Entre 2003 et 2008, la croissance de l’investissement a atteint des sommets historiques dans les pays en développement en atteignant environ 12 % par an, c’est-à-dire un niveau plus de deux fois supérieur à la moyenne de long terme, en l’occurrence 5 %. Elle a pu non seulement contribuer à la forte accélération de la croissance économique dans le monde émergent et cette dernière a pu en retour l’alimenter. Le boom de l’investissement a été particulièrement prononcé dans les pays exportateurs de matières premières, qui ont bénéficié de la forte hausse du prix de ces dernières au début des années 2000. L’investissement a fortement chuté au cours de la crise financière mondiale, mais il a connu un puissant rebond en 2010 dans les pays en développement, notamment via l’adoption de plans de relance.
GRAPHIQUE Croissance trimestrielle de l'investissement dans les pays émergents (en %)
Par contre, depuis 2010, la croissance de l’investissement a brutalement ralenti dans les pays en développement et notamment les pays émergents (cf. graphique). En moyenne, selon l’analyse d’Ayhan Kose, Franziska Ohnsorge, Lei Sandy Ye et Ergys Islamaj (2017), elle est passée de 10,2 % en 2010 à 3,4 % en 2015. En 2016, elle a probablement diminué de plus d’un demi-point de pourcentage. La croissance de l’investissement n’a pas seulement été inférieure à sa moyenne d’avant-crise ; elle est aussi inférieure à sa moyenne de long terme dans plus des deux tiers des pays en développement en 2015, si bien que le ralentissement s’est révélé être généralisé. Le ralentissement de l’investissement est tout particulièrement prononcé dans les plus grands pays émergents et dans les exportateurs de matières premières. En l’occurrence, les pays dont la croissance de l’investissement est inférieure à son niveau de long terme représentent 35 % du PIB mondial et 71 % de la population mondiale ; plus largement, l’ensemble des pays en développement contribuent à 45 % de l’investissement mondial et aux deux tiers de la croissance mondiale de l’investissement entre 2010 et 2015. Kose et ses coauteurs notent aussi que le ralentissement a aussi bien touché l’investissement privé que l’investissement public. La croissance de l’investissement reste plus anémique et sa faiblesse a été plus persistante qu’à la suite des précédents ralentissements de l’activité mondiale. Les enquêtes de prévisions de long terme suggèrent que la faiblesse de l’investissement va encore persister.
Dans les pays importateurs de matières premières, le ralentissement de la croissance de l’investissement s’explique essentiellement par la chute des entrées d’IDE et par la faiblesse persistante de l’activité dans les plus grandes économies. Dans les pays exportateurs de matières premières, le ralentissement de la croissance de l’investissement s’explique essentiellement par la détérioration brutale des termes de l’échange. En effet, la plupart des prix des matières premières ont en effet chuté depuis qu’ils ont atteint leur pic en 2011 : les prix des métaux et de l’énergie ont chuté de plus de 40 %. Or, environ les deux tiers des pays en développement dépendent de l’exportation d’énergie, de métaux et de biens agricoles. Ainsi, les termes de l’échange des exportateurs de matières premières se sont détériorés de 4 % depuis 2011 ; les termes de l’échange des exportateurs de pétrole ont chuté de 21 %. Les hauts fardeaux de dette privée ont également tout particulièrement pesé sur l’investissement dans les pays exportateurs de matières premières : un cinquième des pays en développement ont un ratio crédit privé sur PIB supérieur à 60 % en 2015, soit le niveau le plus élevé depuis 1990. Enfin, l’incertitude entourant la politique économique et le risque politique ont en outre contribué au ralentissement de l’investissement dans plusieurs pays en développement, notamment avec l’intensification des tensions géopolitiques en Europe de l’est et au Moyen-Orient.
Kose et ses coauteurs mettent ainsi tout particulièrement l’accent sur les effets de débordement associés aux plus grandes économies. En effet, au cours des cinq dernières années, la croissance des pays développés a systématiquement été inférieure aux prévisions, en partie à cause de l’héritage même de la crise mondiale. Or les pays développés jouent un rôle essentiel en tant que partenaires à l’échange et sources d’IDE pour de nombreux pays en développement, si bien que la faiblesse de l’activité parmi les premiers a pesé sur la croissance et l’investissement des seconds. Lorsque la croissance de la production ralentit de 1 point de pourcentage aux Etats-Unis et dans la zone euro, la croissance de la production dans les pays en développement s’en trouve amputée de 0,8 à 1,3 point de pourcentage au cours de l’année suivante. Dans les pays en développement, la croissance de l’investissement réagit deux fois plus fortement que la croissance de la production aux variations de la production dans les pays développés. Les pays développés ne sont toutefois pas les seules grandes économies dont la faiblesse de l’activité a pesé sur l’investissement des pays en développement. En effet, la croissance de l’investissement a fortement chuté en Chine, ce qui a contribué à réduire les prix internationaux de matières premières et ainsi à affecter les pays qui exportent ces derniers, mais aussi pesé sur la croissance des autres pays en développement.
Ensuite, Kose et ses coauteurs zooment sur le rôle de la dette privée. Ils rappellent que l’affaiblissement de l’investissement s’est produit dans un contexte de conditions financières particulièrement souples. Les taux directeurs des banques centrales des pays développés ont en effet été nuls ou proches de zéro depuis la crise financière mondiale. La croissance du crédit privé s’en est trouvée stimulée dans le monde en développement. En l’occurrence, la croissance du crédit privé dans près de 30 pays en développement a été proche ou supérieure aux niveaux associés aux booms du crédit à un moment ou à un autre sur la période entre 2010 et 2015. Au cours de l’histoire, 40 % des booms du crédit ont coïncidé avec des hausses de l’investissement. Or les booms du crédit observés depuis 2010 ne se sont pas accompagnés d’une hausse de l’investissement, mais plutôt une hausse rapide de la consommation. Par le passé, lorsque de tels booms du crédit se sont défaits, la production s’est davantage contractée que lorsque le boom du crédit s’était accompagné d’une hausse de l’investissement.
Kose et ses coauteurs se tournent enfin sur les implications à long terme de la faiblesse de l’investissement. Ils rappellent que l’investissement ne contribue pas seulement à accroître les capacités de production et la productivité des travailleurs ; il contribue à la diffusion du progrès technique, dans la mesure où celui-ci « s’incarne » dans les biens d’équipement. Ainsi, le ralentissement de l’investissement contribue non seulement à freiner l’accumulation du capital, donc de la production ; il contribue aussi à freiner la productivité globale des facteurs. Le ralentissement de la croissance potentielle qui en résulte risque alors de contribuer en retour à la faiblesse de l’investissement.
Référence
Kose, M. Ayhan, Franziska Ohnsorge, Lei Sandy YE & Ergys Islamaj (2017), « Weakness in Investment Growth. Causes, Implications and Policy Responses », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7990.