Les pays en développement ont connu une accélération significative de leur croissance au cours de la dernière décennie. Entre 2000 et 2012, leur taux de croissance annuel s’est élevé en moyenne à 4,75 %, soit à un niveau supérieur d’un point de pourcentage à celui observé au cours des deux précédentes décennies. Puisque la croissance des pays avancés est restée relativement stable au cours des années deux mille, les pays en développement ont connu une convergence rapide de leur niveau de vie avec celui des pays avancés. Ils réalisent désormais plus de la moitié de la production mondiale. Même les pays d’Afrique sub-saharienne ont connu un véritable décollage.
GRAPHIQUE Taux de croissance du PIB (en %)
Luis Cubeddu et alii (2014) ont cherché à identifier les facteurs sous-jacents à l’accélération de la croissance économique des pays en développement. Cette dernière semble s’expliquer essentiellement par la croissance de la productivité totale des facteurs. Cela dit, l’accumulation des facteurs demeure le principal moteur de la croissance économique. En l’occurrence, l’essor du commerce international et l’assouplissement des conditions de financement semblent avoir directement stimulé l’accumulation du capital. L’accélération de la croissance de la productivité s’expliquerait notamment par les réformes mises en œuvre au cours des précédentes décennies, la réallocation des facteurs vers les secteurs à plus haute productivité et la hausse de l’investissement.
La performance des pays en développement au cours des années deux mille résulte de meilleurs fondamentaux et de puissants vents arrières. Ils jouirent en effet de conditions externes favorables et celles-ci expliqueraient la moitié de leur croissance économique selon Luis Cubeddu et ses coauteurs. D’une part, depuis les années quatre-vingt, la demande extérieure constitue un moteur de croissance de plus en plus important dans la croissance des pays en développement, notamment en raison de la libéralisation commerciale et de l’essor des chaînes de valeur. En l’occurrence, si leur activité domestique est devenue de plus en plus sensible à la demande émanant des autres pays en développement, elle reste tout de même dépendante pour l’essentiel de la demande émanant des pays avancés, ultimes maillons dans les chaînes de valeur. Par contre, la hausse des prix des matières premières (qui s’explique elle-même pour partie par la demande des pays émergents) a joué un rôle ambivalent : d’un côté, elle stimula l’investissement et plus largement l’activité dans les pays exportateurs en leur offrant d’amples revenus ; de l’autre, elle nuisit aux pays importateurs, mais ceux-ci surent en compenser les effets récessifs en s’appuyant sur d’autres moteurs de croissance. Enfin, avec la faiblesse des taux d’intérêt dans les pays avancés et la réduction des primes de risque, les pays en développement bénéficièrent de conditions de financement accommodantes. Celles-ci stimulèrent également l’investissement et plus largement la croissance, en particulier dans les pays les plus ouverts financièrement.
Les pays en développement n’ont pas été épargnés par la crise financière mondiale, mais ils surent rebondir rapidement après celle-ci. Le fait qu’ils aient su se constituer ces dernières décennies une plus grande marge de manœuvre budgétaire et assainir leurs bilans en adoptant des politiques davantage contracycliques explique notamment pourquoi ils ont été initialement épargnés par le choc financier mondial. La crise des pays avancés se transmit toutefois aux pays en développement via d’autres canaux, notamment celui du commerce international. La reprise qui s’ensuivit a été hétérogène. A un extrême, les pays émergents d’Asie connurent la reprise la plus rapide et la plus forte, ce qui permit à leur croissance de retrouver rapidement son rythme d’avant-crise. De l’autre, l’Europe émergente fut la plus durement touchée et elle connut la reprise la plus lente. En fait, la reprise semble avoir été d’autant plus rapide dans les pays en développement qu’ils assouplirent leur politique budgétaire, que leurs partenaires commerciaux avaient une forte croissance, que leurs fondamentaux étaient plus robustes avant la crise et qu’ils disposaient d’un taux de change flottant. Le fait que les pays en développement mènent leurs politiques conjoncturelles de façon plus contracyclique leur permit ainsi de se constituer une marge de manœuvre budgétaire avant la crise financière mondiale et de relancer efficacement leur activité après celle-ci [Didier et alii, 2012].
Suite à ce rebond, plusieurs pays émergents ont connu un fort ralentissement de leur croissance. Pourtant, les termes de l’échange leur sont restés favorables et les conditions financières mondiales sont restées très accommodantes malgré la perspective d’un tapering dans les achats d’actifs de la Fed. Le taux de croissance annuel moyen de la production des pays émergents a été en 2013 inférieur de 1,5 point de pourcentage à celui qu’ils connurent sur la période 2010-2011 lorsque la reprise mondiale de l’activité attint son pic. La croissance du PIB s’élevait à 7 % entre 2003 et 2008, puis à 6 % entre 2010 et les prévisions du FMI suggèrent qu’elle s’élèvera à 5 % au cours des cinq prochaines années [Saxena, 2014]. Loin de toucher seulement les grands émergents comme la Chine ou l’Inde, il s’agit d’un phénomène généralisé, puisque les trois quarts des pays en développement connurent un ralentissement de la croissance de leur production en 2013. La première région à décélérer fut l’Asie, suivie par le Moyen-Orient et l’Afrique du Sud, puis par l’Amérique latine et l’Europe émergente. Les pays en développement ont déjà connu de tels ralentissements synchronisés par le passé, mais ce fut alors durant une crise, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les récents ralentissements sont peut-être un effet retardé de la crise financière mondiale. D’un côté, la synchronisation des ralentissements suggère qu’ils résultent de facteurs communs à l’ensemble des pays, en premier lieu la conjoncture mondiale ; de l’autre, la persistance de ces ralentissements pourrait suggérer que des facteurs structurels ont également été à l’œuvre. Dans tous les cas, la plupart des universitaires et des prévisionnistes n’ont pas anticipé le récent ralentissement.
Luis Cubeddu et alii (2014), ainsi que Ghada Fayad et Roberto Perrelli (2014) ont cherché à identifier les principaux facteurs qui expliquent ces ralentissements synchronisés dans les pays émergents suite à la reprise mondiale. Ils constatent que la demande extérieure a joué un rôle clé pour expliquer les événements entre 2011 et 2013. La croissance économique de chaque pays en développement a ralenti car la demande émanant de ses partenaires commerciaux a chuté ; réciproquement, la décélération de l’activité dans chaque pays en développement a déprimé mécaniquement les exportations de ses partenaires commerciaux. C’est surtout la demande émanant des pays avancés et de la Chine qui est en cause. En l’occurrence, la crise de la zone euro, puis l’apparition d’un large excédent courant dans la zone euro, ont très certainement joué un rôle déterminant. Au niveau domestique, les pays en développement ont eu tendance à resserrer leur politique budgétaire. L’abandon des plans de relance budgétaire qui avaient été mis en œuvre lors de la Grande Récession a alors amplifié les répercussions de l’effondrement de la demande extérieure sur l’activité domestique.
Les diverses études réalisées par le FMI mettent en avant le rôle des facteurs du côté de l’offre. Fayad et Perrelli suggèrent que des goulots d’étranglement structurels, propres à chaque pays, ont dégradé leur croissance potentielle et ont ainsi contribué à ce que le ralentissement de l’activité persiste. Leurs conclusions font échos à celles de Rahul Anand et alii (2014) : la Chine et l’Inde semblent avoir récemment connu un ralentissement de leur croissance potentielle en raison d’un ralentissement de la croissance de la productivité totale des facteurs. Sebastián Sosa et alii (2013) ont de leur côté constaté que l’accumulation des facteurs (en particulier du travail) avait constitué le principal moteur de la croissance du PIB réel dans les pays d’Amérique latine, mais que les contraintes naturelles pesant sur le travail et la faiblesse de l’accumulation du capital menaçaient la pérennité d’une forte croissance.
Références
ANAND, Rahul, Kevin C. CHENG, Sidra REHMAN & Longmei ZHANG (2014), « Potential growth in emerging Asia », Fonds Monétaire International, working paper, n° 14/2.
CUBEDDU, Luis, Alexander CULIUC, Ghada FAYAD, Yuan GAO, Kalpana KOCHHAR, Annette KYOBE, Ceyda ONER, Roberto PERRELLI, Sarah SANYA, Evridiki TSOUNTA & Zhongxia ZHANG (2014), « Emerging markets in transition: Growth prospects and challenges », Fonds Monétaire International, staff discussion note, n° 14/6.
DIDIER, Tatiana, Constantino HEVIA & Sergio L. SCHMUKLER (2012), « How resilient and countercyclical were emerging economies during the global financial crisis? », in Journal of International Money and Finance, vol. 31, n° 8.
SOSA, Sebastián, Evridiki TSOUNTA & Hye Sun KIM (2013), « Is the growth momentum in Latin America sustainable? », Fonds Monétaire International, working paper, n° 13/109.