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24 février 2015 2 24 /02 /février /2015 21:40

Avec la crise financière mondiale, puis la crise de la zone euro, le taux de chômage de l'ensemble de la zone euro est passé de 7,5 % à 11,9 % entre 2007 et 2013. Il y a eu toutefois une forte hétérogénéité entre les pays : en 2013, le taux de chômage fut proche de 5 % en Allemagne, tandis qu’il était supérieur à 25 % en Grèce et en Espagne. Alors que la création de l’Union européenne et surtout de la zone euro visait une convergence de leurs pays-membres, ces derniers n’ont pas basculé dans la Grande Récession avec les mêmes taux de chômage et les récentes turbulences économiques ont conduit à une divergence de leurs taux de croissance. L’hétérogénéité semble encore plus forte au sein de chaque pays-membre. Par exemple, en Belgique, le taux de chômage de Bruxelles est près de cinq fois supérieur à celui de la Flandre Orientale.

Alors qu’Olivier Blanchard et Lawrence Katz (1992) avaient montré qu’il y a avait une hétérogénéité persistante des taux de chômage entre les différents Etats composant les Etats-Unis, Jorg Decressin et Antonio Fatás (1995) ont constaté qu’il y avait une plus forte hétérogénéité entre les régions européennes. En outre, les variations des taux de chômage des régions européennes sont moins corrélées qu’au sein des Etats-Unis et elles connaissent de plus fortes amplitudes. Henry Overman et Diego Puga (2002) se sont focalisés sur la distribution spatiale des taux de chômage de 150 régions européennes et ils mettent en évidence une polarisation croissante de ceux-ci entre 1986 et 1996. Robert Beyer et Frank Smets (2014) observent quant à eux une convergence rapide des taux de chômage régionaux après l’introduction de l’euro, puis une divergence après 2008. Ángel Estrada, Jordi Galí et David López-Salido (2013) montrèrent qu’avant 2008, les régions dans les autres pays développés ont également connu une convergence, mais moins forte qu’au sein de l’Europe.

Robert Beyer et Michael Stemmer (2015) ont étudié la distribution des taux de chômage régionaux en Europe au cours des trois dernières décennies. Ils prolongent ainsi directement les travaux d’Overman et de Puga en observant l’impact de l’introduction de l’euro et des récentes crises sur les taux de chômage régionaux. Ils montrent que l’évolution des taux de chômage régionaux entre 1986 et 2013 a connu trois périodes différentes. La période s’étalant entre 1986 et 1996 fut marquée par une polarisation des taux de chômage régionaux. Avec l’introduction de l’euro, les taux de chômage régionaux convergèrent rapidement. En l’occurrence, le coefficient de Gini a diminué de 20 % entre 1996 et 2007 en passant de 0,28 à 0,23. Avec l’éclatement de la crise financière, cette dynamique s’est inversée. Les taux de chômage régionaux ont en effet de nouveau divergé à partir de 2008 et l’hétérogénéité atteint aujourd’hui des niveaux sans précédents. Entre 2007 et 2013, le coefficient de Gini des taux de chômage régionaux a augmenté de 50 %, tandis que l’indicateur de polarisation a augmenté de 60 %. En outre, ce sont les régions qui convergèrent vers la moyenne de l’UE avant la crise qui divergèrent après celle-ci, si bien que les taux de chômage régionaux présentent une forte persistance.

GRAPHIQUE  Ecart des taux de chômage régionaux vis-à-vis de la moyenne de l’UE (en points de pourcentage)

Comment ont évolué les taux de chômage des régions européennes ?

source : Beyer et Stemmer (2015)

Les fluctuations européennes expliquent les deux cinquièmes de la variance des taux de chômage régionaux, ce qui signifie qu’il existe un cycle européen du chômage. Les facteurs spécifiques aux pays expliquent une part tout aussi importante de la variance. Par conséquent, seul un cinquième des variations des taux de chômage s’explique par des facteurs spécifiques aux régions. Beyer et Stemmer attribuent la convergence observée entre 1996 et 2007 aux seuls facteurs nationaux. Par contre, la divergence observée entre 2007 et 2013 trouve son origine dans des facteurs spécifiques aux pays et aux régions.

Les régions européennes réagissent d’une manière très hétérogène aux fluctuations européennes et nationales. Par exemple, les taux de chômage des régions allemandes, de Bruxelles et du Luxembourg ont réagi dans le sens opposé des autres régions. En outre, les taux de chômage régionaux sont particulièrement sensibles aux facteurs nationaux en Italie et en Angleterre. Il y a également de fortes différences au sein de chaque pays. L’hétérogénéité du marché du travail est la plus forte en Belgique et en Italie, tandis qu’elle est la plus faible aux Pays-Bas, au Portugal et en France.

 

Références

BEYER, Robert, & Frank SMETS (2014), « Regional labour market adjustments in Europe and the US: How different? », document de travail.

BEYER, Robert, & Michael STEMMER (2015), « From progress to nightmare – European regional unemployment over time », DeNederlandscheBank, working paper, n° 458, 16 janvier.

BLANCHARD, Olivier, & Lawrence KATZ (1992), « Regional evolutions », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1.

DECRESSIN, Jorg, & Antonio FATÁS (1995), « Regional labour market dynamics in Europe », in European Economic Review, vol. 39, n° 9.

ESTRADA, Ángel, Jordi GALÍ & David LÓPEZ-SALIDO (2013), « Patterns of convergence and divergence in the euro area », IMF Economic Review, vol. 61, n° 4.

OVERMAN, Henry, & Diego PUGA (2002), « Unemployment clusters across Europe's regions and countries », in Economic Policy, vol. 17, n° 34.

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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 13:29

La courbe de Beveridge est utilisée pour décrire, d’une part, l’état conjoncturel du marché du travail et, d’autre part, l’efficacité du marché du travail en termes d’appariement entre les travailleurs et les emplois. Elle trace une relation négative entre les taux de chômage et les taux d’emplois vacants au cours du cycle d’affaires. Lors des expansions, le taux de chômage est faible et le taux d’emplois vacants est élevé ; lors d’une récession, le taux de chômage est élevé et le taux d’emplois vacants est faible. Ainsi, en général, plus une économie s’éloigne du plein emploi, plus le taux d’emplois vacants diminue. Ainsi, les déplacements le long de la courbe de Beveridge sont typiquement interprétés comme reflétant des dynamiques conjoncturelles. Par contre, les déplacements de la courbe de Beveridge sont typiquement interprétés comme reflétant des changements structurels. En l’occurrence, si la courbe de Beveridge s’éloigne de l’origine (par exemple, si, en raison d’un choc technologique, de plus en plus d’emplois vacants exigent des qualifications dont ne disposent pas les chômeurs), le taux de chômage sera plus élevé qu’auparavant pour un même taux d’emplois vacants ou, réciproquement, le taux d’emplois vacants sera plus élevé qu’auparavant pour un même taux de chômage : l’appariement est moins efficace.

Boele Bonthuis, Valerie Jarvis et Juuso Vanhala (2015) ont alors analysé l’évolution de la courbe de Beveridge au niveau agrégé de l’ensemble de la zone euro au cours des 25 dernières années.  Les mouvements d’avant-crise marquent la dynamique typique du cycle d’affaires, avec une chute du taux de chômage et une hausse du taux d’emplois vacants, donc un resserrement du marché du travail (cf. graphique 1a). Lorsque la Grande Récession débuta (au premier trimestre 2008), le taux d’emplois vacant chuta brutalement et le chômage augmenta fortement. Cette dynamique s’est poursuivie même après le début de la reprise au troisième trimestre 2009. Toutefois, quand le taux d’emplois vacants s’est amélioré, le taux de chômage n’a pas diminué. Lorsque Bonthuis et ses coauteurs observent l’évolution de la courbe de Beveridge en zone euro à plus long terme, ils constatent que celle-ci s’est éloignée de l’origine à la fin des années quatre-vingt-dix (cf. graphique 1b). Ensuite, au milieu des années deux mille, le chômage de la zone euro est devenu bien plus sensible aux développements des emplois vacants, ce qui s’est traduit par un rapprochement de la courbe de Beveridge de l’origine (cf. lignes bleues sur le graphique 1b). Il y a une claire déviation par rapport à la précédente relation chômage-emplois vacants depuis le début de la crise, ce qui suggère une aggravation du chômage structurel.

GRAPHIQUE 1  Evolution de la courbe de Beveridge de la zone euro

Comment s'est comportée la courbe de Beveridge en zone euro ?

Il y a par contre une forte hétérogénéité des comportements de la courbe de Beveridge d’un pays-membre à l’autre. Au début de la crise mondiale, les taux d’emplois vacants ont brutalement chuté, tandis que le taux de chômage a fortement augmenté dans la quasi-totalité des pays de la zone euro. Depuis 2009, les taux d’emplois vacants ont quelque peu retrouvé leur niveau initial dans plusieurs pays, mais les taux de chômage sont restés élevés ou ont continué à augmenter. En fait, la majorité des pays-membres ne présentent pas de déplacements significatifs de la courbe de Beveridge. Par contre, la courbe de Beveridge s’est clairement éloignée de l’origine en Espagne, en France et en Grèce, tandis qu’elle s’est rapprochée de l’origine en Allemagne (cf. graphique 2). L’analyse suggère que la courbe de Beveridge pourrait également s’être éloignée de l’origine en Italie et aux Pays-Bas, mais ce résultat est moins robuste.

 

GRAPHIQUE 2  Evolution de la courbe de Beveridge dans les quatre plus grandes économies de la zone euro

Comment s'est comportée la courbe de Beveridge en zone euro ?

Bonthuis et ses coateurs ont alors cherché à  identifier les facteurs sous-jacents à ces dynamiques en utilisant la méthode des projections locales de Jorda (2005). Ils constatent une inadéquation des compétences et les données empiriques pourraient également suggérer des problèmes d’appariement sectoriel et d’appariement géographique. Une part élevée de travailleurs peu qualifiés, un taux d’accession à la propriété élevé et une part élevée des travailleurs (précédemment) employés dans le secteur de la construction tend à éloigner la courbe de Beveridge de l’origine dans le cas d’un choc négatif. Une part élevée des femmes dans la population active tend à atténuer ces effets.

Le déplacement de la courbe de Beveridge vers l’extérieur suggère une aggravation du chômage structurel. En d’autres termes, les taux de chômage parviendront difficilement à revenir aux niveaux d’avant-crise avec la seule poursuite de la croissance économique. Cet « enkystement » du chômage à long terme a plusieurs implications en termes de politique économique. En ce qui concerne la politique monétaire, le reflux du chômage pourrait se traduire plus rapidement par des pressions inflationnistes. En termes de politique de l’emploi, ce déplacement suggère que les politiques conjoncturelles ne peuvent ramener à elles seules les économies au plein emploi, si bien que les autorités publiques devraient s’appuyer sur des réformes structurelles pour réduire le chômage. La composante structurelle du chômage pourrait en effet être importante : en moyenne, le chômage structurel de la zone euro pourrait être passé de 8,8 % à 10,3 % entre 2008 et 2013 [Cohen-Setton, 2014].

Cela n’amène toutefois pas à rejeter l’usage des politiques conjoncturelles. D’une part, les estimations du chômage structurel restent entourées d’incertitude. D’autre part, si une composante du chômage est structurelle, il demeure toujours une composante conjoncturelle. En l’occurrence, il est d’autant plus impérieux d’utiliser les politiques expansionnistes pour réduire cette dernière qu’elle risque de devenir peu à peu structurelle en raison des phénomènes d’hystérèse, les chômeurs devenant de moins en moins employables au fur et à mesure qu’ils restent longtemps au chômage. Le déplacement de la courbe de Beveridge dans plusieurs pays-membres pourrait s’expliquer (du moins en partie) par le fait que les autorités publiques aient suffisamment stimulé l’activité suite à la Grande Récession.

 

Références

BONTHUIS, Boele, Valerie JARVIS & Juuso VANHALA (2013), « Whats going on behind the euro area Beveridge curve(s)?  », BCE, working paper, n° 1586.

BONTHUIS, Boele, Valerie JARVIS & Juuso VANHALA (2015), « Shifts in euro area Beveridge curves and their determinants », Banque de Finlande, working paper, n° 2015-2, 3 février.

COHEN-SETTON, Jérémie (2014), « Blogs review: The shift in the Beveridge curve », in Bruegel (blog), 8 septembre.

JORDA, Oscar (2005), « Estimation and inference of impulse responses by local projections », in American Economic Review, vol. 95, n° 1.

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1 janvier 2015 4 01 /01 /janvier /2015 12:27

La loi d’Okun suggère qu’un déclin de la croissance économique compris entre 2 et 3 points de pourcentage est typiquement associé à une hausse du taux de chômage d’un point de pourcentage. Si la relation est remarquablement stable à long terme, elle peut considérablement varier à court terme. Certains ont suggéré que la relation changeait lors des crises économiques. Par exemple, lors de la Grande Récession, les turbulences financières et la chute des prix immobiliers pourraient avoir entraîné un chômage plus élevé pour un niveau donné de la production. D’autres suggèrent que le chômage tend à moins baisser lorsque la production augmente car il peut y avoir une pénurie de travailleurs aux compétences spécifiques pour les emplois nouvellement disponibles. Laurence Ball, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013) ont toutefois constaté que la loi d’Okun demeure une relation robuste et stable, même lors de la récente crise économique

Les diverses études qui se sont penchées sur le lien empirique entre PIB et chômage n'ont pas distingué les évolutions du PIB selon l'évolution de ses composantes. Or Robert Anderton, Ted Aranki, Boele Bonthuis et Valerie Jarvis (2014) affirment qu’une version de la relation d’Okun qui distingue la réaction du chômage en fonction des différentes composantes du PIB, permet de prédire plus finement l’évolution du chômage qu’une relation d’Okun agrégée. Les quatre auteurs testent cette hypothèse en utilisant un ensemble de données relatives à 17 pays-membres de la zone euro au cours de la période s’étalant entre le premier trimestre 1996 et le dernier trimestre 2013. Celle-ci couvre donc la préparation de l’UEM, son lancement, les années de « forte croissance » du milieu des années deux mille, puis la Grande Récession et la crise de la zone euro. 

Leur analyse suggère que le chômage de la zone euro est particulièrement sensible aux variations de la composante consommation du PIB, mais peu sensible aux évolutions du commerce extérieur, en l’occurrence aux évolutions des exportations et des importations. La forte sensibilité du chômage à la consommation s’expliquerait par la nature intensive en travail des services, ces derniers représentant l’essentiel des dépenses de consommation. A l’inverse, les exportations de biens représentent 75 % des exportations en zone euro et c’est le secteur industriel qui les produit essentiellement. Or ce dernier se caractérise par une plus forte productivité et un contenu moins intensif en travail que les services.

Cette réaction différentielle du chômage peut contribuer à expliquer les différences que l’on a pu observer d’un pays-membre à l’autre dans l’évolution du chômage pour une variation donnée de la production. En outre, l’élasticité relativement faible du commerce extérieur peut expliquer pourquoi le taux de chômage de plusieurs pays-membres (en particulier celui des grands exportateurs comme l’Allemagne où la contraction de l’activité s’explique principalement par la chute des exportations) ne s’est pas autant accru que ne l’aurait suggéré une simple relation d’Okun agrégée. Inversement, des pays-membres come l’Espagne ou la Grèce ont connu une forte détérioration de la demande agrégée et une forte hausse du chômage ; cette étude confirme donc que la seconde s’explique bel et bien par la première.

Certes l’adoption d’un modèle de croissance orienté sur la demande extérieure permet peut-être de déconnecter le chômage des évolutions de l’activité domestique. Pourtant les résultats d’Anderton et alii amènent à douter de l’opportunité de mettre en œuvre certaines réformes structurelles en période de récession dans l’objectif de réduire le chômage. Par exemple, les pays périphériques de la zone euro ont mis en œuvre des dévaluations internes visant à stimuler la demande extérieure. De telles réformes ont alimenté le chômage à court terme en déprimant la demande domestique, mais elles furent mises en œuvre dans l’espoir de stimuler la création d’emploi à moyen terme avec l’essor des exportations. Or cette nouvelle étude suggère que ces gains de moyen terme ne peuvent compenser les destructions d’emploi à court terme. La création d’emplois demeure intimement liée à la demande intérieure. 

 

Références

ANDERTON, Robert, Ted ARANKI, Boele BONTHUIS et Valerie JARVIS (2014), « Disaggregating Okun's law: Decomposing the impact of the expenditure components of GDP on euro area unemployment », BCE, working paper, n° 1747, décembre.

BALL, Laurence M., Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « Okun's law; Fit at 50? », FMI, working paper, n° 13/10.

OKUN, Arthur M. (1962), « Potential GNP: its measurement and significance », American Statistical Association, Proceedings of the Business and Economics Statistics Section.

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