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8 septembre 2017 5 08 /09 /septembre /2017 21:42
Est-il de plus en plus difficile d’avoir de nouvelles idées ?

Plusieurs modèles de croissance économique considèrent que la création de nouvelles idées constitue l’une des sources essentielles de la croissance économique ; en l’occurrence, la croissance à long terme dépendrait tout particulièrement du nombre de chercheurs et de la productivité de leurs efforts de recherche.

Or, plusieurs analyses ont suggéré que les nouvelles idées pourraient être de plus en plus dures à trouver. Par exemple, Zvi Griliches (1994) a recensé diverses études suggérant que le nombre de brevets par dollar dépensé en recherche a tendance à décliner au cours du temps, autrement dit que le dépôt d’un brevet nécessite en amont des dépenses en recherche toujours plus importantes. Benjamin Jones (2009) confirme cette baisse d’efficacité de l’activité de recherche en constatant que l’âge auquel les inventeurs déposent leur premier brevet a tendance à augmenter, de même que la taille des équipes de chercheurs. Tyler Cowen (2011) estime que l’innovation, comme les facteurs travail et capital, est marquée par des rendements décroissants : les chercheurs ont tout d’abord « cueilli » les idées les plus faciles d’accès, si bien qu’il est de plus en plus difficile pour eux d’en saisir de nouvelles. Parce que le progrès technique aurait atteint un plateau, les pays développés feraient face à une grande stagnation. Partageant ce pessimisme, Robert Gordon (2012) doute que la croissance économique se poursuive dans les pays développés : non seulement le flux d’innovations se tarit, mais les innovations d’aujourd’hui se révèlent aussi moins influentes que celles du passé.

Plus récemment, Nicholas Bloom, Charles Jones, John Van Reenen et Michael Webb (2017) ont noté que les efforts de recherche se sont substantiellement accrus ces dernières décennies, mais aussi que la productivité de la recherche a fortement décliné en parallèle. La loi de Moore en offre selon eux une bonne illustration. D’après celle-ci, le nombre de transistors contenus dans une puce informatique double environ tous les deux ans, ce qui correspond à une croissance annuelle d’environ 35 %. Or, cette croissance ne s’est maintenue qu’avec l’embauche d’un nombre toujours plus important de chercheurs : le nombre de chercheurs qui est aujourd’hui nécessaire pour que la densité des puces informatiques continue de doubler tous les deux ans est plus de 18 fois plus important qu’au début des années soixante-dix. Autrement dit, la productivité de la recherche dans le secteur des semi-conducteurs aurait fortement décline, au rythme annuel moyen de 6,8 %.

Plusieurs études de cas suggèrent que la productivité de la recherche déclinerait également dans d’autres secteurs de l’économie américaine, notamment celui de la recherche médicale. Cela ne signifie pas pour autant que la productivité de la recherche ait décliné au niveau de l’économie dans son ensemble. En effet, si les variétés existantes présentent des rendements décroissants, il est possible que de nouvelles variétés apparaissent et contrarient cette tendance. Or Bloom et ses coauteurs constatent que la productivité de la recherche américaine au niveau agrégé a été divisée par 41 depuis les années trente : elle diminue au rythme de 5 % par an, si bien qu’elle est divisée par deux tous les 13 ans. Autrement dit encore, l’économie américaine doit doubler ses efforts de recherches tous les 13 ans pour maintenir constante la croissance du PIB par tête. Bref, les idées semblent effectivement de plus en plus difficiles à trouver.

Ce ralentissement de la productivité de la recherche a pu contribuer ces dernières années au ralentissement de la croissance de la productivité et ainsi du PIB. Pour autant, la production de nouvelles idées et la croissance économique se sont poursuivies (du moins jusqu’à présent), mais parce que les efforts de recherche se sont fortement accrus pour compenser le déclin de leur productivité.

 

Références

BLOOM, Nicholas, Charles I. JONES, John Van REENEN & Michael WEBB (2017), « Are ideas getting harder to find? », CEP, discussion paper, n° 1496, septembre.

COWEN, Tyler (2011), The Great Stagnation: How America Ate All the Low-hanging Food of Modern History, Got Sick, and Will (Eventually) Feel Better.

GORDON, Robert (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », CEPR, policy insight, n° 63.

GRILICHES, Zvi (1994), « Productivity, R&D and the data constraint », in American Economic Review, vol. 84, n° 1.

JONES, Benjamin F. (2009), « The burden of knowledge and the death of the renaissance man: Is innovation getting harder? », in Review of Economic Studies, vol. 76, n° 1.

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31 août 2017 4 31 /08 /août /2017 21:05
La difficile équation entre relance budgétaire et soutenabilité de la dette

Les pays développés sont sortis de la crise financière mondiale avec de très faibles taux d’intérêt et de hauts niveaux de dette publique. Le choc était tellement violent que les banques centrales ont rapidement ramené leurs taux directeurs à zéro, puis ont adopté des mesures « non conventionnelles ». Quant aux gouvernements, ceux-ci ont vu leur dette s’accroître sous l’effet de la faiblesse même de l’activité (qui pèse sur ses recettes), des plans de relance et du sauvetage du secteur bancaire. Fin 2016, le ratio dette publique nette sur PIB des pays du G7 (à l’exception de l’Allemagne) était supérieur au niveau qu’il atteignait fin 2007. Dans une telle situation, la politique conjoncturelle se retrouverait fortement contrainte si les économies basculaient de nouveau dans une récession : face à un nouveau choc, les banques centrales auraient peu de marge pour davantage assouplir leur politique monétaire, tout comme les hauts niveaux de dette publique pourraient désinciter les gouvernements à user de l’arme budgétaire. Ces derniers craignent de perdre la « confiance » des marchés, ce qui pourrait pousser leur dette sur une trajectoire explosive et les amener à faire défaut. Les gouvernements ont bien été tentés par l'austérité budgétaire, mais celle-ci n'est pas sans déprimer le principal déterminant de la soutenabilité de leur dette, en l'occurrence la croissance, aussi bien à court terme qu'à long terme.

GRAPHIQUE  Dette nette du gouvernement général (en % du PIB)

La difficile équation entre relance budgétaire et soutenabilité de la dette

source : Auerbach et Gorodnichenko (2017)

Pourtant, une telle situation n’amène pas forcément à rejeter l’usage de la politique budgétaire comme outil de stabilisation de l’activité. D’une part, le ratio dette publique sur PIB est susceptible d’augmenter si l’économie reste déprimée. Autrement dit, que le gouvernement cherche ou non à stimuler l’activité, les finances publiques risquent de se dégrader, mais l’endettement public sera plus soutenable dans le premier cas que dans le second, dans la mesure où la croissance économique sera alors plus forte. D’autre part, si les banques centrales restent contraintes, c’est-à-dire si les taux d’intérêt restent effectivement bas, alors il est peu probable que les gouvernements connaissent une hausse de leurs coûts de financement. Autrement dit, l’inefficacité de la politique monétaire assure la soutenabilité budgétaire à court terme.

Partant de l’idée que l’actuelle expansion finira tôt ou tard par laisser place à une récession, Alan Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2017) se sont demandé, dans le document de travail qu’ils ont récemment présenté à la conférence de Jackson Hole, si d’éventuels plans de relance seraient compromis par les niveaux élevés d’endettement public. En étudiant un échantillon d’une vingtaine de pays développés, ils confirment que les relances via les hausses de dépenses publiques stimulent l’activité et que la taille du multiplicateur des dépenses publiques dépend de la position dans le cycle : une relance stimulera davantage l’activité économique lorsque l’économie est déprimée que lorsqu’elle est en expansion. En outre, ils constatent que les chocs de dépenses publiques n’entraînent pas de hausses durables des ratios dette publique sur PIB ou des coûts de financement pour les autorités budgétaires, en particulier lors des périodes de faiblesse économique. En effet, non seulement les plans de relance qui sont menés dans les économies déprimées stimulent la production, mais en outre ils améliorent la soutenabilité budgétaire selon les divers indicateurs qu’Auerbach et Gorodnichenko étudient. Bref, il est peu probable qu’un gouvernement voie ses taux d’intérêt ou son ratio d’endettement fortement augmenter lorsqu’il augmente ses dépenses pour affronter une récession, et ce même si sa dette publique est initialement élevée.

 

Référence

AUERBACH, Alan J., & Yuriy GORODNICHENKO (2017), « Fiscal stimulus and fiscal sustainability », document de travail présenté à la conférence de Jackson Hole, août.

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25 août 2017 5 25 /08 /août /2017 17:18
L’exubérant pouvoir de marché des firmes américaines

Tout un ensemble de mauvaises dynamiques affectent l’économie américaine depuis plusieurs décennies : une stagnation des salaires des travailleurs peu qualifiés, une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail, une hausse des inégalités, un moindre dynamisme du marché du travail, une baisse du taux d’activité, une faible croissance en l’absence de bulles, une faiblesse de l’investissement, etc.

Pour Jan De Loecker et Jan Eeckhout (2017), ces tendances lourdes seraient liées d’une façon ou d’une autre à l’évolution du taux de marge (mark-up) des entreprises, c’est-à-dire l’écart entre le prix et le coût marginal. Lorsqu’ils étudient les données relatives aux firmes américaines entre 1950 et 2014, ils constatent que le taux de marge était initialement stable (en fluctuant autour de 20 %), voire même avait tendance à décliner, avant de s’accroître entre 1980 et aujourd’hui, en passant de 18 % à 67 %. Le taux de marge médian a très peu augmenté, c’est-à-dire bien moins que le taux de marge moyen. C’est la distribution des taux de marge qui s’est modifiée au cours du temps : ceux-ci ont surtout augmenté dans les entreprises qui présentent les taux de marge les plus élevés, tandis qu’ils ont eu tendance à stagner, voire à décliner, dans les entreprises présentant les taux de marge les plus faibles. Ce constat de De Loecker et Eeckhout n’est pas sans faire écho aux conclusions établies il y a peu par David Autor, David Dorn, Lawrence Katz, Christina Patterson et John Van Reenen (2017a, b) ; ceux-ci ont noté que les marchés aux Etats-Unis sont de plus en plus dominés par des “entreprises superstars”, concentrant une part croissante des ventes et des profits. 

Une hausse du taux de marge ne signifie pas forcément que les entreprises disposent d’un plus grand pouvoir de marché ; elle pourrait par exemple être synchrone avec des coûts fixes élevés, ce qui signifierait que les profits sont faibles. Or De Loecker et Eeckhout notent que les profits ont également fortement augmenté au cours des dernières décennies, ce qui suggère que le pouvoir de marché des firmes a effectivement augmenté.

GRAPHIQUE  Evolution du taux de marge moyen aux Etats-Unis (en %)

L’exubérant pouvoir de marché des firmes américaines

De Loecker et Eeckhout se sont donc tournés vers les implications macroéconomiques de l’accroissement du pouvoir de marché des entreprises. La hausse du taux de marge ces dernières décennies a été synchrone avec une inflation extrêmement base, ce qui suggère que les entreprises n’ont pas profité de leur plus grand pouvoir de marché pour accroître leurs prix, mais plutôt pour réduire leurs coûts sans répercuter la baisse de coûts sur les prix. Cette baisse des dépenses des entreprises a pu non seulement alimenter les inégalités, mais également la faiblesse de la demande globale. Cela se traduit directement au niveau agrégé par une baisse des besoins en main-d’œuvre, par une pression à la baisse sur les salaires et par un recul de l’investissement [Gutiérrez et Philippon, 2017].

En effet, la pression à la baisse sur les salaires a pu contribuer à la baisse de la part du revenu national rémunérant le travail. Aux Etats-Unis, cette part est passée de 62 % à 56 % depuis 1980, alors qu’elle était relativement stable au cours des précédentes décennies. Alors que de nombreuses études tendent à expliquer cette déformation du partage de la valeur ajoutée au progrès technique et à la mondialisation, David Autor et ses coauteurs (2017a, b) ont récemment relié la baisse de la  part du revenu rémunérant le travail à la hausse de la concentration des marchés et à l’apparition d’« entreprises superstars » : comme ces dernières sont plus profitables que les autres, mais aussi marquées par une faible part de la valeur ajoutée rémunérant le travail, alors la part du revenu national rémunérant le travail tend mécaniquement à décliner à mesure que ces entreprises superstars représentent une part croissante de l’économie. De Loecker et Eeckhout tendent à confirmer cette hypothèse « postkeynésienne » : l’étude des données empiriques montre que la part du travail a bien suivi l’évolution (inverse) du mark-up. Or, une déformation du partage du revenu national au détriment du travail est susceptible d’alimenter les inégalités de revenu.

De plus, la hausse des inégalités et le recul de l’investissement ont pu durablement déprimer la demande globale et par là contribuer à plonger l’économie américaine dans une stagnation séculaire [Summers, 2014]. Dans le même ordre d’idée, l’accroissement du pouvoir de marché des firmes peut expliquer pourquoi l’épargne de ces dernières a explosé, aussi bien relativement au PIB que relativement aux dépenses d’investissement, au point que les entreprises endossent le rôle d'agents à capacité de financement qu'assuraient traditionnellement les ménages [Chen et alii, 2017]. Ce comportement des firmes nuit à la croissance à long terme, ne serait-ce qu'en déprimant l'accumulation du capital. Autrement dit, les entreprises ont beau chercher individuellement à accroître leurs profits, elles pourraient ce faisant déprimer le profit au niveau agrégé en réduisant la capacité de l'économie à créer des richesses.

Enfin, la hausse du pouvoir de marché, associée à un moindre besoin en travail pour les entreprises, peut contribuer à expliquer la baisse du taux d’activité qui  connaît l’économie américaine depuis quelques décennies. Certes, celui-ci n’a vraiment commencé à décliner qu’à partir des années quatre-vingt-dix, alors que le taux de marge a amorcé sa hausse au début des années quatre-vingt. Mais l’économie américaine a connu entre les années soixante et quatre-vingt-dix une hausse du taux d’activité des femmes, ce qui a pu contenir initialement la pression à la baisse que la hausse du taux de marge exerce sur le taux d’activité global.

 

Références

AUTOR, David, David DORN, Lawrence F. KATZ, Christina PATTERSON & John VAN REENEN (2017a), « The fall of the labor share and the rise of superstar firms », MIT, working paper

AUTOR, David, David DORN, Lawrence F. KATZ, Christina PATTERSON & John VAN REENEN (2017b), « Concentrating on the fall of the labor share », NBER, working paper, n° 23108.

BARKAI, Simcha (2016), « Declining labor and capital shares », Université de Chicago, document de travail.

CHEN, Peter, Loukas KARABARBOUNIS & Brent NEIMAN (2017), « The global rise of corporate saving », NBER, working paper, n° 23133, février

DE LOECKER, Jan, & Jan EECKHOUT (2017), « The rise of market power and the macroeconomic implications », NBER, working paper, n° 23687, août.

GUTIÉRREZ, Germán, & Thomas PHILIPPON (2016), « Investment-less growth: An empirical investigation », NBER, working paper, n° 22897, décembre.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

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