Afin de démontrer les vertus des régimes de change flexibles sur les régimes de change fixes à une époque où le système monétaire international était organisé autour des accords de Bretton Woods, Milton Friedman (1953) a soulevé l’hypothèse que les régimes de change flexible accélèrent le retour des comptes courants à l’équilibre, donc l’élimination des déséquilibres courants. Selon lui, les taux de change nominaux s’ajustent rapidement, automatiquement et continuellement, ce qui empêche que des déséquilibres s’accumulent et conduisent à une crise douloureuse. Lorsqu’ils laissent librement flotter leur monnaie, les pays déficitaires connaissent une dépréciation de leur taux de change, ce qui restaure leur compétitivité et réduit leur déficit, tandis que les pays excédentaires connaissent une appréciation de leur taux de change, ce qui dégrade leur compétitivité et réduit leur excédent.
Cette hypothèse a très rapidement été acceptée par une majorité d’économistes et elle a été utilisée comme justification les appels à une flexibilisation des taux de change au cours des dernières décennies. Le fait que les pays ayant ancré leur monnaie sur une autre devise semblent avoir le plus lourdement souffert lors de la crise financière semble l’avoir confirmée. De même, encore plus récemment, non seulement la crise de la zone euro montre que l’union monétaire favorise l’apparition de déséquilibres courants, mais aussi parce que la fixité (définitive ?) des taux de change complique l’ajustement des économies. Pourtant, l’hypothèse de Friedman n’a fait que très récemment l’objet de tentatives de vérifications empiriques, en l’occurrence à partir des travaux pionniers de Menzie Chinn et Shang-Jin Wei (2008).
Ces études, bien qu’encore limitées, ne s’accordent pas pour valider ou rejeter l’hypothèse de Friedman. Par exemple, à partir d’un échantillon de 170 pays au cours de la période s’écoulant entre 1971 et 2005, Chinn et Wei ont conclu à l’absence de lien fort, robuste ou monotone entre le régime de change et la vitesse de l’ajustement des comptes courants. Leurs résultats ont toutefois été jugés peu solides, notamment parce que leur étude ne prend pas bien en compte les effets de seuil et qu’elle utilise une classification des régimes de change trop rigide.
Selon Atish Ghosh, Marco Terrones et Jeromin Zettelmeyer (2010), le fait que les régimes de taux de change rigides soient associés à des déséquilibres courants plus importants en valeur absolu, suggérant l’absence des forces correctrices avant l’accumulation de déséquilibres, et le fait que les renversements abrupts de comptes courants soient plus fréquents dans les régimes fixes que les régimes flottants tendent à confirmer l’hypothèse de Friedman. Ghosh et ses coauteurs utilisent une classification des régimes de change qu’ils jugent plus pertinente que celle utilisée par Chinn et Wei et ils prennent en compte les non-linéarités. Ils constatent alors que les régimes flexibles sont associés à un rééquilibrage plus rapide des soldes courants dans la plupart des cas et aussi de larges excédents courants. D’un autre côté, les soldes courants tendent à être plus persistants sous les régimes flexibles dans le cas de larges déficits. Ce résultat peut toutefois être interprété comme reflétant l’occurrence de crises associées aux renversements abrupts de comptes courants dans les régimes plus rigides. En observant un plus large ensemble de déterminants de persistance du compte courant, Erica Clower et Hiro Ito (2012) constatent que, pour les pays en développement et émergents, les régimes de change ne sont généralement pas un déterminant robuste de la persistance des comptes courants, mais aussi que la fixation du taux de change accroît la probabilité d’entrer dans des épisodes locaux non stationnaires. De leur côté, Atish Ghosh, Mahvash Qureshi et Charalambos Tsangarides (2014) ont récemment suggéré que les classifications de régimes de taux de change masquent des relations hétérogènes entre les pays, si bien qu’il faut prendre en compte les accords de taux de change et les flux bilatéraux pour tester l’hypothèse de Friedman. Ce faisant, à partir d’un échantillon de 181 pays au cours de la période s’écoulant entre 1980 et 2011, ils constatent que les taux de change bilatéraux flexibles sont associés à un rééquilibrage plus rapide des soldes commerciaux bilatéraux.
Encore plus récemment, Fernando Eguren-Martín (2015) a analysé systématiquement la relation entre régime de change et vitesse d’ajustement des soldes courants en utilisant un échantillon de 180 pays au cours de la période s’écoulant entre 1960 et 2007. Il utilise une classification alternative des régimes de change et prend en compte le fait que les arrêts soudains (sudden stops) des flux de capitaux puissent brouiller les résultats. A l’inverse des études précédentes, il constate des preuves empiriques en faveur de l’idée que les régimes flexibles accélèrent l’ajustement des comptes courants dans les pays non industriels : ces derniers présentent en effet une plus forte persistance de leurs déséquilibres courants lorsqu’ils disposent un régime fixe que lorsqu’ils laissent flotter leur monnaie. Ainsi, Eguren-Martín tend à confirmer l’hypothèse de Friedman. En outre, il identifie les canaux par lesquels cet effet s’opère. L’analyse empirique suggère que les exportations répondent au comportement de changement des dépenses des consommateurs lorsque ces derniers font face aux variations des prix relatifs internationaux : ils tendent en effet à substituer les produits locaux aux produits étrangers, ou inversement. Le crédit semble effectivement affecter le degré de persistance du compte courante, principalement via ses répercussions sur le financement des déficits.
Références
CHINN, Menzie, & Shang-Jin WEI (2008), « A faith-based initiative meets the evidence: Does a flexible exchange rate regime really facilitate current account adjustment? », NBER, working paper, n° 14420, octobre.
CLOWER, Erica, & Hiro ITO (2012), « The persistence of current account balances and its determinants: The implications for global rebalancing », ADBI, working paper, n° 400.
EGUREN-MARTÍN, Fernando (2015), « Exchange rate regimes and current account adjustment: an empirical investigation », Banque d’Angleterre, staff working paper, n° 544.
FRIEDMAN, Milton (1953), « The case for flexible exchange rates », in Essays in Positive Economics.
GHOSH, Atish, Marco E. TERRONES & Jeromin ZETTELMEYER (2010), « Exchange rate regimes and external adjustment: New answers to an old debate », in C. Wyplosz (dir.), The New International Monetary System: Essays in Honor of Alexander Swoboda.
GHOSH, Atish, Mahvash S. QURESHI & Charalambos G. TSANGARIDES (2014), « Friedman redux: External adjustment and exchange rate flexibility », FMI, working paper, n° 14/146.