L’Allemagne a été divisée en trois territoires au sortir de la Seconde Guerre mondiale : l’Allemagne de l’Ouest, l’Allemagne de l’Est et Berlin. Le Mur de Berlin est tombé le 15 novembre 1989, mais les trois territoires n’ont été officiellement réunis que le 3 octobre 1990. Malgré une langue et une culture communes, les deux Allemagne ont ainsi connu quatre décennies au cours desquelles leurs institutions se développèrent indépendamment les unes des autres et au terme desquelles il y eut d’énormes écarts en termes de capital physique, de productivité du travail, de revenus et de richesse [Colavecchio et alii, 2011]. Selon Gerlinde Sinn et Hans-Werner Sinn (1992), le PIB par personne de l’Allemagne de l’Est représentait seulement 60 % de celui de l’Allemagne de l’Ouest. Selon la théorie standard, la réunification des deux Allemagne devait conduire à une convergence des niveaux de vie.
La réunification a été un véritable choc pour les deux Allemagne. En 1991, la production de l’Allemagne de l’Est était inférieure d’un tiers à son niveau de 1989 et l’emploi en 1992 était lui-même inférieur d’un tiers à son niveau de 1989 [Smolny, 2009]. Entre 1991 et 1993, l’emploi diminua à nouveau de 15 %, malgré une hausse de 18 % de la production sur la même période. Ainsi, la productivité du travail en 1991 était plus faible qu’en 1989, avant la réunification. Les prix et salaires connurent par contre de très fortes hausses en 1990 et en 1991, qui réduisirent la compétitivité-coût de l’Allemagne de l’Est et qui ont pu ainsi contribuer à la hausse de son taux de chômage. Le processus de rattrapage commença toutefois assez rapidement : la productivité du travail a fortement augmenté à partir de 1992. De son côté, après l’unification, l’Ouest a connu une modeste expansion entre 1990 et 1991, suivie par une forte récession entre 1992 et 1993 [Colavecchio et alii, 2011]. L’expansion initiale pourrait s’expliquer par l’essor des « exportations » à destination des Allemands de l’Est, ces derniers ayant enfin accès aux produits moins chers et de meilleure qualité produits par l’Ouest. La récession qui suivit est elle-même liée à la réunification. Des mesures furent adoptées pour contrôler le déficit budgétaire et la Bundesbank resserra sa politique monétaire pour combattre l’envolée de l’inflation, ce qui déprima l'activité.
Le PIB par tête a crû en moyenne de 3,6 % entre 1991 et 2007 [Burda, 2008]. Entre 2000 et 2006, environ 70.000 personnes (soit 0,5 % de la population) ont émigré à l’Ouest chaque année et il s’agit essentiellement de jeunes. Entre 1991 et 2004, les afflux de capitaux s’élevèrent entre 80 et 90 milliards d’euros, soit environ 20 % du PIB, chaque année. Entre 1991 et 2001, 1.200 milliards de dollars d’investissements ont été entrepris pour environ 15 millions de résidents à l’Est, ce qui fit de l’épisode post-réunification l’une des périodes les plus intensives en formation nette de capital fixe dans l’histoire économique moderne. Entre 1991 et 2004, l’Allemagne de l’Est a connu de massifs transferts fiscaux d’environ 80 milliards d’euros par an (soit 4 % du PIB allemand) ; environ la moitié de ces transferts relevèrent de l’assistance sociale ; 20 % d’entre eux ont été utilisé pour subventionner les entreprises et financer l’investissement en infrastructures. Au total, ce sont 940 milliards d’euros ont été transférés de l’Allemagne de l’Ouest vers l’Allemagne de l’Est [Uhling, 2008]. Ces transferts représentaient en moyenne l’équivalent du tiers du PIB de l’Allemagne de l’Est.
source : The Economist (2014)
Malgré deux décennies de convergence, la convergence entre les deux Allemagne est loin d’être achevée. Après plusieurs années d’émigration vers l’Ouest, plusieurs régions de l’Est, en particulier rurales, sont dépeuplées [The Economist, 2014]. Le PIB par tête en Allemagne de l’Est ne représente aujourd’hui que 67 % de celui de l’Allemagne de l’Ouest. Sa productivité représente 76 % de celle de l’Ouest, alors que les niveaux d’éducation sont relativement similaires. Le taux de chômage est systématiquement plus élevé en Allemagne de l’Est qu’en Allemagne de l’Ouest : aujourd’hui, il s’élève à 9,7 % dans la première région et à 5,9 % dans la seconde.
En fait, une analyse plus fine montre que les écarts à l’intérieur de l’Allemagne de l’Est et à l’intérieur de l’Allemagne de l’Ouest sont désormais plus importants qu’entre elles deux [The Economist, 2014]. La Saxe à l’Est est aussi dynamique que la Bavière et le Bade-Wurtemberg de l’Ouest, alors que de territoires de la Basse-Saxe et de la Westphalie à l’Ouest sont aussi peu performantes que Brandebourg ou Mecklembourg à l’Est. Nicola Fuchs-Schündeln, Dirk Krueger et Mathias Sommer (2009) constatent que les inégalités de revenus primaires (notamment les inégalités salariales) ont été relativement stables en Allemagne de l’Ouest jusqu’à la réunification, voire elles ont eu tendance à diminuer, mais elles se sont par la suite accrues, en particulier après 1998. Les inégalités en termes de revenu disponible et de consommation se sont certes également creusées, mais de façon plus limitée.
Sebastian Vollmer, Hajo Holzmann, Florian Ketterer et Stephan Klasen (2013) constatent que la distribution régionale du PIB par salarié en Allemagne est assez bien décrite par la superposition de deux distributions normales. En 1992, les deux distributions étaient clairement séparées et correspondaient respectivement aux districts de l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’Ouest. Dans les années suivantes, les deux composantes commencèrent à fusionner, menant à un unique mode, mais continuant à consister en deux distributions séparées. Une analyse postérieure montre que 35 des 102 districts de l’Allemagne de l’Est avaient rejoint la composante plus riche en 2006, donc ont rattrapé les niveaux de l’Ouest (alors que seulement six districts de l’Ouest rejoignirent la composante la plus pauvre). En outre, le fait que les districts de l’Est rejoignirent la composante riche ou restèrent dans la composante pauvre ne dépend pas de leur niveau initial de PIB par salarié. Le taux de croissance d’un district qui s’est enrichi est supérieur d’environ un point de pourcentage que celui d’un district qui disposait du même niveau initial de PIB par salarié en 1992, mais qui est resté pauvre. Vollmer et ses coauteurs concluent ainsi qu’il y a deux régimes différents de convergence en Allemagne de l’est.
Les barrières à l’échange entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est ont été très rapidement enlevées. Pourtant, les échanges ont gardé, au sein de chaque Allemagne, la même dynamique qu’avant la chute du Mur, comme si finalement la frontière politique entre les deux Allemagnes n’avait pas été effacée. Selon les calculs de Volker Nitsch et Nikolaus Wolf, il faudra entre 22 et 40 ans, au moins, pour faire disparaître l’impact des anciennes frontières sur les échanges et ils en concluent qu’une intégration politique n’amorce pas immédiatement une intégration économique.
Pour certains, c'est l'intervention même des autorités publiques qui a freiné le processus de convergence. Par exemple, Canova et Ravn (2000) considèrent que la réunification a été l’équivalent d’une migration de masse de travailleurs peu qualifiés et peu dotés en capital vers un pays étranger : c’est comme si l’Allemagne de l’Ouest avait connu une hausse de 26 points de pourcentage de sa proportion de travailleurs peu qualifiés. Puisque la croissance démographique s’accroît temporairement, le ratio capital sur travail diminue, si bien que l’économie doit allouer davantage de ressources pour reconstituer le stock de capital par tête. Selon Canova et Ravn, cela aurait dû se traduire par un boom de l’investissement en l’absence de transferts fiscaux, mais en raison de ces derniers, l'économie a au contraire connu une récession prolongée.
Pour d'autres, la lenteur de la convergence s'explique par les seuls mécanismes marchands. Ainsi, pour Hall et Ludwig (2007), la persistance de hauts niveaux de chômage en Allemagne de l’Est s’explique principalement par deux facteurs engendrant une demande insuffisante de travail. La demande de travail en Allemagne de l’Est a diminué comme la privatisation rapide a été suivie par des flux de capitaux trans-régionaux, se traduisant par des hausses rapides de l’intensité en capital et un éviction de la main-d'oeuvre. La réindustrialisation et l’expansion du secteur tertiaire se révélèrent trop faibles pour générer une demande de travail suffisante. En lien avec la privatisation, les sièges sociaux se relocalisèrent en Allemagne de l’Ouest, ce qui s’est traduit par une dynamique de réindustrialisation et la spécialisation de la région de l’est dans les biens intermédiaires relativement aux biens finaux, engendrant une faible demande de travail.
Références
BURDA, Michael C. (2008), « What kind of shock was it? Regional integration and structural change in Germany after unification », in Journal of Comparative Economics, vol. 36, n° 4.
COLAVECCHIO, Roberta, Declan CURRAN and Michael FUNKE (2011), « Drifting together or falling apart? The empirics of regional economic growth in post-unification Germany », in Applied Economics, 2011, 43.
The Economist (2014), « The Berlin Wall: Twenty-five years on », 8 novembre.
FUCHS-SCHÜNDELN, Nicola, Dirk KRUEGER & Mathias SOMMER (2009), « Inequality trends for Germany in the last two decades: A tale of two countries », NBER, working paper, n° 15059.
HALL, John B., & Udo LUDWIG (2007), « Explaining persistent unemployment in eastern Germany », in Journal of Post Keynesian Economics, vol. 29, n° 4.
NITSCH, Volker, & Nikolaus WOLF (2013), « Tear down this wall: on the persistence of borders in trade », in Canadian Journal of Economics, vol. 46, n° 1.
SINN, Gerlinde & Hans-Werner SINN (1992), Kaltstart. Volkswirtschaftliche As-pekte der deutschen Vereinigung.
SMOLNY, Werner (2009), « Wage adjustment, competitiveness and unemployment – East Germany after unification », in Journal of Economics and Statistics, vol. 229, n° 2-3.
UHLIG, Harald (2008), « The slow decline of East Germany », in Journal of Comparative Economics, vol. 36.
VOLLMER, Sebastian, Hajo HOLZMANN, Florian KETTERER & Stephan KLASEN (2013), « Distribution dynamics of regional GDP per employee in unified Germany », in Empirical Economics, vol. 44, n° 2.