Plusieurs économistes et responsables politiques voient dans l’existence de règles de politique budgétaire et de mécanismes de plafonnement des déficits ou dettes publics comme un moyen efficace de soumettre les gouvernements à la discipline budgétaire. La zone euro est dotée de telles règles budgétaires. En l’occurrence, un candidat à la zone euro doit maintenir équilibré, voire excédentaire le budget de ses administrations publiques en veillant notamment à avoir un déficit et une dette publics respectivement inférieurs à 3 % et 60 % du PIB. Une fois entré dans la zone euro, chaque Etat-membre est tenu de continuer à respecter ces critères budgétaires dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Si les années précédant la création de la monnaie unique ont vu une réduction des déficits vers les seuils exigés et une forte stabilisation des dettes publiques, le PSC s’est toutefois rapidement montré inefficace. Les pays européens ont notamment manqué de rééquilibrer leurs finances publiques en période de reprise de l’activité pour pleinement utiliser le budget comme outil de stabilisation macroéconomique en cas de ralentissement conjoncturel. L’intensification de la crise souveraine depuis 2010 a incité les gouvernements européens à se focaliser sur la seule consolidation budgétaire (au détriment de la croissance économique, pourtant élément crucial de stabilisation de l’endettement public) et pour cela à adopter de nouvelles règles budgétaires, notamment l’inscription de règles de budget équilibré dans leur Constitution.
Jeffrey Frankel et Jesse Schreger (2012) estiment que les erreurs commises par les agences budgétaires dans leurs prévisions, notamment de croissance, participent aux dérapages budgétaires. Ils ont entrepris l’analyse de 24 pays et s’interrogent à partir de ces données sur l’adéquation entre, d’une part, les prévisions gouvernementales du PIB et du solde budgétaire et, d’autre part, leur évolution effective au cours du temps. Ils cherchent notamment à estimer l’influence des règles budgétaires sur l’écart entre prévisions officielles et chiffres effectifs. L’objet de leur étude n’est pas de déterminer si les règles budgétaires permettent véritablement aux gouvernements de stabiliser plus efficacement leurs finances publiques, encore moins d’évaluer leurs répercussions macroéconomiques (voir par exemple Creel, Hubert et Saraceno [2012] pour une telle évaluation), mais de déterminer si ces règles leur permettent d’anticiper plus finement l’évolution de leur endettement et de la croissance économique.
Plusieurs études se sont déjà penchées sur le décalage entre les prévisions officielles et les trajectoires effectives du PIB et de l’endettement public. Elles ont notamment mis en évidence que les agences budgétaires de l’union européenne ont généralement eu tendance ces dernières décennies à surestimer le taux de croissance domestique. C’est en particulier le cas des institutions allemandes et portugaises, tandis que le Royaume-Uni apparaît comme une exception. La Finlande, le Royaume-Uni et la Suède tendent de leur côté à surestimer leurs déficits budgétaires. Globalement, le suroptimisme dans les prévisions ex ante se traduit par de plus amples déficits ex post et notamment des déficits supérieurs à 3 % du PIB. Les niveaux effectifs de solde budgétaire atteints par les gouvernements soumis au PSC sont en moyenne inférieurs aux niveaux officiellement attendus ex ante. En l’occurrence, les gouvernements français, italien et portugais sont les membres de la zone euro les plus excessivement optimistes.
A partir d’un échantillon de 33 pays, Frankel (2011a, 2011b) a de son côté observé que les prévisions officielles de croissance et d’équilibre budgétaire que réalisent les agences gouvernementales sont biaisées vers le haut. L’écart entre le niveau attendu et le niveau effectif se révèle en outre d’autant plus important que les prévisions portent sur un horizon temporel éloigné. Puisque la croissance économique joue un rôle déterminant dans la dynamique du solde budgétaire, le biais dans les prévisions budgétaires trouve une explication dans le suroptimisme affiché par les conjoncturistes dans leurs prévisions de croissance. De plus, le biais apparaît plus important en période d’expansion de l’activité économique qu’en temps normal. L’anticipation d’une poursuite de la croissance n’incite pas les gouvernements à procéder immédiatement aux ajustements budgétaires. Enfin, les pays soumis à des règles budgétaires, notamment au PCS, formulent des prévisions de croissance et de déficit budgétaire relativement plus biaisées et plus corrélés avec les expansions conjoncturelles que les autres pays.
En poursuivant l’analyse, Frankel et Schreger (2012) confirment également que les prévisions budgétaires des gouvernements tendent à être excessivement optimistes. Le biais s’avère en outre d’autant plus élevé que le pays appartient à la zone euro, que le déficit budgétaire observé à l’instant de la conjoncture est important et que l’économie connaît une période d’expansion. De même, les gouvernements tendent également à se montrer excessivement optimistes dans leurs prévisions du PIB réel en période d’expansion. S’il est couramment admis que les membres de la zone euro tendent à excéder la limite des 3 % de déficit, notamment sur plusieurs années consécutives, peu d’entre eux s’attendent officiellement à un déficit excessif pour les années suivantes. Frankel et Schreger remarquent également que, en cas de respect des critères du PSC à l’instant où sont formulées les prévisions, ces dernières ne sont pas plus biaisées que dans les autres pays. Si les Etats-membres de la zone euro dénués de règles d’équilibre budgétaire présentent un plus large biais de suroptimisme que les pays non-membres, ce biais se trouve toutefois réduit par l’existence de règles fiscales. En particulier, lorsqu’un déficit public tend à dépasser 3 % du PIB, les règles nationales semblent dissuader le gouvernement de formuler des prévisions excessivement optimistes. De même, toujours en cas de franchissement du seuil imposé par le PSC, le biais de suroptimisme est également réduit lorsque les prévisions budgétaires sont réalisées par une institution budgétaire indépendante.
FRANKEL, Jeffrey (2011a), « Over-optimism in forecasts by official budget agencies and its implications », in Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 4.