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26 juillet 2013 5 26 /07 /juillet /2013 12:32

Les théories modernes de la croissance considèrent que le progrès technique constitue le principal déterminant de la croissance à long terme. L’accumulation de capital humain (c’est-à-dire l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences, ainsi que l’amélioration de la santé) améliore alors le potentiel d'une économie en contribuant au progrès technique. Si j’ai déjà exploré le lien entre la santé et la croissance économique dans un précédent billet, je me penche ici sur la relation entre l’éducation et la croissance. En l’occurrence, l’éducation est susceptible de stimuler les performances macroéconomiques en accélérant les gains de productivité et en favorisant l’innovation.

Robert Lucas (1988) a été le premier à considérer l’accumulation de capital humain comme une source décisive de croissance endogène. L’éducation catalyse l’accumulation du capital humain que détient la main-d’œuvre, ce qui stimule la productivité du travail et accélère la croissance économique. Lucas suppose que le rendement marginal du capital humain est constant, car l’efficacité de ce dernier est selon lui cumulative : il est d’autant plus facile d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences que l’on possède déjà un stock de connaissances et compétences. Cette hypothèse permet au modèle de générer une croissance auto-entretenue. De leur côté, Gregory Mankiw, David Romer et David Weil (1992) reprennent le modèle néoclassique de Solow et y intègrent le capital humain comme troisième facteur de production aux côtés du capital physique et du travail. Dans leur modélisation, le capital humain peut faire l’objet d’une accumulation au cours du temps, mais il se caractérise cette fois-ci par des rendements décroissants. Le modèle ne prédit alors pas de croissance économique à long terme. En raison de la décroissance des rendements des facteurs, l’économie tend en effet vers son état régulier ; l’accumulation de capital humain ne fait que ralentir cette convergence. Mankiw et alii suggèrent toutefois que les autorités publiques pourraient assurer une croissance positive à long terme en déployant une politique de soutien à l’éducation qui maintiendrait positif le taux d’accumulation du capital humain [Aghion et Howitt, 2009]. 

Les travaux réalisés par Paul Romer (1990) et par Philippe Aghion et Peter Howitt (1992) ont donné naissance un deuxième ensemble de modèles de croissance endogène, aujourd’hui essentiellement rattachés au paradigme néo-schumpétérien, où la croissance repose fondamentalement sur l’innovation. Le progrès technique contribue à la croissance économique en mettant à disposition des agents économiques de nouvelles variétés de biens et services, en améliorant la qualité de ces derniers et en accroissant la productivité. Puisque l'émergence d’une innovation tient en la création d’une nouvelle idée, ces modèles considèrent que l’éducation a un rôle crucial à jouer dans le processus de destruction créatrice qui est à l'oeuvre au sein de l’économie.

Richard Nelson et Edmund Phelps (1966) ont été les premiers à explorer l’idée que l’accumulation de capital humain contribue au progrès technique. Au niveau microéconomique, l’éducation facilite la diffusion et la transmission des connaissances qui sont nécessaires pour comprendre et traiter de nouvelles informations, ainsi que pour utiliser efficacement les nouvelles technologies conçues par d'autres agents. Au niveau macroéconomique, l’éducation permet aux pays en développement d’amorcer leur rattrapage en leur permettant d’absorber plus rapidement et plus efficacement les technologies produites par les pays avancés. En l’occurrence, plus le pays est éloigné de la frontière technologique, plus les gains tirés de l’éducation sont importants. Jess Benhabib et Mark Spiegel (1994) ont prolongé les travaux de Nelson et Phelps en développant l'idée que des travailleurs plus éduqués innovent plus rapidement. L’éducation accroît alors le potentiel innovateur d’une économie et les nouvelles idées stimulent la croissance économique. Au final, ces modèles suggèrent que l’accumulation de capital humain stimule la croissance en favorisant l’innovation et la diffusion technologique. La capacité d’une économie à innover à la frontière ou à rattraper les pays les plus avancés technologiquement dépendrait en l’occurrence du stock de capital humain dont elle dispose. Les pays en développement qui seraient dénués d’un tel stock de capital humain risquent alors d'être pris au piège dans une trappe à sous-développement.

GRAPHIQUE 1  Croissance et durée de scolarité  

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source : Hanushed et Woessmann (2008)

Les observations empiriques parviennent difficilement à faire apparaître un lien causal entre l'éducation et la croissance. A partir de données concernant 110 pays sur la période s’écoulant de 1960 à 1990, notamment les durées de scolarité, Alan Krueger et Mikael Lindahl (2001) constatent que la croissance économie est significativement corrélée avec le stock de capital humain et les taux d’accumulation du capital humain. Toutefois, ces corrélations disparaissent lorsque l’échantillon est restreint aux seuls pays de l’OCDE. Eric Hanushek et Ludger Woessmann (2008) ont par la suite montré que ce n’est pas la quantité, mais plutôt la qualité de l’éducation qui importe avant tout pour la croissance. Les deux auteurs ont observé les performances scolaires et économiques de 55 pays. Ils utilisent les résultats aux tests PISA pour construire un indicateur mesurant la qualité de l’éducation. Ils confirment que l’association entre le nombre d’années de scolarité et la croissance n'est pas significative (cf. graphique 1.). Toutefois, leur analyse fait apparaître une forte corrélation entre la qualité moyenne de l’éducation et le taux de croissance moyen entre 1960 et 2000 (cf. graphique 2). Par conséquent, si l’allongement de la durée d’études ne semble pas stimuler la croissance, une amélioration des performances aux tests PISA se traduit par contre par de meilleures performances économiques. Ces divers résultats pourraient suggérer que si la durée de scolarité est importante pour le rattrapage des pays en développement sur les pays avancés, il est par contre essentiel d’investir dans la qualité de l’éducation lorsque l’économie est proche de la frontière technologique.

GRAPHIQUE 2  Croissance et qualité de l'éducation  

hanushek1

source : Hanushed et Woessmann (2008)

Otto Toivanen et Lotta Väänänen (2013) ont récemment cherché à déterminer si l’éducation stimulait l’innovation. De cette manière, leurs travaux éclairent l’un des canaux par lesquels l’accumulation de capital humain influence la dynamique de la croissance économique. Leur analyse se concentre sur la formation en ingénierie en Finlande, d’une part, car les brevets d’invention sont généralement déposés par des ingénieurs et, d’autre part, car la Finlande se distingue des autres économies avancées par sa proportion élevée d’ingénieurs : 27 % de la population en âge de travailler possédant une formation dans l’enseignement supérieur a obtenu un diplôme en ingénierie, alors que ce taux ne s’élève qu’à 15 % au niveau de l’ensemble des pays de l’OCDE. En outre, la Finlande a mis en place des politiques éducatives entre 1950 et 1981 visant à développer les études d’ingénieurs, ce qui constitue aux yeux de Toivanen et Väänänen une expérience naturelle.

Les auteurs montrent tout d’abord que le nombre de brevets que les inventeurs ont déposé aux Etats-Unis est fortement corrélé avec l’essor des études d’ingénieurs. Ils identifient ensuite un impact causal de la formation en ingénierie sur la propension à déposer un brevet. Toivanen et Väänänen réalisent alors une analyse contrafactuelle pour confirmer cette idée et constatent que si la Finlande n’avait pas créé de nouvelles écoles d’ingénieurs après la Seconde Guerre mondiale, le nombre de brevets que les inventeurs finlandais ont déposé aux Etats-Unis aurait été plus faible de 20 %. Leur étude suggère ainsi que l’éducation accroît effectivement le nombre d’inventeurs et stimule par là le potentiel innovateur de l’économie. 

 

Références

AGHION, Philippe, & Peter HOWITT (1992), « A model of growth through creative destruction », in Econometrica, vol. 60, n° 2.

AGHION, Philippe, & Peter HOWITT (2009), The Economics of Growth, MIT Press. Traduction française, Economie de la croissance, Economica.

BENHABIB, Jess, & Mark M. SPIEGEL (1994), « The role of human capital in economic development: Evidence from aggregate cross-country data », in Journal of Monetary Economics, vol. 34, n° 2.

HANUSHEK, Eric A., & Ludger WOESSMANN (2008), « The role of cognitive skills in economic development », in Journal of Economic Literature, vol. 46, n° 3.

KRUEGER, Alan B., & Mikael LINDAHL (2001), « Education for growth: Why and for whom? », in Journal of Economic Literature, vol. 39, n° 4.

LUCAS, Robert (1988), « On the mechanics of economic development », in Journal of Monetary Economics, vol. 22, n° 1. 

MANKIW, N. Gregory, David ROMER, & David N. WEIL (1992), « A contribution to the empirics of economic growth », in Quarterly Journal of Economics, vol. 107, n° 2.

NELSON, Richard R., & Edmund PHELPS (1966), « Investment in humans, technology diffusion, and economic growth », in American Economic Review, vol. 56, n° 2.

ROMER, Paul (1990), « Endogenous technical change », in Journal of Political Economy, vol. 98, n° 5.

TOIVANEN, Otto, & Lotta VÄÄNÄNEN (2013)« Education and invention », CEPR discussion paper, n° 8537, juin.

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20 juillet 2013 6 20 /07 /juillet /2013 15:20

La crise mondiale, en déprimant fortement et durablement l’activité, a pu réduire significativement la croissance potentielle de la zone euro. D’un part, la persistance du chômage à un niveau élevé se traduit par une destruction du capital humain et une progression du chômage structurel via les effets d’hystérèse : plus la période passée au chômage est longue, plus le chômeur voit ses compétences et sa santé se dégrader et moins il a de chances de retrouver un emploi. D’autre part, une demande durablement faible n’incite pas les entreprises à investir. En l’occurrence, les firmes réduisent leurs efforts d’innovation et l’adoption de nouvelles technologies ralentit, ce qui diminue la productivité totale des facteurs. Ainsi, plus l’économie reste sous son niveau de production potentielle, plus cette dernière s’en trouve affectée : les dynamiques structurelles ne sont définitivement pas insensibles aux évolutions conjoncturelles.

On peut alors craindre que l’Europe connaisse la même décennie perdue que le Japon : suite à l’éclatement d’une bulle immobilière, puis d’une bulle boursière à la fin des années quatre-vingt, la croissance annuelle du PIB par habitant de l’économie insulaire est restée en moyenne inférieure à 0,5 % entre 1991 et 2000 [Cœuré, 2013]. Le Japon n’est par la suite jamais réellement sorti de la stagnation et de la déflation. 

Comme le souligne Benoît Cœuré (2013), la zone euro se trouve sur certains points en meilleure posture que le Japon des années quatre-vingt-dix. Tout d’abord, les bulles spéculatives et leur correction sont bien moins importantes en Europe. Certaines pays n’ont pas connu de cycle Ensuite, à la différence du Japon, la zone euro n’a pas connu un fort ralentissement de la croissance de la productivité totale des facteurs ; toutefois cette dernière était initialement faible. Le déclin de la production potentielle en zone euro depuis 2009 s’explique jusqu’à présent essentiellement par la moindre contribution des facteurs travail et capital à la croissance.

Cependant, les points de comparaison ne manquent pas. Aujourd’hui en zone euro comme hier au Japon, les autorités publiques ont insuffisamment assoupli leur politique conjoncturelle pour amorcer ou consolider une reprise de l’activité. La Banque du Japon a relâché trop tardivement sa politique monétaire pour empêcher l’économie de basculer dans la déflation. A l’instar de sa consœur nippone lors des années quatre-vingt-dix, la Banque Centrale européenne interprète son mandat de manière stricte. Elle refuse d’adopter des mesures de relance qui pourraient compromettre selon elle la stabilité des prix. Or, non seulement le taux d’inflation de la zone euro est aujourd’hui inférieur à sa cible, ce qui accroît le risque déflationniste pour l’ensemble de l’union monétaire, mais il ne rend par ailleurs pas compte de l’hétérogénéité des situations des pays-membres. La pression à la baisse sur les prix est particulièrement forte dans les pays périphériques de la zone euro, sommés de réduire leurs coûts pour gagner en compétitivité. La Grèce connaît ainsi la déflation pour la première fois depuis 45 ans [Wheatley, 2013]. La généralisation des baisses de prix à l’ensemble de la zone euro affaiblirait davantage la demande globale en compliquant le désendettement des agents privés. L’exemple du Japon, confronté à la déflation depuis deux décennies, montre qu’il est très difficile de sortir l’économie d’une telle situation. 

La politique budgétaire se révèle également excessivement restrictive. Au Japon, l’expansion budgétaire s’est avérée inefficace en raison de son caractère temporaire : puisqu’ils n’anticipaient pas une poursuite de l’impulsion budgétaire, les ménages nippons n’ont pas modifié leurs dépenses de consommation. Aujourd’hui, les Etats européens adoptent des mesures d’austérité pour stabiliser l’endettement public, or celles-ci dépriment directement la demande domestique. Les seuls épisodes de consolidation budgétaire au cours desquels la croissance s’est poursuivie à un rythme soutenu ont été accompagnés d’une forte demande extérieure, or la zone euro ne bénéficie actuellement pas d’une forte demande extérieure. Le resserrement budgétaire d’un Etat-membre affecte les exportations de ses partenaires commerciaux (en premier lieu, les autres pays-membres). En outre, la croissance mondiale demeure fragile et pourrait ralentir avec la déprime des pays émergents. La récession américaine du début des années quatre-vingt-dix avait justement contribué à faire basculer le Japon dans sa décennie perdue en déprimant ses exportations. 

L’Europe partage également avec le Japon certaines tendances structurelles qui pèseront sur sa croissance de long terme. Il est notamment possible de faire des parallèles au niveau démographique [Wheatley, 2013]. Au Japon, la population en âge de travailler a atteint un pic en 1990, l’année même où le cycle économique s’est retourné. Les personnes de plus de 60 ans représentent aujourd’hui le tiers de sa population totale, le taux le plus élevé au monde. Or le vieillissement de la population déprime la production potentielle, notamment en réduisant le taux d’activité et en dégradant les finances publiques. Plusieurs pays européens, notamment le Portugal, l’Irlande, la Lettonie et surtout l’Italie, vont également faire face au vieillissement rapide de leur population.

Le scénario d’une décennie perdue apparaît encore plus probable lorsque l’on observe les dynamiques du secteur bancaire de la zone euro, semblables à celles observées au Japon quelques années plus tôt. L’éclatement d’une bulle alimentée par l’endettement est susceptible de générer une vague de « banques zombies » : bien qu’elles se retrouvent sous-capitalisées, certaines banques continuent de fonctionner en omettant de tenir compte de leurs pertes sur leurs portefeuilles de prêts. Par exemple, avec l’effondrement des prix d’actifs au cours des années quatre-vingt-dix, de nombreuses entreprises japonaises ont subi de lourdes pertes et ne furent plus capables de rembourser leurs prêts. Dans une telle situation, les banques doivent déclarer ces prêts comme non performants, mais cela les contraindrait à se recapitaliser. La crainte de ne plus respecter les exigences de fonds propres réglementaires les incite alors à accorder un nouveau crédit aux emprunteurs insolvables. En ne signalant pas l’ensemble des prêts non performants, les banques affichent un bilan plus solide, alors même qu’elles tendent à prendre des risques excessifs. Parallèlement, elles sont réticentes à octroyer un prêt aux entreprises solvables, ce qui enraye le développement de ces dernières, réfrène leurs dépenses d’investissement et se traduit au niveau agrégé par une perte de potentiel pour l’économie. L’application des accords de Bâle au cours des années quatre-vingt-dix avait renforcé cette dynamique perverse en exigeant des banques qu’elles disposent de niveaux plus élevés de fonds propres.

Les banques européennes sont susceptibles d’adopter les mêmes comportements risqués. Elles sont sorties de la Grande Récession avec des actifs de mauvaise qualité et de faibles ratios de fonds propres, tandis que la réforme Bâle III a accru les exigences en fonds propres. Or, les banques européennes font face à des conditions de marché peu favorables qui réduisent leur capacité à lever des fonds propres. Les ratios de prêts non performants poursuivent leur hausse dans les pays périphériques de la zone euro [Münchau, 2013]. Les créances douteuses représentent déjà plus de 10 % des prêts en Espagne et au Portugal. En Grèce, les pertes représentent 24 % de l'actif total. Le risque est alors que les autorités publiques en zone euro tardent, comme leurs homologues nippons, à recapitaliser des banques viables et à fermer ou restructurer les banques non viables.

Sur d’autres points, la situation de la zone euro apparaît plus inquiétant que celle du Japon lors des années quatre-vingt-dix. L’économie nippone n’avait alors pas connu de crise de la dette publique. Or, l’interaction entre les risques bancaire et souverain peut avoir de profondes répercussions à long terme sur l’activité des entreprises non financières [Cœuré, 2013]. Les banques les plus exposées à la dette souveraine tendraient en effet à octroyer relativement moins de crédit aux sociétés non financières que les banques qui y sont les moins exposées. Or, de nombreuses banques européennes ont accru leur encours de dette publique lors de la crise. Les banques des pays en difficulté utilisent les liquidités bon marché fournies par la BCE pour acquérir des obligations d’Etat risquées, tout en réduisant les prêts qu’elles consentent aux entreprises solvables. Les trois plus grandes banques du Portugal ont par exemple accru leur détention de titres publics domestiques de 16 % au premier trimestre de l’année [Sober Look, 2013]. En outre, puisque les banques domestiques deviennent les principales créancières des gouvernements, ces derniers sont en retour incités à davantage soutenir le secteur bancaire, au risque d’accroître à nouveau la dette publique. Le secteur bancaire de la zone euro est pourtant trop gros pour être sauvé : le passif du secteur bancaire européen représente 2,6 fois le PIB de l’union monétaire [Gros, 2013].

Ce sont surtout les développements sur les marchés du travail qui témoignent de la gravité de la crise européenne [Eichengreen, 2013]. Au niveau agrégé de l’union monétaire, le taux de chômage est supérieur à 12 % et poursuit sa hausse. Ce chiffre ne rend pas non plus compte de l’hétérogénéité des situations nationales : en Espagne et en Grèce, le taux de chômage s’approche de 30 %, tandis que le taux de chômage des jeunes se rapproche de 60 %. Au plus fort de la crise japonaise, l’économie insulaire n’avait quant à elle que rarement connu un taux de chômage supérieur à 4 %. La progression du chômage et l’émergence d’une véritable génération perdue ne contraignent pas seulement la reprise à court terme et la croissance à long terme ; elles ont de profondes répercussions sociales et sont susceptibles de remettre en cause la stabilité politique. 

 

Références

CHAN, Szu Ping (2013), « Eurozone faces 'lost decade' unless action taken on banks », in The Telegraph, 5 juillet.

CŒURÉ, Benoît (2013), « Monetary policy and the risk of a lost decade », discours prononcé à Paris, 5 juillet.

EICHENGREEN, Barry (2013), « Europe’s lost-and-found decade », in Project Syndicate, 19 mai. Traduction française, « La décennie perdue et retrouvée de l’Europe ».

GROS, Daniel (2013), « Europe’s zombie banks », in Project Syndicate, 10 juillet.

MÜNCHAU, Wolfgang (2013), « Europe is ignoring the scale of bank losses », in Financial Times, 23 juin.

Sober Look (2013), « The Eurozone is on the verge of repeating Japan's lost decade », 15 juillet.

WHEATLEY, Alan (2013),« Euro zone's queasy feeling as it looks in Japan mirror », in Reuters, 10 juillet. 

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10 juillet 2013 3 10 /07 /juillet /2013 17:44

Au cours de la dernière décennie, les économies en développement ont connu des taux de croissance sans précédents, ce qui s’est traduit par une forte réduction de la pauvreté extrême et une forte expansion de la classe moyenne au niveau mondial. Avec le déclin des performances économiques des pays riches, la différence entre les taux de croissance des pays avancés et en développement a atteint plus de 5 points de pourcentage. La Chine, l’Inde et quelques autres pays asiatiques sont à l’origine de l’essentiel de cette performance. De leur côté, l’Amérique latine et l’Afrique ont amorcé leur croissance et retrouvé les taux de croissance qu’ils avaient connu dans les années cinquante et soixante. 

Dani Rodrik (2013a) s’est alors demandé si les pays en développement pourront poursuivre ces performances à l’avenir et renverser la Grande Divergence qui a séparé l’économie mondiale entre pays riches et pauvres au dix-neuvième siècle. Pour cela, il doit identifier les moteurs clés de la croissance économique, ainsi que les contraintes qui pèsent sur elle. L’observation des bouleversements qui ont touché l’économie mondiale depuis la Révolution Industrielle l’amène à formuler six faits stylisés à propos de la croissance économique :

1. La croissance du PIB et celle de la productivité globale se sont graduellement accélérées au cours du temps (et non pas subitement en des instants précis), si bien qu’il est difficile de clairement dater le début de la Révolution industrielle. La croissance de la productivité globale des facteurs s’élevait à 0,5 % dans le siècle qui suivit 1780, après avoir approximé zéro pendant plusieurs siècles. Avant la Seconde Guerre mondiale, la période la plus prospère était celle de l’étalon-or : la croissance annuelle du PIB mondial s’élevait à 1 % entre 1870 et 1913. Elle atteint 3 % entre 1950 et le milieu des années soixante-dix. Bien que la croissance ait ralenti depuis, elle reste plus rapide que ce qui était observé durant l’entre-deux-guerres. 

2. Certains mettent en avant les avantages associés au sous-développement économique. Par exemple, les pays en développement n’auraient pas à innover, mais simplement à importer les technologies créées par les pays avancés pour amorcer leur rattrapage sur les pays avancés. Trois pays émergents d’Asie ont connu des taux de croissance particulièrement exceptionnels dans l’après-guerre : la croissance du PIB par tête s’est maintenue entre 7 et 8 % entre 1950 et 1973 au Japon, entre 1973 et 1990 en Corée du Sud et depuis 1990 en Chine, ce qui permit à tous trois de voir leurs niveaux de vie converger rapidement avec ceux de l’occident. La convergence est toutefois l’exception plutôt que la règle. A long terme, les taux de croissance ne sont corrélés ni avec le niveau initial de productivité, ni avec la distance séparant l’économie de la frontière technologique. Les économies pauvres ne tendent pas à croître en moyenne plus rapidement que les économies riches : on dit qu’il n’y a pas de convergence inconditionnelle. En revanche, il est possible d’observer une convergence conditionnelle : lorsque les taux de croissance sont conditionnés par un ensemble limité de variables, les résidus de croissance sont négativement corrélés avec les niveaux initiaux de PIB par tête. Ces variables incluent le capital humain, l’investissement, la qualité des institutions, le degré d’ouverture et la stabilité macroéconomique. En d’autres termes, seul un sous-ensemble de pays qui présentent des niveaux similaires dans ces variables conditionnelles connaît une convergence. 

3. Les économies pauvres ne sont pas une reproduction en miniature des économies riches. Elles sont structurellement différentes de ces dernières. Elles produisent une gamme limitée de biens et services. En leur sein, les secteurs traditionnels et modernes se démarquent les uns des autres par de larges écarts structurels en termes de productivité. Le développement passe donc par un changement structurel qui implique la réallocation de la main-d’œuvre employée dans les secteurs traditionnels à faible productivité vers les activités modernes à productivité élevée. Les pays qui connaissent les plus fortes croissances sont justement ceux qui ont réussi à supprimer le plus efficacement les obstacles entravant cette transformation. Rodrik considère que les analyses en termes d’avantages comparatifs sont peu pertinentes pour analyser le développement : celui-ci ne passe pas par une spécialisation, mais bien par une diversification productive. Au fur et à mesure qu’elles s’enrichissent, les économies produisent une gamme toujours plus large de biens et services. La diversification cesse toutefois à partir d’un niveau élevé de revenu et laisse place à une spécialisation dans plusieurs activités. 

4. Historiquement, l’industrialisation et les exportations de produits manufacturés ont été les plus sûrs leviers pour une croissance rapide et soutenue. C’est en s’industrialisant que la Grande-Bretagne et ses imitateurs (certains pays européens, les Etats-Unis) sont entré dans le régime moderne de la croissance économique au cours du dix-neuvième siècle. C'est également en s’industrialisant que certains retardataires (le Japon, la Corée du Sud, etc.) ont pu rattraper leur retard au cours du vingtième siècle et rejoindre le club des pays avancés. À l'exception de quelques petits pays qui ont bénéficié d’une abondance des ressources naturelles, quasiment tous les pays qui ont connu des taux de croissance élevés ces dernières décennies (en premier lieu la Chine) doivent leurs performances à leur activité manufacturière. 

5. Les niveaux de productivité des pays en développement ne convergent pas vers ceux des pays avancés, mais l’industrie manufacturière fait toutefois l’objet d’une convergence : les activités industrielles qui ont débuté loin derrière la frontière de productivité connaissent une croissance plus rapide de leur productivité. Selon Rodrik, cette dynamique doit certainement être reliée à la nature échangeable des produits manufacturés et à la relative facilité avec laquelle la technologie est transférée d’un pays à l’autre. La convergence inconditionnelle observée dans le secteur manufacturier est toutefois insuffisante pour entraîner une convergence au niveau agrégé. Le secteur manufacturier formel est en effet relativement petit dans les pays à faible revenu ; il emploie moins de 5 % de la main-d’œuvre dans les plus pauvres d’entre eux. Les pays en développement prospères sont justement ceux qui ont su opérer une industrialisation rapide en plus de la convergence industrielle.

6. Les économies les plus prospères n’ont pas été celles qui avaient le moins d’intervention étatique. La Chine et l’Inde, deux des pays émergents les plus prospères, connaissent une forte implication de l’Etat. Certes, les formes extrêmes d’intervention de type planification centrale étouffent l’activité privée et par là nuisent à la croissance. Toutefois, un recul de l’intervention étatique n’apparaît pas forcément favorable à la croissance pour les pays qui ont adopté un modèle intermédiaire entre la planification centrale et le laissez-faire, soit en l’occurrence la majorité des pays.

Lorsqu’il interprète ces six faits stylisés, Rodrik en vient à considérer que la croissance repose finalement sur deux dynamiques clés. La première est le développement des capabilités fondamentale, c’est-à-dire l’accumulation du capital humain (englobant les qualifications et la santé) et le développement des institutions (avec l’amélioration du cadre régulateur et de la gouvernance). La seconde dynamique est la transformation structurelle qui se caractérise par l’apparition et le développement de nouvelles industries caractérisées par une forte productivité et par le transfert de main-d'œuvre des secteurs traditionnels marqués par une faible productivité vers les secteurs modernes. A moins qu’ils ne bénéficient d’une abondance en ressources naturelles, les pays en développement ne peuvent atteindre une croissance durable que s’ils sont parvenus à opérer une transformation structurelle rapide. Les défaillances de marché et d’Etat font toutefois obstacles à la transformation structurelle. D’un côté, une régulation et une bureaucratie excessives, une forte imposition, la corruption ou encore un code du travail restrictif étouffent l’activité entrepreneuriale. De l’autre, les imperfections du marché et les défauts de coordination freinent également l’accumulation du capital. Par exemple, la présence d’économies d’échelle implique des investissements qui seront rentables une fois mis en œuvre, mais qui ne seront pas mis en œuvre en raison du montant élevé de financement qu’ils exigent. Ou encore, s’ils ne sont pas assurés que les gains compensent les coûts de leur investissement, les entrepreneurs peuvent aussi être désincités à investir.

Il peut être des fois plus efficace pour les autorités publiques de compenser indirectement les agents pour les défaillances, plutôt que d’éliminer ces dernières. Certes les nouvelles industries ne peuvent émerger dans un environnement marqué par l’instabilité macroéconomique et où les droits de propriété ne sont pas protégés, mais l'industrialisation peut toutefois s’amorcer dans un environnement où les institutions sont peu développées et où les agents ne disposent que peu de compétences. Les autorités publiques peuvent en effet compenser la faiblesse des fondamentaux en adoptant des politiques que Rodrik qualifie d’« hétérodoxes » pour accroître rapidement la part de la main-d’œuvre employée dans l’industrie. Par exemple, comme la Corée du Sud et Taïwan quelques décennies plus tôt, la Chine a subventionné ses exportations (notamment indirectement, avec la sous-évaluation de sa devise). En instaurant également des zones économiques spéciales, elle a stimulé la création d’entreprises et favorisé leur accès aux marchés internationaux ; ces firmes auraient par contre subi un choc sévère si la Chine avait suivi les recommandations « orthodoxes » du Consensus de Washington et avait entièrement libéré son commerce extérieur.

La seule industrialisation ne suffit toutefois à assurer la croissance à long terme. Si l’économie ne parvient pas à se doter de fondamentaux solides, une croissance tirée par la transformation structurelle va s’essouffler et vaciller. Les pays ayant réussi leur décollage industriel doivent donc mettre en œuvre des politiques qui favorisent l’accumulation du capital humain et améliorent la qualité des institutions.

Selon Rodrik, rien n’empêche en principe les pays africains de connaître les mêmes performances que les économies est-asiatiques. Les pays en développement vont toutefois connaître ces prochaines décennies de puissants vents contraires qui contraindront leur décollage. Premièrement, l’économie mondiale sera moins dynamique qu’elle ne le fut au cours des dernières décennies. Les pays riches et en particulier les économies européennes vont connaître une faible croissance, or ils sont une destination privilégiée pour les exportations des pays émergents. Deuxièmement, les évolutions touchant l’industrie se révèleront également contraignantes. Les changements technologiques rendent la production manufacturière de plus en plus intensive en capital et en qualifications, si bien que l’industrie devient de moins en moins capable d’absorber les larges volumes de main-d’œuvre provenant de la campagne et du secteur informel. Troisièmement, les nouveaux entrants dans les activités manufacturières font aujourd’hui face à une plus forte concurrence mondiale que les entreprises de Corée ou de Taïwan ont pu connaître dans les années soixante-dix ou celles de Chine dans les années quatre-vingt-dix. Les champions manufacturiers d’Asie ont bénéficiés de marchés domestiques protégés qui leur ont permis de se développer et de s’assurer suffisamment de profit pour financer leurs incursions sur les marchés internationaux. Les pays africains importent aujourd’hui de larges montants de produits asiatiques peu coûteux, ce qui complique la survie de leurs entreprises domestiques. 

Les pays est-asiatiques et les prochains pays émergents auront donc du mal à obtenir ou maintenir des taux de croissance soutenue. Les six décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale auront donc véritablement été exceptionnelles. Les pays en développement vont certainement croître plus rapidement que les pays avancés, mais avant tout en raison du ralentissement de l’activité au sein de ces derniers. La croissance économique dépendra avant tout des dynamiques domestiques. Comme par le passé, les politiques économiques devront stabiliser l’environnement macroéconomique, inciter à la restructuration et à la diversification de l’économie, répondre aux inégalités et à l’exclusion, soutenir l’investissement dans le capital humain et renforcer le cadre institutionnel. L’environnement économique du vingt-et-unième siècle implique toutefois que les économies réduisent également leur dépendance envers l’extérieur, ce qui nécessite que les autorités se focalisent davantage sur la répartition des revenus et sur la santé des classes moyennes. En d’autres termes, la politique sociale apparaît véritablement complémentaire à la politique de croissance. 

 

Références

RODRIK, Dani (2013a), « The past, present, and future of economic growth », Global Citizen Foundation, working paper, juin.

RODRIK, Dani (2013b), « Economic structural change vital to successful development », in IMF Survey Interview, 28 juin.

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