l’emploi réduit la probabilité d’être licencié, elle renforce le pouvoir de négociation des travailleurs, ce qui pousse les salaires à la hausse et augmente à nouveau les coûts auxquels font face les entreprises. Cette réduction du nombre de créations d’emplois et cette plus grande sélectivité se feraient aux dépens des travailleurs les moins employables, en particulier les moins qualifiés, et allongeraient la durée moyenne du chômage. La moindre création d’emplois peut toutefois être compensée par une moindre destruction d’emplois, si bien que l’effet total sur l’emploi pourrait s’avérer nul à moyen terme et l’emploi moins sensible aux évolutions conjoncturelles à court terme. Malgré cette neutralité, la protection de l’emploi empêcherait l’économie de faire face aux chocs de réallocation nécessitant un redéploiement (intersectoriel, géographique, etc.) de la main-d’œuvre. Plus spécifiquement, elle enraierait le processus schumpétérien de destruction créatrice. En effet, les entreprises les plus innovantes ont des difficultés à prévoir leurs besoins en main-d’œuvre, si bien que leur développement serait contraint par une forte rigidité du contrat de travail. Au niveau agrégé, la protection de l’emploi pénaliserait la productivité, le potentiel de croissance de l’économie et finalement l’emploi.

Si les études empiriques réalisées avant la Grande Récession sont difficilement parvenues à établir une corrélation entre le degré de protection de l’emploi et le taux de chômage, elles tendent toutefois à confirmer que le premier influe sur la composition du chômage et accroîtrait la part de l’emploi temporaire : la protection de l’emploi accentuerait effectivement le dualisme du marché du travail [Gautié, 2009]. En outre, les analyses empiriques d’avant-crise tendent à accréditer la « critique schumpétérienne » en confirmant que le renforcement de la protection de l’emploi réduit les flux de créations et de destructions d’emplois.

Dès les années quatre-vingt-dix, des institutions internationales comme l’OCDE et le FMI ont appelé les pays avancés à réformer leurs marchés du travail et à diminuer la protection de l’emploi. La hausse des taux de chômage observée lors de la crise financière mondiale a rendu plus pressante la question des politiques de l’emploi. Si le FMI et les autres institutions reconnaissent que la hausse du chômage lors de la Grande Récession est liée à une insuffisance de la demande, elles soulignent l’importance du chômage structurel et appellent les pays avancés à déréguler leurs marchés du travail pour stimuler la croissance et retourner au plein emploi. En l'occurrence, la Troïka (à laquelle participe le FMI) exige la mise en œuvre de politiques structurelles en contrepartie de l’aide fournie aux pays « périphériques » de la zone euro. 

Trois récentes études empiriques réalisées par les économistes du FMI ont fourni un fondement « scientifique » aux recommandations politiques de l’institution de Washington. En observant un ensemble de 97 pays entre 1980 et 2008, Lorenzo Bernal-Verdugo, Davide Furceri et Dominique Guillaume (2012a) ont suggéré que les gains dans la flexibilité du marché du travail se traduisent par une baisse du chômage total, du chômage des jeunes et du chômage de longue durée. Parmi les différents indicateurs de flexibilité du marché du travail qu’ils observent, les coûts d’embauche et les règles d’embauche et de licenciement semblent être les plus importants. Bernal-Verdugo et alii (2012b) constatent que les crises financières ont un impact largement négatif à court terme, mais ils suggèrent également que cet effet disparaît rapidement dans les pays disposant d’institutions du marché du travail flexibles, tandis que l’impact des crises financières est moins prononcé mais plus persistant dans les pays caractérisés par des institutions du marché du travail plus rigides. Ces effets seraient même plus importants pour le chômage des jeunes à court terme et pour le chômage de longue durée à moyen terme. Enfin, à partir d’un échantillon de 167 pays pour la période s’écoulant de 1991 à 2009, Ernesto Crivelli, Davide Furceri et Joël Toujas-Bernaté (2012) suggèrent que les politiques structurelles visant à accroître la flexibilité des marchés du travail et des produits et à réduire la taille du gouvernement ont un impact fortement positif sur les élasticités de l’emploi : la dérégulation enrichirait la croissance en emplois. 

Ces trois études plaident en faveur de la dérégulation des marchés du travail pour réduire le chômage et stimuler la croissance économique. Cependant Mariya Aleksynska (2014) a identifié de sérieux défauts dans les données et la manière par laquelle celles-ci sont manipulées. En l’occurrence, l’indice de flexibilité du marché du travail utilisé est faussé. Au lieu de travailler directement à partir d’un ensemble donné de réformes, les études du FMI tendent à utiliser les ruptures de tendance dans les séries de données pour identifier les réformes, or celles-ci sont souvent dues à des changements méthodologiques. Une fois ces ruptures méthodologiques prises en compte, la majorité des réformes identifiées par les économistes du FMI ne peuvent être répliquées. Par contre, ces mêmes analystes ne parviennent pas à capturer toutes les réformes effectivement mises en œuvre et ignorent l’ampleur des réformes. Aleksynska est ainsi amenée à mettre en cause les conclusions empiriques de ces travaux et par là même les recommandations politiques auxquelles elles aboutissent.

Les études favorables à la dérégulation des marchés, notamment celles de l’OCDE et du FMI, ont régulièrement suggéré que ces réformes prenaient du temps avant de porter des fruits : si elles stimulent la production et la création d’emplois à long terme, elles n’en demeurent pas moins coûteuses à court terme, si bien qu’elles doivent être accompagnées d’un assouplissement des politiques conjoncturelles pour soutenir la demande globale lors de leur mise en œuvre [Crivelli et alii, 2012]. Or les réformes sont encore plus douloureuses quand celles-ci sont mises en œuvre lors d’une récession ; les réformes amplifient les répercussions de la récession sur l’activité et l’emploi. En effet, la dérégulation facilite le licenciement à un instant où la faiblesse de la demande n’incite pas les entreprises à embaucher. En accroissant la flexibilité (à la baisse) des salaires, les réformes du marché du travail contribuent à réduire les débouchés des entreprises, ce qui incite d’autant plus ces dernières à licencier. Gauti Eggertsson, Andrea Ferrero et Andrea Raffo (2013) ont montré que, lorsque la politique monétaire est contrainte par la borne inférieure zéro, une dérégulation des marchés du travail et des produits ne stimule pas la croissance à court terme et peut même conduire à une contraction de l’activité. Sans relance monétaire supplémentaire, les réformes alimentent les anticipations d’une déflation prolongée, accroissent le taux d’intérêt réel et dépriment la demande agrégée. Or, comme l’a démontré la Grande Récession, une crise économique est susceptible d’avoir des effets permanents sur la production et l'emploi, en particulier lorsqu’elle est synchrone avec une crise financière. Les réformes structurelles sont alors susceptibles d'accroître ces dommages permanents.

 

Références 

ALEKSYNSKA, Mariya (2014), « Deregulating labour markets: How robust is the analysis of recent IMF working papers? », Organisation internationale du travail, conditions of work and employment series, n° 47.

BERNAL-VERDUGO, Lorenzo E., Davide FURCERI & Dominique GUILLAUME (2012a), « Labor market flexibility and unemployment: New empirical evidence of static and dynamic effects », FMI, working paper, n° 12/64, mars.

BERNAL-VERDUGO, Lorenzo E., Davide FURCERI & Dominique GUILLAUME (2012b), « Crises, labor market policy, and unemployment », FMI, working paper, n° 12/65, mars. 

BLANCHARD, Olivier, Florence JAUMOTTE & Prakash LOUNGANI (2013a), « Labor market policies and IMF advice in advanced economies during the Great Recession », FMI, staff discussion note, n° SDN/13/02, mars.

BLANCHARD, Olivier, Florence JAUMOTTE & Prakash LOUNGANI (2013b), « Unemployment, labour-market flexibility and IMF advice: Moving beyond mantras », in voxEU.org, 18 octobre. 

CRIVELLI, Ernesto, Davide FURCERI & Joël TOUJAS-BERNATÉ (2012), « Can policies affect employment intensity of growth? A cross-country analysis », FMI, working paper, n° 12/218, août. 

EGGERTSSON, Gauti, Andrea FERRERO & Andrea RAFFO (2014), « Can structural reforms help Europe? », in Journal of Monetary Economics, vol. 61.

GAUTIE, Jérôme (2009), Le Chômage, chapitre 3, « Les performances nationales en termes de chômage : quel rôle des institutions du marché du travail ? », La Découverte.

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22 février 2014 6 22 /02 /février /2014 18:19

Avec la crise financière mondiale, les taux de chômage ont atteint des niveaux particulièrement élevés dans les pays avancés. Ils ont poursuivi leur envolée dans les pays (comme ceux en périphérie de la zone euro) qui ont adopté des plans d’austérité massifs avant même de renouer avec la croissance. La création nette d’emplois reste aujourd’hui particulièrement faible dans les autres pays, même ceux (comme les Etats-Unis) qui poursuivent une reprise ininterrompue depuis cinq ans. Certains ont suggéré que cette « reprise sans emplois » (jobless recoveries) s’explique tout simplement par la faiblesse de l’activité économique et ont ainsi appelé à un nouvel assouplissement des politiques conjoncturelles en vue de la stimuler. D’autres considèrent que le maintien du chômage à des niveaux élevés s’explique par des facteurs structurels, notamment sur les marchés du travail (par exemple une inadéquation entre la qualification des emplois et la qualification des chômeurs. Selon une telle interprétation, les politiques expansionnistes sont incapables de stimuler la création d’emplois ; seules des réformes structurelles (par exemple dans le domaine de la formation) sont à même de faire refluer le chômage.

Le lien entre la production globale et l’emploi est exploré depuis plusieurs décennies. Arthur Okun (1962) a mis en évidence l’existence à court terme d’une corrélation négative entre le chômage et la production qui a depuis reçu le nom de « loi d’Okun » dans la recherche universitaire : plus la croissance économique est forte, plus l’économie génère des emplois. Cela peut s’interpréter dans un cadre keynésien : plus la demande globale est importante, plus les entreprises sont incitées à produire, donc à embaucher, ce qui réduit le chômage. [1]

La loi d’Okun est considérée comme l’une des régularités empiriques les plus robustes en science économique. Si elle reste moins universelle que l’équation de gravité dans le commerce international, elle demeure plus fiable que la courbe de Phillips. En observant les Etats-Unis depuis 1948 et une vingtaine de pays avancés depuis 1980, Laurence Ball, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013) confirment que cette relation est forte et stable dans la plupart d’entre eux. En moyenne, l’accélération d’un point de pourcentage de la croissance de la production se traduit par une hausse de 0,5 point de pourcentage de la croissance de l’emploi. Les coefficients d’Okun (qui mesurent la sensibilité du chômage à la production) sont toutefois fortement hétérogènes d’un pays à l’autre. Plusieurs études suggèrent par exemple de faibles coefficients pour l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Cette hétérogénéité reflète des caractéristiques propres au marché du travail de chaque pays et, plus largement, à son économie. Ce coefficient dépendrait (du moins en partie) des coûts d’ajustement de l’emploi, notamment des coûts de formation… Ball et ses coauteurs suggèrent toutefois que cette hétérogénéité ne s’explique pas par l’intensité de la protection de l’emploi.

Enfin et surtout, ils notent que la Grande Récession n’a pas brisé cette relation. Si nous assistons à des « reprises sans emplois » depuis quelques décennies et en particulier aujourd’hui… c’est tout simplement parce que l’activité économique au sortir des récessions est trop faible pour générer des emplois. Autrement dit, les gouvernements ne peuvent espérer d’améliorations notables sur leur marché du travail sans une accélération significative de la croissance, or ils disposent d’instruments économiques pour faire refluer le chômage à court terme. Si des pays comme l’Espagne ou l’Irlande ont connu une hausse insoutenable de leurs taux de chômage, ce n’est pas à cause de marchés du travail dysfontionnels, mais bien en raison de l’austérité budgétaire et de ses répercussions directes sur l’activité économique. 

Si une relation stable existe au niveau empirique entre deux variables économiques, on pourrait s’attendre à ce que les prévisions de ces variables soient liées par une telle relation. Laurence Ball, João Tovar Jalles et Prakash Loungani (2014) ont ainsi étudié si les prévisionnistes partagent la même croyance en la loi d’Okun que les chercheurs. Ils utilisent des données provenant du Consensus Economics. Ils restreignent leur étude à un groupe d’économies avancées, en l’occurrence ceux du G7 (Allemagne, Canada Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La période analysée s’étend de 1989 à 2012. 

GRAPHIQUE Comparaison entre les coefficients d’Okun tirés des données empiriques et des prévisions (1989-2012)

Laurence-Ball--loi-d-Okun--coefficients-d-Okun--Allemagne--.png

source : Ball et alii (2014)

Ils montrent que les prévisions de croissance du PIB réel et les variations du chômage sont négativement corrélées dans chacun des pays qu’ils étudient, ce qui est cohérent avec la loi d’Okun. Pour de nombreux pays, le coefficient d’Okun tiré des prévisions est assez similaire à celui des données empiriques (cf. graphique). Par exemple, les faibles coefficients d’Okun qu’ils décèlent pour l’Allemagne, le Japon et l’Italie à partir des données empiriques se retrouvent également dans les prévisions réalisées pour ces trois pays. La croyance des prévisionnistes envers la loi d’Okun ne s’est pas démentie au cours de la Grande Récession, ce qui reflète sa survie dans les données. De plus, les révisions de prévisions de chômage sont négativement corrélées avec les révisions des prévisions du PIB réel : les premières sont revues à la baisse lorsque les secondes sont revues à la hausse. Cette corrélation est particulièrement forte pour l’année en cours, mais tend à s’affaiblir pour les horizons de prévision plus éloignés.

 

[1] Il ne faut toutefois pas oublier que la baisse du chômage n’est pas forcément aussi rapide que la création nette d’emploi (et inversement) : lorsque le chômage baisse, c’est-à-dire lorsque les chances d’être embauchées s’améliorent, des personnes qui s’étaient jusqu’alors retirées de la population active sont incitées à reprendre leur recherche d’emploi. La hausse du taux de chômage est contenue par la fuite d’une partie des travailleurs dans la population inactive, tandis que, symétriquement, la baisse du taux de chômage est freinée par le retour d’inactifs sur le marché du travail. Autrement dit, il faut parfois créer deux emplois pour qu’il y ait un chômeur en moins.

 

Références

BALL, Laurence, João Tovar JALLES & Prakash LOUNGANI (2014), « Do forecasters believe in Okun’s law? An assessment of unemployment and output forecasts », FMI, working paper, février.

BALL, Laurence, Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « Okun’s law: Fit at fifty », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 18668.

LOUNGANI, Prakash (2014)« Are jobs and growth still linked? », in iMFdirect (blog), 7 janvier.

OKUN, Arthur (1962), « Potential GNP: Its measurement and significance », in Proceedings of the Business and Economics Statistics Section, American Statistical Association.

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