Overblog Tous les blogs Top blogs Économie, Finance & Droit Tous les blogs Économie, Finance & Droit
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
8 décembre 2014 1 08 /12 /décembre /2014 19:27

Avant qu’éclate la crise financière mondiale en 2008, les pays en développement ont connu une longue période de forte croissance. En effet, entre 2003 et 2007, la croissance du PIB par tête s’éleva en moyenne à 5,9 % dans les pays en développement, alors qu’elle n’atteignit en moyenne que 2,3 % dans les pays avancés. La période se marque ainsi par une véritable convergence des niveaux de vie. En outre, les pays en développement ont davantage résisté à la crise mondiale que les pays avancés : les premiers virent leur PIB par tête croître à un rythme de 3 % en 2008-2009, tandis que les seconds voyaient le leur décroître au rythme de 2,2 %. Avec une croissance de 6,8 % en 2010, les pays en développement ont rebondi plus rapidement que les pays avancés suite à la Grande Récession. 

Par la suite, le rythme de croissance par tête a fortement ralenti dans les pays en développement : il s’est élevé à 4,6 % en moyenne entre 2010 et 2013. Certes il reste toujours supérieur à celui des pays avancés, mais il est tout de même inférieur de 2 points de pourcentage à son niveau d’avant-crise. Beaucoup ont craint que ce ralentissement soit structurel, c’est-à-dire finalement susceptible de perdurer. Il accrédite l'hypothèse d'une « trappe à revenu intermédiaire » ou d'un « piège du revenu intermédiaire » (middle-income trap) : les pays émergents se sont peut-être suffisamment développé pour sortir du club des pays à faible revenu, mais ils ne pourront atteindre le club des pays à revenu élevé, car ils finiront par stagner. Comme les théories économiques suggèrent que les déterminants de la croissance ne sont pas les mêmes selon que le pays appartienne ou non au club des pays riches, certains suggèrent que les pays en développement sont susceptibles de se retrouver dans une trappe à revenu intermédiaire s’ils sont incapables de renouveler leurs stratégies de croissance, notamment d’adopter certaines réformes structurelles. 

Il y a bientôt une décennie, Ricardo Hausmann, Lant Pritchett et Dani Rodrik (2005) avaient observé des exemples d’accélérations soutenues de la croissance économique. Ils constatèrent que les accélérations de croissance tendent à être corrélées avec des hausses de l’investissement et des échanges, ainsi qu’avec une dépréciation du taux de change. Elles tendent aussi à être corrélées avec des changements de régime politique et des réformes économiques. Toutefois, les accélérations de croissance sont hautement imprévisibles, une conclusion qui fait écho aux précédentes conclusion de William Easterly et alii (1993) : les performances de croissance passées ne sont pas corrélées avec les performances futures. En outre, une majorité de réformes n’entraîne pas une accélération de la croissance. Récemment, la littérature s’est par contre intéressée aux décélérations de la croissance en se focalisant tout particulièrement sur la Chine. Par exemple, Barry Eichengreen, Donghyun Park et Kwanho Shin (2011) ont observé un échantillon de pays qui ont connu une forte croissance avant de voir cette dernière fortement ralentir. Ils ont alors suggéré que ces économies ont vu leur croissance commencer à ralentir lorsque leurs revenus par tête atteignirent aux alentours de 17.000 dollars (constants de 2005). Comme la Chine était proche de ce niveau, ils soulignèrent qu'elle était tout particulièrement susceptible de connaître un ralentissement significatif de sa croissance. 

David Bulman, Maya Eden et Ha Nguyen (2014a, 2014b) suggèrent qu’il n’y a pas de stagnation particulière à un quelconque niveau intermédiaire du revenu : ils ne décèlent pas de ralentissement de la croissance qui puisse amener les pays à revenu intermédiaire à stagner avant de joindre le club des pays à haut revenu. Les « rescapés » (c’est-à-dire les pays qui ont « échappé » à la trappe à revenu intermédiaire et qui devinrent riches) tendent à connaître une croissance régulière et soutenue jusqu’à avoir un haut revenu et ils ne stagnent à aucun niveau de revenu. A l’inverse, les « non rescapés » tendent à avoir une faible croissance à tous les niveaux de revenu. Comparés aux autres pays à revenu intermédiaire, les « rescapés » ont une plus forte croissance à tous les niveaux relatifs de revenu, une plus forte croissance de la productivité totale des facteurs et ils connaissent une industrialisation plus rapide ; ils font preuve d’une meilleur gestion macroéconomique, leurs inégalités de revenu sont plus faibles et ils sont davantage orientés vers l’exportation. En d’autres termes, alors que l’existence d’une trappe à revenu intermédiaire implique que les taux de croissance ralentissent systématiquement lorsque les pays atteignent le statut de pays à revenu intermédiaire, les données ne font pas apparaître un tel ralentissement systématique.

Cependant, Bulman et ses coauteurs constatent que les déterminants de la croissance diffèrent effectivement selon que le pays a un revenu élevé ou faible. Ces divers constats les amènent finalement à nuancer leurs conclusions : les pays à revenu intermédiaire peuvent effectivement avoir à changer de stratégies de croissance pour atteindre le club des pays à haut revenu. Ils constatent en effet que la croissance de la productivité totale des facteurs est une bien plus large source de croissance, à la fois en termes absolus et relatifs, dans les pays à revenu intermédiaire ou élevé que dans les pays à faible revenu : pour ces derniers, l’essentiel de la croissance provient de l’accumulation du capital, tandis que pour les pays à revenu intermédiaire et élevé, la part de la croissance de la productivité totale des facteurs est plus grande. Puisque les pays à faible revenu n’ont qu’un faible niveau de capital, il leur est relativement plus facile d’attirer et d’accumuler du capital. Par contre, lorsque le pays a accumulé beaucoup de capital, les rendements du capital s’affaiblissent ; il lui faut alors chercher ailleurs les moteurs de sa croissance. En l’occurrence, l’investissement dans l’éducation, la recherche-développement et les réformes ont peut-être effectivement un rôle déterminant à jouer dans la poursuite de la croissance. 

 

Références

BULMAN, David, Maya EDEN & Ha NGUYEN (2014a), « Transitioning from low-income growth to high-income growth: Is there a middle income trap? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7104, novembre. 

BULMAN, David, Maya EDEN & Ha NGUYEN (2014b), « There is no middle income trap », Banque mondiale.

EASTERLY, William, Michael KREMER, Lant PRITCHETT & Lawrence SUMMERS (1993), « Good policy or good luck?: Country growth performance and temporary shocks », in Journal of Monetary Economics, vol. 32, n° 3.

EICHENGREEN, Barry, Donghyun PARK & Kwanho SHIN (2011), « When fast growing economies slow down: International evidence and implications for China », NBER, working paper, n° 16919.

HAUSMANN, Ricardo, Lant PRITCHETT & Dani RODRIK (2005), « Growth accelerations », in Journal of Economic Growth, vol. 10, n° 4.

IM, Fernando Gabriel, & David ROSENBLATT (2013), « Middle-income traps: a conceptual and empirical survey », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6594.

Partager cet article
Repost0
27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 19:58

Dans les pays avancés, la production est aujourd’hui bien en-deçà du niveau qu’elle aurait atteint si elle avait continué sur la trajectoire qu’elle suivait avant qu’éclate la Grande Récession. Comme la production potentielle a été fortement révisée à la baisse depuis la crise, l’essentiel de cette perte en production pourrait être permanente. Pour la zone euro, le PIB est presque 15 % inférieur au niveau qu’atteignait la production potentielle en 2008 et la production potentielle est inférieure de 10 % au niveau qu’elle aurait atteint si elle avait poursuivi sur sa trajectoire d’avant-crise. La perte en production de l’Europe est assez semblable à celle que subit le Japon lorsque ses bulles spéculatives éclatèrent, ce qui suggère que la zone euro glisse peu à peu dans la même stagnation économique qu’embrassa l’économie nippone il y a deux décennies.

GRAPHIQUE  Trajectoire observée du PIB en zone euro et estimations de son PIB potentiel réalisées en différentes dates (en milliards de dollars 2005)

Larry-Summers--perte-de-production-PIB-potentiel--stagnatio.png

source : Larry Summers (2014)

En suggérant que les pays avancés font aujourd’hui face à une « stagnation séculaire », Larry Summers (2014) soulève l’éventualité qu'une économie se retrouve dans l'impossibilité d’atteindre simultanément le plein emploi, une croissance satisfaisante et la stabilité financière au travers la seule politique monétaire conventionnelle. En effet, si l’économie subit un puissant choc accroissant la propension à épargner et en réduisant la propension à investir, les taux d’intérêt devraient diminuer jusqu’à ce que l’économie revienne au plein emploi, que ce soit sous l’effet des seules forces du marché ou bien de l’intervention des autorités publiques : ce taux d’intérêt associé au plein emploi est appelé « taux d’intérêt naturel ». Or, les taux d’intérêts nominaux ne peuvent baisser à l’infini. Si le choc est particulièrement puissant, le taux d’intérêt nominal peut ne pas suffisamment diminuer pour ramener l’économie au plein emploi. Dans un tel contexte, la flexibilité des prix et des salaires est susceptible d’aggraver le problème au lieu de se révéler stabilisatrice. Plus les prix et salaires sont flexibles (à la baisse), plus les agents anticipent qu’ils chuteront lorsque l'économie connaît une récession, ce qui accroît les taux d’intérêt réels ; ces derniers s’éloignent alors davantage du taux d’intérêt naturel, aggravant le chômage et déprimant davantage la demande globale. Bref, un déclin des taux d’intérêt naturels dans un contexte de faible inflation peut empêcher l’économie de retourner le plein emploi.

Plusieurs raisons amènent à penser que les taux d’intérêt naturels ont effectivement diminué [Summers, 2014 ; The Economist, 2014]. Le ralentissement de la croissance démographique et le ralentissement du progrès technique dépriment la demande de capital fixe pour équiper les travailleurs ; le vieillissement démographique amène les agents à davantage épargner au cours de leur vie active ; avec la baisse des prix des biens d’investissement, un même montant d’épargne permet d’acheter davantage de capital que par le passé ; avec le creusement des inégalités de revenu, une part croissante des revenus est captée par les agents ayant une faible propension à consommer, en l’occurrence les hauts revenus ; la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital contribue elle-même à transférer des revenus vers les agents ayant la plus faible propension à consommer, etc. Ces diverses tendances étaient déjà à l’œuvre avant même que l’économie mondiale bascule dans la Grande Récession. La bulle internet, puis la bulle immobilière, en stimulant temporairement la demande globale, ont juste dissimulé la faiblesse structurelle de l'économie.

Olivier Blanchard, Davide Furceri et Andrea Pescatori (2014) considèrent que les facteurs qui ont conduit à affaiblir les taux d’intérêt réels sont peu susceptibles d’être inversés, si bien que le taux d’intérêt naturel est susceptible de rester particulièrement faible durant une longue période. Il y a plusieurs canaux via lesquels cette causalité s’exerce [End et Hoeberichts, 2014]. Claudio Borio et Piti Disyatat (2014) affirment de leur côté que les faibles taux d’intérêt sont susceptibles de s’auto-valider, entraînant alors une chute permanente du taux d’intérêt naturel. Selon eux, les faibles taux d’intérêt réels stimulent l’endettement et les pays sont alors susceptibles de basculer dans une véritable trappe d’endettement. Dans une telle situation, il est difficile de relever les taux d’intérêt sans endommager l’économie, si bien que les banques centrales ne resserrent pas leur politique monétaire et les taux d’intérêt deviennent structurellement faibles.

Par conséquent, Jan Willem van den End et Marco Hoeberichts (2014) ont cherché à déterminer s’il y avait effectivement un lien causal entre le taux d’intérêt réel et le taux d’intérêt naturel. Leur modélisation des économies japonaise, allemande et américaine montre qu’une chute du taux d’intérêt réel a en effet affecté le taux d’intérêt réel en le poussant davantage à la baisse. C’est en particulier le cas du Japon et dans une moindre ampleur l’Allemagne ; par contre, il ne semble pas y avoir de lien causal aux Etats-Unis. Leur analyse confirme que de faibles taux d’intérêt peuvent effectivement conduire à une stagnation de l’activité économique.

Il est difficile de démontrer à partir des données empiriques que les économies avancées sont effectivement confrontées à une stagnation séculaire, notamment en raison des incertitudes entourant les estimations de la sous-estimation des capacités de production, de son impact sur l’inflation, des répercussions de la crise sur la production potentielle et des taux d’intérêt naturels. Łukasz Rawdanowicz, Romain Bouis, Kei-Ichiro Inaba et Ane Kathrine Christensen (2014) ont toutefois cherché à mettre à l’épreuve l’hypothèse de la stagnation séculaire. D’après leur analyse, les signes d’une stagnation séculaire sont les plus flagrants en zone euro et en particulier dans les pays-membres en difficulté ; ils sont par contre moins visibles aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Deux décennies après y être basculée, le Japon semble dans une phase avancée de la stagnation séculaire. En effet, les quatre économistes de l’OCDE constatent que les larges écarts que les PIB des pays avancés accusent vis-à-vis de leur trajectoire d’avant-crise s’expliquent à la fois par une réduction de la production potentielle et par de larges écarts de production (output gaps) négatifs. L’insensibilité de l’inflation à l’insuffisance de la demande lui a permis de rester positive (même si elle n’en demeure pas moins faible) ; ce faisant, elle a joué un rôle stabilisateur au cours des dernières en contenant la hausse des taux d’intérêt réels. La crise elle-même semble avoir contribué à la baisse des taux d’intérêt naturels en dégradant la production potentielle. Par conséquent, les politiques de taux zéro ont perdu en efficacité. C’est en particulier le cas des pays-membres de la zone euro, en raison des puissants effets d’hystérèse dont ils ont fait l’objet suite à la crise. Au Japon, les taux d’intérêt réels ont été en-deçà des taux d’intérêt naturels depuis plus de deux décennies. 

Pour Summers, les pays avancés peuvent s'appuyer sur deux stratégies pour sortir de la stagnation séculaire. La première consiste à réduire davantage les taux d’intérêt réels. Pour cela, les banques centrales peuvent relever leurs cibles d’inflation en espérant conduire les agents à réviser leurs anticipations d’inflation à la hausse, auquel cas les taux d’intérêt réels diminueront même si les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro. Jan Willem van den End et Marco Hoeberichts rejettent une telle stratégie. En effet, ils concluent de leur propre analyse que la politique monétaire peut devenir moins efficace pour stimuler l’activité, puisqu’en réduisant les taux réels, cet assouplissement est susceptible de réduire davantage le taux naturel. Cela diminue l’effet de relance sur la demande, car celui-ci dépend de l'écart entre le taux naturel et le taux réel. D’autre part, élever le taux naturel sera plus efficace pour éviter la stagnation séculaire qu’une politique visant à réduire le taux réel, par exemple en déplaçant les anticipations d’inflation. Cette dernière est même susceptible d’être contreproductive puisqu’elle est susceptible de réduire les taux réels. Summers rappelle en outre que le maintien de faibles taux directeurs stimule les prises de risque et l’endettement, alimentant alors l’instabilité financière.

L’alternative consisterait à accroître la demande en accroissant l’investissement et en réduisant l’épargne. La production et l’emploi s’en trouveraient stimulés sans pour autant que soit compromise la stabilité financière. Summers avance plusieurs mesures, notamment l’investissement public (financé par voie de dette) et la réduction des inégalités afin de redistribuer les revenus vers les agents ayant la plus forte tendance à consommer, c’est-à-dire les plus pauvres.

 

Références

BLANCHARD, Olivier, Davide FURCERI & Andrea PESCATORI (2014), « A prolonged period of low real interest rates? », in C. Teulings & R. Baldwin (dir.), Secular Stagnation: Facts, Causes and Cures.

BORIO, Claudio, & Piti DISYATAT (2014), « Low interest rates and secular stagnation: Is debt a missing link? », in VoxEU.org, 25 juin.

The Economist (2014), « Secular stagnation: Doom and gloom », 19 novembre.

END, Jan Willem van den, & Marco HOEBERICHTS (2014), « Low real rates as driver of secular », Banque des Pays-Bas, working paper, octobre. 

RAWDANOWICZ, Łukasz, Romain BOUIS, Kei-Ichiro INABA & Ane Kathrine CHRISTENSEN (2014), « Secular stagnation: Evidence and implications for economic stagnation », OCDE, economics department working paper, n° 1169. 

SUMMERS, Lawrence H. (2014), « Reflections on the new 'Secular Stagnation hypothesis' », invoxEU.org, 30 octobre.

Partager cet article
Repost0
21 novembre 2014 5 21 /11 /novembre /2014 18:45
Deux décennies de convergence entre les deux Allemagne

L’Allemagne a été divisée en trois territoires au sortir de la Seconde Guerre mondiale : l’Allemagne de l’Ouest, l’Allemagne de l’Est et Berlin. Le Mur de Berlin est tombé le 15 novembre 1989, mais les trois territoires n’ont été officiellement réunis que le 3 octobre 1990. Malgré une langue et une culture communes, les deux Allemagne ont ainsi connu quatre décennies au cours desquelles leurs institutions se développèrent indépendamment les unes des autres et au terme desquelles il y eut d’énormes écarts en termes de capital physique, de productivité du travail, de revenus et de richesse [Colavecchio et alii, 2011]. Selon Gerlinde Sinn et Hans-Werner Sinn (1992), le PIB par personne de l’Allemagne de l’Est représentait seulement 60 % de celui de l’Allemagne de l’Ouest. Selon la théorie standard, la réunification des deux Allemagne devait conduire à une convergence des niveaux de vie.

La réunification a été un véritable choc pour les deux Allemagne. En 1991, la production de l’Allemagne de l’Est était inférieure d’un tiers à son niveau de 1989 et l’emploi en 1992 était lui-même inférieur d’un tiers à son niveau de 1989 [Smolny, 2009]. Entre 1991 et 1993, l’emploi diminua à nouveau de 15 %, malgré une hausse de 18 % de la production sur la même période. Ainsi, la productivité du travail en 1991 était plus faible qu’en 1989, avant la réunification. Les prix et salaires connurent par contre de très fortes hausses en 1990 et en 1991, qui réduisirent la compétitivité-coût de l’Allemagne de l’Est et qui ont pu ainsi contribuer à la hausse de son taux de chômage. Le processus de rattrapage commença toutefois assez rapidement : la productivité du travail a fortement augmenté à partir de 1992. De son côté, après l’unification, l’Ouest a connu une modeste expansion entre 1990 et 1991, suivie par une forte récession entre 1992 et 1993 [Colavecchio et alii, 2011]. L’expansion initiale pourrait s’expliquer par l’essor des « exportations » à destination des Allemands de l’Est, ces derniers ayant enfin accès aux produits moins chers et de meilleure qualité produits par l’Ouest. La récession qui suivit est elle-même liée à la réunification. Des mesures furent adoptées pour contrôler le déficit budgétaire et la Bundesbank resserra sa politique monétaire pour combattre l’envolée de l’inflation, ce qui déprima l'activité.

Le PIB par tête a crû en moyenne de 3,6 % entre 1991 et 2007 [Burda, 2008]. Entre 2000 et 2006, environ 70.000 personnes (soit 0,5 % de la population) ont émigré à l’Ouest chaque année et il s’agit essentiellement de jeunes. Entre 1991 et 2004, les afflux de capitaux s’élevèrent entre 80 et 90 milliards d’euros, soit environ 20 % du PIB, chaque année. Entre 1991 et 2001, 1.200 milliards de dollars d’investissements ont été entrepris pour environ 15 millions de résidents à l’Est, ce qui fit de l’épisode post-réunification l’une des périodes les plus intensives en formation nette de capital fixe dans l’histoire économique moderne. Entre 1991 et 2004, l’Allemagne de l’Est a connu de massifs transferts fiscaux d’environ 80 milliards d’euros par an (soit 4 % du PIB allemand) ; environ la moitié de ces transferts relevèrent de l’assistance sociale ; 20 % d’entre eux ont été utilisé pour subventionner les entreprises et financer l’investissement en infrastructures. Au total, ce sont 940 milliards d’euros ont été transférés de l’Allemagne de l’Ouest vers l’Allemagne de l’Est [Uhling, 2008]. Ces transferts représentaient en moyenne l’équivalent du tiers du PIB de l’Allemagne de l’Est.

Deux décennies de convergence entre les deux Allemagne

source : The Economist (2014)

Malgré deux décennies de convergence, la convergence entre les deux Allemagne est loin d’être achevée. Après plusieurs années d’émigration vers l’Ouest, plusieurs régions de l’Est, en particulier rurales, sont dépeuplées [The Economist, 2014]. Le PIB par tête en Allemagne de l’Est ne représente aujourd’hui que 67 % de celui de l’Allemagne de l’Ouest. Sa productivité représente 76 % de celle de l’Ouest, alors que les niveaux d’éducation sont relativement similaires. Le taux de chômage est systématiquement plus élevé en Allemagne de l’Est qu’en Allemagne de l’Ouest : aujourd’hui, il s’élève à 9,7 % dans la première région et à 5,9 % dans la seconde.

En fait, une analyse plus fine montre que les écarts à l’intérieur de l’Allemagne de l’Est et à l’intérieur de l’Allemagne de l’Ouest sont désormais plus importants qu’entre elles deux [The Economist, 2014]. La Saxe à l’Est est aussi dynamique que la Bavière et le Bade-Wurtemberg de l’Ouest, alors que de territoires de la Basse-Saxe et de la Westphalie à l’Ouest sont aussi peu performantes que Brandebourg ou Mecklembourg à l’Est. Nicola Fuchs-Schündeln, Dirk Krueger et Mathias Sommer (2009) constatent que les inégalités de revenus primaires (notamment les inégalités salariales) ont été relativement stables en Allemagne de l’Ouest jusqu’à la réunification, voire elles ont eu tendance à diminuer, mais elles se sont par la suite accrues, en particulier après 1998. Les inégalités en termes de revenu disponible et de consommation se sont certes également creusées, mais de façon plus limitée. 

Sebastian Vollmer, Hajo Holzmann, Florian Ketterer et Stephan Klasen (2013) constatent que la distribution régionale du PIB par salarié en Allemagne est assez bien décrite par la superposition de deux distributions normales. En 1992, les deux distributions étaient clairement séparées et correspondaient respectivement aux districts de l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’Ouest. Dans les années suivantes, les deux composantes commencèrent à fusionner, menant à un unique mode, mais continuant à consister en deux distributions séparées. Une analyse postérieure montre que 35 des 102 districts de l’Allemagne de l’Est avaient rejoint la composante plus riche en 2006, donc ont rattrapé les niveaux de l’Ouest (alors que seulement six districts de l’Ouest rejoignirent la composante la plus pauvre). En outre, le fait que les districts de l’Est rejoignirent la composante riche ou restèrent dans la composante pauvre ne dépend pas de leur niveau initial de PIB par salarié. Le taux de croissance d’un district qui s’est enrichi est supérieur d’environ un point de pourcentage que celui d’un district qui disposait du même niveau initial de PIB par salarié en 1992, mais qui est resté pauvre. Vollmer et ses coauteurs concluent ainsi qu’il y a deux régimes différents de convergence en Allemagne de l’est. 

Les barrières à l’échange entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est ont été très rapidement enlevées. Pourtant, les échanges ont gardé, au sein de chaque Allemagne, la même dynamique qu’avant la chute du Mur, comme si finalement la frontière politique entre les deux Allemagnes n’avait pas été effacée. Selon les calculs de Volker Nitsch et Nikolaus Wolf, il faudra entre 22 et 40 ans, au moins, pour faire disparaître l’impact des anciennes frontières sur les échanges et ils en concluent qu’une intégration politique n’amorce pas immédiatement une intégration économique.

Pour certains, c'est l'intervention même des autorités publiques qui a freiné le processus de convergence. Par exemple, Canova et Ravn (2000) considèrent que la réunification a été l’équivalent d’une migration de masse de travailleurs peu qualifiés et peu dotés en capital vers un pays étranger : c’est comme si l’Allemagne de l’Ouest avait connu une hausse de 26 points de pourcentage de sa proportion de travailleurs peu qualifiés. Puisque la croissance démographique s’accroît temporairement, le ratio capital sur travail diminue, si bien que l’économie doit allouer davantage de ressources pour reconstituer le stock de capital par tête. Selon Canova et Ravn, cela aurait dû se traduire par un boom de l’investissement en l’absence de transferts fiscaux, mais en raison de ces derniers, l'économie a au contraire connu une récession prolongée.  

Pour d'autres, la lenteur de la convergence s'explique par les seuls mécanismes marchands. Ainsi, pour Hall et Ludwig (2007), la persistance de hauts niveaux de chômage en Allemagne de l’Est s’explique principalement par deux facteurs engendrant une demande insuffisante de travail. La demande de travail en Allemagne de l’Est a diminué comme la privatisation rapide a été suivie par des flux de capitaux trans-régionaux, se traduisant par des hausses rapides de l’intensité en capital et un éviction de la main-d'oeuvre. La réindustrialisation et l’expansion du secteur tertiaire se révélèrent trop faibles pour générer une demande de travail suffisante. En lien avec la privatisation, les sièges sociaux se relocalisèrent en Allemagne de l’Ouest, ce qui s’est traduit par une dynamique de réindustrialisation et la spécialisation de la région de l’est dans les biens intermédiaires relativement aux biens finaux, engendrant une faible demande de travail. 

 

Références

BURDA, Michael C. (2008), « What kind of shock was it? Regional integration and structural change in Germany after unification », in Journal of Comparative Economics, vol. 36, n° 4.

COLAVECCHIO, Roberta, Declan CURRAN and Michael FUNKE (2011), « Drifting together or falling apart? The empirics of regional economic growth in post-unification Germany », in Applied Economics, 2011, 43.

The Economist (2014), « The Berlin Wall: Twenty-five years on », 8 novembre.

FUCHS-SCHÜNDELN, Nicola, Dirk KRUEGER & Mathias SOMMER (2009), « Inequality trends for Germany in the last two decades: A tale of two countries », NBER, working paper, n° 15059.

HALL, John B., & Udo LUDWIG (2007), « Explaining persistent unemployment in eastern Germany », in Journal of Post Keynesian Economics, vol. 29, n° 4.

NITSCH, Volker, & Nikolaus WOLF (2013), « Tear down this wall: on the persistence of borders in trade », in Canadian Journal of Economics, vol. 46, n° 1.

SINN, Gerlinde & Hans-Werner SINN (1992), Kaltstart. Volkswirtschaftliche As-pekte der deutschen Vereinigung.

SMOLNY, Werner (2009), « Wage adjustment, competitiveness and unemployment – East Germany after unification », in Journal of Economics and Statistics, vol. 229, n° 2-3.

UHLIG, Harald (2008), « The slow decline of East Germany », in Journal of Comparative Economics, vol. 36.

VOLLMER, Sebastian, Hajo HOLZMANN, Florian KETTERER & Stephan KLASEN (2013), « Distribution dynamics of regional GDP per employee in unified Germany », in Empirical Economics, vol. 44, n° 2.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher