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27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 19:58

Dans les pays avancés, la production est aujourd’hui bien en-deçà du niveau qu’elle aurait atteint si elle avait continué sur la trajectoire qu’elle suivait avant qu’éclate la Grande Récession. Comme la production potentielle a été fortement révisée à la baisse depuis la crise, l’essentiel de cette perte en production pourrait être permanente. Pour la zone euro, le PIB est presque 15 % inférieur au niveau qu’atteignait la production potentielle en 2008 et la production potentielle est inférieure de 10 % au niveau qu’elle aurait atteint si elle avait poursuivi sur sa trajectoire d’avant-crise. La perte en production de l’Europe est assez semblable à celle que subit le Japon lorsque ses bulles spéculatives éclatèrent, ce qui suggère que la zone euro glisse peu à peu dans la même stagnation économique qu’embrassa l’économie nippone il y a deux décennies.

GRAPHIQUE  Trajectoire observée du PIB en zone euro et estimations de son PIB potentiel réalisées en différentes dates (en milliards de dollars 2005)

Larry-Summers--perte-de-production-PIB-potentiel--stagnatio.png

source : Larry Summers (2014)

En suggérant que les pays avancés font aujourd’hui face à une « stagnation séculaire », Larry Summers (2014) soulève l’éventualité qu'une économie se retrouve dans l'impossibilité d’atteindre simultanément le plein emploi, une croissance satisfaisante et la stabilité financière au travers la seule politique monétaire conventionnelle. En effet, si l’économie subit un puissant choc accroissant la propension à épargner et en réduisant la propension à investir, les taux d’intérêt devraient diminuer jusqu’à ce que l’économie revienne au plein emploi, que ce soit sous l’effet des seules forces du marché ou bien de l’intervention des autorités publiques : ce taux d’intérêt associé au plein emploi est appelé « taux d’intérêt naturel ». Or, les taux d’intérêts nominaux ne peuvent baisser à l’infini. Si le choc est particulièrement puissant, le taux d’intérêt nominal peut ne pas suffisamment diminuer pour ramener l’économie au plein emploi. Dans un tel contexte, la flexibilité des prix et des salaires est susceptible d’aggraver le problème au lieu de se révéler stabilisatrice. Plus les prix et salaires sont flexibles (à la baisse), plus les agents anticipent qu’ils chuteront lorsque l'économie connaît une récession, ce qui accroît les taux d’intérêt réels ; ces derniers s’éloignent alors davantage du taux d’intérêt naturel, aggravant le chômage et déprimant davantage la demande globale. Bref, un déclin des taux d’intérêt naturels dans un contexte de faible inflation peut empêcher l’économie de retourner le plein emploi.

Plusieurs raisons amènent à penser que les taux d’intérêt naturels ont effectivement diminué [Summers, 2014 ; The Economist, 2014]. Le ralentissement de la croissance démographique et le ralentissement du progrès technique dépriment la demande de capital fixe pour équiper les travailleurs ; le vieillissement démographique amène les agents à davantage épargner au cours de leur vie active ; avec la baisse des prix des biens d’investissement, un même montant d’épargne permet d’acheter davantage de capital que par le passé ; avec le creusement des inégalités de revenu, une part croissante des revenus est captée par les agents ayant une faible propension à consommer, en l’occurrence les hauts revenus ; la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital contribue elle-même à transférer des revenus vers les agents ayant la plus faible propension à consommer, etc. Ces diverses tendances étaient déjà à l’œuvre avant même que l’économie mondiale bascule dans la Grande Récession. La bulle internet, puis la bulle immobilière, en stimulant temporairement la demande globale, ont juste dissimulé la faiblesse structurelle de l'économie.

Olivier Blanchard, Davide Furceri et Andrea Pescatori (2014) considèrent que les facteurs qui ont conduit à affaiblir les taux d’intérêt réels sont peu susceptibles d’être inversés, si bien que le taux d’intérêt naturel est susceptible de rester particulièrement faible durant une longue période. Il y a plusieurs canaux via lesquels cette causalité s’exerce [End et Hoeberichts, 2014]. Claudio Borio et Piti Disyatat (2014) affirment de leur côté que les faibles taux d’intérêt sont susceptibles de s’auto-valider, entraînant alors une chute permanente du taux d’intérêt naturel. Selon eux, les faibles taux d’intérêt réels stimulent l’endettement et les pays sont alors susceptibles de basculer dans une véritable trappe d’endettement. Dans une telle situation, il est difficile de relever les taux d’intérêt sans endommager l’économie, si bien que les banques centrales ne resserrent pas leur politique monétaire et les taux d’intérêt deviennent structurellement faibles.

Par conséquent, Jan Willem van den End et Marco Hoeberichts (2014) ont cherché à déterminer s’il y avait effectivement un lien causal entre le taux d’intérêt réel et le taux d’intérêt naturel. Leur modélisation des économies japonaise, allemande et américaine montre qu’une chute du taux d’intérêt réel a en effet affecté le taux d’intérêt réel en le poussant davantage à la baisse. C’est en particulier le cas du Japon et dans une moindre ampleur l’Allemagne ; par contre, il ne semble pas y avoir de lien causal aux Etats-Unis. Leur analyse confirme que de faibles taux d’intérêt peuvent effectivement conduire à une stagnation de l’activité économique.

Il est difficile de démontrer à partir des données empiriques que les économies avancées sont effectivement confrontées à une stagnation séculaire, notamment en raison des incertitudes entourant les estimations de la sous-estimation des capacités de production, de son impact sur l’inflation, des répercussions de la crise sur la production potentielle et des taux d’intérêt naturels. Łukasz Rawdanowicz, Romain Bouis, Kei-Ichiro Inaba et Ane Kathrine Christensen (2014) ont toutefois cherché à mettre à l’épreuve l’hypothèse de la stagnation séculaire. D’après leur analyse, les signes d’une stagnation séculaire sont les plus flagrants en zone euro et en particulier dans les pays-membres en difficulté ; ils sont par contre moins visibles aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Deux décennies après y être basculée, le Japon semble dans une phase avancée de la stagnation séculaire. En effet, les quatre économistes de l’OCDE constatent que les larges écarts que les PIB des pays avancés accusent vis-à-vis de leur trajectoire d’avant-crise s’expliquent à la fois par une réduction de la production potentielle et par de larges écarts de production (output gaps) négatifs. L’insensibilité de l’inflation à l’insuffisance de la demande lui a permis de rester positive (même si elle n’en demeure pas moins faible) ; ce faisant, elle a joué un rôle stabilisateur au cours des dernières en contenant la hausse des taux d’intérêt réels. La crise elle-même semble avoir contribué à la baisse des taux d’intérêt naturels en dégradant la production potentielle. Par conséquent, les politiques de taux zéro ont perdu en efficacité. C’est en particulier le cas des pays-membres de la zone euro, en raison des puissants effets d’hystérèse dont ils ont fait l’objet suite à la crise. Au Japon, les taux d’intérêt réels ont été en-deçà des taux d’intérêt naturels depuis plus de deux décennies. 

Pour Summers, les pays avancés peuvent s'appuyer sur deux stratégies pour sortir de la stagnation séculaire. La première consiste à réduire davantage les taux d’intérêt réels. Pour cela, les banques centrales peuvent relever leurs cibles d’inflation en espérant conduire les agents à réviser leurs anticipations d’inflation à la hausse, auquel cas les taux d’intérêt réels diminueront même si les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro. Jan Willem van den End et Marco Hoeberichts rejettent une telle stratégie. En effet, ils concluent de leur propre analyse que la politique monétaire peut devenir moins efficace pour stimuler l’activité, puisqu’en réduisant les taux réels, cet assouplissement est susceptible de réduire davantage le taux naturel. Cela diminue l’effet de relance sur la demande, car celui-ci dépend de l'écart entre le taux naturel et le taux réel. D’autre part, élever le taux naturel sera plus efficace pour éviter la stagnation séculaire qu’une politique visant à réduire le taux réel, par exemple en déplaçant les anticipations d’inflation. Cette dernière est même susceptible d’être contreproductive puisqu’elle est susceptible de réduire les taux réels. Summers rappelle en outre que le maintien de faibles taux directeurs stimule les prises de risque et l’endettement, alimentant alors l’instabilité financière.

L’alternative consisterait à accroître la demande en accroissant l’investissement et en réduisant l’épargne. La production et l’emploi s’en trouveraient stimulés sans pour autant que soit compromise la stabilité financière. Summers avance plusieurs mesures, notamment l’investissement public (financé par voie de dette) et la réduction des inégalités afin de redistribuer les revenus vers les agents ayant la plus forte tendance à consommer, c’est-à-dire les plus pauvres.

 

Références

BLANCHARD, Olivier, Davide FURCERI & Andrea PESCATORI (2014), « A prolonged period of low real interest rates? », in C. Teulings & R. Baldwin (dir.), Secular Stagnation: Facts, Causes and Cures.

BORIO, Claudio, & Piti DISYATAT (2014), « Low interest rates and secular stagnation: Is debt a missing link? », in VoxEU.org, 25 juin.

The Economist (2014), « Secular stagnation: Doom and gloom », 19 novembre.

END, Jan Willem van den, & Marco HOEBERICHTS (2014), « Low real rates as driver of secular », Banque des Pays-Bas, working paper, octobre. 

RAWDANOWICZ, Łukasz, Romain BOUIS, Kei-Ichiro INABA & Ane Kathrine CHRISTENSEN (2014), « Secular stagnation: Evidence and implications for economic stagnation », OCDE, economics department working paper, n° 1169. 

SUMMERS, Lawrence H. (2014), « Reflections on the new 'Secular Stagnation hypothesis' », invoxEU.org, 30 octobre.

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