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31 août 2014 7 31 /08 /août /2014 11:17

Le théorème Heckscher-Ohlin-Samuelson (HOS) suggère que la mondialisation est susceptible de réduire les inégalités de revenu dans les pays en développement. En effet, puisque cette théorie suggère que chaque pays dispose d’un avantage comparatif dans la production de bien qui exige relativement le plus des facteurs dont il est abondamment dotés, les pays pauvres (qui disposent de peu de capitaux et d’une main-d’œuvre relativement peu qualifiée) devraient se spécialiser dans la production de biens exigeant relativement peu de capital et beaucoup de travail non qualifié. Puisque la main-d’œuvre non qualifiée est davantage demandée, ses salaires augmentent, tandis que la main-d’œuvre qualifiée, moins demandée, devrait connaître de moindres hausses salariales. Bref, les écarts de salaires entre travailleurs qualifiés et non qualifiées devraient se réduire. [1]

Cela pourrait par exemple expliquer par exemple pourquoi  les pays européens, initialement caractérisés par un ratio élevé de travailleurs non qualifiés, ont connu une baisse des inégalités au dix-huitième siècle avec le développement des échanges commerciaux avec les Etats-Unis [The Economist, 2014]. En 1700, les revenus moyens des 10 % des Français les plus aisés étaient 31 fois plus élevés que ceux des 10 % des Français les moins aisés ; en 1900, ils n’étaient plus que 11 fois plus élevés.

Le modèle Heckscher-Ohlin rencontre toutefois plusieurs problèmes au niveau empirique. D’une part, il prédit que les échanges bilatéraux seront d’autant plus importants que les dotations factorielles sont différentes. Pourtant les pays riches et les pays pauvres échangent très peu entre eux. D’autre part, l’analyse empirique suggère que les inégalités tendent à augmenter dans les pays en développement suite à une libéralisation des échanges. Les inégalités mondiales (mesurées par la répartition du revenu entre les pays riches et les pays pauvres) ont certes eu tendance à se réduire entre 1988 et 2008 selon la Banque mondiale, mais la mondialisation semble s’être traduite par une hausse des inégalités dans plusieurs pays pauvres. Celles–ci ont eu tendance à s’accroître suite à chaque épisode de libéralisation des échanges. L’indice de Gini a augmenté de 9 % en Afrique subsaharienne entre 1993 et 2008. Il a augmenté de 34 % en Chine sur deux décennies. 

Lors de la dernière édition de la conférence qui se tient chaque année à Lindau en Allemagne et qui réunit les « prix Nobel » d’économie, Eric Maskin s’est demandé pourquoi la mondialisation entraîne une hausse des inégalités dans les pays en développement et quelles solutions il faudrait alors mettre en œuvre pour les réduire. Il appuie sa réflexion sur un modèle néoclassique qu’il a réalisé avec Michael Kremer. Les deux économistes partent du fait que la main-d’œuvre est hétérogène dans les pays en développement. En l’occurrence, dans ces derniers, les firmes multinationales sont davantage susceptibles d’embaucher des travailleurs qualifiés que des travailleurs non qualifiés. La revue The Economist (2014) prend l’exemple des centres d’appels en Inde : leurs salariés disposent en général de l’équivalent du baccalauréat. Il n’en demeure pas moins que les travailleurs qualifiés des pays en développement sont moins efficaces que les travailleurs non qualifiés des pays développés.

Avant une réforme de libéralisation des échanges (à l’instar de celles menées à partir des années quatre-vingt), les travailleurs qualifiés et non qualifiés dans les pays en développement travaillaient ensemble, ce qui permettait d’accroître l’efficacité des non qualifiés. Avec la mondialisation, les travailleurs qualifiés des pays en développement peuvent plus facilement travailler avec les travailleurs des pays développés, si bien qu’ils délaissent leurs compatriotes non qualifiés. Les entreprises des pays avancés peuvent délocaliser certaines activités vers les pays en développement, mais ces activités sont alors réalisées sur place par des travailleurs qualifiés, alors qu’elles étaient réalisées par des travailleurs non qualifiées lorsqu’elles étaient réalisées dans les pays développés. 

Par conséquent, avec le développement du commerce intrafirme et l’essor des chaînes de valeur régionales, les travailleurs qualifiés dans les pays en développement sont davantage demandés et leur productivité augmente, si bien qu’ils voient leurs salaires augmenter. Les firmes multinationales payent alors dans les pays en développement des salaires plus élevés que la norme. Et effectivement, au Mexique, les entreprises exportatrices versent des salaires supérieurs de 60 % à ceux versés par les entreprises non exportatrices ; en Indonésie, les usines possédées par les étrangers versent aux cols blancs des salaires supérieurs de 70 % à ceux versés par les entreprises détenues par des résidents. D’après le modèle de Kremer et Maskin, non seulement les travailleurs les moins qualifiés ne peuvent pas faire face aux travailleurs qualifiés des pays riches, mais ils ont également perdu accès aux travailleurs qualifiés de leur propre pays. Leur productivité et leurs salaires diminuent, si bien que les inégalités de revenu s’accroissent.

Maskin suggère alors que la réduction des inégalités dans les pays en développement passe par l’éducation. 38 % des adultes sont analphabètes en Afrique et les taux d'analphabétisme dépassent les 50 % dans plusieurs pays. Mieux qualifiés, les travailleurs pauvres deviennent alors plus attractifs pour les entreprises étrangères et leurs salaires augmentent. Les travailleurs peu qualifiés peuvent difficilement investir dans le capital humain, ce qui justifie l’intervention des pouvoirs publics et l’aide internationale. En 1970, 30 % des enfants latino-américains étaient scolarisés dans le secondaire, alors qu’ils sont 88 % à l’être aujourd’hui. Au cours de cette période, l’Amérique latine a connu une forte réduction des inégalités et celle-ci s’expliquerait notamment par les investissements réalisés dans l’éducation, ce qui conforte la thèse de Maskin.

 

[1] Par contre, si l’on suit la logique du théorème HOS, c’est la dynamique inverse que l’on est susceptible d’observer dans les pays riches : puisque ceux-ci se caractérisent par une main-d’œuvre relativement qualifiée, ils sont censés se spécialiser dans la production exigeant le plus de travail qualifié, si bien que c’est la demande de travailleurs qualifiés qui augmente et donc leurs salaires s’accroissent. Puisque les travailleurs non qualifiés sont moins demandés, leurs salaires stagnent, voire diminuent, si bien que les inégalités ont tendance à augmenter avec la libéralisation des échanges et l’approfondissement de la spécialisation.

 

Références

The Economist (2014), « Revisiting Ricardo: Why globalisation is not reducing inequality within developing countries », 23 août.

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014), « Nobel gurus fear globalisation is going horribly wrong (technical) », in The Telegraph, 22 août.

KREMER, Michael, & Eric MASKIN, « Globalization and inequality », document de travail.

C. W. (2014), « Eric Maskin and inequality: Learn, and be less unequal », in Free Exchange (blog), 23 août. 

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