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24 juillet 2016 7 24 /07 /juillet /2016 22:59

Si certains, comme Robert Gordon (2012), craignent que la croissance s’essouffle avec le ralentissement de l’innovation, d’autres pensent que cette dernière se poursuit au contraire à un rythme soutenu, mais avec de profonds effets pervers. Beaucoup, comme Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee (2012), craignent que les avancées technologiques, notamment celles associées à la révolution numérique, entraînent une réduction du nombre d’emplois disponibles dans l’économie. Certains, comme Lukas Karabarbunis et Brent Neiman (2013) estiment que la réduction de la part du revenu national rémunérant le travail que l’on a pu également observer ces dernières décennies dans les pays développés, en particulier aux Etats-Unis, s’explique précisément par le progrès technique : la baisse du prix des biens d’investissement, liée aux technologies d’information et de communication, pousserait les entreprises à délaisser le travail pour le remplacer par du capital dans le processus de production. Enfin beaucoup estiment également que le progrès technique a alimenté les inégalités salariales ces dernières décennies. Il serait en effet « biaisé en faveur du travail qualifié » (skill-biased) : les machines tendent à être plutôt complémentaires avec le travail qualifié, mais substituables avec le travail peu qualifié. D’un côté, les avancées technologiques permettent d’automatiser un nombre croissant de tâches de production, ce qui réduit la demande de main-d’œuvre qualifiée. De l’autre, l’innovation et l’adoption de machines toujours plus complexes accroissent la demande de main-d’œuvre très qualifiée. Comme la rémunération d'un facteur est censée être d'autant plus forte qu'il est demandé, les travailleurs peu qualifiés voient leurs salaires stagner, voire diminuer, tandis que les travailleurs qualifiés voient leurs salaires augmenter.

Daron Acemoglu et Pascual Restrepo (2016a, 2016b) jugent que certaines de ces craintes sont exagérées. Beaucoup par le passé, notamment certains des économistes les plus influents, qu’il s’agisse de Ricardo, de Keynes, de l’historien Heilbroner ou encore de Leontief, ont estimé que le « travail humain » deviendrait « redondant » et qu’un véritable « chômage technologique » se généraliserait. Les événements ont donné tort à ces auteurs... pour l'instant. Cela ne signifie pas que la présente vague d’innovations technologiques n’est pas destructrice d’emplois. Mais pour Acemoglu et Restrepo, rien ne suggère non plus qu’elle diffère des précédentes vagues d’innovations. Les dynamiques sur les marchés du travail des pays développés seraient en effet impulsées par deux forces technologiques : d’une part, l’automatisation des tâches existantes et, d’autre part, la création de nouvelles tâches de production complexes. Ces deux forces contribuent à la croissance économique, mais elles n’ont pas le même impact sur les prix des facteurs, l’emploi et les parts du revenu national rémunérant chaque facteur. L’automatisation permet aux entreprises de réaliser des tâches qui étaient autrefois réalisées par les travailleurs avec du capital, tandis que la création de nouvelles tâches complexes (pour lesquelles les travailleurs disposent d’un avantage comparatif par rapport aux machines) permet aux entreprises de remplacer les vieilles tâches par de nouvelles variantes pour lesquelles les travailleurs sont plus productifs.

Acemoglu et Restrepo proposent alors une modélisation pour examiner les répercussions de ces deux formes de progrès technique sur la croissance, l’emploi, les salaires et la répartition du revenu national. Ils s'inscrivent pleinement dans la tradition néoclassique en considérant que l'usage et la rémunération de chaque facteur de production dépend avant tout de son prix relatif. Dans la version statique de leur modèle, le capital est fixe et la technologie exogène. Ils montrent alors que la mécanisation réduit l’emploi et le part du revenu national rémunérant le travail, mais qu’elle est également susceptible de réduire les salaires. La création de tâches plus complexes conduit à l’enchaînement inverse : non seulement elle entraîne une hausse de l’emploi, de la part du revenu national rémunérant le travail et des salaires, mais elle est également susceptible de pousser le taux de rendement du capital à la baisse. Dans cette optique, pour que les avancées technologiques ne conduisent pas à l’avenir à une destruction nette d’emplois, la création de tâches domestiques doit être au moins aussi rapide que le processus d’automatisation.

Acemoglu et Restrepo complètent ensuite leur modèle en endogénéisant l’accumulation du capital et l’orientation de la recherche-développement en faveur de l’une ou de l’autre des forces technologiques en fonction des opportunités de profit qu’elles offrent respectivement. Par exemple, plus le coût du capital diminue, plus l’automatisation sera profitable, ce qui stimule cette dernière. Un sentier de croissance équilibrée et stable est possible, mais à la condition que l’automatisation et la création de nouvelles tâches complexes progressent au même rythme. La réponse du capital assure que les gains de productivité tirés de l’automatisation et de l’introduction de nouvelles tâches complexes affectent directement le travail (le facteur qui est relativement inélastique) et accroissent les salaires globaux à long terme, ce qui correspond à ce qu’Acemoglu et Restrepo qualifient d’« effet de productivité ». Même si ce dernier pousse les salaires réels à la hausse, l’automatisation réduit toujours la part du revenu national rémunérant le travail. Toutefois, à long terme, la réponse endogène de la technologie ramène la part du travail dans le revenu national et l’emploi à leurs niveaux initiaux, en raison d’effets-prix. Par exemple, si l’automatisation est plus rapide que la création de nouvelles tâches complexes, les forces du marché provoquent un ralentissement de l’automatisation et une accélération de la création de nouvelles tâches complexes. En effet, une hausse de l’automatisation réduit le coût d’usage du travail dans la production, ce qui décourage l’automatisation de nouvelles tâches et réoriente la recherche-développement en faveur de la création de nouvelles tâches intensives en travail. Au final, après avoir diminué, la part du revenu national rémunérant le travail augmente à nouveau. En outre, Acemoglu et Restrepo suggèrent qu’une automatisation rapide ne signale pas forcément une régression du travail, mais qu’elle pourrait au contraire précéder une phase d’innovations technologiques favorisant le travail.

Bien que l’économie possède de puissantes forces autocorrectrices, l’équilibre se caractérise cependant par un excès d’automatisation et par d'insuffisantes créations de nouvelles tâches complexes. Cette inefficacité apparaît parce que la mécanisation, qui permet aux entreprises d’économiser en termes de masse salariale, réagit aux hauts salaires : lorsqu’une partie des salaires correspond à des rentes, alors il y aura davantage d’automatisation que ne le désirerait un planificateur social et la technologie est alors biaisée, de façon inefficace, en faveur de la substitution du travail par le capital.

Finalement, Acemoglu et Restrepo étendent leur modèle pour prendre en compte la diversité des compétences et ils considèrent que la main-d’œuvre qualifiée présente un avantage comparatif dans les nouvelles tâches complexes. L’automatisation détruit les emplois des travailleurs peu qualifiés, ce qui accroît les inégalités de revenu en réduisant la demande de travail peu qualifié. De même, toujours parce que les travailleurs qualifiés ont un avantage comparatif dans les nouvelles tâches complexes, la création de telles tâches contribue également à accroître les inégalités de revenu, mais cette fois-ci en stimulant la demande de travail qualifié. Mais des forces autocorrectrices limitent la hausse des inégalités à long terme. En effet, les nouvelles tâches finissent pas être standardisées, si bien qu'elles peuvent employer des travailleurs peu qualifiés de façon plus productive.

 

Références

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2016a), « The race between machine and man: Implications of technology for growth, factor shares and employment », NBER, working paper, n° 22252, mai.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2016b), « The race between machines and humans: Implications for growth, factor shares and jobs », in voxEU.org, juillet.

BRYNJOLFSSON, Erik, & Andrew MCAFEE (2014), The Second Machine Age, Norton.

GORDON, Robert (2012), « Is U.S. economic growth over? Faltering innovations confronts the six headwinds », NBER, working paper, n° 18315.

KARABARBUNIS, Lukas, & Brent NEIMAN (2013), « The global decline of the labor share », NBER, working paper, n° 19136.

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16 avril 2016 6 16 /04 /avril /2016 13:48

La hausse du chômage observée depuis la Grande Récession relève essentiellement du chômage conjoncturel, mais le chômage structurel semble également s’être accru, comme le suggère la courbe de Beveridge. Cette dernière désigne une relation inverse entre le taux de vacance d’emplois au taux de chômeurs (cf. graphique 1). Elle tire son nom de William Beveridge, qui avait noté en 1958 que le nombre d’emplois vacants diminuait à mesure que le chômage augmente, mais aussi que des postes étaient toujours vacants lorsque le chômage était élevé. En effet, lorsque l’économie subit une récession, les destructions d’emplois deviennent plus fortes que les créations d’emplois, si bien que le nombre d’emplois vacants diminue et que le nombre de chômeurs augmente [Mortensen et Pissarides, 1994]. A l’inverse, en période de reprise, le nombre d’emplois vacants augmente et le nombre de chômeurs diminue. Ainsi, à mesure que le cycle d’affaires se déroule, on tend à se déplacer le long de la courbe de Beveridge.

GRAPHIQUE 1  La courbe de Beveridge

Comment expliquer les déplacements de la courbe de Beveridge ?

Toutefois, la courbe de Beveridge peut elle-même se déplacer. En l’occurrence, elle s’éloigne de l’origine lorsque l’appariement entre l’offre et la demande de travail se dégrade. Autrement dit, l’éloignement de la courbe de Beveridge correspond à une détérioration du chômage structurel, ou tout du moins de sa composante frictionnelle : pour un nombre donné d’emplois vacants, le nombre de chômeurs augmente ou bien, pour un nombre de chômeurs donné, le nombre d’emplois vacants augmente. Il peut y avoir inadéquation (mismatch) entre les offres d’emploi et les travailleurs aussi bien en termes de type de métier ou en termes de niveau de qualification qu’en termes de situation géographique. Des tendances lourdes, comme le progrès technique ou la mondialisation qui entraînent des chocs de réallocation et un processus de destruction créatrice, peuvent contribuer à accroître le chômage d’inadéquation. Lorsqu’une récession se prolonge, les effets d’hystérèse peuvent contribuer à transformer le chômage conjoncturel en chômage structurel : par exemple, plus travailleurs restent longtemps au chômage, plus ils perdent en compétences et en motivation, moins ils deviennent employables, plus ils sont susceptibles de rester piégés au chômage, voire de sortir de la population par découragement. Autrement dit, le cycle d’affaires ne conduirait à seulement à des déplacements sur la courbe de Beveridge, mais contribuerait également à déplacer celle-ci [Blanchard et Diamond, 1989]. En observant la période entre 1951 et 2000, Peter Diamond et Ayşegül Şahin (2014) constatent que les épisodes de détérioration de l’appariement aux Etats-Unis coïncident avec les récessions. En outre, certains mettent l’accent sur le rôle ambigu des institutions du marché du travail, en affirmant que celles-ci conduiraient à freiner la baisse du chômage lors des reprises malgré l’accélération des créations de postes [Blanchard et Wolfers, 2000]. Par exemple, selon la théorie de la prospection d’emploi (job search), la générosité du système d’indemnisation du chômage peut elle-même inciter les chômeurs à rechercher moins activement un emploi et à accroître leur salaire de réservation, c’est-à-dire à accroître le niveau de salaire en-deçà duquel ils refusent un emploi. Ou encore, le renforcement des procédures d’embauche et de licenciement, ainsi que la plus forte taxation du travail, peuvent désinciter les entreprises à embaucher malgré leurs besoins en main-d’œuvre.

La hausse du chômage observée depuis la Grande Récession relève essentiellement du chômage conjoncturel, mais le chômage structurel semble également s’être accru, comme le suggère les évolutions de la courbe de Beveridge dans de nombreux pays développés. Par exemple, Boele Bonthuis, Valerie Jarvis et Juuso Vanhala (2015) ont observé les déplacements de la courbe de Beveridge de l’ensemble de la zone euro à long terme (cf. graphique 2). Ils constatèrent qu’elle s’est éloignée de l’origine à la fin des années quatre-vingt-dix, puis qu’elle s’est rapprochée de l’origine au milieu des années deux mille, puis qu’elle s’en est à nouveau éloignée à partir de la crise financière mondiale. Bien sûr, les évolutions de la courbe de Beveridge ont été hétérogènes d’un pays-membre à l’autre au cours de la Grande Récession : par exemple, elle s’est éloignée de l’origine en Espagne, en France et en Grèce, tandis qu’elle s’en est rapprochée en Allemagne.

GRAPHIQUE 2  Evolution de la courbe de Beveridge de la zone euro

source : Bonthuis et alii (2015)

Elva Bova, João Tovar Jalles et Christina Kolerus (2016) ont analysé les conditions et politiques économiques susceptibles d’affecter l’appariement entre la demande et l’offre de travail. Ils identifient les déplacements des courbes de Beveridge pour 12 pays de l’OCDE entre le premier trimestre 2000 et le quatrième trimestre 2013 en utilisant trois méthodologies complémentaires. Ils constatent que la croissance de la population active et la réglementation de la protection de l’emploi réduisent la probabilité d’un déplacement vers le nord-est de la courbe de Beveridge. Ils constatent aussi que le processus d’appariement est d’autant plus difficile que la part des salariés avec des niveaux intermédiaires d’éducation dans la population active est élevée, que la part des jeunes parmi les chômeurs est faible, que la part des travailleurs âgés dans le chômage est élevée et que le chômage de long terme est important. Bova et ses coauteurs estiment que les politiques qui facilitent l’appariement sur le marché du travail, c’est-à-dire qui rapprochent la courbe de Beveridge de l’origine, incluent les politiques actives, telles que les incitations à créer les entreprises et les programmes de partage du travail. Ils constatent en outre que la protection de l’emploi est négativement corrélée avec le chômage frictionnel. En effet, un resserrement de la protection du travail réduit la rotation (turn-over) de la main-d’œuvre et par là l’activité de recherche d’emploi. Par contre, un accroissement du coin fiscal, des cotisations sociales et des allocations chômage contribuerait au contraire à dégrader le processus d’appariement, donc à éloigner la courbe de Beveridge de l’origine.

 

Références

BLANCHARD, Olivier, & Peter A. DIAMOND (1989), « The Beveridge curve », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1.

BONTHUIS, Boele, Valerie JARVIS & Juuso VANHALA (2013), « What’s going on behind the euro area Beveridge curve(s)? », BCE, working paper, n° 1586.

BONTHUIS, Boele, Valerie JARVIS & Juuso VANHALA (2015), « Shifts in euro area Beveridge curves and their determinants », Banque de Finlande, working paper, n° 2015-2.

BOVA, Elva, João Tovar JALLES & Christina KOLERUS (2016), « Shifting the Beveridge curve: What affects labor market matching? », FMI, working paper, n° 16/93.

BLANCHARD, Olivier, & Justin WOLFERS (2000), « The role of shocks and institutions in the rise of European unemployment: the aggregate evidence », in Economic Journal, vol. 110, n° 462.

DIAMOND, Peter A., & Ayşegül ŞAHIN (2014), « Shifts in the Beveridge curve », Federal Reserve Bank of New York, staff report, n° 687.

MORTENSEN, Dale T., & Christopher A. PISSARIDES (1994), « Job creation and job destruction in the theory of unemployment », in Review of Economic Studies, vol. 61.

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28 mars 2016 1 28 /03 /mars /2016 10:33

De nombreuses études ont montré que le marché du travail s’est polarisé ces dernières décennies dans plusieurs pays avancés, en premier lieu aux Etats-Unis et au Royaume-Uni : les parts de l’emploi dans les professions très rémunérées et les professions peu rémunérées ont augmenté, alors que la part des professions au salaire intermédiaire a diminué. Cette polarisation s’est accompagnée d’un creusement des inégalités de salaires. Certaines études empiriques, notamment celles de Maarten Goos, Alan Manning et Anna Salomons (2009, 2014) suggèrent que les pays d’Europe continentale ont connu la même dynamique, mais elles restent encore bien rares.

L’une des explications souvent avancée dans les études anglo-saxonnes, notamment par David Autor, Frank Levy et Richard Murnane (2003), est l’hypothèse de la routinisation. En l’occurrence, les avancées technologiques réalisées dans le domaine des technologies d’information et de communication (TIC) permettent aux machines d’effectuer les tâches routinières codifiables qui étaient jusqu’alors réalisées par les travailleurs. Or ces tâches sont surtout effectuées par des travailleurs qui se situent généralement au milieu de la répartition des salaires. Par conséquent, la diffusion des TIC a pu réduire la demande de travailleurs moyennement rémunérés. D’autre part, les TIC tendent à être complémentaires aux tâches cognitives non routinières, réalisées par les travailleurs très qualifiés et très rémunérés, si bien que leur diffusion a pu accroître la demande de main-d’œuvre très rémunérée et pousser davantage ses rémunérations à la hausse. Outre le rôle de la routinisation découlant du progrès technique, beaucoup ont relié la polarisation aux délocalisations, qui amènent à réaliser par une main-d’œuvre étrangère des tâches jusqu’alors réalisées par une main-d’œuvre domestique [Grossman et Rossi-Hansberg, 2009]. Cette seconde explication est toutefois insuffisante, dans la mesure où la polarisation semble toucher l’ensemble des secteurs de l’économie, alors que les délocalisations touchent essentiellement les activités manufacturières.

James Harrigan, Ariell Reshef et Farid Toubal (2016) ont cherché à éclaircir la question dans le cas français. L’économie française apparaît en effet à leurs yeux comme un laboratoire idéal pour analyser les changements dans la structure de l’emploi : il s’agit de la deuxième plus grande économie en Europe ; la répartition des salaires y a été relativement stable ces dernières décennies, malgré l’envolée des plus hauts salaires, ce qui suggère que son marché du travail s’ajuste avant tout via l’emploi lorsque l’économie subit des chocs de demande.

En utilisant des données relatives aux salariés de l’ensemble du secteur privé entre 1994 et 2007, Harrigan et ses coauteurs montrent que le marché du travail français s’est également polarisé. Ces changements sont amples et se sont produits rapidement. Même si leurs institutions du marché du travail sont très différentes, la polarisation qui s’est produite en France entre 1994 et 2007 est assez similaire, que ce soit dans sa forme ou dans son ampleur, à celle qui a marqué les Etats-Unis entre 1980 et 2005, ce qui suggère que les mêmes forces ont été à l’œuvre des deux côtés de l’Atlantique. Ils sont susceptibles d’accroître les inégalités en France en réallouant une partie de la main-d’œuvre moyenne qualifiée vers les professions très qualifiées et le reste vers les professions peu qualifiées. La France n’a pas été préservée du progrès technique et de la mondialisation commerciale : entre 1994 et 2007, la part des heures travaillées dans les professions associées à la technologie (que les auteurs nomment « techies ») a fortement augmenté, tout comme les importations et les exportations. 

Harrigan et ses coauteurs ont alors exploré les liens causaux entre ces diverses tendances en partant notamment de l’idée que l’adoption des nouvelles technologies est intermédiée par un personnel particulier, les « techies », composé notamment de dirigeants techniquement qualifiés et de techniciens. Ils utilisent alors un nouvel indicateur de la propension d’une entreprise à adopter une nouvelle technologie : la part des emplois de techies au sein de son personnel. En utilisant le sous-échantillon des entreprises qui sont en activité sur l’ensemble de la période, ils montrent que non seulement la part des techies a augmenté dans toutes les entreprises, mais aussi que ce sont les entreprises avec le plus de techies en 2002 qui ont connu la plus forte polarisation et la plus forte croissance entre 2002 et 2007. Les délocalisations ont par contre eu tendance à freiner la croissance de l’emploi. Ce sont les entreprises qui importent avant tout des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire qui ont connu une plus faible croissance de l’emploi, en raison de l’importation de biens intermédiaires, ce qui suggère que les délocalisations contribuent à ralentir la croissance de l’emploi. Parmi les cols bleus dans l’industrie manufacturière, les importations entraînèrent une amélioration des qualifications : la part des travailleurs qualifiés augmenta, ce qui est cohérent avec le scénario des délocalisations. Les exportations ont par contre provoqué une dégradation des qualifications : la part des travailleurs moyennement rémunérés a diminué, tandis que la part des travailleurs peu rémunérés a augmenté. Ils en concluent que le progrès technique, intermédié par les techies, est une cause importante derrière la polarisation de l’ensemble des secteurs français. Le commerce international a également contribué à la polarisation, mais seulement dans l’industrie manufacturière. 

 

Références

AUTOR, David H., Frank LEVY & Richard J. MURNANE (2003), « The skill content of recent technological change: An empirical exploration », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 4.

GOOS, Maarten, Alan MANNING & Anna SALOMONS (2009), « Job polarization in Europe », in The American Economic Review, vol. 99, n° 2.

GOOS, Maarten, Alan MANNING & Anna SALOMONS (2014), « Explaining job polarization: Routine-biased technological change and offshoring », in The American Economic Review, vol. 104, n° 8.

GROSSMAN, Gene M., & Esteban ROSSI-HANSBERG (2008), « Trading tasks: A simple theory of offshoring », in American Economic Review, n° 98.

HARRIGAN, James, Ariell RESHEF & Farid TOUBAL (2016), « The march of the techies: Technology, trade, and job polarization in France, 1994-2007 », NBER, working paper, n° 22110.

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