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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 01:10

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Les phases successives de la crise de la zone euro et la dynamique des dettes publiques ont révélé la perfide interaction entre les fragilités du secteur financier et les pressions sur l’endettement public. Plusieurs publications ont récemment précisé ce lien.

Mody et Sandri (2011) ont analysé la structure de corrélation entre les évolutions des valeurs boursières et celles des spreads souverains (c’est-à-dire la prime de risque incorporée par les titres publics par rapport à leurs équivalents allemands) à partir d'un panel de pays de la zone euro. Avant la crise du crédit subprime, les différents pays de la zone euro présentaient des spreads souverains pratiquement identiques. Avec l’éclatement de la crise aux Etats-Unis durant l’été 2007, les spreads s’élevèrent tout d’abord modérément. A partir du sauvetage de la Bear Stearns en mars 2008, ils s’accroissent fortement et commencent à se différencier clairement d’un pays à l’autre. Les spreads s'élevaient avec un retard de deux trois semaines par rapport aux dégradations des valeurs boursières des banques. Les différences observées entre les primes de risque reflétaient l’hétérogénéité des problèmes financiers domestiques, mais aussi les différences dans le niveau de l’endettement public et la croissance potentielle. Les spreads souverains furent ainsi très sensibles aux pertes boursières dans les pays ayant un endettement public élevé et un plus faible potentiel de croissance.

GRAPHIQUE  Valeurs boursières du secteur financier et spreads souverains

Modi Sandrisource : Modi et Sandri (2011)    

D’après Modi et Sandri, la crise connaît une nouvelle aggravation avec la nationalisation d’Anglo Irish en janvier 2009. Le sauvetage de la banque irlandaise suscite les premières inquiétudes concernant la soutenabilité budgétaire des Etats et finalement leur capacité à soutenir durablement le secteur financier. Les évolutions dramatiques des déséquilibres budgétaires de la Grèce viennent peu après confirmer la mutation de la crise bancaire de la zone euro en une crise souveraine. Alors qu’auparavant les pertes boursières ne se traduisaient qu’avec retard par une hausse des spreads souverains, les évolutions entre les deux variables financières sont dorénavant simultanées. Non seulement la déstabilisation du secteur financier mène à des inquiétudes concernant la soutenabilité des dettes souveraines, mais la détérioration même de l’équilibre budgétaire affaiblit aussi à présent les perspectives bancaires. Désormais, les difficultés de l’Etat et du secteur bancaire menacent de se renforcer mutuellement.

Acharya, Drechsler et Schnabl (2012) mettent en exergue le lien existant entre le risque de crédit souverain et le risque de crédit bancaire. La croissance économique est affectée par la sous-capitalisation du secteur bancaire, puisque le processus de désendettement des institutions financières se traduit par un resserrement du crédit. Les gouvernements renflouent le secteur financier pour éviter un effondrement du crédit et une contraction de l’output. Le risque de crédit de l’Etat augmente immédiatement du côté du passif de son bilan, car les renflouements amènent l’Etat à émettre davantage de dette. Parallèlement, les ménages et entreprises anticipent des hausses futures de taxes, ce qui réduit les rendements à long terme des investissements. Le sous-investissement consécutif entraîne un ralentissement de la productivité et de la croissance, donc une hausse du risque de crédit de l’Etat via cette fois-ci le côté actif de son bilan. Les dynamiques bancaire et publique entrent en étroite interaction : les autorités publiques « sacrifient » une partie de leur solvabilité pour absorber le trop-plein de risque accumulé par le secteur financier, donc les spreads de crédit souverain augmentent.

Dans la mesure où l’Etat est l’assureur ultime des banques domestiques, la détérioration de sa propre solvabilité impacte négativement leur situation, notamment car les banques détiennent elles-mêmes de la dette publique. Acharya et alii (2012) observent le biais domestique (home bias), c’est-à-dire la proportion de titres domestiques parmi l’ensemble des titres de dette publique détenus par les banques d’un pays donné. Le biais domestique dans la détention de titres publics est en moyenne d’environ 60 %. Il est en outre plus élevé pour les banques des pays en extrême difficulté de la périphérie européenne (les PIIGS). Ce biais domestique dans la détention de dette souveraine cristallise un effet retour de l’Etat au secteur financier. La qualité de crédit des banques européennes serait alors liée à l’ampleur de leur biais domestique. Un second effet retour apparaît relatif aux garanties implicites du secteur financier par les gouvernements. La qualité de crédit du secteur financier est affectée par les perspectives négatives concernant la solvabilité publique. Une hausse dans les CDS souverains détériore le risque de crédit bancaire, puisqu’elle affaiblit la qualité des garanties implicites apportées par les gouvernements. Ces deux effets retour se traduisent par une détérioration de l’activité d’intermédiation bancaire, donc par une nouvelle exacerbation des risques de crédit souverain et de plus fortes pressions récessives.

Selon Modi et Sandi (2011), l’existence de boucles rétroactives négatives entre les banques et l’Etat fait émerger des équilibres multiples ; d’infimes perturbations peuvent se voir profondément amplifiées et faire basculer les économies dans un régime insoutenable. Alors qu’avant la crise du crédit subprime, les marchés eurent une perception erronée des risques et provoquèrent une convergence injustifiée des spreads, les marchés ont depuis resserré les conditions de financement et firent basculer les banques et les Etats dans une sévère détresse autoréalisatrice.

Angeloni et Wolff (2012) observent l’effet de débordement induit par le risque souverain sur le risque bancaire. Ils se focalisent sur la composition du bilan des banques pour déterminer si leur détention de titres publics influence leurs performances boursières. Ces dernières furent négatives en 2011. Les plus mauvaises performances boursières ont été réalisées par les banques localisées dans la périphérie européenne. Les deux auteurs utilisent les données issues du stress test de juillet et du Capital Exercise mené en décembre par l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ces tests permettent de comparer la composition bilantielle des banques en décembre 2010 et en septembre 2011. Sur la période, les banques ont réduit leur détention de titres de dette souveraine émises par les économies périphériques, en l'occurrence l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal. Les banques ont ainsi été moins exposés au risque souverain en septembre 2011 qu’au début de 2011. En revanche, l’Opération de refinancement de plus long terme (LTRO) menée par la BCE en décembre 2011 semble avoir amplement renversé cette évolution. Selon l’étude d’Angeloni et Wolff, il n’y a finalement pas de forte corrélation entre les valorisations boursières des banques et leur exposition à la dette souveraine des pays périphériques. Les performances des banques sont faiblement reliées au caractère risqué de leur détention de dette publique. En revanche, les cours boursiers des banques semblent incorporer le risque souverain associé au pays dans lequel les banques sont localisées. Ainsi, des banques ayant leur siège dans un même pays, mais qui seraient différemment exposées au risque souverain, connaîtraient pourtant des performances relativement similaires sur le marché boursier.

Références Martin Anota

ACHARYA, Viral, Itamar DRECHSLER & Philipp SCHNABL (2012), « A tale of two overhangs: The nexus of financial sector and sovereign credit risks », in VoxEU.org, 15 avril.

ANGELONI, Chiara, & Guntram WOLFF (2012), « Sovereign portfolios or banks’ location: What channels sovereign risk into banking systems?  », in VoxEU.org, 19 avril.

MODY, Ashoka, & Damiano SANDRI (2011), « The interplay of sovereign spreads and banks’ fragility in the Eurozone », in VoxEU.org, 23 novembre.

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