Comme bien d’autres pays développés, l’économie américaine a eu tendance à connaître un ralentissement de sa croissance ce dernier demi-siècle. Sa croissance tendancielle a particulièrement ralenti à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Elle a significativement accéléré dans les années 1990 pour atteindre un pic en 2000, avant de ralentir à nouveau les deux décennies suivantes. La date à laquelle ce nouveau ralentissement s’est amorcé reste sujette à débat : certains, comme John Fernald et alii (2017), estiment qu’elle se situe au milieu des années 2000, mais pour d’autres, comme Juan Antolin-Diaz et alii (2017), elle se situerait bien plus tôt au début de la décennie. Dans tous les cas, il est plutôt admis que le début du ralentissement est antérieur à la crise financière mondiale.
GRAPHIQUE 1 Croissance du PIB et inflation aux Etats-Unis (en %)
source : Maffei-Faccioli (2021)
Les raisons derrière le ralentissement observé ces deux dernières décennies restent bien plus sujettes à controverse que son calendrier. Il y a deux grandes interprétations concurrentes. D’un côté, certains mettent en avant des facteurs du côté du l’offre. C’est le cas notamment de John Fernald et alii (2017), qui estiment que le ralentissement de la croissance américaine tient pour l’essentiel au ralentissement de la croissance de la productivité et à la chute du taux d’activité. De nombreux facteurs ont été avancés pour expliquer ces tendances : un tarissement de l’innovation et un accroissement des difficultés à trouver de nouvelles idées [Gordon, 2012 ; Bloom et alii, 2020], des facteurs démographiques comme le vieillissement de la population [Gordon, 2014 ; Jones, 2020], la hausse du pouvoir de marché des entreprises [Gutiérrez et Philippon, 2017], un essoufflement du dynamisme des entreprises [Akcigit et Ates, 2019], etc.
Pour d’autres, l’explication par l’offre ne tient pas. Par exemple, pour Larry Summers (2014, 2015), si les piètres performances en termes de croissance de ces deux dernières décennies s’expliquaient par l’offre, on aurait dû assister à une accélération de l’inflation. Au contraire, l’inflation est restée très faible, en l’occurrence à un niveau inférieur à la cible de la Réserve fédérale. Pour Summers, la concomitance d’une faible croissance et d’une faible inflation suggère que les Etats-Unis, comme d’autres pays développés, sont confrontés à une « stagnation séculaire », c’est-à-dire un déficit chronique de demande globale. Olivier Blanchard et alii (2017) et Gianluca Benigno et Luca Fornaro (2018) ont suggéré qu’une telle situation pouvait être provoquée par un pessimisme généralisé quant aux perspectives économiques futures. De leur côté, Olivier Blanchard et alii (2015) ont observé qu’une part significative des récessions par la demande qui ont touché les pays développés ce dernier demi-siècle a été suivie non seulement par une production durablement plus faible, mais également par une croissance tendanciellement plus faible, un phénomène que Laurence Ball (2014) a qualifié d’effet de « super-hystérèse ». Plus récemment, Francesco Furlanetto et alii (2021) ont estimé que les fluctuations de l’activité aux Etats-Unis s’expliquaient pour plus de moitié par des chocs de demande et en l’occurrence par des chocs de demande ayant des effets permanents sur l’activité.
En s’appuyant sur un modèle VAR structurel bayésien, Nicolò Maffei-Faccioli (2021) a cherché à déterminer empiriquement les contributions respectives de l’offre et de la demande au ralentissement tendanciel de la croissance américaine. Afin de distinguer les chocs selon qu’ils touchent la demande ou l’offre, il a repris l’idée de Larry Summers (2015) selon laquelle la croissance de la production et l’inflation devraient aller dans le même sens dans le cas des chocs de demande, mais dans le sens contraire dans le cas de chocs d’offre.
Au terme de son analyse, Maffei-Faccioli conclut que les facteurs du côté de l’offre expliquent l’essentiel de la croissance américaine avant 2000. En effet, ils ont contribué presque exclusivement au ralentissement de la croissance américaine lors des années 1970 et lors de son accélération dans les années 1990. Ce résultat est cohérent avec l'idée selon laquelle les années 1970 auraient été affectées par la décélération de la croissance de la productivité et avec l'idée selon laquelle la croissance américaine se serait accélérée dans les années 1990 avec la diffusion des nouvelles technologies d'information et de communication. Par contre, Maffei-Faccioli estime que la demande explique plus de la moitié du ralentissement observé après 2000 : si au début des années 2000, la croissance ralentit avant tout en raison de facteurs du côté de l’offre, c’est ensuite la demande qui accentue ce ralentissement, en particulier après la crise financière mondiale.
GRAPHIQUE 2 Contributions de la demande et de l’offre à la croissance et à l’inflation tendancielles aux Etats-Unis (en points de %)
source : Maffei-Faccioli (2021)
Alors que l'inflation des années 1970 était pour l'essentiel un phénomène d'offre, la demande globale semble également avoir joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’inflation ces dernières décennies : malgré le fait que les facteurs du côté de l’offre aient eu tendance à pousser l’inflation à la hausse depuis 2000, leur effet a été plus que contrebalancé par celui de la demande, si bien que l'inflation s'est retrouvée contenue en-deçà de la cible de la Fed au cours de la dernière décennie. Cela pourrait contribuer à expliquer aussi bien la « déflation manquante » de la Grande Récession que l’« inflation manquante » de la reprise ultérieure.
Références
BENIGNO, Gianluca, & Luca FORNARO (2018), « Stagnation traps », in Review of Economic Studies, vol. 85, n° 3.